mardi 8 janvier 2008

AP : 4. Réalité : Chapitre 3

4

"Il vaut mieux avoir une bonne utopie dans la tête qu’une mauvaise réalité en face de soi."

[Isabelle Chenebault]

Maÿcentres : Colline du conseil

« C’est quoi ? » Grésil désigna du doigt un petit bloc de plâtre taillé dans l’atelier de Marcus. Il faisait déjà sombre. Les lumières s’étaient allumées automatiquement mais pas assez au goût de Grésil. Un peu comme à Maniya quand ils doivent restreindre l’énergie sous peine de voir le chauffage s’éteindre car il manque de soleil pour en produire. « Lumière 100% » dit-elle avant de cligner des yeux sous la luminosité trop forte.

« Lumière 75% » rectifia Marcus.

Il y avait un tas de bric et de broc dans l’atelier de Marcus, des sculptures en bois, en pierre et même en métal et de la vaisselle de forme extravagante, du mobilier bizarre aussi, et des bouts de tissus de toutes les couleurs. Une merveille pour une petite fille.

Ne pensez-vous pas que Syhy Lytïl risque de s’inquiéter ? »

Grésil reporta son attention sur Marcus. Parfois les hommes des mondes extérieurs avaient des raisonnements étranges. « Ce n’est pas à Dyasella de me dire ce que je dois faire. » Dyasella était gentille mais, si elle l’écoutait, elle resterait cloîtrée dans son tout petit pavillon à l’écouter se disputer avec Miroir. Ca amusait beaucoup Chiffre de les voir se chamailler sans cesse. Elle aussi, au début. Maintenant, elle en avait marre. Elle songeait presque à renvoyer Miroir chez lui mais Chiffre aurait été triste. Il l’aimait bien. Elle avait été déçue de constater que la soi disant si importante Syhy était si mal logée. Elle aurait eu honte de proposer un si pitoyable logement à un marchant ou un artisan. Elle en avait conclu que la Syhy ne devait pas être si importante que ça. En tout cas, elle avait raison de ne pas aimer le président s’il s’occupait si mal d’eux.

« Si ce n’est pas la Syhy qui doit te dire comment te conduire ici. Qui est ce »?

Les réflexions de Marcus la surprenaient toujours. C’était si inattendu. Et évident. Quoique, pas tant que ça. C’est vrai qu’ici, elle était un peu seule. « Je suis assez grande pour savoir toute seule ce que je peux ou ne peut pas faire.

- Vous avez là une grande responsabilité. »

Grésil n’avait pas vu les choses ainsi. Elle avait plutôt remarqué qu’elle pouvait agir selon son plaisir sans crainte d’avoir quelqu’un sur son dos mais c’est vrai qu’elle devait aussi veiller sur Chiffre et même sur Miroir. C’était compliqué tout ça.

« Ca veut dire que je ne devrais plus venir te voir ?

- Ou que vous pourriez demander l’autorisation à la Syhy Lytïl qui prend des risques en vous hébergeant et suivre ses recommandations.

- Peut-être » soupira Grésil peu convaincue. Elle aimait bien aller chez Marcus Substance. Peu après son arrivée sur les Maÿcentres, il l’avait invitée. Il avait parlé de toutes sortes de choses, de l’intuition et de l’imagination à la base d’un nouveau modèle et de l’émotion de chaque substance. Elle n’avait pas tout compris mais tous ses mots, tous ces concepts lui avaient paru magiques et elle était revenue seule quelques jours plus tard. Il lui avait passé un bloc de pierre et lui avait dit d’essayer. Il disait que ce n’était pas les doigts qui créaient mais l’esprit et qu’il fallait sculpter avec la tête

Elle avait fermé les yeux à la recherche de l’intuition.

« Ouvrez les yeux » avait dit Marcus en riant. « Il faut quand même regarder ce que vous faites. »

Elle s’était appliquée suivant les conseils de Marcus et un dragon avait commencé à pointer hors de la roche.

« Je ne savais pas que de tels animaux existaient sur Plume » lui avait-il dit.

« Ce n’est pas un animal pour de vrai, c’est Onirique. »

Marcus avait lissé son petit bouc en pointe. « Onirique ? Celui qui se fait appeler le Maître du domaine des rêves ?

- Oui, tu le connais ? » S’était-elle exclamée toute excitée de voir enfin quelqu’un qui corroborait ses croyances.

« Je l’ai connu, il y a longtemps.

- C’est mon ami.

- Ton ami. Le moins que l’on puisse dire c’est que vous n’avez pas des amis ordinaires »

Personne ne voulait écouter ses histoires avec Onirique. Pire même, certains disaient qu’il n’existait pas. Elle se mit à parler frénétiquement des jeux qu’elle faisait avec lui dans ses rêves et de la faculté qu’il lui avait donner de les diriger. « C’est vrai qu’il dirige tous les rêves ? » demanda-t-elle essoufflée d’avoir tant parler.

« Pas vraiment non » répondit Marcus sans avoir l’air d’avoir écouté la question.

Grésil n’avait pu en savoir plus car Dyasella était venue la chercher et elle avait accepté de la suivre car elle était déjà suffisamment ennuyée à cause des gardes qui étaient venus et lui avait pris ses vaisseaux pour la punir. Encore une preuve qu’elle n’était pas si importante si n’importe qui pouvait la punir comme une enfant.

Un autre jour, alors qu’elle en avait fait la réflexion à Marcus, il lui avait expliqué que parfois, il fallait imposer des limites même aux personnes les plus influentes. Peut-être même surtout à celles qui ont le plus de pouvoir.

Elle avait répondu que son Oncle Glace lui disait toujours que si les autres ne nous imposaient pas de limites, alors ils fallait s’en imposer soi-même afin de respecter l’intimité de chacun.

« Votre oncle est un sage et il vous a bien élevée » avait dit Marcus

C’était la première personne qui lui disait qu’elle était bien élevée. Elle avait été très fière. Cela dit, il ignorait qu’elle était encore partie sans rien dire à personne. Sa fierté s’était évaporée aussi vite qu’elle était venue mais elle n’avait pas oublié le compliment et revenait voir Marcus avec encore plus de plaisir.

« Grésil, avez-vous pu accéder à ma requête ? » demanda Marcus

Grésil essuya ses mains pleines d’argile sur son tablier « Au sujet d’Onirique ?

- Oui.

- Il n’est pas venu me voir. Mais je lui dirais qu’Enki serait heureux de lui parler comme tu m’as demandé. Enki, c’est toi ?

- Oui.

- Pourquoi tu as plein de noms ?

- Parce que j’aime changer.

- Et je dois t’appeler comment alors ?

- Vous pouvez m’appeler Maître Substance. »

Grésil réfléchit. Substance n’était pas un nom pour quelqu’un du peuple. Même un maître Artisan. Et cela même si ce nom n’était attaché à aucun territoire de Plume ni aucun domaine de Saphir.

- Je crois que je préfère maître Marcus.

- A votre convenance ».

Marcus s’attela encore à sa sculpture, effleurant un bloc de marbre, qui prit la forme d’une guirlande de fleur. Ceux du peuple ne savaient pas faire ça. Personne ne pouvait en faire autant.

« Mais toi, tu n’es pas Adarii ?

- Non.

- Ni Annunaki ?

- Non. Comment connais-tu les Annunaki ? »

Grésil se redressa fièrement. « Moi, je suis Annunaki ».

Marcus lissa son bouc. « Intéressant, très intéressant. Ainsi les Adarii ont récupéré le catalyseur d’Anngaal. Je m’en doutais.

- C’est quoi un catalyseur ?

- C’est un peu compliqué. C’est un peu comme un univers, sans être matériel. »

Grésil approuva. Elle ne comprenait rien mais elle était Annunaki, elle ne devait pas avoir l’air ignorante.

« Mais toi, tu viens vraiment des Maÿcentres ?

- Non.

- T’es quoi alors ?

- Je suis un Néfilim.

- Néfilim c’est ceux qui viennent de Vengeances ?

- Non, ce sont les survivants d’une civilisation disparue depuis longtemps car ses dirigeants étaient trop bêtes pour mettre leur égo de coté afin d’agir de façon constructive.

- Je vois » dit Grésil qui ne voyait rien du tout. « Mais est ce que les Néfilims sont forts ?

- Ca veut dire quoi fort pour toi ? »

C’était une question très bête ça. Sans doute Marcus avait-il eu un problème de vocabulaire. Grésil voulut lui expliquer mais les mots lui manquaient. Elle décida d’en profiter pour expliquer son problème. « Etre fort, c’est quelqu’un qui pourrait résoudre mon problème.

- Alors j’ignore si je suis fort mais peut-être que si vous me parliez de votre problème, je pourrais répondre à votre question plus aisément.

- D’accord. Voila, un jour, j’ai trouvé quelqu’un qui était tout seul. Une odeur qu’on n’a pas chez nous. Et il était gentil, enfin je crois. Mais, après avoir quitté Tiyana, je l’ai perdu. Je voulais l’aider mais c’est pas facile parce qu’il vivait sur Terre.

« Ho » dit Marcus. « Et comment s’appelle-t-il ?

- Je crois qu’il s’appelle Accalmie.

- Hum, hum » dit Marcus en se levant.

Grésil se mordit les lèvres, elle n’avait peut-être pas été très claire dans ses explications. Marcus revint quelques minutes après avec un bout de racine qu’il lui mit sous le nez.

« Oui » c’est ça dit-elle. « Qu’est-ce que c’est ?

- Du gingembre.

- Vous connaissez Accalmie ?

- Oui mais je crois qu’il est bien sur Terre et qu’il vaut mieux qu’il y reste encore un peu.

- Hoo » dit Grésil « mais je ne pense pas qu’il y soit encore »


Plume : Tagaïan : Cité de Tae

Ce n’était pas la première fois que Réalité franchissait les remparts de la cité mais, comme à chaque fois, elle se sentait mal à l’aise. Elle était étrangère ici, elle avait l’impression que ça se lisait sur son visage. Pourtant, personne ne faisait attention à elle. Encore moins ici que dans les environs d’où elle résidait attendant désespérément que quelqu’un s’intéresse à son sort. Elle avait commencé par se promener vers le marché mais elle avait vite renoncé. La foule était trop dense. Malgré la largeur des allées, elle se faisait bousculer. Elle aurait dû avoir l’habitude, chez elle, les étals attiraient la même foule. Sans doute l’habitude des Maÿcentres où tous garde leur distance. Ou, plus vraisemblablement, le problème était tout autre : chez elle, elle avait le plaisir d’acheter. Ici, elle ne possédait rien à échanger. Elle avait bien pensé à vendre les vêtements qu’on lui avait fourni mais elle n’avait pas encore osé. Elle craignait les représailles. Mais elle ne tarderait pas à le faire. Cette situation stagnante l’exaspérait. On ne pouvait pas la poser là, sans rien lui dire et la laisser moisir dans le doute quant à son destin. C’était inhumain. Elle préférerait encore une confrontation directe. Elle tourna son regard vers la grande villa qui dépassait au loin toutes les échoppes marchandes. Ceux qui possèdent toutes les explications sont juste là pensa-t-elle. Il suffirait que je marche tout droit, sans m’arrêter. Elle s’imagina ébauchant le premier pas, puis marchant résolument jusqu’à la villa. Entrer et exiger d’être reçue par le maître des lieux. Pas aujourd’hui, demain peut-être songea-t-elle en faisant demi tour vers la plage.

« Réal »

Réalité sursauta légèrement entendant la voix fluttée de sa voisine. Cette femme habitait un peu plus bas sur la même colline qu’elle. Dès le lendemain du jour où elle était arrivée, cette fouineuse avait débarqué. Elle avait appris par Aiguille qu’elle venait de Cashir et, poussé par une insatiable curiosité, elle s’était précipitée aux nouvelles. Elle n’avait cependant pas appris grand-chose. D’abord, Réalité n’était pas d’humeur à parler mais surtout, Marron était si bavarde qu’elle monopolisait la conversation. Aujourd’hui, la petite bonne femme était accompagnée d’une autre plus jeune et élancée de meilleure allure et elle l’interpella pour faire les présentations. « C’est celle dont je t’ai parlé » commença-t-elle. « La fille de Cashir qui loge dans le pied à terre d’Eclaircie.

- Eclaircie ? » Reprit Réalité intriguée.

Marron sembla enfin prendre en compte sa voisine, heureuse d’attirer enfin son attention. C’est vrai que, à chaque fois qu’elle était passée la voir, elle s’était contentée de la laisser parler sans prêter attention à ses paroles.

« Bien sur, l’Adarii Eclaircie, avait gardé ce pavillon. Il y venait de temps en temps. Mais ca fait un bon de temps qu’on ne l’a plus vu dans le coin.

- J’ignorais que cette maison lui appartenait.

Marron lorgna Réalité comme si c’était une demeurée. L’Adarii Eclaircie est de Taegaïan, c’est le frère de Maître Glace, je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas disposer des pavillons qu’il désire.».

Réalité ne voyait pas en quoi son statut lui donnait le droit de s’approprier quoi que ce soit mais elle ne fit aucun commentaire. Elle savait que les Adarii étaient considéré comme les gérants des terres de leur territoire ainsi que de tous ce qui pourrait en faire partie. Elle trouvait ce système totalement injuste mais elle s’était déjà fait suffisamment insultée par les exilés de Plume chez Cannelle pour savoir que ce n’était pas le genre de sujet sur lequel lancer le débat. Heureusement Marron était repartie sur un autre sujet en présentant celle qui l’accompagnait comme la fille d’un maître artisan dont elle ne chercha pas à retenir le nom. Marron la présenta sur le même pied mais se cantonnant au surnom de Réal. Réalité ne fit pas de remarque. Elle avait compris qu’utiliser ce diminutif la présentait comme une étrangère au prénom exotique mais se présenter sous celui de Réalité, c’était se confronter à l’indignité de ses abrutis qui estimaient que les Adarri avaient aussi le droit se garder certains prénoms pour eux. Qu’ils aillent se faire voir, tous autant qu’ils sont pensa-t-elle tout en présentant un visage souriant, soutenant une conversation banale pendant quelques minutes avant de voir avec soulagement les deux femmes s’éloigner. Enfin la paix. Enfin, si on peut dire. Il lui restait à retraverser la place du margée bondée pour sortir de la cité. Elle pensa faire un large détour en longeant la plage, quand elle la vit. Au début, ce n’est pas elle qu’elle avait vu. C’était un mouvement de foule légèrement différent qui avait attiré son attention. Quelques personnes s’étaient reculées, lui marchant presque sur les pieds tout en continuant leur route. Elle se hissa sur la pointe des pieds, tentant de voir au dessus de la foule et finit par se faufiler et la reconnut directement. Elle avançait négligemment, l’air perdue dans ses pensées, d’un pas plutôt rapide dans l’espace laissé libre par la foule qui se déplaçait pour lui laisser le passage. Quand elle l’avait vu, des années plus tôt, elle avait les cheveux courts. Ils lui descendaient sous la taille maintenant, retenus juste par un fin ruban d’argent. Un long sari de soie rouge foncée rehaussé d’un bord brillant d’argent au motif de feuilles entrelacées. Une guirlande de fleurs d’argent montant le long d’une de ses jambes que le tissus dévoilait par une large fente quand elle avançait Elle n’avait pas besoin d’étalage de tant de richesses pour faire impression, sa seule présence dégageait une aura de pouvoir qui la faisait frémir. « Pluie » murmura Réalité. Sa première impulsion fut de fuir le plus vite possible avant qu’elle la remarque mais elle se força à ne pas agir de la sorte. Depuis qu’elle était arrivée ici, elle ne faisait que cela. Se cacher, observer la villa de loin et fuir. Maintenant, c’était suffisant, on allait l’écouter. L’Adarii Pluie était déjà venue chez son père. Elle avait été accueillie sous son toit et son père l’avait aidée. Pluie serait obligée de l’écouter. Réalité avança résolument à la suite de la magicienne qui avait ralenti le pas pour parler à une autre femme. Réalité se planta devant elle, attendant qu’elle finisse sa conversation. Pluie finit par remarquer que le passage était barré et ses yeux croisèrent ceux de Réalité qui ne put empêcher un réflexe de recul mais se força à ne pas en faire plus. Son visage n’avait pas traduit la moindre expression en la voyant. Peut-être ne l’avait-elle tout simplement pas reconnu. Réalité ne bougea pas quand elle s’approcha. Pluie n’avait qu’à faire un détour si sa présence la gênait mais son cœur manqua d’exploser quand elle s’arrêta devant elle.

« Que veux-tu ? » lança soudain la magicienne.

Réalité se sentit soudain complètement décontenancée. Elle ne savait plus quoi dire. « Je suis…

- Je sais qui tu es. Réponds à ma question.

- Je veux rentrer chez moi.

- C’est non » se contenta dire l’Adarii Pluie. Elle avança encore d’un pas et Réalité fit un écart pour la laisser passer. Elle ne voulait pas, elle était bien décidée à rester immobile mais ses muscles ne lui obéissaient plus, comme si quelqu’un avait pris le contrôle de son corps. Sans doute était-ce le cas. Elle refusa de se laisser aller pour autant. Cette réponse cinglante l’avait rendu furieuse. Elle se retourna pour suivre la jeune femme qui s’éloignait déjà.

« Pourquoi ? » hurla-t-elle

.

Maÿcentres : Colline du conseil


Dya quitta la plate-forme d’atterrissage. Après un mois sur Terre, retrouver le calme de la civilisation était extraordinaire. L’odeur des fleurs ne lui avait jamais paru si enivrante et elle arrêtait son regard sur chaque détail du chemin vers le complexe du conseil, serrant contre elle une multitude de rouleau de papier. De quoi réjouir le président se dit-elle. Elle avait fait quasiment toutes les recherches elle-même avec quelques collaborateurs triés sur le volet. Depuis plusieurs années déjà, elle supervisait les actions sur Terre. Ses hommes étaient les meilleurs, sans aucun doute. En quelques années, ils avaient réussi à pirater les systèmes de sécurité Terriens et s’était rendu maître de toutes les informations possibles issues des administrations publiques. Ils espionnaient, transvasaient quelques fonds par ci par là afin de favoriser certaines entreprise ou d’en démolir d’autres selon son bon vouloir et tout cela dans la plus totale discrétion. Du bon boulot. Les terriens pouvaient toujours se vanter de leur technologie informatique, eux aussi étaient passés par ce stade mais depuis les guerres de Conquêtes, ils avaient été échaudés et seuls les contrebandiers et les plates-formes les utilisaient encore. Dya avait beaucoup travaillé pour ses recherches au sujet de Mike Gentry et Hélène Giolani. Elle en avait oublié de dormir mais elle ne voulait confier ces travaux à personne. Le président souhaitait la discrétion, et elle, ce qu’elle souhaitait, c’était entendre l’homme le plus puissant de l’univers lui dire. « Dya, je suis fier de toi. » Elle le méritait. Elle, partie de rien, issue de simples ouvriers des villes souterraines, petit à petit, à force de travail et d’acharnement, elle avait gravi les échelons pour atteindre le sommet de la hiérarchie. Assistante personnelle du président. Certaines langues acérées disaient qu’elle devait cela uniquement à ses capacités mnésiques hors du commun. Mesquine jalousie. Ils disaient cela car l’ancien président Eysky aimait s’entourer de personnes assez spéciales. Son garde du corps Luico était issu de ce peuple barbare du deuxième satellite et puis, il utilisait aussi les capacités de ses sorciers Adarii de Plume. Ce qu’elle avait pu souffrir avec ces monstres. C’était eux qui utilisaient le président et il était trop bête pour l’admettre. Mais tout cela était du passé. Il était mort. Le nouveau président Synshy était un homme fort. Il avait rapidement congédié cette racaille pour ne garder que des personnes dignes d’intérêts, comme elle. Oui, elle avait le droit d’être fière, si la confédération du cercle était si puissante, c’était un peu grâce à elle. Elle redressa le buste en traversant une salle de travail tandis que les travailleurs se levaient pour la saluer. Oui, ils la reconnaissaient. Ils savaient qu’elle était l’assistante du président. Que c’était une personnalité digne d’être respectée et elle aimait cette reconnaissance, elle l’avait méritée.

Elle traversa son bureau, une salle majestueuse couverte de plantes, au sommet du complexe du conseil. La grande verrière avait été remplacée par un champ de force isolant. Moins efficace que le verre, la déperdition de chaleur était importante et l’hiver était froid mais le président n’avait pas jugé utile d’investir des fonds dans une nouvelle verrière. Il allait à l’essentiel. Il avait raison et elle pouvait se couvrir d’avantage. Elle vérifia le dernier message, fronça les sourcils et continua pour aller directement frapper au bureau du président.

« Maÿ Président Synshy, c’est Dya.

- Entre » lui répondit une voix à l’intérieur.

C’était ainsi. Elle se présentait à la porte de l’homme le plus puissant de l’univers, sans même un rendez-vous et il lui disait d’entrer. Voila à quoi pouvait conduire une vie de travail acharnée, c’était la plus belle des récompenses.

« Maÿ président, je reviens de la Terre. J’ai les informations que vous désiriez concernant les Gentry et les Giolani.

- Et alors ?

- Des hasards troublants.

- Viens en au fait Dya. »

Elle étala quelques rouleaux sur le bureau du président, ôta son bracelet et le brancha dans le meuble pour le recharger. Planète primitive que la Terre où même un bracelet contact ne résistait pas plus d’une semaine au milieu de leurs ondes perturbatrices.

« D’abord, au sujet des Gentry : j’ai commencé par chercher du côté paternel. Elle déplia l’écran retraçant un arbre généalogique. « Donc, nous avons Mike, son père Jack Gentry, J’ai tout son dossier vu qu’il était employé à Archuleta. Carrière militaire presque sans tache, petit dérapage sans importance.

- Dya, ce qui n’a pas d’importance ne m’intéresse pas. Sors moi cette paperasse et dis-moi uniquement ce que tu as pu trouver d’intéressant.

- Bien président. » Elle replia le rouleau et en déplia un autre. « Du coté de sa mère, si je remonte sa généalogie, nous avons sa mère Marie Marlin qui avait aussi une autre fille. L’une et l’autre sont décédées dans un accident de la circulation. Si je remonte à la génération suivante, nous avons trois sœurs, la première tuée par un fou qui se disait la main de Dieu, la deuxième tuée dans un accident de la circulation, la troisième Libéria Malta, la grand-mère de Mike se serait suicidée en passant à travers une fenêtre peu après la naissance de sa fille. Sa fille Marie a d’ailleurs été élevée à l’assistance publique. J’ai eu un mal fond à retrouver la trace de cette généalogie car le nom de Liberia Malta n’apparaissait pas, la petite Marie a été placée comme si elle avait été abandonnée sous X mais j’ai réussi a retrouve la trace de Libéria Malta en…

- Je me fiche de la façon dont tu t’y es prise.

- Bien président. Donc au sujet de cette Liberia, elle a été aussi élevée à l’assistance publique mais je n’ai pas retrouvés ses parents. »

Dya attendit les réactions du président. Toutes ses morts violentes, même pour la Terre, c’était étonnant. Le président ne réagit pas semblant s’ennuyer de son histoire. Elle prit soin de rouler la généalogie de Mike avant de sortir celle d’Hélène.

« Maintenant, je vais vous parler de la famille maternelle de Hélène. Hélène Giolani, sa mère Liliane Nirk, décédée dans l’incendie de sa maison avec ses trois enfants, dont Hélène. »

Le président sembla enfin réagir. « Tu veux dire que cette Hélène n’existe pas, ou du moins qu’elle serait décédée. Une invention d’Accalmie ?

- Pas du tout, elle existe bien et elle est bien mariée à Mike suivant les coutumes locales. Le bébé a été sauvé in extremis et placé à l’assistance publique sous un faux nom. Mais il s’agit bien du même enfant. Je le sais car…

- Je m’en fous, continue.

- Oui, donc, sa mère et ses deux frères morts brûlés. Son grand père Marco Malta. Notez au passage le même nom que la grand-mère de Mike, et élevé dans la même assistance publique. Comme par hasard, mort peu après la naissance de sa fille de mort violente.

- Ca fait beaucoup de morts, même pour la Terre ».

Enfin il le reconnaissait. Dya se demandait s’il finirait par faire une réflexion à ce sujet.

- Penses-tu que les deux Malta soient frère et sœurs ?

- C’est possible, comme leurs parents n’ont pas été retrouvés, nous ne pouvons pas nous en assurer.

- Quel rapport avec Accalmie ?

- Pour l’instant aucun. Je remarque juste qu’ils ont tous les deux des généalogies inhabituelles qui se recoupent.

- Tu n’as rien trouvé de plus intéressant ? »

Dya sentit sa blessure d’amour propre la tirailler. ces recherches : c’était un mois de travail acharné. L’ancien président avait ses défauts mais au moins il connaissait la valeur de son travail.

Elle sortit son dernier rouleau : « Si je récapitule : Hélène a été élevée à l’assistance publique mais toute son éducation fut prise en charge par un millionnaire excentrique de même que sa grand-mère. Même chose pour la mère de Mike et pour son grand-père.

- Tu veux dire que tous les enfants ont été pris en charge financièrement ?

- Oui

- C’est quelque chose de fréquent sur Terre ?

- C’est plutôt rare.

- Et la même personne pour chacun ?

Dya sourit, elle était sûre qu’elle allait enfin l’étonner.

« Il s’agit de recherches très poussées, ce généreux donateur ne souhaitait pas être connu mais nos systèmes de renseignements…

- Abrège, qui ? Les grands parents des deux cotés avaient le même donateur, du nom D’Enki Substance. Pour la mère de Mike ainsi qu’Hélène, il s’agirait d’un certain Marcus Substance. Impossible de savoir s’il s’agit de la même famille, mais le hasard est trop beau.

- Marcus Substance, comme l’artiste farfelu qui a récupéré la maison d’Eysky ? Non, ça ne peut pas être le même, il n’aurait pas mis les pieds sur Terre. »

Dya n’en était pas si sure. Au fond, personne ne savait d’où il venait et il avait les moyens financiers de s’y rendre même si, à sa connaissance, il ne possédait aucun vaisseau. Elle devrait se renseigner sur ce point.

« Répond Dya, y a-t-il un rapport ?

- Formellement, je n’ai pas de preuve mais des détails troublants. Le nom similaire déjà mais aussi le fait que ce bienfaiteur soit un artiste, sculpteur. Il vit à l’écart du monde dans une villa luxueuse très difficile à atteindre. Personne n’aurait plus de nouvelle de lui depuis plus de cinq ans.

- Et cela fait cinq ans qu’il est arrivé ici. Comme par hasard.

- Exact. Aucune identité sur Terre. Apparemment, il s’agirait d’un pseudonyme et nul ne connaîtrait son vrai nom. A moins qu’il n’existe pas. Ce qu’il serait logique s’il n’était pas d’origine Terrienne.

- Comment Marcus Substance aurait pu s’implanter sur Terre et pourquoi ?

- Je l’ignore.

- Tu n’as pas une photo de lui ? Les Terriens adorent les photos.

- Non, aucune. Ce qui est aussi étrange. Cela dit, le Marcus d’ici, je serais bien en peine de vous dire à quoi il ressemble.

- Hé bien qu’attends-tu pour aller chez lui l’interroger ?

- En fait, dès que j’ai atterri, j’ai de suite envoyé quelqu’un pour prendre un rendez-vous. Comme vous avez cet excentrique a supprimé les dispositifs de communication de sa maison. De même que le Marcus Substance de la Terre. Mon émissaire m’a appelé juste avant que j’arrive à votre bureau, il a trouvé porte close, d’après le jardinier, il serait parti depuis une semaine sans laisser d’adresse.

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