dimanche 25 novembre 2007

AP : 1. Vengeance : Chapitre 9

9
La vengeance n'est pas un mobile ignoble lorsqu'elle sert à des fins utiles.
[Jack Vance]
Le prince des étoiles

Maïcentres

La Syhy Dyasella Lytyl était dans son salon privé. Simple et confortable, les sofas avaient étés agrémenté de tissus chatoyants et de coussins soyeux ocres sombres. Ce n’était pas son gout mais son compagnon voulait que leur maison des Maÿcentres reflète la richesse des familles Eïsky et Lïtyl. Encore une de ses nouvelles Lubies. Leurs parents n’avaient pas besoin de pareils démonstrations de luxe pour être respectés. Sa mère était issue d’une de la plus belle noblesse de Vengeance et Ryun était le fils de l’ancien président des Maÿcentres. N’était-ce pas suffisant ? Ca ne suffisait pas à Ryun, il avait fallu qu’il succombe à cette nouvelle mode consistant à étaler ses richesses au grand jour sous forme de rideaux ou de coussins. Bien sur, elle aussi, bien qu’elle ne voulait pas se l’avouer, prenait un certain plaisir à revêtir ces belles tenues exotiques. Mais elle ne se faisait pas d’illusions pour autant. Elle avait vu de trop près les richesses issues de Plume pour s’y méprendre. Ce qu’il y avait ici était somptueux sans doute mais moins raffinés que les tissus de Plume. Elle avait pensé d’abord que c’était des imitations particulièrement réussies, mais d’après ce qu’on lui avait dit, ça venait vraiment de là-bas. On disait que le président Synshy avait mis la main sur Plume et avait obligé leurs dirigeants à ouvrir leur marché. Il disait que le peuple de Plume leur en était reconnaissant. Il disait que les Adarii s’étaient enfuis au cœur des montagnes. Que beaucoup étaient morts et les autres avait plié le genou devant Synshy et l’avait reconnu comme leur président. Elle avait du mal à y croire. En tout cas, Orage n’aurait jamais plié le genou devant Synshy, ni devant qui que ce soit d’ailleurs. Il ne se serait pas non plus enfui. Serait-il mort ? Dyasella sentit d’un coup une douleur irraisonnée dans la poitrine et porta la main à son cœur derrière sa robe.

Elle ne devait plus y penser. Pourquoi en revenait-elle toujours à ses réflexions ?

C’était cet homme rencontré à la réception la semaine précédente. Comment s’appelait-il. Umia. Oui c’est ça, Sy Umia. Thaïs. Un cadet de famille. La trentaine, belle prestance, tenue impeccable rehaussé d’un drapé magnifique. Il s’était présenté comme quelqu’un de très simple. Petit diplomate sans importance dans une province éloigné. En général ce genre de gens n’était pas convié à ce style de réception. Elle l’avait déjà aperçu une autre fois. Ou était-ce encore ? Ha oui, c’était trois mois plus tôt à un spectacle sans aucun intérêt ou Ryun l’avait obligé à assister afin de faire croire qu’ils étaient un couple modèle. Vu la richesse de ses vêtements, Elle avait commencé par croire que c’était encore un de ses nouveaux riches qui veulent paraître en se faisant voir dans ce style de soirée mais il était resté discret. Elle avait cru qu’il tenterait de se mettre en valeur, sans doute dans l’espoir qu’elle lui trouve une place plus près de la capitale. Mais rien de tout cela. En fait, il avait à peine évoqué son travail.
Il l’avait complimenté sur sa tenue en lui disant qu’on aurait presque dit une robe des terres de Plume. Elle avait honte, mais en y repensant, c’est une certaine fierté qu’elle avait répondu que sa robe venait de là-bas. Devenait-elle aussi superficielle que Ryun ? Elle chassa cette idée.
La réponse du Sy Umia l’avait intriguée. Il avait dit qu’on voyait bien que les broderies étaient rehaussées d’or. Ça se remarquait car les fils d’or ne se fondaient pas dans le tissu. Les dorures des tissus des terres de Plume ne sont pas issues du métal, mais des plantes. C’est un traitement particulier qui lui donne cet aspect doré .
Pourquoi lui avait-il dit ça ? C’était totalement déplacé. Elle aurait dû le rabrouer. Mais elle s’était contenté de dire qu’il avait l’air de s’y connaître en matière d’étoffe et demandé si sa famille avait travaillé dans le textile.
Il avait souri, presque ri même. A croire qu’il se moquait d’elle. « Non, je n’y connais rien en tissu. Par contre je sais pas mal de chose dans bien des domaines. »
Avait-il insisté sur le mot domaine ? Était ce un simple hasard ou une subtile allusion dans laquelle il rapprochait les domaines de connaissance et les domaines Adarii de Saphir ?
Pourquoi se torturait-elle ainsi. Y Penser lui faisait du mal et elle finirait pas perdre totalement le fil de la conversation.
Tout en réfléchissant, elle n’avait cessé de garder le sourire aux lèvres. C’était comme un masque. Sauf qu’un masque est figé. Elle, elle savait mettre dans son visage de subtiles différences qui évoquaient tour à tour la curiosité ou la complicité. On agrandissait légèrement la fente entre les lèvres pour paraître émerveillée, un plissement du front et d’un coup elle semblait désolée.
Elle avait passé des heures devant son miroir à travailler toutes ses expressions pour qu’elles paraissent les plus naturelles possibles.

Elle pouvait être fière de sa réussite? Aujourd’hui, ses talents de comédienne battaient tous les records. Ça devait faire près d’une heure que son amie lui parlait et au moins 20 minutes qu’elle n’écoutait plus un mot, laissant son visage prendre l’expression appropriée par simple réflexe devant le ton de la voix de son interlocutrice. Cette dernière s’était arrêtée nette. Ca voulait dire que quelque chose n’allait pas. Dyasella avait pris l’attitude très travaillée de connivence. Petit sourire en coin, les yeux légèrement pétillants. Peut-être les paroles de son amie ne convenaient-elles plus à une telle attitude.

« Dyasella, vous ne m’écoutez pas !! »

Dans ces cas-là, en général elle prenait l’air offusquée en disant : « bien sur que si ». Mais avec Mayana, ça ne passerait pas, elles étaient trop proches, elle n’hésiterait pas à lui demander de répéter pour s’en assurer.
« Je suis Désolé Mayana. » Dit Dyasella se tournant vers la petite jeune femme blonde et replète en lui faisant l’air de circonstance. « Quelques soucis avec les domestiques, vous savez ce que c’est. Depuis mon arrivée sur les Maÿcentres, j’ai dû réduire mon personnel au stricte minimum, ça exige une grande organisation »
Si tout ce passait bien, elle reprendrait sur ses propres soucis avec les gens de sa maison. Pourtant Mayana, fit mine de chasser ses balivernes d’une main et reprit sur le ton de la confidence. « Je disais : il paraîtrait que Sihi Jumye aurait eu une liaison à peine 9 mois après s’être séparé de sa compagne »
Elle s’arrêta net et attendit.
Dyasella savait ce qu’il fallait faire devant de tels commérages. Elle devait prendre l’air extrêmement choquée. C’était l’attitude qu’elle avait eu le plus de mal à apprendre. Devant son miroir, ça passait bien. Les yeux écarquillés, les lèvres légèrement arrondies, mais ce genre de mesquinerie avaient si peu d’intérêt que ca la fatiguait d’entendre son amie si excitée pour si peu. Il n’avait pas respecté le temps d’attente d’au moins un an avant de trouver quelqu’un d’autre. Et alors ? De toute façon, même s’il avait attendu le temps requis, certains se seraient quand même indignés comme quoi il aurait pu attendre plus. Mais quand on est vraiment attiré par quelqu’un, comment attendre ? Laisser libre cours à sa passion, quoi de plus enivrant ! Voilà ce qu’elle devrait dire. Pourtant, elle se contenta de porter ses longs doigts fins à sa gorge blanche comme si une nausée soudaine l’envahissait devant cet acte abject en faisant une grimace d’indignation particulièrement réussie.
Cette mascarade parut convenir à son amie qui continua son discours sur la bienséance avant d’embrayer sur la future union de personne sans intérêt à l’avis de Dyasella.
« Vous irez » ? finit par demander son amie après avoir fait l’énumération de tout ce qui avait été mis en œuvre pour que cette cérémonie soit fastueuse.
« Je ne peux pas y aller, vous oubliez que mon compagnon et moi n’avons pas été unis ainsi. Ce serait malséant de nous présenter à ce type de cérémonie. »

Elle avait dit cela d’un ton neutre, et en effet, ça ne lui importait guère. Il y avait quelques années, qu’est-ce qu’elle avait pu se morfondre de se voir écarter de toutes ses fêtes, comme elle avait pu pleurer en pensant que jamais elle n’aurait droit à l’honneur de s’unir ainsi et tout ça à cause du bavardage inopiné de Ryun. Et puis, s’était passé. Maintenant, elle ne voyait qu’une nouvelle réunion ennuyeuse à laquelle elle échapperait avec plaisir. Et , si c’était à refaire, elle ferait exactement pareil. Un sentiment de nostalgie lui déchira le cœur à ses souvenirs. Il ne lui restait que Ryun. Elle sentait le désespoir l’envahir soudain.
Mayana se méprit sur l’attitude de son amie. « Je suis désolée ma chérie, c’est vrai, j’oublie toujours que Ryun et vous… » Elle s’arrêta gêné et se mit à rougir. « Au fond, c’est différent, Je comprends qu’avec un homme beau comme Ryun, vous n’ayez pas eu le courage d’attendre jusqu’à votre union et vous étiez fiancés. »
Elle se voulait gentille, mais on sentait poindre son désaccord dans sa voix. Elle avait été outrée d’apprendre que Dyasella avait couché avec son fiancé.
Ce qui exaspérait le plus Dyasella, c’était de s’obliger à acquiescer à cette rumeur. Comme si elle, Dyasella Lytïl aurait pu succomber à ce crétin de Ryun.
Vu la situation, lui avait-on dit, c’était encore le moins déshonorant.
Attitude bornée de gens coincés. De gens comme Ryun au fond. Quel plaisir lui avait-il donné celui-là. Ha, là aussi son miroir l’avait bien aidé, les heures qu’elle avait passé à apprendre à simuler correctement un orgasme. Elle s’installait dans sa chambre s’immergeant dans les souvenirs de sa passion, des sentiments infinis qu’elle avait pu ressentir, l’extase suprême. Même après toutes ses années, elle ne pouvait pas y repenser sans trembler.
Elle se mit à tousser tandis que Mayana avait allumé une cigarette.
« Qu’est-ce que c’est que cette horreur ?» demanda Dyasella
- Ce sont des herbes venue de la Terre » répondit-elle « fièrement heureuse de pouvoir exhiber elle aussi quelque chose de rare. En aspirant la fumée, elles procurent, ca te donne des sensations agréables. C’est presque magique. Rien à voir avec ces horreurs des villes plates.
- Ca n’a rien de magique. » Dyasella savait ce qui était magique et ce n’était sûrement pas ce genre de chose.
« Tu devrais essayer ? »
Dyasella réfléchit un moment. « Si ça te donne des sensations agréables, ca veut dire que quand tu arrêtes, tu n’as plus ces sensations.
- Sans doute » répondit Mayana incitant son amie à s’expliquer d’avantage.
« Ce que je veux dire c’est, n’est-ce pas dangereux d’avoir de telles sensations pour ensuite regretter quand on ne peut plus les avoir.
« He bien, dans ce cas, là on en allume une autre et on recommence.
- Vous n’allez tout de même pas passer votre vie à fumer ces choses-là ? Et, quand vous n’en aurez plus sous la main, vous ne pourrez plus ressentir ses sensations, alors ca vous manquera, ca vous déchirera le cœur, vous en voudrez encore, toujours plus, et vous ne pourrez pas.
«Voyons, » dit Mayana en se levant. « Ce n’est pas à ce point là tout de même. »
Dyasella laissa Mayana se diriger vers la sortie. Elle avait l’habitude de la maison, ce n’était pas la peine de la raccompagner. Elle s’en voulait, elle s’était laissé aller à parler trop librement, et voilà le résultat, son amie commençait à s’interroger un peu trop. Pourvu qu’elle n’en profite pas pour en faire un nouveau commérage. Que pourrait-elle dire au fond ? Pas grand-chose. Au cas où, elle trouverait deux ou trois sujets choquants pour faire semblant de s’offusquer. Cette pensée la rassura et elle s’enfonça d’avantage dans son fauteuil. Des herbes donnant des sensations agréables, voilà qui était nouveau. Elle avait déjà entendu parler d’herbe à fumer pour se donner du courage. Ce genre de drogues trainait dans les villes plates. Agréable comment se demanda-t-elle. Surement pas suffisant pour ressentir la passion, l’union total de deux êtres, la puissance, ce n’est pas des herbes qui seraient capable de savoir ce qu’il se cache au plus profond d’elle, qui pourraient cerner ses désirs les plus secrets, réaliser des fantasmes qu’elle n’aurait jamais osée exprimer.
Et ce n’était pas Ryun non plus. Il était gentil, doux, il lui pardonnait tout. Mais ce n’était pas ça qu’elle recherchait. Elle voulait un homme qui la domine, qui ne s’inclinerait pas parce qu’elle était la Syhy Lytil. Qui ne verrait pas la puissance de sa famille. Elle voulait un homme fort, quelqu’un qui pourrait lui faire sentir qui elle était vraiment. Elle ne voulait pas être respecté, elle voulait jouir.
Elle agrippa la pièce de bois. Son domestique lui avait remis la missive juste avant que Mayana arrive. Elle avait à peine eu le temps d’y jeter un œil et l’avait caché sous les coussins quand son amie été arrivée pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas. Le domestique lui avait dit que c’était de la part de Sy Thaïs Umia. Il paraît qu’il manquait cette pièce à votre jeu et ’il espérait qu’elle s’accorderait avec ses autres pièces. Elle avait regardé la petite pièce ronde. C’était un bois rare qui paraissait presque rose. Et le tout était posé sur un socle doré. Une très jolie pièce. Bien plus belle que celles de son jeu tout simple. Elle se souvenait vaguement que le Sy Umia avait évoqué au cours de la discussion leur passion pour les jeux et en particulier celui de des Assauts. Mais jamais elle n’avait dit avoir perdu une pièce. D’ailleurs, son jeu était complet. Elle y jouait peu. Dans son entourage, personne n’aimait les jeux de stratégie. Et Ryun moins que quiconque. Pour passer des heures aux jeux de hasard, il était capable. Quand il s’agissait de réfléchir, c’était autre chose. Elle se rappelait avoir tenté de lui expliquer à une époque. Elle avait sorti sa table de jeu ainsi que toutes les petites pièces représentant les planètes connues. Le but du jeu était de s’approprier le plus de monde possible. Suivant leur richesses minières ou autres, les planètes valaient plus ou moins de point. Il y avait aussi les Plate-forme de plissement de l’espace qui étaient représentées par des carrés bien que certains jeus les représentaient suivant leurs formes réelles. Les Plate-forme valaient beaucoup de points. Celui qui se les appropriait avait un certain avantage en ayant le pouvoir de bloquer les communications entre les mondes, faisant payer des taxes à ceux qui voulaient les traverser… Les pièces les plus importantes étaient tout de même les planètes habitées. Et en particulier la planète Vengeance et les Maÿcentres. Les deux planètes possédaient la même valeur sans doute pour ne pas froisser les susceptibilités. Ensuite venait la Planète Conquète. Malgré sa disparition, elle faisait tout de même partie du jeu. Ca rajoutait un monde en plus. Puis les satellites de Vengeance, Ensuite la Terre. La multiplicité de ses richesses et de ses technologies en faisait une pièce importante mais bien loin d’être suffisant pour remporter la victoire, surtout qu’avec cette seule planète on ne pouvait conquérir les autres mondes, elle n’avait pas de technlogie spatiale. Ensuite venait Saphir, puis la petite Planète Plume.
Le jeu était complexe car il s’agissait de réfléchir pour s’approprier les mondes ayant des richesses variées afin de ne pas se faire bloquer. Par exemple, avoir un monde possédant une bonne flotte spatiale, mais aucun ne disposant d’extraction d’energie pour alimenter les navette n’avaient pas de sens. Les planètes d’extraction d’energie étaient d’ailleurs celles qui avaient le plus de valeur après les planètes habitées et les Plate-formes.

Dyasella se replongea dans la contemplation de la pièce. Elle représentait la planète Plume. Le bois rose représentait la couleur de la planète et il était même grossierement sculté pour representer la forme des deux continents. Pourquoi m’a-t-il donné cela se demanda-t-elle tout en regardant le domestique rassembler les restes du repas sur un plateau.
« Sy Umia ne vous a vraiment rien dit d’autre ? »

Le domestique fronça les sourcils et réfléchit. « Il m’a remis la pièce, il m’a dit qu’elle remplacerait la pièce qu’il manquait à votre jeu. Il m’a ensuite demandé si j’aimais jouer. Je lui ai répondu que ce jeu là ne me passionnait pas. Il m’a recommandé une salle commune dans laquelle les gens se retrouvent pour jouer et m’a précisé qu’il y allait presque tous les matins et qu’il se ferait un plaisir de jouer avec moi au jeu de ma convenance. »

Etais-ce une invitation pour lui ou pour moi ? se demanda Dyasella. Ce pouvait-être une façon discrète de lui proposer un rendez-vous ? Cette idée piqua sa curiosité. Il y avait quelque chose de particulierement exitant à cela. Des rendez-vous secrets, pour des raisons mystérieuses. Tout cela eveillait en elle des sentiments qu’elles n’avaient pas ressentis de puis longtemps. Mais il fallait revenir à la réalité. Syhy Dyasella Lytïl dans une salle commune et avec un homme en plus. Voilà qui était tout à fait inconvenant. Sans qu’elle comprit pourquoi, cette idée l’exita encore plus. Elle ne cessait de tourner et retourner la statuette entre ses doigts carressant distraitement la petite boule de bois rose et son socle doré. Il y avait une inscription gravée dessous. Ce détail attira son attention mais ce n’était sans doute que le nombre de point que valait la planète pour le joueur qui se l’appropriait. Elle regarda pourtant de plus près. Elle fut déçue dans un premier temps de ne voir qu’en effet, ce n’était que des numéros. Mais avec un peu plus d’attention, elle remarqua que la valeur de la pièce avait été modifiée. Elle avait été réévaluée à la hausse. Cette petite Planète Plume avait une valeur plus élevée que celle des Planètes Vengeance ou les Maÿcentres.
Pourquoi ? Que cherchait-il à lui faire comprendre ? Une vague de panique s’empara d’elle. Que savait-il ? Etait-il au courant de tout ? Voulait-il lui faire du chantage ? Après tout, ce n’était qu’un simple diplomate, il aurait bien besoin de quelques remunérations supplémentaires. Comment un simple diplomate d’une province perdue pourrait être au courant d’un secret si bien gardé ? Enfin, il aurait pu être parfaitement gardé si cet idiot de Ryun avait pu tenir sa langue.


Maïcentres

« Laissez-moi vous raccompagner. »

Réalité leva ses yeux rougis vers la main tendue.
« Vous pensez que je ne suis pas capable de rentrer chez moi toute seule » cracha-t-elle en reniflant.

« Ils ne vous mène pas la vie facile » se contenta de remarquer Umia en souriant. Il sortait d’une réunion chez Cannelle. Comme d’habitude le ton était monté et il n’avait rien pu retirer de constructif. Son rapport serait bref aujourd’hui

Réalité hésita et finit par prendre la main tendue pour se relever. Elle tituba un peu et s’appuya contre le mur pour reprendre son équilibre.
Les nouveaux mondes ne sont pas porteurs que de merveilles pensait Umia. L’alcool avait l’avantage de délier les langues mais il ne réussissait pas à Réalité.
Umia sortit de ces réflexions pour rattraper la jeune fille qui avait trébuché et il la tint plus fermement pour l’empêcher de tomber. Elle s’accrochait à son bras. Elle était si proche que quand il tournait la tête vers elle, il se retrouvait perdu dans son épaisse chevelure dorée. Ceux de Plume l’acceptaient car elle était issue du même monde qu’eux mais surtout aussi à cause de Miroir qui avait une grande influence et s'était pris d’affection pour elle. Quoique en fait, il paraissait plus s’amuser de ses discours effrénés plutôt que de la prendre au sérieux. Umia ne doutait pas que si elle avait été moins jolie, Miroir s’en serait beaucoup moins occupé. Si Miroir paraissait la plupart du temps se moquer de ses propos, les autres les trouvaient outrageant. Ils venaient peut-être tous du même monde, mais au fond, leur culture était très différente. Jamais ils ne pourraient s’entendre.
Dans un sens, lui aussi la rejetait. Ses propos ne le choquaient pas, au contraire, il avait tendance à trouver que ses réflexions étaient les plus pertinentes du groupe mais quand il la voyait, il sentait monter en lui des envies qu’il ne devait pas désirer.
Tout en marchant, la jeune fille se tourna vers Umia, son haleine embaumait la rose , Umia se força à se détourner quand elle parla. Il sentait son cœur s’accélérer en sa présence.

« Pourquoi fais-tu ça pour moi ?

- Pourquoi je fais quoi ?

- Pourquoi tu es gentil ?

Umia sourit malgré lui. « Moi gentil ? Je croyais que tous ceux de Vengeance étaient des esclavagistes sans cœur. En tout cas, c’est ce que vous dites sans cesse ?

- Arrête avec tes manières, t’as l’air vieux. T’as quel age au fond ?

- 32 ans. »

Réalité se mit à rire aux éclats. « Je t’en aurais donné presque 40.

- Sans doute ai-je trop vécu ».

Elle buta à nouveau et se rattrapa à son cou et il ne put réprimer le rouge qui lui montait aux joues. « Trop vécu, ou pas assez » lança-t-elle avec un sourire mystérieux.

Umia ne savait plus quoi faire, il avait envie de s’en aller. Mais… Mais quoi pensa-t-il. Non, le problème avec Réalité était justement qu’il n’avait pas envie de s’éloigner.

Elle s’écarta soulageant légèrement Umia de son désir.
« C’est pas là dit-elle montrant quelques sructures métaliques qui se détachaient de la pénombre. "Dis-moi, Umia, si j’ai bien compris tes coutumes, tous ceux de votre famille portent le même nom ?

- Tous les garçons oui.

- Tu n’as pas un petit nom, qui ne soit qu’à toi ?

- Seul la haute société à droit à porter un prénom. Je ne suis qu’une petite noblesse sans importance.

- Aucune individualité.

- On m’appelle Thaïs. Ca veut dire le dernier dans le dialecte de la région d’où je viens. Je suis le troisième de la famille. Le petit dernier. Réalité sourit. « Je t’appellerais Thaïs alors.

- Et vous, vous n’avez pas un nom qui vous rattache à votre famille ? »

Elle s’arrêta, se tenant le plus droite possible en vacillant malgré tout quelque peu. « Je suis Réalité, la fille de Cyril, Maître de la guilde du souvenir de Tchaé, la cité principale de Cashir. Qu’est ce que j’aurais besoin d’un nom supplémentaire. Tout le monde me connaît et me respecte. Tout le monde tu entends. » Son menton frémissait et ses yeux s’embuaient à nouveau. « Tout le monde chez moi » ajouta-t-elle enfuissant soudainement son visage contre Umia.

Les complôts, les intrigues, il savait gérer mais ça ! Il resta là, les bras ballants, espérant de tout cœur que personne ne sorte pour surprendre ce spectacle si particulier puis doucement, presque contre sa volonté, ses bras entourèrent la jeune fille.
« Ca va aller » lui dit-il. « Montrez-moi votre appartement. » Elle pointa une porte du doigt sans faire mine de s’écarter aussi Umia se força à sortir de son étreinte et lui poussa légèrement le bras pour la faire à avancer jusqu’à la porte. L’endroit était vraiment miteux et il ne put s’empêcher de faire une grimace en constatant où elle était logée. Elle ouvrit la porte révélant une toute petite chambre vide et se retourna vers Umia.
« Tu entres ?
- Non », s’exclama-t-il horrifié. Il se reprit en se rappelant qu’elle venait de loin. Cette proposition n’était peut-être pas choquante d’où elle venait. Umia se rappelait des comportements très libérés des terres de Plume. Il espérait que Cashir avait une morale un peu plus… Enfin, avait une morale. Quel quelle soit, ce ne pouvait être pire que chez les Adarii.
La jeune fille le dévisageait de ses grands yeux gris et de nouvelles larmes apparurent. « Tu es dégoûtée à l’idée d’entrer dans une pièce si moche » sanglota-t-elle. « Je te comprends. Tu verrais ma maison, mon chez moi, elle est plus belle que toutes celles des Maÿcentres. Tu sais, je suis allée sur la colline du conseil, j’ai vu les maisons des dignitaires, et elles ne valent pas le centième de la mienne. Mais ici… » Elle s’essuya les yeux sur la manche de sa tunique.

« Voyons Réalité » dit-il comprenant soudain la mauvaise interprétation de son refus, « l’endroit où vous vivez n’a aucune importance. C’est juste, qu’enfin, ici, il n’est pas très correct qu’un homme et une femme se retrouve dans une chambre. Enfin on peut penser… Bref, c’est une proposition inconvenante.

- Ho » dit le jeune fille bien plus étonnée que génée. « Tu pensais que…

- Je ne pensais rien du tout. » Coupa-t-il imaginant les propos qu’elle pourrait encore sortir. « Je vous informe c’est tout. Ca ne se fait pas.

- Ha » dit-elle encore commençant à sourire devant l’air de plus en plus mal à l’aise d’Umia.

Elle sembla réfléchir un moment. « Tu veux dire que tu n’as jamais touché une fille. » S’exclama-t-elle. « A 32 ans.

- Chutt

On ne parlait pas de ce genre de chose. Elle ne se rendait pas compte que si quelqu’un entendait ses propos, la rumeur se répandrait vite. Il ne pouvait rester en présence d’une telle jeune fille. Bien sur, ce n’était pas sa faute, ses coutumes étaient différentes.

« Tu n’a jamais touché une fille » répéta-t-elle tout de même en chuchotant s’approchant bien trop près de lui.

« Bien sur que non » mentit-il sur le meme ton.

Elle enroula ses bras autour de ses épaules, « même pas juste embrassé ? »

Evidemment si mais jamais il n’irait pas l’avouer.

Réalité s’écarta lui laissant un immense sentiment de soulagement mais une impression de vide encore bien plus profonde. Il devait reculer mais elle lui prit la main.

« Viens » lui dit-elle.

Et il la suivit dans sa chambre.




Aucun commentaire: