vendredi 25 janvier 2008

AP : 6. Chance : Chapitre 8

8

Les calamités sont de deux ordres : le malheur qui nous atteint et le coup de chance qui arrive aux autres.

Ambrose Bierce

Maÿcentres : Ambassade de Saphir-Plume

Rafale poussa doucement la porte des appartements de Tiyana. Il sourit en pensant qu’Accalmie avait peut-être trouvé un moyen de le chasser de ses appartements. Pour une fois, Plumeau s’était montrée douée pour arranger cet espace mais il avait préféré rester dans les appartements de Taegaïan afin d’avoir un œil sur Accalmie. Quand il saurait qu’il s’est installé une chambre dans les appartements de Tiyana pour se rapprocher de Chance, il serait furieux. Et quand il saurait qu’il a aussi gardé celle des appartements de Taegaïan pour le surveiller, il sera complètement fou. Cette perspective l’amusa énormément. Dire qu’il avait failli rentrer sur Plume ! Il ne se sentait plus indispensable ici et son enfant devait grandir, il avait hâte de le voir.

Rafale poussa plus fort la porte et entra dans la pièce. Chance était là. Assise par terre les jambes revenues contre elle, elle regardait par la fenêtre comme perdue dans un autre monde. Elle aurait été mieux dans des appartements donnant sur le patio. Tous ce qui était différent du monde dans lequel elle avait vécu avait tendance à la remettre dans cet état de sauvagerie.

« Chance ? »

Elle ne réagit pas. Rafale répéta plus fort « Chance ? »

Elle se décida à tourner la tête vers lui mais sans le regarder. Elle avait des yeux extraordinaires. A la fois marron et doré un peu de rouge sombre aussi et une toute petite pointe de vert qui s’y mélangeait.

« Je crois que je ne me suis pas toujours appelée ainsi ? »

Rafale s’approcha. Quelques souvenirs émergeaient de son passé. C’était bien. jusque là, il avait été impossible de lui faire sortir la moindre chose cohérente.

« Comment t’appelais-tu ? »

Elle réfléchit intensément comme s’il s’agissait d’effectuer une opération compliquée. « Aube » dit-elle « oui c’est ça »

Rafale se rapprocha. C’était un nom de Tiyana. C’était possible. « D’accord Aube, pouvons-nous parler tous les deux ? »

Elle secoua la tête « Non, c’est Chance maintenant. Aube, ça n’a pas duré assez longtemps. Chance c’est bien. C’est Onirique qui m’a appelé ainsi. Il disait que j’étais sa chance. Il n’avait pas beaucoup d’amis »

Bien, on avançait. C’était bien la conclusion à laquelle il était arrivé en décortiquant les histoires d’Accalmie comme quoi elle existait depuis longtemps mais que son corps avait été façonné par Substance et que, d’un autre coté, Grésil lui avait dit qu’Onirique avait perdu une amie. Il ne devait pas la brusquer. Mais, il devait profiter qu’elle soit dans de si bonne disposition avant qu’Accalmie n’arrive et ne joue les protecteurs en pestant comme quoi elle devait se reposer et qu’il ne fallait pas la déranger. Il essaya de raccrocher ses informations avec les propos incohérents qu’on lui avait transmis d’Emma. Il ragea encore en repensant que si Pluie n’avait pas fait son petit scandale avec Emma, ils en sauraient peut-être plus à l’heure actuelle.

Il hasarda son hypothèse « Onirique et toi vous étiez Annunaki ?

« Chance se décida à le fixer de ses yeux si étranges « non, nous n’étions pas assez fort. La pierre nous a pris tout entier, nous n’avons pas pu la contrôler. »

Rafale commençait à saisir « Tu veux dire que tous les deux, à des époques différentes, vous avez réveillé la pierre ? »

Chance acquiesça. C’était encore plus fort que tout ce qu’il avait imaginé. Merveilleux aussi. Dans un sens, cela voulait dire que son père n’était pas mort. Pas vraiment. Il aurait voulu lui poser des dizaines de questions et se força à se retenir. Il ne voulait pas qu’elle retombe dans ce mutisme qu’elle affectionnait dès qu’elle prenait peur.

« C’était il y a combien de temps ? Quand as-tu réveillé la pierre ?

- Je ne sais pas. J’ignore quand on est. Je me rappelle qu’on était heureux et en paix. Les pierres s’étaient endormies plusieurs générations avant ma naissance. Sans doute car plus personne n’était en mesure de les guider. Sans doute est-ce là qu’Onirique s’est trouvé libéré mais j’ignorais tout de cela à l’époque. Puis, il y a eu une guerre. Je ne m’en souviens même plus la raison. Un jour les grands vaisseaux de conquête sont apparus dans le ciel et ils ont tout détruit. Un de mes fils est mort et ma mère aussi. Je voulais qu’on réveille la pierre, je voulais me venger mais l’assemblée m’a refusé ce droit disant que c’était trop dangereux. Non, nous étions deux. Il y avait Revanche aussi. Il était furieux. Il s’est emparé d’une pierre, celle d’Eshdarii mais ses enfants n’ont pas pu la contrôler, ils ont tout détruit et moi, j’ai pris la pierre d’Anngaal. Je n’en avais pas le droit mais je n’avais pas le choix. Revanche avait détruit Conquête. Je ne me rappelle de rien ensuite. »

Les guerres de Conquêtes songea Rafale, 500 ans plus tôt, ça correspondait avec l’histoire de Tiyana. Il y avait effectivement eu deux pierres et l’une d’elle avait détruit la planète Conquête. L’histoire disait qu’elle avait été détruite durant le pacte de désarmement. Il restait une deuxième pierre réveillée pour tempérer la première puis laissée à l’abandon avec la charge de veiller sur Tiyana et en l’abandonnant, elle avait libéré l’esprit de Chance. Tout cela était si incroyable que Rafale avait du mal à l’accepter. « Et Onirique » continua-t-il « quel est son histoire ?

« Onirique ? Il est bien plus vieux que moi. Il a vécu sur Terre. Je ne sais pas tout de lui. C’était différent à l’époque. Ils vivaient sous la coupe des Annunaki et des Néfilms. »

Miracle, les Néfilms, les voilà enfin. Rafale laissa Chance parler à son rythme, réfléchissant entre ses phrases.

« Onirique disait que les Néfilms aimaient à créer des civilisations mais quand elles devenaient trop puissantes, ils les détruisaient. Ils avaient peur. Surtout Vérité »

Elle s’arrêta et Rafale sentit la crainte remonter en elle. Il s’approcha et lui posa la main sur l’épaule « tu ne risques rien ici »

Elle acquiesça sans en être persuadée « Vérité » reprit-elle « craignait les Annunaki. Vérité n’a de contrôle que sur l’esprit et encore, les esprits faibles mais les Annunaki avaient le pouvoir sur les choses et les hommes alors il a voulu les détruire. Il a insufflé des croyances aux peuples afin de se rebeller contre leurs protecteurs.

« Mais Onirique n’était pas Annunaki ?

- Non, il appartenait à une caste inférieure qu’ils appelaient Igigi qui semble être nos ancêtres. Il était sous les ordres de l’Annunaki Anngaal. Ces Néfilims Annunaki étaient bien plus puissants que nous. Ils avaient la force de contrôler les grosses pierres sans se perdrent dedans. le peuple s’est rebellé d’abord contre les Igigis qui étaient les moins puissants et les Néfilms ont ordonné aux Annunaki de ne pas intervenir. Seulement, deux d’entres eux ont refusé de se soumettre à leurs maîtres Néfilims : C’était l’Annnunaki Anngaal et l’Annunaki Eshdarii. Ils ont monté une rebellion à l’aide du Néfilim Substance qui lui aussi refusait de détruire le monde. J’ignore les détails. Je sais qu’Anngaal s’est fait tuée, qu’Onirique a repris sa pierre abandonnée mais qu’il n’était pas assez puissant et que comme moi, il s’est retrouvé emprisonné dedans. Je crois que Vérité a gagné et qu’il a contraint Substance à tout recouvrir par les eaux mais il s’est servi d’un déluge comme diversion pour envoyer quelques rescapés dans l’espace et dans le temps.

« Dans l’espace et le temps ? »

Oui, il a ordonné à Espace d’emmener les rescapés sur Saphir. Il y avait Eshdarii parmi eux et le fils d’Onirique qui pouvait commander la pierre. Mais une fille n’est jamais arrivée. Elle s’appelait Maltaa. Onirique dit que Sampiternelle l’avait gardée dans le temps pour la relâcher il y a peut être une cinquantaine d’année sur Terre. Elle était enceinte. Je le sais car Onirique couve ses descendants comme si c’était ses propres enfants. Il ne peut pas faire beaucoup. Il leur donne de jolis rêves. Enki Substance veille sur eux aussi »

C’était un peu trop, même pour Rafale. « Et donc, Marcus ou plutot Enki Substance t’a renvoyer ici. Pourquoi ? »

Elle repartit dans une grande réflexion. Ses souvenirs avaient du mal à surgir. Elle commença à s’affoler. Rafale crut qu’elle allait repartir dans son silence mais au contraire elle parla plus vite « Non, il s’est passé quelque chose. Substance était là. Il me parlait. Je savais qu’il ne me voulait pas de mal mais j’avais peur. Il est Néfilm. Je me suis cachée. Et je l’ai vu arriver. Plaisir. Elle aussi à le pouvoir d’interagir dans le monde matériel. Elle a séduite Substance pour s’approprier son pouvoir. Elle est méchante. Je ne sais pas ce qu’ils se sont dit. Ils parlaient dans leur langue. D’abords, elle avait son air de séductrice mais elle a commencé à se mettre en colère. La Terre a tremblé. Substance a répliqué. Le vent s’est levé et j’ai senti Vérité approcher. J’ai paniqué, ils m’ont vu. Alors, j’ai couru, couru, sans me retourner et je suis venue ici.

« Rafale évalua de suite les conséquences. Donc, ils savent que tu es ici ?

- Non » dit-elle

- Mais Espace, c’est lui qui te permet de voyager instantanément d’un point à un autre ?

- Oui.

- Et il est sous les ordres des Néfilms ?

- Oui, non. De la triade Origine, Vérité et Substance et aussi de quelques autres tels que Plaisir

- Et il sait que tu es ici !

- Non, il m’a donné une partie de son pouvoir il y a bien longtemps mais j’ai raté. Car avant, il me suffisait de penser là ou je voulais être mais avec un corps, c’est difficile, j’ai atterri trop haut et je suis tombé. Ca fait mal. »

Comme si c’était ça le plus important. Chance paraissait peu à peu reprendre la mesure de la situation au fur et à mesure que la mémoire lui revenait « Je ne sais pas ce qui est arrivé. J’ai peur qu’il ait pris Onirique et peut-être aussi s’en prendront-il à Espace de m’avoir donné son pouvoir et Substance ! Ils veulent le récupérer. Vérité à le pouvoir sur l’esprit, Origine sur la vie mais seul Substance peut réellement contrôler la matière.

- Et Ninhoursha !

- Non, pas vraiment. Je crois que Ninhoursha était comme moi. En tout cas, elle n’est pas d’origine Néfilim mais à force de les séduire, elle a réussi à acquérir une partie de leurs pouvoirs et se déclare l’une d’elles. J’ai peur, j’ai peur pour Onirique et Espace. J’ignore de quoi ils sont capables sur eux. Substance, il m’a enfermé dans ce corps. Il croyait me faire plaisir. Dans un sens, c’est vrai que j’en avais envie. Il voulait que je vous dise cela. Que je vous aide. Lui, il craignait d’être surveillé, il en disait le moins possible il évitait même d’y penser il m’a donné un corps pour me cacher dedans mais du coup je n’arrive pas à joindre Onirique. Mon esprit est enfermé dans ce corps et lui ignore où me chercher »

Elle se mit à trembler reprenant son air de petit animal apeuré. Rafale la prit dans ses bras et elle se laissa aller contre son épaule continuant à trembler en reniflant. Quelqu’un frappa à la porte. Rafale ne répondit pas. Elle avait besoin de calme. Il en avait trop demandé. Elle commençait à trembler plus doucement. La porte s’ouvrit sur Accalmie. Il s’arrêta net. Rafale lui fit signe de se taire et de s’en aller. Il dégageait une fureur contenue qui ne serait sûrement pas du goût de Chance dans son état actuel. La jeune fille se blottit plus étroitement contre sa poitrine sans doute en réponse à ses sentiments désagréables.

« Lâche-là. »

Rafale fut si surpris de la force avec laquelle Accalmie avait dit ses mots qu’il s’éloigna presque.

« Je t’ai dit d’ôter tes sales pattes de là »

En hurlant ses mots, il tira violemment Chance par le bras « je t’interdit de la toucher » dit-il encore tandis que Chance retombait dans ses craintes.

« Accalmie calme-toi ! » ordonna Rafale s’inquiétant sérieusement de l’état de Chance. Cette dernière fit un pas pour s’éloigner d’Accalmie. Il voulut la rattraper mais elle se mit à courir vers le mur et disparut avant de l’atteindre.

Rafale hésitait à la fois déçu et inquiet de voir Chance dans cet état mais surtout furieux contre Accalmie. Ses propos non seulement incohérent mais surtout très irrévérencieux méritaient une remise en place exemplaire

« Qu’est ce qui te prend encore ? »

Accalmie fixait toujours le mur ou Chance avait disparu. « Ne la touche pas, jamais. Chance est pour moi »

C’était encore une des ses élucubrations de son cerveau amoureux irrationnel ça. Rafale avait compris dès qu’il avait aperçu Chance que c’était cette fille qui obnubilait Accalmie. Il en avait été rassuré. Qu’Accalmie cherche une relation avec une Adarii plutôt qu’avec une de ses filles de Vengeance et des Maycentres était enfin quelque chose de normal chez lui. Il pouvait être si bizarre parfois. Rafale commençait à comprendre. « Tu n’imaginais pas coincer cette pauvre fille dans une relation exclusive comme le font les Terriens ?»

Il ne répondit pas, mais c’était évident. Ce qu’il pouvait être bête parfois. Il se prit d’un rire nerveux devant le grotesque de la situation. « Elle se sent déjà emprisonnée dans un corps et tu veux la séquestrer un peu plus » C’était pathétique, il ne pouvait rire de cela, il devrait en pleurer même.

***

« Aurais-je entendu la toute petite voix de Chance qui s’assortit si bien avec cette atmosphère d’inquiétude qui la caractérise si joliment ? »

- Les hommes, tous les mêmes » dit Pluie à Jade. « Accalmie l’a ramené hier soir.

- Où se cachait-elle ?

- Dans les basses villes mais elle n’est pas restée cachée longtemps. Elle a vite été reconnue. Elle s’est retrouvée adulée par ces primitifs. Elle était si terrifiée qu’Accalmie n’a eu aucun mal à la retrouver.

- Ca va mieux alors.

- Je suppose, sauf qu’Accalmie continue ses comportements grotesques. Avant de partir, il m’a supplié de garder un œil sur elle et de tout faire pour que Rafale ne s’en approche pas.

- Et tu as accepté ?

- Oui. Matinée arrive tout à l’heure, les votes approchent, Tempête est de retour, je ne tenais pas à avoir en plus Accalmie sur le dos.

Et Rafale en dit quoi ?

Je ne sais pas, demande lui, il est dans le salon de Maniya avec Tempête et Chance. »

Evidement, Jade imaginait mal Pluie jouer les protectrices pour garder Chance aussi jalousement. Pour une fois, il la comprenait, Accalmie pouvait avoir un comportement réellement bizarre quand il s’y mettait. En fait, Chance, malgré l’extravagance de son histoire, elle était encore plus normale que lui. Il frappa et la douce voix mélodieuse de Tempête lui répondit. Voila une voix qui lui avait manqué. Il entra, rempli d’allégresse. Accalmie pouvait se pourrir la vie avec ses sentiments d’appropriation hyper développés, il lui laissait volontiers la jolie Chance, il y avait plus intéressant à son goût qu’une petite pleurnicheuse. « Belle Tempête, t’ai-je déjà dit à quel point tu étais resplendissante ?

- Pas depuis un bon moment » répondit-elle. « Ca m’aurait presque manqué. »

Jade entra dans la pièce sans lâcher des yeux le laçage ouvert du décolleté de Tempête. Elle portait une mini robe de cuir qui devait sans doute venir de la Terre. Ravissante. Il se rapprocha encore pour venir s’asseoir tout contre elle. « Alors tu ne pouvais plus te passer de moi ? » reprit-il reprenant sa conversation.

Tempête prit un air de connivence et se mordilla la lèvre dans un mouvement sensuel. Elle s’approcha encore l’enivrant de son parfum de vanille et lui frôla le cou lui donnant des frissons de plaisir avant de remonter doucement vers son oreille qu’elle effleura de ses lèvres en parlant d’une voix langoureuse. « Je suis venue pour Matinée »

Jade se recula avec un air agonisant. Elle pouvait être cruelle. En plus, ça la faisait rire. « Tu n’as pas de cœur. Je croyais que tu ne pouvais pas te passer de moi et que tu avais laissé Thibault, Sentiment et Revanche en famille pour venir me retrouver

- En effet et pourtant, le spectacle valait qu’on s’y attarde. Tu aurais vu Thibault bafouiller devant son fils. C’était mignon tout plein. Par contre avec Sentiment, j’ai cru qu’ils allaient se sauter à la gorge. »

Elle se mordilla la lèvre d’un air coupable « du moins c’est la version officielle.

Jade s’approcha d’avantage autant pour être près d’elle que parce qu’il sentait qu’il y avait là des secrets palpitants. « Et la version officieuse ? »

Tempête hésita. Regarda la porte et invita Ambre à entrer. Elle lui parla quelques minutes de banalités lui répétant ce qu’elle venait de lui dire et ce dernier se déplaça vers Chance. Tempête en profita pour parler à voix basse à Jade qui, ravi d’être choisi pour confident, porta la plus grande attention à ses révélations.

« Ecoute, toi et moi, nous sommes pareils. Je veux dire, nous ne sommes pas du genre à nous prendre la tête et enfin, s’amuser de temps en temps, ne prête pas à conséquence »

Jade Accepta. Il trouvait en effet que tous ici étaient bien trop sérieux.

« Voila, il se trouve que j’ai peut-être fait un peu plus que ce dont j’ai parlé à Pluie ou Matinée »

Jade accepta et ne put s’empêcher de sourire. Il soupçonnait quelque chose d’intéressant. Tempête jeta un œil à Rafale accaparé par Chance et poursuivit. « Avec Thibault, nous avons disons… On s’est fait un peu remarquer.

- C'est-à-dire ?

- C'est-à-dire que la Terre entière nous connaît.

- Tu veux dire qu’elle connaît l’existence de Plume ?

- Celle de Plume, de Saphir, la mienne, et comme le légat de la confédération n’a pas apprécié qu’on se mette en avant, il en a profité pour ajouté à leurs connaissances les Adarii en général et leurs spécificités. Du coup ça a fait mauvais effet et afin de contrebalancer j’ai lancé vers les médias les rumeurs d’une histoire d’amour entre Thibault et moi afin de faire genre bonne entente entre les peuples. » Elle s’était tue le regardant comme si elle cherchait un soutien pour quand elle avouerait ça à Maître Matinée. C’était sans doute le cas. Après réflexion il aurait préféré ne rien savoir « tu es malade !»

Elle lui répliqua de parler moins fort, jeta un coup d’œil à Ambre et Chance qui parlaient toujours. Rafale était sorti. C’était déjà ça. Tempête reprit gardant son petit air coupable « la bonne nouvelle, c’est que Mike ne peut plus nous faire de chantage sur ce qu’il pourrait révéler.

- Formidable » dit Jade avec ironie. Il commençait à comprendre pourquoi Pluie pouffait sans arrêt disant que Tempête sur Terre ne pouvait être qu’une catastrophe.

« Allez, ne prend pas cet air offusqué. A ma place tu aurais fait pareil et puis il était temps qu’on prenne contact avec la Terre avant que la confédération nous démolisse et puis, c’était marrant.

- Et au moins, avez-vous eu des pistes pour Ninhoursha ?

- Non, rien mais Rafale a appris qu’elle avait quitté la Terre et qu’elle avait été vue sur Vengeance par Chance alors, j’ai pensé que je n’avais plus rien à faire là-bas et je suis rentrée. »

Jade lui fit remarquer qu’ils avaient eu cette information il y a deux jours et vu les trois jours de voyage, elle avait dû partir avant de le savoir.

Elle avoua que c’était devenu invivable là-bas. Qu’être le centre d’intérêt, c’était marrant un peu mais là, c’était trop. Qu’il y avait des journalistes partout, qu’elle était harcelée de questions et qu’elle n’en pouvait plus.

« Et Sentiment ? »

Tempête se mordilla encore les lèvres. Elle n’avait pas encore tout dit « Encore un petit soucis, mais si petit qu’on va peut-être attendre un peu avant de le révéler. Revanche a décidé de rester avec son père. Du coup, Thibault est parti avec lui. Evidemment Sentiment furieuse le poursuit. »

Jade se demandait jusqu’où cette histoire pouvait aller. « Et tu les as abandonnés ! Tu aurais dû aider Sentiment à retrouver Revanche !

- Comment veux-tu ? Je suis traquée par les journalistes. Seul Sentiment peut rester discrète et encore.

- Mais Thibault est plus puissant qu’elle.

- Et que moi aussi alors je ne vois pas l’utilité de lui courir après. En plus si Revanche veut rester un peu, ma foi c’est son droit.

- C’est dangereux !

- Thibault est bien placé pour le défendre, mieux que nous.

- Sauf si Ninhoursha lui tombe dessus »

Tempête avait repris son petit air de gamine qui se repentait d’une bêtise. Elle pouvait oui.

« Tu ne me dénonceras pas n’est ce pas ?

- Parce que tu crois que ça passera inaperçu ?

- Non, bien sur, j’en parlerais à Matinée quand il sera là. Je préfère l’avoir en face de moi. Après quelques câlins ça passe mieux.

- Fais moi quelques câlins alors et ça passera mieux. »

Tempête se fâcha « c’est toi qui voulait savoir. Allez, je compte sur toi pour me soutenir. »

Elle lui avait fait son plus beau sourire. Jade hésita. Au fond, le comportement de Tempête était plutôt amusant. « Je ne te dénonce pas mais je ne veux pas me mettre Maître Matinée à dos à cause de toi ».

Le visage de Tempête s’illumina et elle lui fit un bisou sur la joue. Jade était en train de se faire avoir, c’était sur. Elle allait le mener par le bout du nez cette fille.

« Si nous partions tous les deux faire une balade sous les étoiles et conquérir ce monde qui s’offre à nous ? » dit Jade plus fort comme si pendant tout ce temps, ils n’avaient fait que badiner.

Rafale ouvrit la porte à la volée. Personne ne va nul part. « Maître Matinée ne va plus tarder, je ne veux aucun nouveau scandale. »

Il pouvait être agaçant parfois « bien Annunaki »

***

Chance émit presque un petit rire toujours pelotonné dans un coin du salon.

La présence de la vive et pétillante Tempête lui réussissait. D’ailleurs, Rafale reconnaissait dans les maquillages de Chance les entrelacements de fleurs nacrées que Tempête dessinait souvent sur ses jambes. Sans doute les filles avaient-elles passé des heures en bas à se pomponner. Ils auraient dû penser à cela plus tôt pour mettre Chance à l’aise. Tempête pensait toujours à tout. Elle savait comment manier les gens et Chance semblait déjà être devenue son amie. Tempête faisait ses mines ridicules devant Jade qui prenait plaisir à se ridiculiser. Elle passa un doigt sur ses lèvres très doucement et y posa un baiser qu’elle fit mine de lui envoyer en soufflant dessus. « Je devrais te séquestrer. Je vais aller demander des conseils à Accalmie là-dessus. »

Jade n’aurait pas dû dire ça. Chance avait perdu son sourire reprenant son air morose. Il en avait ajouté en voyant que ses discours amusaient Chance mais il avait été trop loin. « Je suis désolé »dit-il sans trop savoir pourquoi ni à qui il disait cela.

Personne ne dit rien. Tempête changea de sujet en parlant de quelques anecdotes qui lui été arrivées sur Terre. Ses petits coups d’éclat firent légèrement frémir Rafale mais l’ambiance était retombée. Un large sourire fendit d’un coup le visage de tempête faisant pétiller ses yeux couleur d’ambre. « Matinée arrive » dit-elle.

***

Accalmie sentait le grotesque de la situation peser de plus en plus lourd sur ses épaules. Il était ambassadeur d’une planète entière sur laquelle il n’avait jamais mis les pieds, se présentant pour accueillir celui qui avait la plus grande autorité sur le monde de Plume et aussi celui de Saphir, qui se trouvait être aussi son demi-frère et qu’il n’avait jamais vu. Tout cela n’était qu’une gigantesque farce pensa-t-il. Et comment était-il censé se comporter devant les gens ? Cyril était discrètement apparu à ses cotés. Monsieur avait daigné faire semblant de jouer son rôle. Evidement, s’il s’agissait du Maître Adarii, il ferait un effort, obnubilé par l’idée que c’était les seuls à pouvoir aider Cashir. Il y avait aussi Dyasella et les autres candidats qui venaient se montrer. Dya brillait par son absence. La Syhy Lytyl, de la première province de Vengeance et mère de Dyasella était là, ainsi que le président de la deuxième province et les ambassadeurs des autres états. Jack Gentry aussi qui, comme à son habitude quand il n’arrivait pas à l’éviter, lui jetait ce regard qu’il avait finit par traduire par « il faut que je te parle » Comme à son habitude, il l’ignora. Il aperçut aussi au coté de Jack un individu qu’il ne connaissait pas encore. Sans doute Mitches, le représentant de la Terre. Il avait été assez fier d’arriver à convaincre la confédération d’accepter quelqu’un qui ne soit pas chef d’état. Il aurait voulu le rencontrer. Il était arrivé la veille mais avait renoncé à se présenter à son arrivée préférant rester avec Chance

Il fut soulagé pour une fois de voir les Adarii arriver. Tempête était là. Il avait été prévenu de son arrivée par des plaintes concernant le non respect des procédures d’approche de la plate forme d’atterrissage de la colline mais il n’avait pas encore eu l’occasion de la voir. Dès qu’il l’aperçut, il sut qu’elle lui poserait des problèmes. On lui avait déjà fait comprendre très poliment qu’il serait convenable que certains fassent des efforts pour respecter certaines coutumes locales. Ce genre de remarque était souvent lié à la garde robe de Pluie. Mais Tempête la dépassait largement, surtout vu le froid. Sa cape restait ouverte au vent sur une toute petite robe en cuir noir. Ses jambes nues étaient rehaussées de maquillages brillants, un grand décolleté maquillé lui aussi et des bottes noires. Chance était à ses cotés Elle semblait ravie et cela lui fit chaud au cœur. Rafale était là aussi. Bien trop près de Chance. Avec sa longue cape noire, il avait un air fier et sur de lui qui lui déplut profondément. Puis venait Jade, suivi de Ambre et Pluie le tenant par la main. Petit détail qui lui poserait des problèmes aussi. Donc, ils étaient capables de se déplacer. Quand lui leur demandait quelque chose, c’était quasiment impossible de les faire se bouger.

Le vaisseau avait atterri. Un grand vaisseau noir avec un sigle de dragon doré assorti à la cape de Rafale et au tatouage de Chance. Il ne s’y connaissait pas encore beaucoup mais il songea que c’était loin de l’image de planète primitive qui traînait encore de Plume et Saphir. Il en ressentit une certaine fierté même si au fond il ne faisait pas partie de ces civilisations. Le sas s’était ouvert. Un homme en sortit, avec le même manteau que Rafale, noir avec le sigle de Tiyana sur un côté. Evidemment, il était jeune. Il s’en doutait. Il était le petit frère de Pluie qui elle-même devait avoir moins de trente ans selon les normes de la Terre. Il sentit encore l’ombre d’un concurrent qui risquait de trouver Chance à son goût. Il descendit suivi d’une jeune femme qui n’avait rien à envier à Chance par sa beauté.

« Qui est-ce ? » Demanda Accalmie à Jade qui l’avait rejoins à ses cotés. Ce dernier sourit. « Elle s’appelle Fragile. Elle vit à Tiyana, c’est une des favorites de Maître Matinée »

Accalmie avait du mal à regarder ailleurs. Elle avait quelque chose qu’il avait du mal à définir. Sans doute par sa peau très claire. Encore plus que celle de Chance ou son aspect …fragile en effet. Elle tenait un petit garçon par la main.

« C’est leur fils ? » souffla Accalmie à Jade. Il se sentait de plus en plus stupide de ne rien savoir.

« C’est celui de Matinée. Il s’appelle Avenir.

- Mais ce n’est pas celui de Fragile ?

- Non, c’est celui de… » Mais Jade n’eut pas le temps d’en dire plus. Le petit s’était décroché des mains de Fragile pour courir à toute vitesse sur la piste d’atterrissage. Tempête s’avança vers lui et l’attrapa dans ses bras en riant.

« Celui de Tempête » finit Jade.

Accalmie enregistrait les informations. Les généalogies ne devaient pas être commodes ainsi. Il se sentit rassuré concernant le Maître Matinée qui s’avançaient les doigts de Fragile enlacés dans les siens. S’il était venu avec une de ses maîtresses et en avait une deuxième sur place. Il laisserait sans doute Chance tranquille. Il trouva tout de même très malsain que les deux filles se retrouvent ensemble mais la situation ne paraissait pas les gêner. Tempête avait continué sur sa lancée et s’était quasiment jetée au cou de Matinée pour le prendre dans un fougueux baiser qui choqua une bonne partie du monde assemblé lui compris et dont il ne doutait pas avoir des remarques pendant un certain temps. Il devrait expliquer à Tempête les coutumes des Maÿcentres. Matinée continua vers Pluie qu’il attrapa par la taille en riant l’effleurant d’un baiser que lui savait fraternel mais qui ne fit pas non plus l’unanimité des personnes présentes. Dyasella et d’autres personnalités s’étaient approchées pour le saluer, il y prêta peu d’attention se contentant d’accepter distraitement leur discours de bienvenu, s’attardant plus sur l’accueil de Rafale qui lui présentait une Chance rougissante en la tripotant de ses sales pattes. Un des plus éminents conseillers se proposa de lui donner le programme des prochains jours. Il se tourna vers Tempête qui sans doute lui traduisit ses mots par télépathie et en effet Tempête répliqua dans la langue des Maÿcentres que le Maître Matinée n’avait aucune envie qu’on le dérange maintenant et qu’il n’avait qu’à voir ça avec son ambassadeur. Sur ce, il continua sa route, bientôt suivi par les autres Adarii. Accalmie comprit mieux pourquoi son poste, pourtant très élevé, était dénigré par les Adarii. Il avait l’impression qu’on venait de le traiter comme le dernier des domestiques. A peine Maître Matinée parti, Cyril s’éclipsa discrètement, sans qu’il puisse le retenir sollicité par ses histoires de programmes et autres futilités administratives. Il accueillit sans un mot Jack Gentry qui venait vers lui, se contentant d’accepter froidement ses salutations forcées et se força à porter attention à Mitches mais il ne réussit pas à s’excuser d’avoir manqué son arrivée, se contentant de remarquer froidement qu’il serait bien de le voir en privé. Dyasella arriva vers lui. Il avait soudain envie de se retrouver quelques mois plus tôt. De pouvoir se faire inviter chez elle voir y rester toute la nuit. Non, ce n’était pas vrai. C’était Chance qu’il voulait et s’il ne se dépêchait pas, il la retrouverait dans les bras de Rafale. Cette image était insupportable.

Il dit quelques mots à Dyasella tentant de la rassurer car elle s’était sentie dénigrée par le Maître de Tiyana. Il n’osa pas lui dire qu’il avait eu le même sentiment. Il rentra seul, retrouva ses appartements vides et pour une fois que son salon n’était pas envahi, plutôt que de s’en réjouir, il se sentit encore plus seul. Il regarda le mur de sa chambre. Derrière, c’était les appartements de Tiyana. Il colla son oreille comme s’il pouvait entendre quoi que se soit. Là derrière, devait se retrouver Rafale, Chance et Matinée. Cette idée lui faisait horreur. Il sentit plus qu’il n’entendit la présence de Chance à sa porte et quand elle ouvrit, pris dans l’impulsion du moment, il l’embrassa passionnément. Il aimait cette fille plus que tout au monde. Elle se laissa faire et répondit même à son baiser puis s’écarta, hésitant entre sourire et inquiétude. Accalmie s’en voulait d’être si passionné. Il devait se mettre en tête qu’elle ne lui appartenait pas et qu’elle ne lui appartiendrait jamais. Elle le regardait pleine d’incompréhension. Il devait lui expliquer, au moins lui parler. Lui dire ce qu’il ressentait. Elle devait le sentir mais ce n’était pas suffisant. « Ils sont en bas » se contenta-t-elle de dire. Accalmie comprit que, malgré son désir de rester avec Chance, il devrait les rejoindre et que la soirée risquait d’être dure. Il retint Chance qui partait déjà « Tu resteras avec moi après ? »

Elle revint vers lui et l’embrassa à son tour « oui » dit-elle.

Accalmie se sentit soulagé et descendit tenant fermement la main de Chance en essayant de se persuader qu’il n’agissait pas ainsi juste pour mettre en avant qu’elle était avec lui et pas avec un autre.

Le salon embaumait : mélange fruité et épicés que dégageait souvent la cuisine de la villa. Ambre était étendu sur un sofa pas loin de l’endormissement, Jade jouait à quatre pattes suivant les directives d’un jeu lancé par le petit Avenir, sans doute dans l’espoir de séduire Tempête qui riait de leur facéties. Rafale le regarda entrer puis se détourna s’attardant sur Pluie qui était d’une humeur massacrante, comme à son habitude. Maître Matinée trônait au milieu de ce beau monde, sans aucun apparat, assis sur le tapis devant la table basse, Fragile à ses cotés, se moquant allégrement de sa sœur. Accalmie se détendit légèrement. Les histoires du protocole des Maÿcentres étaient épouvantables. Il craignait de retrouver les mêmes difficultés ici en recevant le Maître des domaines de Saphir et des Territoires de Plume. Jade avait eu raison quand il lui avait dit de ne pas s’en faire, qu’il n’y avait que les mondes extérieurs pour faire de telles démonstrations inutiles « Le jour où j’écouterais Pluie, sera aussi le jour où l’univers s’écroulera. » Accalmie sourit. Un jour, il oserait parler à Pluie ainsi. Elle le méritait. Elle ne se laissa pas faire. Le contraire l’aurait étonné

« Je pense au contraire que…

- Non, je ne veux rien savoir. » Le ton de Matinée était catégorique

« Bien Maître » dit Pluie dans un grognement. Au moins, Accalmie constata qu’ils seraient tous logés à la même enseigne et ça faisait du bien de voir Pluie remise à sa place. Matinée leva la tête tandis qu’il entrait dans la pièce.

« Maître Matinée vous honorez cette villa de votre visite » dit-il en bon maître de maison comme Jade le lui avait enseigné.

Maître Matinée sourit et cela lui donna un air plus abordable. « Voila donc le gérant de ce petit monde. Viens t’asseoir à coté de moi et explique-moi où tu en es ici. J’en ai assez des élucubrations de ta sœur. »

Pluie maugréa quelques mots comme quoi un jour elle se vengerait et Matinée rit de plus belle, nullement inquiet.

Au fond, cette visite ne serait peut-être pas si désagréable. Il s’avança pour s’asseoir à coté de Matinée rechignant à lâcher la main de Chance.

« Pluie me dit que ces élections ne nous servent à rien. D’après elle, de toute façon, quelque soit le candidat, les trois ont donné leur accord tacite pour éviter de nous porter tort. »

Rafale confirma. De toute façon, il était toujours contre lui et se complaisait dans son régime dictatorial. De lui, rien ne l’étonnait. Matinée résuma l’avis de Rafale comme quoi il se méfiait de Dyasella. Et celui de Pluie : on ne pouvait faire confiance à Dyasella et il fallait mieux quelqu’un de plus malléable.

Accalmie se tourna légèrement vers Pluie. La garce pensa-t-il. Au fond, elle, ça l’arrangerait bien qu’un des deux autres candidats soit élu. Elle détestait la Terre pour une raison qu’Accalmie ne cernait pas encore. Si elle pouvait élire un des candidats, juste pour qu’il démolisse la Terre, elle n’hésiterait pas. Il préféra n’en rien dire devant Matinée. S’il n’hésitait pas à la taquiner, il n’accepterait sans doute pas que d’autres en face autant. Il se prépara à défendre son point de vue.

« Je ne suis pas d’accord avec ce principe. c’est trop simpliste.

- Tu oses dire que j’ai des raisonnements simplistes ! »

Evidemment, si Pluie ne pouvait lâcher sa hargne sur Matinée, elle passerait ses nerfs sur lui.

« Je passe beaucoup de temps à peser les différents point de vue. J’assiste à toutes les réunions. Je ne pense pas en effet qu’ils y aient des risques à court terme avec les deux autres candidats mais la Syhy Lytil est la seule à proposer certains avantages non négligeables.

- Qu’en sais-tu ? Tu ignores tout de nos besoins. Et le seul besoin qu’on ait, c’est d’avoir la paix. » Pluie ne lâcherait pas le morceau si facilement et Rafale prenait son parti

« C’est vrai qu’on ne me donne pas beaucoup de détails sur les besoins de Plume et Saphir mais le peu que j’ai vu de votre flotte doit déjà consommer un paquet de carburant. Je sais aussi par Jade que vos piles solaires ont besoin de fils conducteurs et que ce sont des éléments rares chez vous.

- Faux » s’exclama Pluie « Le territoire d’Incarada a du gaz et du métal.

- Faux » continua Ambre semblant sortir de sa léthargie sans pour autant ouvrir les yeux. « Nous avons de quoi fabriquer du carburant pour nous. Sûrement pas pour tout Saphir et Plume. » Pluie dut sans doute l’invectiver par télépathie car après un moment de silence, il se redressa et se tourna vers elle « désolé mais c’est vrai ».

Matinée n’avait rien dit se contentant d’observer les personnes présentes comme on le ferait d’une partie d’échec. L’animosité commençait à monter entre Ambre et Pluie même s’ils ne parlaient pas et il se décida à intervenir : « nous savons tous ici que Pluie est encore sous le choc de sa dispute avec Emma et que si elle pouvait trouver un moyen de faire exploser la Terre avec Emma et Thibault dedans, elle ne s’en priverait pas. Aussi, nous allons la laisser à ses fantasmes destructeurs afin d’avancer. »

Formidable, Accalmie n’aurait pas besoin d’évoquer les lubies de Pluie, Matinée était au courant. Un jour, il devrait trouver le moyen d’apprendre ce que Pluie avait contre la Terre. Une telle haine ne pouvait se développer sans raison.

« Alors, que nous propose Dyasella ? »

Accalmie s’étonna d’entendre Maître Matinée parler de la Syhy Lytil avec une telle familiarité et s’étonna aussi qu’il lui demande son avis. Il sortit de ses questionnements concernant la dispute dont parlait Matinée au sujet de Pluie. Il n’avait pas été tenu informé. De toute façon on ne lui disait rien de leurs affaires sur Terre.

« Matinée, tu arrêtes avec tes insinuations

- Pluie, ne me parles pas comme ça ! »

Pluie se leva furieuse et fit mine de partir.

« Et tu restes ici » précisa Matinée.

Elle se laissa tomber sur un fauteuil un peu à l’écart en soupirant tandis qu’Accalmie rêvait de posséder une telle autorité.

« Je t’ai posé une question. Que propose exactement la Syhy ? »

Accalmie détailla les avantages en nature pour ceux qui résideront à la villa et les facilités pour le passage des plates-formes et surtout le statut d’indépendance tout en gardant une reconnaissance et un pacte de non intervention pour eux ainsi que certains mondes excentrés et le deuxième satellite

Matinée interrogea les autres du regard. « C’est honnête » dit Ambre « Nous pourrions garder notre indépendance tout en ayant une présence ici et des échanges facilités avec les planètes excentrés proches de chez nous. » Jade acquiesça. Mais Ambre reprit « de là à s’immiscer dans des procédures de votes, je ne suis pas sûr ? »

Entre s’engager dans les votes et pourrir sa candidature, il y a un large fossé. Matinée se tourna expressément vers Rafale en disant ses derniers mots.

Accalmie était aux anges. Il commençait à espérer se trouver un allié dans la personne la plus puissante de leur petit empire.

Tempête était sortie pour coucher son fils. Fragile et Chance restèrent à l’écart de la conversation. Rafale rechigna comme quoi il avait déjà négocié certaines ouvertures avec les représentants des plates formes et du carburant directement avec certaines planètes d’extraction, ce à quoi Accalmie répliqua que le président pouvait y apposer son veto. Rafale voulu protester mais se retint laissant au coin des lèvres un sourire qui ne plut pas à Accalmie. Il gardait des cartes secrètes dans sa manche celui-là.

Pluie se permit d’ajouter que, de toutes façon, le peuple était en admiration devant Dyasella et qu’elle serait élue avec ou sans leur soutien. « Sans doute mais si Plume et Saphir ne la soutiennent pas, elle sera en droit de revenir sur les privilèges qu’elle vous accorde.

- Vous ?

Accalmie se porta sur Matinée » il n’avait pas compris ce qu’il venait de dire. Il répéta « tu as dit les privilèges qu’ils vous accordent et non qu’ils nous accordent. Tu ne te considères pas des nôtres ?

- Soyons sérieux, je ne suis ici que pour jouer les pions et je ne doute pas que vous me mettiez à la même enseigne que n’importe quels hommes des Maÿcentres dans ce que vous nommez les intrus »

Matinée sourit mais ne démentit pas. Rafale se décida à mettre son grain de sel. « Je ne suis pas pour l’idée de faire voter le peuple. C’est dangereux. Encore s’il s’agissait de voter pour Accalmie comme c’était prévu au départ en cas de candidature conjointe, ce serait compréhensible mais pour cette femme. » Il avait mis tout l’écœurement possible dans ses paroles.

Matinée haussa les épaules. Tout est une question de présentation. Nous pouvons leur demander de soutenir la présence d’Accalmie en votant pour la Syhy. Ambre approuva. Il faut aussi savoir le pourcentage de voix nécessaire pour l’obliger à tenir ses engagements. Il est possible qu’il soit suffisant de ne faire voter que les marchands des domaines, les maîtres artisans et les représentants du peuple.

Matinée approuva. « Peut-on se contenter des représentants du peuple ? »

Accalmie n’appréciait pas du tout cette façon de faire « le but d’un vote est de donner des informations à un peuple et ensuite, c’est à eux de choisir. A tout le monde ».

Ambre pouffa. Jade dénia et Matinée sembla y réfléchir. « Non, n’exagérons pas. Qu’ils votent d’accord. Mais c’est nous qui décidons. » reprit-il

« Ca ne passera pas.

Jade était plus optimiste « si, ça peut passer. Maître Matinée a raison, le tout est de présenter les choses correctement.

- Je persiste à penser que c’est une mauvaise idée. Le peuple a bien d’autres changements à digérer pour l’instant.

Matinée s’intéressa à Rafale qui avait sorti ça. « Tu fais allusion à un fougueux baiser public entre Eclaircie et Réalité ? C’est de ta faute ça. Nous t’avions prévenu du tempérament d’Eclaircie. Tu as voulu jouer avec le feu, tu en paies les conséquences » Rafale se renfrogna d’avantage mais Matinée reprit plus doucement. « Rafale, tu fais preuve d’un talent exemplaire mais tu devrais faire un peu plus confiance à ton peuple. Je te l’ai déjà dit ».

Il reprit plus durement. « Point suivant : Organisation ici même. Accalmie gère les mondes extérieurs, ça, j’ai compris. Mais les autres ? A quoi servez-vous ? »

Tous se regardèrent surpris. Matinée insista. « Rafale, que je sache le secteur est sécurisé. Tu pourrais repartir avec moi après les votes ?

- Il reste le problème des Néfilms. Je ne désespère pas d’avoir des résultats avec Thibault, sur Terre. »

Matinée n’était pas convaincu. « S’il se passe quelque chose sur Terre. Combien de temps faut-il pour se rendre là-bas ?

- Trois jours. Un peu moins d’une journée avec le jet.

- Et venant de Saphir ?

- Quatre jours.

- Différence peu significative face à un peuple pouvant se déplacer instantanément. Tu rentreras à Tiyana avec moi. S’il y a une menace quelconque, c’est là-bas que tu dois être. Toi sur Saphir et Grésil sur Plume. »

Rafale accepta à contre coeur

Voila la meilleure nouvelle qu’Accalmie puisse rêver. Il s’éloigna légèrement de Chance afin qu’elle ne perçoive pas la satisfaction qu’il éprouvait à l’idée de se débarrasser de l’Annunaki. Tempête revenait. Matinée en profita pour lui poser la même question : « Mais je suis là pour vous » dit-elle lui envoyant un baiser. Elle continua à s’exprimer dans un langage qu’il ne pouvait entendre avec un sourire entendu et Matinée parut prendre son discours silencieux en grande considération. « Ca me va » dit-il « et ensuite, tu rentres avec moi ? »

Accalmie nota qu’elle avait droit à une question et non un ordre. Elle fit une petite moue enfantine « non, je voudrais retourner sur Terre » dit-elle.

« Pourquoi ? »

Les yeux de Tempête se mirent à pétiller et elle se lança dans un monologue ininterrompu dans lequel Accalmie vit émerger diverses considérations archéologiques, le nom de plusieurs sites dont Thibault lui avait parlé Et des légendes et mythes passés de mode depuis longtemps. Elle devait bien s’entendre avec Thibault celle-là. Aussi timbrés que lui. Elle finit en lançant un regard suppliant à Matinée. « Fais ce que tu veux » conclut ce dernier. Jade prit un coussin et s’en couvrit la tête comme s’il ne voulait pas en entendre d’avantage et ne vit pas Tempête lui faire un clin d’œil. Le coussin s’éleva dans les airs et Jade surprit reprit une posture plus correcte et se tourna vers Matinée « Rafale m’a chargé de surveiller Accalmie » dit-il très vite sans se soucier que la personne dont il parlait se trouvait dans la pièce.

« Et concrètement ça consiste en quoi ? » demanda Matinée.

« Pas grand-chose, je n’ai pas à me plaindre de lui et de toute façon je ne peux pas le suivre dans les réunions du conseil. Je me contente des rumeurs et de voir comment il gère la villa »

Accalmie se serait bien offusqué à l’entendre parler ainsi devant lui mais d’un autre coté au moins il jouait franc jeu et l’idée qu’il pourrait parler de ça derrière son dos le dérangeait encore plus

« Donc tu ne sers à rien » conclut Matinée.

- Je ne dirais pas ça.

- Je sais, tu sers à pirater leurs systèmes d’énergie pour te l’approprier à des fins personnelles. Tu rentreras aussi en même temps que moi. Il en vint à Ambre. « Non je ne fais rien d’utile » dit-il avant même qu’il ne pose la question. Matinée se tourna enfin vers Chance. Accalmie l’attira à lui. Il s’était bien amusé de les voir tous remis à leur place et imaginait l’avenir avec des perspectives de plus en plus agréable mais il n’avait pas imaginé qu’on puisse lui enlever Chance. Elle ne répondit pas. Une autre petite voix s’éleva. Une qu’Accalmie n’avait pas encore entendu, celle de Fragile installée au creux des bras de Matinée. « Ca ne me parait pas opportun de laisser Accalmie seul.

- Tu te méfies de lui ? » Dit Rafale.

« Bien sur, comme tous ici. Mais ce n’est pas la seule raison. Accalmie doit gérer les mondes extérieurs mais c’est une tache gigantesque. Au moindre problème, j’imagine mal ce qu’il pourrait faire seul et il ne peut contacter personne.

- J’admets. Que proposes-tu ?

- Je peux rester » dit Jade.

« N’y pense même pas. Tes recherches ne vont nous apporter que des ennuis »

Matinée réfléchissait. Non, c’était Fragile qui lui parlait. Il finit par lui dire. « Tu es sure de toi ? » Elle haussa les épaules « Il faut quelqu’un qui puisse surveiller la villa, ce serait bien aussi d’avoir une personne de plus au conseil. Qui parle leur langue, ça va de soi mais capable de respecter un minimum leurs coutumes. Du moins temporairement et en apparence. Pouvant éventuellement faire des recherches sur les Néfilms et liée à vous pour que vous puissiez avoir les nouvelles le plus vite possible » Elle continua mais uniquement pour Matinée

Il finit par se laisser convaincre. « Accalmie tu resteras avec Fragile. Demain, tu la présenteras au conseil comme ambassadeur de Saphir. » Il reprit pour Fragile « mais je voulais que tu t’occupes de Chance.

- Chance n’a qu’à rester ici » dit Fragile en souriant. « si ça ne te dérange pas »

Accalmie aurait voulu qu’elle dise qu’elle voulait rester, qu’elle ne voulait pas le quitter, jamais mais elle ne répondit pas se contentant d’un bref signe de tête pouvant autant dire oui que ça n’a pas d’importance.

« Il reste ma chère sœur » reprit Matinée comme si la question de Chance était réglée. « Elle, je sais ce qu’elle fait ici. Elle est là car elle est sous la responsabilité du Maître Glace et du Maître Matinée. Et que, l’un comme l’autre, en tant que faibles frères aimant, nous la laissons bien trop libre de faire n’importe quoi.

- Matinée tu la fermes » cracha cette dernière.

« Pluie, toi aussi bien sur, tu rentres avec moi. Je ne peux pas me passer de toi » précisa-t-il avec ironie

Tempête se décida à se lever et s’étirer tandis que Pluie recommençait à râler. Elle regarda Tempête avec insistance, hésita, se tourna vers Matinée puis à nouveau vers Tempête qui s’affola sans raison et renonça à ce qu’elle voulait dire tandis que Tempête se calmait et lançait un air entendu à Matinée qui se leva à sa suite. « Suffit pour ce soir » dit-il en lui prenant la main laissant Pluie se plaindre toute seule. Fragile se leva à son tour et Accalmie se demanda si Matinée dormait avec les deux à la fois et se dégoûta lui –même à y penser avec un sentiment d’envie mais Rafale retint Fragile par le bras. Elle hésita. Matinée lui dit oui de la tête et disparut avec Tempête. Rafale ne lâcha pas la main de Fragile et jeta un regard si noir à Accalmie qu’il préféra sortir avec Chance tandis que les autres sortaient à leurs tours.

***

Rafale soupira d’aise quand le salon fut enfin calme et se laissa tomber sur le tapis. Il se tourna vers Fragile qui s’était rassise dans le sofa et entoura sa taille de ses bras avant de poser son front sur ses genoux. Cette soirée avait usé ses dernières forces. Fragile passait ses mains dans ses cheveux lui massant doucement les tempes et il se laissa aller fermant les yeux. Il était épuisé. Il n’avait connu aucune fille depuis la disparition de Mutine. Les autres avaient au moins quelqu’un qui pensaient à eux, quelqu’un avec qui communiquer même sans relation physique mais lui était seul. Mutine avait toujours été la seule. Elle comblait tous ses désirs, toutes ses passions et jamais il n’avait eu l’envie de chercher autre chose. Ni le temps d’ailleurs. Le vide n’en était que plus terrible. Il avait bien Grésil ou Eclaircie mais ce n’était pas pareil. Il donnait tous son temps à son travail. Tout cela pour se faire éconduire par Matinée. A croire qu’il faisait plus confiance en ce frère qu’il ne connaissait même pas, venu de nulle part et qui n’éprouvait aucun sentiment envers Plume ou Saphir. Lui, s’était sacrifié pour venir ici, pour surveiller la bonne marche des opérations. Il avait même renoncé à mener lui-même sa vengeance sur Terre. Son fils grandissait loin de lui. Il se sentit soudain inutile.

« Que t’arrive-t-il Rafale ? » La voix de Fragile était comme un murmure, si bas qu’il n’aurait pu l’entendre s’ils n’avaient pas été si proche.

Il resserra son étreinte « Accalmie, je ne supporte pas sa façon d’agir. Je ne le laisserais pas faire. »

Fragile ne lui répondit pas. Pour autant, elle ne lui cachait rien la laissant juger ses pensées. Elle aussi se méfiait mais elle pensait qu’il fallait façonner Accalmie, non le rejeter.

Fragile était son amie. C’était aussi la favorite de Matinée et il avait un certain respect pour elle. Jamais il ne s’était approché d’elle. Il l’avait toujours considéré comme étant presque d’une autre génération alors qu’elle était à peine plus âgée que lui. Il resserra son étreinte et elle se laissa faire comprenant que c’est ce dont il avait besoin.


jeudi 24 janvier 2008

AP : 6. Chance : Chapitre 7

7

Sur le plan spirituel, toute douleur est une chance ; sur le plan spirituel seulement.

Emil Michel Cioran

Terre : USA

Le ton monta dans la pièce à coté et pour la première fois depuis longtemps, Thibault eut peur. Pas physiquement mais peur de perdre tout ce qu’il avait acquis et pire que tout, peur de se retrouver seul. Petit garçon qui n’avait que ses rêves pour s’occuper dans sa chambre vide perdu dans une pension où tous le détestait, c’était la solitude qui lui pesait le plus. Et puis, il avait rencontré Espoir et Mike et sa vie avait changé. Il avait connu en même temps le luxe et l’amitié puis tout était parti. Espoir était mort, Mike ne lui faisait plus confiance. Il avait tout perdu. La découverte de la pierre d’Onirique lui avait fait miroiter un retour de fortune mais elle n’avait pas comblé le manque. Tempête lui donnait l’illusion d’être quelqu’un. Même s’il n’y croyait pas sincèrement, il aimait s’imaginer qu’elle était son amie. Il voulait rêver, il avait besoin qu’elle reste là pour lui donner l’illusion d’être entouré et puis il y avait Revanche aussi. Lui, il avait confiance en lui et en face du petit garçon, il avait l’impression d’être quelqu’un de bien. Les cris s’étaient tus dans la pièce adjacente mais ça ne voulait rien dire. La dispute continuait. « Onirique » murmura Thibault. « Aide moi ». Il aurait voulu s’endormir et harceler Onirique jusqu’à son domaine. C’était le seul qui lui restait mais il était bien trop sur les nerfs pour dormir et ça faisait longtemps qu’Onirique ne venait plus le voir Sentiment avait eu tort, elle n’aurait pas dû renvoyer Mitches ainsi. Il était juste venu pour avoir des explications. Sentiment lui avait claqué la porte au nez disant que c’était intolérable d’être harcelée jusque dans sa chambre puis elle avait attrapé Tempête pour lui énumérer le résultat de ses frasques se plaignant qu’on ne parlait plus que d’elle et de ses mystérieuses capacités. Thibault avait dit, surtout on ne fait rien, on laisse parler et on élude poliment. Sentiment avait dû oublier le poliment. Tempête claqua la porte et se retrouva devant Thibault. Elle hésita puis l’entraîna dehors. Au moins, il n’y avait plus de journaliste pour faire le pied de grue. Sentiment avait réussi à chasser tout le monde. Tempête l’entraîna jusque dans la rue et hésita, regardant à gauche, puis à droite « Qu’est-ce que tu fais ? » demanda Thibault. Elle se renfermait si fort sur elle qu’il ne percevait même pas la moindre bride d’émotion. Il aurait pu forcer ce barrage mais il n’en avait pas envie. Sans doute en avait-il assez fait. Revanche trotta à sa rencontre. Il était essoufflé. Sans doute était-il parti derrière le dos de sa mère. Thibault devrait lui dire de remonter mais il n’en fit rien. Il ne dit rien, se contentant de marcher à ses cotés. Au bout de quelques pas, Thibault se rendit compte de la situation. Il ne pouvait plus marcher ainsi, il sentait qu’il était épié. Il était trop connu. Il lâcha la main de Tempête comme si elle l’avait brûlé.

« Nous allons partir » dit-elle.

Le spectre de la solitude étreignit de nouveau Thibault, il l’avait présenti. Tempête continuait. Si Ninhoursha n’est pas venue c’est qu’elle a quitté la Terre. Il ne nous reste plus qu’à rentrer et protéger nos territoires en espérant qu’elle ne s’y intéresse jamais. Thibault hocha la tête et sentit la petite main de Tempête se blottir à nouveau dans la sienne. C’était une mauvaise idée mais il ne se dégagea pas. Revanche restait auprès d’eux sans dire un mot. De temps en temps, il flânait pour voir une vitrine puis le rattrapait. Il était là juste parce qu’il savait qu’il allait partir. Il voulait lui parler mais en privé. Thibault finit par le comprendre. « Tout à l’heure mon fils » lui dit-il. Puis il se tourna vers Tempête. « Où m’emmènes tu à la fin ?

- Nous sommes arrivés.

C’était une fête foraine. Pas bien grande mais Revanche ouvrit des yeux exorbités. Tempête lui expliqua le concept et lui proposa d’essayer certains jeux en lui fourrant quelques pièces dans la main. Elle le suivit des yeux, surveillant du coin de l’œil où il allait puis s’assit sur un banc puis, après une hésitation, se releva et entraîna Thibault vers un autre banc quelques mètres plus loin. « C’est mieux » dit-elle.

« Je peux savoir à quoi tu joues ? » dit Thibault s’asseyant à son tour.

« Tourne toi » lui répondit-elle.

Il s’exécuta. Il n’y avait rien. Juste une fontaine et quelques buissons. Il aperçut l’ombre de quelqu’un qui les observait mais ça, il l’avait déjà remarqué. Au fond peut-être était ce pour cela que Ninhoursha n’intervenait pas. Elle attendait qu’il soit seul. Cette idée était absurde, il l’écarta aussitôt, elle ne s’embarrasserait pas pour si peu. Pourtant, il savait que quand les filles seront parties, il y repenserait et aurait peur.

Il en revint à Tempête : « il n’y a rien ici.

- Si, derrière l’autre banc, il y avait un mur, et moche en plus. La fontaine est plus jolie.

- Et quel intérêt ce qu’il y a derrière nous puisqu’on ne le voit pas ?

Tempête souriait de son air espiègle. Elle avait une idée derrière la tête et Thibault commençait à se méfier. Elle se tortilla une mèche de cheveux, hésita et lui caressa la joue d’un doigt.

« Qu’est-ce que tu fais ? » Murmura-t-il même s’il savait que personne ne pouvait comprendre ses paroles.

« Tu avais un cil sur la joue

- Non Tempête, ne me fais pas croire que tu te préoccupes de ce genre de détail. Au cas où tu ne l’avais pas remarqué, on nous regarde. »

Elle ne fit pas mine de regarder autour d’elle, elle le savait aussi bien que lui. Revanche revint et leur proposa de venir voir une attraction. Tempête accepta de bonne grâce, suivit le gamin, prit même part à une séance de tir qu’elle rata pitoyablement mais refusa de suivre le petit sur un manège trop impressionnant pour elle.

« Tu mens mal ». Remarqua Thibault

« Non, je mens très bien. Du moins pour la plupart des gens ». Elle se retourna si brusquement qu’elle perdit presque l’équilibre et s’appuya sur Thibault en riant comme s’il avait dit quelque chose de très drôle.

« Et pourquoi ta comédie ?

- Pour ceux qui nous observe évidemment. »

Thibault acquiesça il avait commencé à le deviner. Elle l’écarta légèrement, se recula comme si elle estimait l’angle de la photo et revint près de lui. Il faut mettre en avant nos bonnes relations avec la Terre. C’est toi qui l’as dit. »

Thibault commençait à saisir.

« Nous partons dans quelques jours » précisa Tempête comme si elle avait suivi le cours de sa pensée. Il se rendit compte que, depuis son départ de l’hôtel, elle était en perpétuelle représentation. Elle parlait de banalités dans sa langue mais ses attitudes n’avaient rien à voir avec son discours. On aurait dit une adolescente face à son amoureux. Thibault se mit à sourire puis à rire de ne pas l’avoir aperçu plus tôt. « Avec la grande roue en arrière plan c’est joli » dit-elle d’un air amouraché. « La fontaine n’était pas mal non plus » précisa-t-il avec une intonation comme si il lui disait un compliment. Elle pouffa et se mit presque à rougir comme une petite timide. « Alors c’est toi qui m’embrasse » lança-t-elle « jusqu’à maintenant, c’est moi qui fais des mines. »

Thibault secoua la tête. Non, on pourrait croire que tu m’as obligé.

« Si c’est moi on peut aussi croire que je t’ai obligé à accepter. »

Thibault se mit à rire. Il se serait cru revenu le jour de son premier baiser, ne sachant s’y prendre avec une fille aussi nulle que lui. Il releva les yeux vers Tempête. Il avait l’habitude de filles plus petites que lui et se retrouver avec une femme de sa taille le troublait. Il se remit à rire et prit une grande inspiration comme s’il se préparait à plonger. Il passa ses bras autour de sa taille mais c’est elle qui approcha ses lèvres les yeux clos.

Il comprit à cet instant ce qu’était un baiser de cinéma. Un baiser parfait, dans un environnement romantique mais avec tous les yeux tournés vers eux et aucun sentiment. Il ouvrit les yeux. Tempête était dans ses bras, entièrement offerte mais tenait fermement tout son être enfermé sur elle même, ne laissant rien partager. Ils auraient pu être chacun à un bout de la ville qu’ils n’auraient pas été plus séparés. Revanche revint. Thibault perçut ses doutes à les retrouver ainsi mais ne fit aucun commentaire, se contenta de demander l’autorisation d’aller sur un autre manège et Thibault lui donna de l’argent. Il fit quelques remarques comme quoi il était obligé de faire la queue et Thibault se contenta de hocher les épaules « Ici, c’est différent »dit-il.

Il suivait Revanche toujours enlacé à Tempête et ferma les yeux un instant rêvant que c’était pour de vrai. Rêvant qu’il avait une femme aimante et son fils à lui. Elle frémit et il se reprit se demandant s’il ne s’était pas laissé aller à lui en laisser trop percevoir pourtant, il insista « Pourquoi ne restes-tu pas plus ?

- Tu l’as dit, il vaut mieux laisser la situation décanter. Laissons les d’abord se faire une image de nous ensuite nous verrons. Pour l’instant nous ne pouvons répondre à leurs questions ni les refuser. La distance mettra fin à ce problème.

- Et l’image de vous passe par moi ?

- Oui bien sur. La Terre reproche la distance que laisse la confédération. Ils aiment le romantisme, je leur en donne. »

Thibault se retint de dire que la distance qu’elle laissait était plus grande encore et que le romantisme, ce n’était pas ça.

- Tu vas me manquer » dit-il. « Non, tu me manques même là

- Elle se mit à rire mais surtout pour son auditoire. Je t’aurais cru soulagé qu’on te laisse en paix.

Thibault haussa les épaules « j’aurai voulu te garder près de moi.

Tempête resta un moment silencieuse avant de conclure « tu dois vraiment te sentir seul ».

Il sentit son cœur prêt à exploser. Elle avait compris ce qu’il ressentait. Le vide qui entourait sa vie et les fantaisies qu’il y mettait pour tenter vainement de le combler.

Elle l’embrassa à nouveau mais avec plus de douceur. Elle ne lui ouvrait pas son cœur mais lui laissait voir le plaisir qu’elle y prenait. C’était déjà plus que ce que lui apportaient les filles qu’il avait pu côtoyer et quand elle s’éloigna il en aurait presque pleuré.

« Eh, tu dois être content » dit-elle. « Ca fait mieux sur les images.

- On disait que j’étais triste car j’avais appris que ma petite amie allait partir » dit-il en souriant. Elle hocha la tête et s’éloigna. « Je rentre à l’hôtel. Je te laisse, je crois que Revanche voulait te parler. » Il ferma les yeux et s’appuya contre le banc avant de reprendre une pose avenante se rappelant qu’il était toujours observé. Il craignait que quelqu’un tente de l’aborder. Si c’était le cas, il leur en ôterait l’envie, il n’était pas d’humeur. Revanche arriva et s’assit à la place laissée libre par Tempête. Par réflexe, il passa le bras autour du petit garçon « dis moi ce qui ne va pas.

- Je serais bien resté plus longtemps.

Ses paroles achevèrent de lui déchirer le cœur. Il serra son fils contre lui qui se blottit dans ses bras.

« Je voudrais que tu restes » dit Thibault « malheureusement, je n’ai rien à t’offrir. Tu n’auras pas la vie que tu mérites ici ».

Il haussa les épaules « je pourrais rester plus longtemps. Tu m’as parlé de pleins de chose à voir. »

Thibault lui ébouriffa les cheveux. Il était heureux de voir son fils si proche de lui. De nouveau, il se prit dans ses rêves imaginant que cela pourrait être vrai. Revanche le croyait lui.

« Ta mère n’acceptera jamais que tu restes ». Mais à peine avait-il dit ses paroles que Thibault réalisa son erreur.

Revanche le regardait surpris. Il ne comprenait pas. « Tu es mon père » dit-il

Evidemment, ce n’était plus un bébé qu’on traîne d’un coté ou l’autre. Légalement il était autant sous sa tutelle que celle de sa mère. Les perspectives que ça ouvrait étaient énormes. Il se reprit. Sentiment ne le laisserait jamais faire. D’un autre coté, il pourrait l’en empêcher mais ce voudrait dire tirailler le petit entre ses deux parents. Il regarda autour de lui. Ils étaient tous les deux. Seuls. Entouré d’une foule qui les épiait mais seul quand même. Il pensait à ses rêves, il pensait à son avion personnel qui l’attendait, il pensait que Dya reviendrait vite et que sa nouvelle popularité deviendrait infernale. Il se tourna vers son fils : « Est ce que tu veux découvrir Paris ? »

Maÿcentes : Complexe du conseil

Voila le fantôme, Enfin. Depuis le temps qu’Accalmie cherchait à rencontrer Cyril. Ce type était pire qu’une anguille. Il l’apercevait parfois de loin mais en général il évitait de prendre part à quoi que se soit. Personne ne semblait savoir où il vivait et il était persuadé qu’il faisait tout pour l’éviter. Il était ambassadeur au même tire que lui. Ils se devaient de défendre soi disant les mêmes intérêts mais il n’avait jamais pu ne fut-ce que l’approcher. Sans doute encore un stratégie absurde de Rafale ça. Il se planta devant Cyril qui eut un léger mouvement de recul en le voyant. Il fusa une méfiance sans limite puis, sans lui adresser la parole, sortit de sa tunique une longue cigarette qu’il alluma avec un instrument qu’Accalmie n’avait encore jamais vu. Une fumée douce et sucrée commença à se répandre dans la salle et quelques émotions désapprobatrices émergèrent des personnes présentes.

« Pouvez-vous m’accorder quelques minutes Légat Cyril ? » Sa méfiance augmenta. Accalmie avait voulu le rassurer en lui parlant avec le plus de courtoisie possible mais sans doute avait-il tant l’habitude des façons de parler brutales des Adarii que ce ton inhabituel l’inquiétait d’avantage.

« Ai-je le choix ? » répondit-il, tâtant le terrain.

- Non » Les émotions de Cyril étaient moins fortes. Il revenait en terrain habituel.

Accalmie trouva une sorte de petit salon vide et fit le tour de la pièce afin de s’assurer qu’il ne restait pas quelques petites caméras cachées dans un coin puis s’assit face à Cyril.

« On ne vous voit pas souvent ici, Ambassadeur ? »

Cyril souffla sa fumée comme dans un soupir. « J’estime que j’y suis encore trop.

- Quelque chose m’échappe. Vous représentez Plume, moi aussi. Pourtant, vous ne faites rien pour défendre les intérêts de Cashir ?

- Je ne représente qu’une voix, rien de plus. Le seul intérêt que peut avoir Cashir, c’est que les mondes extérieurs ne s’en approchent plus.

- Mais vous ne défendez pas ce principe ici, vous ne faites absolument rien. Ne croyez-vous pas qu’il serait tant qu’on agisse ensemble ? »

Cyril fronça les sourcils. « Comprenons-nous bien : la politique des Maÿcentres ne m’intéresse pas. Qu’ils s’époumonent dans leurs discours si ça leur chante. De toute façon, quel que soit le futur président, je n’ai confiance en aucun d’eux. Alors, si vous voulez que je fasse quelque chose pour vous, je le ferais. Je fais ce qu’on me dit, n’en demandez pas plus. »

Accalmie se recula, cherchant à décortiquer ce message. « Je fais ce qu’on me dit » dit-il répétant les paroles de Cyril. « qui est le « On ».

Cyril parut s’étonner mais sans beaucoup de conviction : « l’Annunaki Rafale, évidemment »

D’accord. C’était plus clair à présent. Accalmie jouait les pantins sur l’avant de la scène car il était doué en diplomatie et Rafale tirait les ficelles derrière.

« Nous allons clarifiez les choses. Vous êtes ambassadeur, vous êtes là pour défendre les intérêts de Plume. Moi aussi » quoique c’était loin d’être sa priorité « vous et moi, nous gérons les mondes extérieurs. Rafale non. Vos stratégies, vous voyez cela avec moi. »

Cyril ricana quelques propos incohérents. Accalmie hésita ne voulant montrer qu’il ne maîtrisait pas parfaitement la langue qui était censée être sa langue maternelle. Il lui demanda de s’exprimer clairement. Il serra les poings et écrasa sa cigarette contre le métal du fauteuil.

« Le seul dont je suis sur qu’il ait les moyens de tenir les mondes extérieurs à l’écart, c’est l’Annunaki Rafale. Je ferais ce qu’il dit, il assure la protection de Cashir. Point final. »

Le père tenu par le chantage, la fille par amour. Rafale était doué, il fallait l’admettre.

Cyril n’en attendit pas plus pour se lever et sortir. Il buta presque sur un garde. « Légat, nous avons un problème.

- Que ce passe-t-il encore ? » soupira Cyril.

« Non, Légat Adarii » Le garde était encore inquiet, Accalmie commençait avoir l’habitude. Sans doute Jade avait-il piraté quelques champs de force.

« Il y a une fille… »

Accalmie n’allait pas attendre des heures qu’il se décide « Pluie » dit-il sachant que s’il y avait un problème concernant une fille c’était la seule qui restait sur les Maÿcentres.

« Non, c’est une fille qui semble avoir atterri sur l’esplanade. J’ignore si elle est blessée.

- En quoi ça me regarde ?

- C’est une fille Adarii qui est arrivée d’une façon…inhabituelle. »

Accalmie arriva sur les lieux sans avoir pu avoir une explication claire. Dya arriva à sa rencontre sortant d’un attroupement qui s’était formé. « Légat, je vous ai déjà dit que je ne voulais pas d’esclandre.

- Et moi je vous ai déjà dit que je ne voulais pas vous entendre.

- Les rumeurs courent déjà qu’elle n’est pas juste tombée, en plus de se balader dans une tenue totalement indécente, mais qu’elle serait apparue venue de nulle part à deux mètres du sol.

Accalmie n’écoutait plus. Il commençait à apprendre a anhiler de ses oreilles les bavardages suraigus de Dya. Il continua à avancer et les curieux s’éparpillèrent sans demander leur reste. La fille était couchée, face contre terre. Sa tenue n’avait rien d’indécent, elle portait une tunique courte et un pantalon. Mais il suffisait d’un décolleté pour choquer Dya. Elle n’était pas inconsciente comme il l’avait cru, juste apeurée. Il la reconnut par ce sentiment avant même de la voir. « Chance ! »

Il s’approcha doucement comme si elle risquait de s’enfuir mais elle avait dépassé ça. Elle restait crispée face contre terre comme un petit animal. Dya marmonnait quelques obscénités sur le coté primitif de la race Adarii. Il n’en tient pas compte, il règlerait ses comptes avec Dya plus tard. Il parla doucement à Chance qui ne réagit pas et finit par la prendre dans ses bras sans qu’elle ne résiste se contentant de se renfermer si fort sur elle qu’il ne put plus percevoir ne fut-ce que la moindre émotion de sa part mais elle finit par s’accrocher à son cou tandis qu’il franchisait les grilles du jardin. Il la reposa à l’entrée de la villa et constata avec soulagement qu’elle tenait debout. Elle avait quelques belles ecchymoses. Dya disait qu’elle était tombée de nulle part. Aussi invraisemblable que cela paraisse, il était prêt à le croire. Elle avança mécaniquement derrière lui ouvrant soudain de grands yeux comme si enfin elle avait trouvé quelque chose digne d’intérêt. Plumeau arriva et eut un mouvement de recul en la voyant puis sa mit à dégager une curiosité insupportable.

« Elle s’appelle Chance » dit Accalmie en espérant que ça lui suffise momentanément.

« Adarii Chance », dit-elle devant la fille qui ne lui prêta nulle attention.

« Elle a besoin de se reposer » précisa Accalmie.

« Bien »Evidement elle voulait en savoir plus « je n’ai pas été prévenue de votre arrivée mais je vais faire la plus vite possible. Où dois-je… ? »

Ce qu’elle pouvait être agaçante parfois. Elle n’avait qu’à l’installer n’importe où.

Une petite voix rauque s’éleva de Chance. « Tiyana »dit-elle.

C’était inespéré ça. Tu as entendu Plumeau, prépare lui une chambre dans les appartements que tu as arrangé pour Tiyana. »

Plumeau ne bougeait toujours pas

« Ca te pose un problème ?

- C’est que, j’ai vécu quelques années à Tiyana avec Grésil et… »

Accalmie la coupa avant qu’elle finisse son raisonnement « Si elle te dit qu’elle a des droits sur Tiyana, tu oserais remettre en doute sa parole ? »

Son discours porta ses fruits et Plumeau fila. Il ne restait plus qu’à espérer qu’il évite les autres occupants. Il poussa délicatement Chance vers l’escalier. On aurait dit qu’elle engrangeait tout ce qui l’entourait d’un regard avide. Accalmie la conduisit dans le salon de l’appartement de Tiyana et constata avec plaisir qu’il était chauffé. Jade avait raison, ses bricolages avaient fini par réussir. Il n’y croyait plus. Il croisa Plumeau qui présenta une chambre. « Tu as besoin de quelque chose ? » dit Accalmie le plus doucement possible. Elle ne répondit pas. Elle entra dans la chambre et croisa les bras comme frissonnant malgré la tiédeur de la pièce. Elle s’agenouilla, toucha les draps et le plancher. Accalmie comprit qu’elle voulait être seule. Il sortit et alla chercher lui-même quelques provisions à la cuisine et les disposa sur la table du salon. Il frappa doucement à la porte de la chambre mais personne ne lui répondit. Il l’ouvrit sans faire de bruits. Elle dormait, enfuie en boule sous les draps laissant dépasser un bras, ses cheveux éparpillés sur un coussin. On aurait dit un ange.

***

Dya effaça encore quelques injures de son bracelet contact et reformula ses griefs de façon plus civilisée. A côtoyer les Adarii, elle sentait monter en elle des sentiments primitifs. Et les propos qu’elle avait enregistrés sous l’emprise de la colère étaient ceux d’une bête. Ce devait être une manœuvre de leur part. La pousser à bout. Les pousser tous à bout. Ils perturbaient les hommes, s’appropriaient l’énergie des Maÿcentres, séduisaient les femmes, ils perturbaient même le climat. Et malgré tout ils se trouvaient encore du monde à être admiratifs devant leurs perversions dignes des enfers. Et l’autres qui apparaissaient au milieu de l’esplanade. Encore une manigance pour impressionner le peuple ça. Elle aurait dû donner un blâme à Accalmie pour ça. Ce monstre la narguait, jouant les ambassadeurs d’un monde sur lequel il n’avait jamais mis les pieds. Un jour, elle trouverait le moyen de mettre au grand jour cette supercherie ridicule.

Elle entra son bureau et repoussa l’impulsion qu’elle avait de claquer la porte. Au contraire, elle se força à entrer dignement. Elle faisait partie de la race la plus évoluée de l’univers, elle ne se laisserait pas démonter par ses sentiments. Son nouvel assistant introduisit quelqu’un à sa suite. Elle se força à prendre une expression digne de son rang avant d’ôter son masque et parla d’une voix qui se voulait à la fois sure et autoritaire. « Vous revenez de la Terre si j’ai bien compris. Je vous remercie d’avoir accéder à ma demande en vous présentant aussi vite à mon bureau.

- Sï Dya, C’était mon intention. D’autant plus que la nouvelle que j’apporte sera sans doute de la plus haute importance pour vous.

- Expliquez-vous

- Thibault Malta.

- Quoi Thibault Malta ? » Elle reprit sa respiration. Que venait-il lui parler d’un problème résolu. Ce nom était source d’exaspération et même si elle avait été furieuse qu’on lui annonce qu’il s’était fait tuer, elle avait depuis fait contre mauvaise fortune bon cœur, se disant que même s’il ne pourrait plus rien lui apprendre, l’extermination d’un parasite était toujours une bonne nouvelle. Surtout qu’il s’était fait tué par ses propres concitoyens sans qu’elle ait à se salir les mains.

- Je crois qu’il y a eu erreur sur son décès.

- Comment erreur ! C’est totalement impossible. Je tiens cette information de source sure. »

Dya s’assit dans son fauteuil et se força à se calmer. Voyons. Thibault s’était mystérieusement échappé sans doute avec la complicité de ses gardes. Depuis, elle les avait tous muté comme gardien sur le satellite prison Exil, ça leur apprendrait. Une telle incompétence était impardonnable. Ensuite elle avait retrouvé l’autre folle. De toute façon il n’y avait que des cinglés dans cette famille. La terre entière était emplie de cinglés. Elle ôta son bracelet contact, appuya sur la fonction hologramme et le posa sur la table tandis que la salle se recouvrait d’éléments colorés. « Généalogie Maltaa » récita-t-elle en détachant bien chaque mot. Sa mémoire était excellente et elle n’avait nulle besoin de ce support. Elle l’avait fait apparaître pour son aide des affaires terriennes. Thibault était barré. Elle hésita à ôter le trait sur son nom.

« Tu es sur qu’il est vivant ?

- Oui.

Cette ordure avait réussi à l’abuser, mais comment ? Ou Emma. Elle avait été la voir après l’évasion de Thibault. Elle n’avait rien pu retirer d’elle. En y réfléchissant, n’était-ce pas elle qui lui avait appris la mort de Thibault ? Si. Et pourtant comment aurait-elle pu le savoir ? Qui avait été chargé de vérifier ses dires ? Il y avait un trou là. Or, sa mémoire n’avait jamais de trou. Elle avait été abusée. Elle serra les poings. Son aide ne devait pas percevoir sa colère. C’était un sentiment faible, indigne d’elle.

« Ce n’est pas tout » ajouta ce dernier.

Dya se tourna vers lui « Non seulement Thibault est vivant mais il a repris sa place dans nos affaires. Il se présente partout comme une interface entre la confédération et la Terre et a été vu dans une réception officielle avec l’Adarii Tempête Maniya. Il a présenté cette dernière comme la représentante de la planète Plume.

- C’est impossible ! » cria presque Dya

« Il n’y a aucun doute. Ces informations ont déjà fait la unes de tous les médias Terriens. Toutes les nouvelles se diffusent à une vitesse ahurissante sans aucun contrôle. »

Dya le savait. C’était encore un aspect de la sauvagerie de ce monde indiscipliné.

« Il faut mettre la main sur Thibault. Sur Emma. Et les autres aussi » dit-elle en désignant les noms sur l’hologramme.

« J’ai chargé un homme de confiance de retrouver leurs traces mais nous sommes peu nombreux. Si nous pouvions agir au grand jour et avec plus de moyens… »

Non, ils ne pouvaient pas. Dya tenait à garder ça secret. Il y avait déjà suffisamment de mouvements de foule. Déjà ils ne géraient plus rien au point que les Adarii avaient réussi à atteindre la Terre et se faire une place tranquillement dans leur réception sans aucune difficulté et sans même que quiconque en ai eu vent. Il ne fallait pas rajouter une panique supplémentaire. De plus, Il y avait des masses de révoltes contre eux sur Terre. Il n’était pas tant d’en rajouter en poursuivant officiellement leur concitoyens ou ceux se faisant passer pour tel car elle se doutait que Thibault ne devait pas être un simple primitif terrien. Primitif oui, mais pas terrien.

« Je dois y aller » dit-elle.

Mais elle se ravisa instantanément. Elle ne pouvait quitter la colline maintenant. La réunion des chefs d’état était éminente. La Syhy Lytil avait réussi à prendre place parmi les candidats et se faisait une joie de la narguer avec ses propos idéalistes totalement démodés. Si elle prenait le pouvoir, nulle doute qu’elle serait rétrogradée et ça, elle ne le permettrait pas. Elle avait servi deux présidents. Ce n’était pas ensuite pour se trouver jeter hors du conseil telle une vulgaire minière des basse villes.

C’est vrai que ses espions sur Terre se faisaient rares. Elle soupira et reprit pour son aide : « tu vas y retourner » dit-elle. « De combien d’hommes sur disposes-tu ?

- Une dizaine. »

C’était peu, beaucoup trop peu. Mais elle ne voyait pas comment y remédier.

« Vous ferez votre possible pour les retrouver » dit-elle désignant l’hologramme.

L’homme accepta. « Nous surveillons Thibault. Nous cherchons aussi Emma Diarety qui semble avoir disparu de même que Hélène et Mike Gentry.

- Comment disparu ? Je croyais que vous aviez lancé les médias sur le dos de Mike pour le surveiller !

- Oui, mais il leur a échappé. Il doit se terrer quelque part. Nous les cherchons.

- Laissez tomber, vous ne pourrez pas tous les retrouver. Si vous avez Thibault, gardez le à l’œil. N’essayez pas de l’interpeller. Contentez-vous de le surveiller et dès que je pourrais, je viendrais moi-même gérer ça.

Maÿcentres : Ambassade de Saphir-Plume

« Puis-je savoir ce que je fais ici ? »

Dyasella était resté debout les bras croisés, ignorant le siège que lui avait proposé Rafale. Elle avait renoncé à le regarder se concentrant sur une branche qu’elle fixait par la fenêtre. Elle s’obligeait à respirer calmement et profondément mais elle avait les mains moites et elle se sentait rougir. Sa voix qu’elle voulait ferme chevrotait. Et tout cela devant un garçon d’à peine seize ans. Elle s’en voulait de sa faiblesse. Pourtant elle aurait pu être fière aucun de ses concurrents n’avait osé ne fut-ce que lui demander de lui accorder un rendez-vous. Elle avait réclamé une audience. Elle avait été rabrouée. Et voilà qu’aujourd’hui on venait la chercher jusque chez elle. Et pas un simple domestique mais l’Adarii Jade en personne. Il avait exigé qu’elle vienne immédiatement car L’Annunaki Rafale désirait lui parler. Elle avait refusé. Personne n’avait à lui parler ainsi. Elle s’était retrouvée dans le salon d’accueil de la villa Adarii. Elle n’aurait su dire comment. Elle avait été très conciliante avec eux. D’abord parce qu’ils pouvaient l’aider, peut-être aussi en souvenir d’Orage. Mais là non, ce faire manipuler ainsi, c’était la goutte d’eau en trop. Rafale était de très bonne humeur. C’était la première fois qu’elle le voyait sourire et elle aurait apprécié que ce ne soit pas parce qu’il se moquait de sa faiblesse mais plus elle s’efforcer de garder vainement bonne figure plus il souriait. Il lui désigna à nouveau un fauteuil. A nouveau elle resta debout. Il lui dit qu’il insistait et elle se retrouva à genoux. Il ne lui laissa pas le temps de l’insulter, elle se détourna et résignée, elle se glissa au bas du fauteuil pour s’asseoir sur le tapis. Rafale revenait avec une épaisse boite en bois sculpté. Il porta son regard sur la table et le plateau emplit de petits gâteau s’éleva dans les airs doucement pour se reposer sur le tapis à coté de Dyasella qui le suivait des yeux, médusée. Leur pouvoir n’avait-il aucune limite ?

Rafale feint de ne pas s’apercevoir de son étonnement, posa la boite sur la table maintenant débarrassée, l’ouvrit et en sortit un plateau de jeu ouvragé ainsi que quelques pièces de bois.

« Dois-je t’expliquer les règles ? »

Dyasella secoua la tête. Elle connaissait le jeu d’assaut. Elle y jouait rarement. Umya appréciait beaucoup ce jeu mais il était bien trop fort pour elle et les autres adeptes qu’elle connaissait étaient au contraire trop faibles pour l’intéresser. Et surtout, elle n’avait pas le temps en ce moment pour de telles futilités. Elle savait que Thaïs jouait parfois avec Rafale. Elle ne fut donc pas étonné qu’il lui sorte ce jeu mais elle n’appréciait pas pour autant la façon très cavalière par laquelle l’Adarii Jade l’avait prié, de venir à la villa.

« Vous ne m’avez tout de même pas fait venir, et de force » précisa-t-elle « juste pour jouer avec moi ?

- Mais si » répondit-il en plaçant les pièces sur la table de jeu.

Elle sourit en constatant qu’il manquait les deux pièces représentant les mondes dirigés par les Adarii. « Je constate que vous ne prenez pas part à la partie. »

Rafale ouvrit la main et plaça sur le jeu la pièce en bois d’un bleu profond. « Voilà Saphir » «dit-il en la posant à sa place.

Il tendit la main vers Dyasella qui ébaucha un mouvement de recul. « Voulez-vous rendre Plume à qui de droit ? » lui dit-il.

Que voulait-il dire ? Il attendait la main tendue.

« Dans la poche de votre manche » précisa-t-il.

Sans comprendre, elle tata la poche et y découvrit en effet une petite pièce en bois. Elle l’observa et reconnut la pièce en bois rose que lui avait offert Umya des années plus tôt. Sans chercher à comprendre comment elle avait pu se retrouver là, elle la posa sur la table et Rafale s’en saisit pour la placer parmi les autres. Son style s’y accordait tout à fait.

« C’est Thaïs qui m’a appris à jouer expliqua Rafale. C’est lui aussi qui m’a donné ce jeu.

- Il ne m’avait jamais parlé de ce cadeau.

- Il n’en a que peu de souvenirs. »

Dyasella se détourna. « Ne pouvez-vous avoir un minimum de respect envers les autres ? »

Rafale haussa les épaules. « Envers les autres si. Envers vous… »

Il la toisa avec répugnance.

Elle tapa du poing sur la table « Mais allez vous me dire à la fin qu’est ce que je vous ai fait ! Je m’efforce de vous faciliter la vie et vous de me compliquer la mienne»

Rafale lui lança un regard qui la glaça. « Vous avez couché avec mon père. »

Elle se figea. Elle s’était attendue à tout sauf à cela.

« Je trouve ça répugnant » insista-t-il.

Elle fut prise d’un rire nerveux et d’un coup elle se retrouva devant un gosse trop gâté et reprit une dose d’assurance.

« Et je ne doute pas qu’il ait aimé cela » dit-elle pour le plaisir de la provocation.

Elle le regretta aussitôt. Un coup de tonnerre déchira le ciel mais rien ne se produisit. Rafale distribua les cartes. « Jouons » dit-il.

Pendant deux bonnes heures, elle se concentra sur son jeu tentant d’ignorer la présence de Rafale en face d’elle.

Elle gagna la première partie et Rafale se contenta d’un signe de tête approbateur et replaça les pièces. Ce n’est qu’au bout de la troisième partie qu’elle relâcha son attention ou plutôt la déplaça, ne se concentrant plus sur le fait de gagner mais d’observer la stratégie. La base de celle de Rafale était toujours la même consistant à s’approprier d’abord Plume et Saphir et les mettre de coté ensuite ses stratégies variaient mais ce désintéressait systématiquement de Vengeance et des Maÿcentres. Au bout de plusieurs parties, il changea de tactiques et accula les mondes de Vengeance et des Maÿcentres. Il s’arrêta et sourit. Dyasella s’arrêta et observa la configuration. Elle avait fourni de gros efforts pour protéger les deux planètes les plus importantes et étaient fières d’avoir réussi à nouveau. Elle avait aussi bien en main la planète conquête et son gros satellite d’extraction. C’était suffisant pour gagner et le nombre de coup réglementaire était passé.

« J’ai encore gagné » conclu-t-elle fièrement.

« En es-tu sure ? »

Elle recompta les points. « Oui, et de loin.

Rafale n’avait que Plume et Saphir, la plate forme qui les raccorde et deux planètes d’extraction. Les autres mondes n’avaient pu être attribué ni à l’un ni à l’autre gardant un statut neutre. Ils auraient pu changer la donne. Avec quelques coups supplémentaires, Rafale aurait pu récupérer la Terre mais sa valeur n’était pas assez élevée pour gagner.

Rafale se pencha au dessus du tableau de jeu et en retira la planète Conquête et son satellite.

« Que faites-vous ?

- Ces deux civilisation n’existent plus » se contenta-t-il de remarquer.

Elle voulu répliquer que pour le jeu ils existaient et que les ôter purement et simplement était en contradiction avec toutes les règles mais elle se retint et approuva. Rafale montrait une représentation plus réelle du cercle, libre à lui. Elle recompta les poings avec cette nouvelle donne, elle gagnait toujours. Elle avait une bonne avance.

Rafale retourna la pièce représentant Plume et réfuta. « Erreur, je gage » dit-il en montrant la valeur de la pièce.

« La valeur de cette pièce a été modifiée » s’exclama Dyasella. Elle se remémorait le jour ou elle avait reçu cette pièce. Cadeau D’Umia afin de l’appâter et d’aiguiser sa curiosité. C’était lui qui avait revu la valeur de cette pièce à la hausse.

Elle en fit la remarque.

Rafale haussa les épaules. « Et à votre avis, qui avait raison ? L’inventeur de ce jeu qui avait donné une si piètre valeur à Plume et Saphir ou votre homme de confiance en la réévaluant à la hausse ? » Rafale se leva. Synshy penchait pour la première solution. Il disparut dans l’entrée la laissant seule. Son départ fut comme une libération pour son esprit. Elle regarda à nouveau le jeu. Oui, elle gagnait, mais si cette configuration était la réalité. Si l’empire de saphir plume récupérait ne fut-ce les planètes d’extraction de leur secteur et la plate-forme qui va avec. Ils devraient alors présenter face à eux une puissance forte et unie avec des valeurs minières et énergétiques renforcées, mais si le deuxième satellite et les autres mondes d’extraction ne les suivaient pas ? Et si la Terre leur tournait le dos ? Si tous ces mondes pervertis par les discours mielleux des Adarii s’éloignaient de la confédération ? Elle était la première à leur proposer l’indépendance estimant que Vengeance et Maÿcentres n’avaient nul droit de prétendre obliger les autres mondes à s’allier à eux. Le désastre de Cashir avait suffi. Elle avait longuement échangé avec le maître Cyril de Cashir. Il avait fini par quitter sa carapace et lui parler des ravages des hommes de Synshy sur son continent. Les descriptions qui lui en avait faite, la façon dont on avait pompé leurs ressources l’usant jusqu’à la trame, la famine et le malheur, les contrebandiers qui s’étaient associés à eux. Elle en aurait presque pleuré. C’était si loin de l’idéologie de la confédération. Elle avait été confortée dans son idée. Chacun était libre de son choix Dyasella regarda encore la configuration du jeu. Théoriquement, elle gagnait mais en pratique, la puissance de Saphir et Plume dépassait de loin ce qu’on cherchait à faire croire afin de rassurer le peuple et il leur faudrait peu pour les égaler. Quelques ressources supplémentaires et ils seraient capable de mettre la main sur la confédération. Elle serra les mains l’une contre l’autre, elle tremblait. Dire que, s’ils étaient là, c’était à cause d’elle. A cause d’une action irréfléchie pour chasser Synshy. Elle voyait la libération de la confédération d’un monstre sans réfléchir à la suite ; elle avait accepté de se présenter à la tête de la confédération sans penser dans quoi elle s’engageait vraiment. Elle pensait aux Adarii comme une aide potentielle mais eux, à quoi pensaient-ils ?

Quelqu’un toussa à l’entrée. Elle releva la tête.

« Je t’apporte ton manteau. »

Dyasella se leva et accepta l’étoffe tendue par le serviteur et se dirigea par vers la porte

Taegaïan : Villa Adarii de Tae

Des pas, amortis par les épais tapis du salon d’accueil. Une petite voix. Réalité leva la tête. C’était un petit garçon. Sans doute le fils d’un serviteur. Elle s’attendit à se faire éconduire encore une fois. A croire que ce n’était jamais le moment. Mais elle se voyait mal se rendre dans la grande salle le jour des doléances. En Plus on lui avait clairement parlé d’une audience privée.

« Maître Glace va vous recevoir »

Réalité ferma les yeux. Qu’on en finisse pensa-t-elle tout en regrettant qu’il ne lui ait pas encore dit de revenir un autre jour. Elle se dirigea vers la petite salle d’audience mais le jeune garçon bifurqua sur un nouveau couloir. Elle le suivit et escalada à sa suite un escalier de pierre.

« Ou allons-nous ? » lui demanda-t-elle.

« J’ai ordre de vous conduire aux appartements de Maître Glace » Elle s’arrêta net. Son cœur battait si vite qu’elle était trop essoufflée pour faire un pas de plus et sa tête tournait. Des petits points noirs courraient devant ses yeux. Elle se sentit tomber et tout disparu.

Avant d’ouvrir les yeux, elle comprit qu’elle avait perdu conscience. Quelqu’un avait dû la porter car elle était étendue sur quelque chose de mou. Un lit ou un canapé. Il y avait des voix étouffées. Une voix de femme disant que ça ne faisait aucun doute et une, plus grave qui disait que ça devait être quelqu’un d’autre. « Voila qui change la donne » entendit-elle encore. Une porte claqua. Les paroles cessèrent. Des pas se rapprochèrent et elle reconnut le bruit d’une chaise qu’on tirait près d’elle. « Je sais que tu es réveillée »

Elle se força à ouvrir les yeux, gênée de son stratagème. Maître Glace était penché au dessus d’elle. Il s’éloigna légèrement et la laissa s’asseoir et formuler quelques excuses. Elle ignorait ce qui lui était arrivée. Elle se sentait fatiguée ces derniers temps. Il y avait de quoi.

« Je me doute » marmonna Maître Glace. Il soupira et regarda par la fenêtre « mon père disait qu’on ne pouvait ignorer les autres mondes » commença-t-il « et il est mort »

Réalité ne voyait pas quoi répondre à cela, elle attendit. « Pour ma part » continua-t-il « j’ai passé plusieurs années sur Terre et sur les Maÿcentres et je ne sais toujours pas quoi faire d’eux. »

Réalité ouvrit la bouche et la referma sans répondre. Elle avait toujours cru Maître Glace si fermé qu’elle se demandait s’il avait même quitté Taé un jour. Il continuait. « Ton père a choisi de faire passer Cashir sous protectorat Adarii »

Elle se colla contre le mur. Elle n’en croyait rien, il ne ferait jamais ça, c’était contre toutes ses convictions. Tout comme les siennes quelques mois plus tôt songea-t-elle.

« Je voulais juste te prévenir. Nous réorganiserons sans doute certaines choses mais nous ne comptons pas pour autant investir les lieux si c’est cela qui t’inquiète. Par contre, je souhaiterais que tu serves d’intermédiaire.

- Ma mère n’acceptera jamais » souffla-t-elle comme si c’était important

« Ce n’est pas mon problème. C’est à Cyril et à toi que je demande. Peux-tu servir Cashir pour nous ? »

Réalité secoua la tête : « je ne suis plus chez moi en Cashir par les vœux de ma mère.

- Non, tu ne l’es plus, tu es chez nous en Cashir par les vœux de ton père.

- Je ne sais pas quoi dire.

- Pour l’instant, contentes-toi d’assimiler ça. Beaucoup de choses vont changer. Je ne sais si c’est bien ou non mais nous n’avons pas le choix et qu’il vaut mieux intégrer les changements plutôt que les refuser.

- Vous voulez parler de ma relation avec Eclaircie en parlant de changement ?

- Avec l’Adarii Eclaircie. Garde tes familiarités pour ton couple. Mais je ne pensais pas vraiment à cela. Plutôt aux élections des mondes extérieurs, à une coalition possible des mondes excentrés, à la soumission de Cashir et d’autres choses encore. A toi aussi oui.

Je dois te demander. As-tu d’autres amants que mon frère ? »

Réalité rougit « non » dit-elle.

Maître Glace hocha de la tête « Oui beaucoup de choses vont changer. Il me faut réfléchir. Il y a certains points que je ne saisis pas encore mais je me dois d’en évaluer les conséquences. »

Réalité restait assise sur le fauteuil. Elle se dit soudain qu’elle aurait s’en doute dû se lever. Ca lui paraissait d’un coup très malvenu qu’elle soit assise là alors que maître Glace était debout. Il n’avait pas bougé durant tout son discours, restant perdu dans la contemplation d’un manguier à l’extérieur. Elle se dit que c’était peut-être aussi pour la mettre à l’aise. Il se décida à se retourner alors que la porte s’ouvrait. Eclaircie entra et se figea en voyant Réalité et son cœur s’emballa comme à chaque fois qu’elle voyait son amant. « Tu peux sortir » dit Glace la désignant. Elle se leva, s’inclina et se dirigea vers la sortie faisant un détour pour éviter Eclaircie mais ce dernier la retint par le bras. « Reste » dit-il prenant ce ton autoritaire qu’elle détestait.

Réalité le supplia en silence, le regard de Glace la transperçait. Elle se sentait soudain pire qu’un parasite.

Eclaircie se saisit d’un verre de cristal et se mit à le remplir mais son geste s’arrêta net et son sourire disparut. « C’est impossible » dit-il dans un souffle fixant son frère avant de se tourner vers Réalité. « Je te rejoindrais plus tard » dit-il soudain grave. « Je dois parler à mon frère »

Maÿcentres : Ambassade de Saphir-Plume

Accalmie avait décidé de se lever tôt. Il ne voulait pas que Chance s’inquiète en se retrouvant seule ou pire, ne tombe sur les autres. Elle l’obnubilait tellement qu’il passa une bonne partie de la nuit sans pouvoir trouver le sommeil et ne s’endormit qu’au petit matin. Il se maudit de se réveiller si tard. En plus, il était aussi fatigué que s’il n’avait pas fermé l’œil. Plus même. Il attrapa presque Plumeau « tu sais si Chance est réveillée ? »

La domestique reprit ses suspicions habituelles « oui »dit-elle.

« Oui tu le sais ou oui elle et réveillée ?

- Oui elle est réveillée.

Accalmie n’en attendit pas d’avantage, il se dirigea vers les appartements de Tiyana.

« Elle n’est pas là » lança Plumeau.

« Où est-elle ?

Plumeau lui dit quelques mots qu’il eut du mal à saisir puis comprit que Plumeau évoquaient ces petites pièces en sous-sol à coté des thermes qu’il considérait comme réservées aux filles car on y trouvait une sorte de dressing de vêtements féminins, un petit salon avec de grands miroirs et un peu près tous ce que Accalmie avait jugé être des produits de beauté. Il intégra le nouveau mot de vocabulaire concernant ce lieu « et c’est Chance qui t’a demandé ou ça se trouvait ? »

Elle dit oui comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Sans doute toutes les villas possédait-elle ce genre d'espace.

« Elle te l’a demandé avec des mots »

Plumeau répondit par l’affirmative mais si intriguée qu’il renonça à en demander d’avantage.

« Où sont les autres ? » demanda-t-il préférant éviter de demander si ils avaient croisés Chance ?

- L’Adarii Ambre est sorti et les autres sont dans le salon d’accueil »

Accalmie se décida à descendre. Il préférerait ne rien leur dire mais sachant qu’ils croiseraient Chance à un moment ou à un autre, il fallait les préparer afin qu’ils ne lui fassent pas peur. Il redoutait leurs réactions. Craignant leur brutalité habituelle.

Il y avait en effet une petite réunion dans le salon d’accueil. Au moins, ils commençaient à faire l’effort de ne plus envahir son salon. Surtout le matin car, le soleil donnait sur ce salon et il était le plus agréable. Accalmie n’aurait su dire de quoi il parlaient, ils se turent avant même qu’il franchisse la porte. « Je dois vous entretenir d’un léger détail » dit-il sans savoir comment aborder la chose. Il aurait aimé pouvoir garder la venue de Chance pour lui seul mais c’était impossible de garder la moindre intimité ici. Ils se tournèrent tous vers lui puis les regards dévièrent derrière lui. Pluie ouvrit la bouche stupéfaite tandis que les yeux de Rafale et de Jade se mettaient à briller d’une lueur qu’il n’apprécia pas. Il se retourna et eut lui-même un hoquet de surprise. Chance s’avançait vers eux à petits pas hésitants. Elle avait passé une étoffe de soie attachée comme Pluie le faisait sous les épaules et un long châle assorti. Elle avait des reflets dorés sur son décolleté et un tatouage ressemblant un peu à un dragon ou un serpent que Accalmie avait appris être l’emblème de Tiyana, ses yeux si étranges aux couleurs des feuilles mortes de Vengeance avaient été rehaussés de noirs et ses cheveux attachés par une multitude de petites perles. Elle était magnifique. Le chef d’œuvre de Substance. Elle continua à s’avancer à petits pas et s’assit sans un mot sur le tapis.

Accalmie finit par réussir à articuler : « Je vous présente Chance ».

Toujours sous le coup de l’étonnement personne n’arriva à dire un mot. Plumeau entra, posa un plateau sur la table et demanda à l’Adarii Chance si elle désirait quelque chose de particulier.

Accalmie ne supportait pas de voir Plumeau insister ainsi, elle ne devait pas la forcer à parler. Mais Chance avait l’air moins inquiète et après un temps de réflexion, comme si elle cherchait ses mots, elle prononça quelque chose qu’Accalmie ne comprit pas. Ca ne parut pas poser de problème à Plumeau qui sortit en acquiesçant.

Accalmie commençait à comprendre. Il n’avait jamais vu Chance comme une Adarii. C’était un être pur et innocent crée par Maître Substance. Pourtant Substance lui avait dit qu’elle vivait il y a longtemps. Même là, il n’avait pas relevé qu’elle pouvait être Adarii. Même quand Jade avait dit qu’elle essayait de créer un lien télépathique, il avait refusé d’aller plus loin dans la réflexion. Il avait classé les Adarii comme digne d’actes abjectes et toujours prêt à tous les mauvais coups. Tout le contraire de Chance qui était la douceur incarnée. Plumeau revint avec une tasse fumante qu’elle posa sur la table devant Chance. Ses yeux se mirent à pétiller et elle porta le contenu à ses lèvres. « C’est bon » dit-elle.

Accalmie se prit à sourire. Comment Marcus n’avait-il pas songé à cela ? Il la maintenait à l’abri dans son sanctuaire dans une maison de verre et de coquillage de Vengeance et lui fabriquait des robes magnifiques qu’elle ne savait comment porter et des mets raffinés qu’elle ne connaissait pas. Pas étonnant qu’elle n’ait pas pu s’adapter à tous ses changements. Elle but encore un peu, ses joues rosies sous l’effet de la chaleur et après hésitation choisit un des petits plats sur le plateau en connaisseuse. Elle avait retrouvé ses repaires ici. Accalmie se moquait des traditions trop ancrées des Adarii qui tenaient absolument à garder leur façon de vie intacte quelque soit l’endroit et cela sans doute depuis des générations. Voila qui faisait son affaire pour une fois.