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"Pendant que l’âme demande une chose, le plaisir en exige une autre ; ainsi l’âme, devenue captive du plaisir, devient en même temps ennemie de la raison"
Jacques-Bénigne Bossuet
Maÿcentres : Colline du conseil
« On se prélasse sur le trône de la confédération. »
Rafale sourit. Il avait récupéré la situation. Il se sentait bien en place et enfin, s’autorisait à se détendre. Il ne laisserait pas Pluie lui gâcher son plaisir en le narguant ainsi. Elle avait su le convaincre de l’emmener à coup de ses lamentations de mère mais ce n’était pas une raison pour supporter ses insubordinations. Ca aurait pu mal finir. Ils avaient réussi à approcher la villa sans se faire remarquer. Arrivé en place, il avait provoqué une panique suffisante pour mettre tout le monde dehors, mais il restait modeste. L’effet de surprise y était pour beaucoup et les représailles seraient sans doute d’un autre acabit. C’est là que Pluie était partie, se contentant de grogner qu’on ne pouvait faire confiance en Jade et Tempête et qu’ils s’étaient mis dans une situation impossible alors qu’ils devaient juste retrouver Grésil. Et voila, elle qui devait le seconder, elle qui détenait le plus grand pouvoir après lui et la seule capable de communiquer aisément avec Tempête et Ambre avait filé. S’il y avait eu le moindre problème, ils auraient pu perdre la villa par son inconscience. Il n’y avait pas eu de problèmes. Il s’était rendu maître des lieux presque trop facilement et avait réussi à contacter Tempête. Après coup, il regrettait que le président ait été absent, il aurait aimé le voir ramper devant lui. Il espérait sentir ses sentiments quand il reviendrait et découvrirait que les maîtres des lieux avaient récupéré leurs biens. Enfin surtout lui. Pluie n’avait rien fait. Même à son retour, elle avait trouvé Grésil qui était venu tranquillement le rejoindre à la villa et, au milieu des effusions, n’avait porté aucune attention aux efforts qu’il devait fournir pour détruire les systèmes de sécurité. Un trône pour Synshy, c’était de la mégalomanie pure et dure pourtant, il éprouvait un certain sentiment assez plaisant à se retrouver ainsi à la place du président. « Attrait du pouvoir » lui susurra Mutine dans un coin de son esprit.
« Peut-être » avoua-t-il.
Il se tourna vers Pluie. « Je ne veux plus jamais te voir désobéir à mes ordres.
- La vie de ma fille était en jeu.
- Ta fille est ma sœur et je m’en préoccupe autant que toi pour autant, ce n’était pas à toi d’intervenir. Si tu avais eu la moindre once de réflexion, tu aurais perçu qu’elle n’était plus là-bas. Elle souriait à croire qu’elle se moquait éperdument de ses dires. Elle fusait de contentement, alors qu’elle aurait dû se sentir coupable. Un jour il la mâterait celle-là. Elle profitait beaucoup trop de sa position.
« Je comprends que tu sois heureuse de retrouver Grésil. Je le suis autant que toi mais… »
Pluie ne le laissa pas finir « Il y a plus Annunaki.
- Pardon ? »
Elle s’éclipsa un instant et revint presque directement traînant à ses cotés un homme ligoté et dans un triste état. Rafale ne le reconnaissait pas mais Pluie paraissait très fière d’elle. Il attendit qu’elle se décide à s’expliquer. « La cerise sur le gâteau » dit-elle désignant l’homme à ses cotés. « Nous l’avons trouvé dans les sous-sols. Annunaki Rafale, vous ne semblez pas reconnaître Maître Cyril de la guilde des souvenirs de Cashir. C’est vrai qu’il est un peu abîmé.
Terre : Arabie Saoudite
Cinq heures. Le jour se levait. Thibault se laissa tomber sur un gros rocher plat. Il était en train de se faire avoir. Il n’aurait pas dû être là. Pourquoi n’était-il pas dans un bon lit à se prélasser en rêvant de la façon dont il pourrait accumuler une fortune discrètement hors de vue de la confédération ? Peut-être serait-il tant pour lui de revoir ses ambitions à la baisse. De se trouver une femme. Du genre normal et de faire des gamins normaux eux aussi. C’est qu’il commençait presque à penser comme Mike. Quoique Mike et Hélène, la normalité, à part en parole… Il faudrait qu’il lui parle de cette histoire de cousinage. Il avait rompu tout contact avec lui depuis qu’il était avec Ninhoursha. Déjà il ne voulait pas qu’il se mêle de ses affaires, il n’avait pas besoin d’entendre quelqu’un lui faire remarquer dans quel pétrin il s’était fourré. En plus, il ignorait si elle pouvait surprendre ses conversations mentales. Déjà elle ne semblait pas percevoir ses pensées, c’était rassurant.
Une voix irritée s’éleva derrière lui. La pause était finie. « Tu comptes fainéanter encore longtemps ? Active-toi, je veux ce vaisseau. »
Quand elle lui avait parlé de jouer avec lui, il n’avait pas pensé qu’il se retrouverait au milieu du désert à la recherche d’un hypothétique vaisseau. Il avait espéré quelque chose de plus romantique. Enfin, romantique, pas nécessairement. Charnel plutôt.
« Le jour va bientôt se lever, nous y verrons plus clair mais, c’est un vrai labyrinthe rocheux sur des kilomètres. Si vous aviez une idée plus précise de la zone où il a atterri ».
Mauvais plan, elle allait encore s’énerver.
« Je t’ai déjà délimité la zone. Pourquoi n’est-il pas possible de s’entourer de personnels compétent ». Elle continua à maugréer dans une langue inconnue, tout en s’éloignant.
Thibault prit sa gourde, avala quelques gorgées et se remit à chercher sans y croire. Il faudrait aussi qu’il sache ce qui est advenu d’Hélène et Emma. Hélène s’était enfuie. Il espérait qu’elle ait pu se cacher quelque part. Quant à Emma, il l’avait laissée avec la police et son mari à l’article de la mort. Si la confédération voulait la retrouver, ils devraient commencer à ratisser les hôpitaux psychiatriques. Même pas, elle se débrouillerait pour se sortir de là, comme toujours, pour ensuite la rejouer genre honnête. En parlant de folle, Il n’était pas certain que Ninhoursha ait réellement aperçu un vaisseau atterrir. Il y avait des moments où elle ne paraissait plus avoir toute sa tête, elle aussi. L’age sans doute. Et même si elle avait raison, quel intérêt ?
Thibault abandonna ses réflexions. Le jour était levé. Un point lumineux attira son attention. Reflet du soleil. Mais sur quoi ?
Sa compagne se rapprochait, prête à l’invectiver encore. « Je crois que j’ai trouvé » marmonna-t-il.
Maÿcentres : Colline du conseil
Rafale hésitait. Cyril avait besoin de soin. Les traitements des pacifiques Maÿcentres ne lui réussissaient pas. En fait, il semblait juste épuisé. Rafale aussi était fatigué mais il n’avait aucune envie de remettre cet entretien. C’était déjà un miracle qu’il ait réussi à se débarrasser de Pluie. Un miracle nommé Grésil. Son adorable petite sœur était venue réclamer sa mère juste au bon moment et elle avait donc accepté de le laisser en tête à tête avec Cyril. Il ignorait ce qu’il savait mais sans doute cela ne regarderait que lui. Déjà il n’aurait pas dû avouer à Pluie ce qu’il savait d’Accalmie, elle avait été dans une rage folle. Cyril daigna lever la tête. Oui, il était dans un sale état mais moralement. Physiquement, il paraissait entier. Faible, amaigri mais entier. Synshy l’avait maltraité, et lui l’avait sauvé. Tant qu’il avait le bon rôle, il devait en profiter avant que Pluie ne le massacre. Il descendit de son fauteuil et se rapprocha pour lui proposer de s’installer dans un petit salon. Cyril ne dit rien mais recula, comme s’il craignait d’être frappé. Jade apporta quelques boissons chaudes et à manger. Au moins, les cuisines étaient remplies. Rafale chassa Jade mais garda sa collation et proposa le plateau à Cyril qui resta prostré. Pas étonnant qu’il n’ait pas reconnu le maître de la guilde du souvenir de Cashir. Il se souvenait d’un homme fier et arrogant, pas d’une loque. Il prit un bol et l’approcha de lui mais il se crispa d’avantage. Rafale se repoussa dans son fauteuil et tenta de cerner la situation. Il commençait à comprendre. « Tu penses que je vais te sonder pour apprendre tout ce que tu as appris et ensuite te faire perdre la mémoire ou faire pourrir ton cadavre dans les villes souterraines ?
Cyril se força à lever la tête. « Et j’aurais tort ? »
C’était bien cela. Pas étonnant après que ceux de Cashir soient en si mauvais terme avec le reste de la planète. Rafale se servit à boire avant de répondre « Oui, tu aurais tort.»
Un parfum de suspicion. C’était déjà un petit progrès. « Parce que vous comptez faire quoi ? »
Rafale passa la main dans ses cheveux « Négocier »
Cyril ébaucha un rictus. Il n’y croyait pas. C’est sur que ce ne serait pas Pluie ou Blizzard qui proposeraient pareil arrangement mais, petit à petit, ses idées sur la situation évoluaient. Peut être qu’au fond, développer une certaines bases de partenariat avec Cashir pourraient être positifs.
« Ce que tu as fait, c’est mal. Certains veulent ta peau parce que tu as essayé de nous doubler. Non seulement tu as gardé des ouvrages qui ne te regardaient pas mais en plus tu es parti sur Terre pour en récupérer d’autres. Pourquoi ?
- A votre avis ? » Ca y est il retrouvait petit à petit le Cyril qu’il connaissait. Méfiant et arrogant.
« Idée absurde de trouver des documents qui pourraient t’aider à libérer Cashir ? »
- La Terre était la plus grande puissance connue il y a de cela quinze mille ans. Bien plus que la confédération du cercle aujourd’hui. »
Oui, il en savait beaucoup. Prétentieux qu’ils étaient tous à se représenter Cashir comme un peuple ignorant et primitif. « Et qu’as-tu découvert ? »
Il se rétracta. C’était logique. « Ne réponds pas, je vais te le dire. Tu as découvert l’existence des pierres Annunaki que tu ne pourras jamais maîtriser et qui, par conséquent, ne te serviront à rien. Autre chose ? »
Il ne répondait pas. C’était prévisible « Peut-être auras-tu aussi découvert que ces pierres avaient été façonnées par un peuple plus puissant que le nôtre ou du moins différent. Que ce peuple nommé Néfilim avait vécu sur Terre mais n’en était sans doute pas originaire et qu’ils se faisaient passer pour des Dieux dans une région de la Terre qu’on appelle aujourd’hui Mésopotamie »
Oui, c’est aussi les conclusions qu’il en avait tiré. Cyril n’avait rien besoin de dire, ses émotions parlaient pour lui. « Peut-être même as-tu appris que ces pseudo Dieux se retrouvent dans la religion de Vengeance sous des noms d’An, Enki, Enlil, et Ninoursha mais qu’ils utilisent les pictogrammes de Saphir représentant l’Origine, la Substance, la Vérité et le Plaisir »
Là, il avait dépassé les connaissances que Cyril avait pu emmagasiner. Ce n’était pas grave. Au contraire, ça le mettrait en confiance. Il continua « mais depuis près de neuf mille ans ce peuple a disparu alors, soit leur puissance s’est détériorée comme celle de nous tous, soit ils sont tous morts. Dans un cas comme dans l’autre, les seuls pouvant vous venir en aide, c’est nous.
- J’ai surtout appris que les Néfilms étaient sans doutes pires que vous et se complaisaient à la destruction d’une civilisation comme on abat un château de carte, pour le seul plaisir de passer le temps et d’en recommencer un autre. »
Rafale ne répondit pas. Cette information ne le rassurait pas mais il n’en demanderait pas plus pour l’instant. Il ne voulait pas montrer qu’il n’en savait pas plus. Qu’il se contentait de suppositions à partir du journal de Réalité et de ce qu’avait pu lui apprendre le vieux Brouillard.
« Ecoute Cyril. Nous sommes venus jusqu’ici pour une affaire personnelle. A partir de là, soit nous repartons, soit nous en profitons pour faire un peu de ménage au profit de Cashir. C’est toi qui voies »
Il fit de nouveau ce petit sourire sarcastique si désagréable. « Je suppose que le paiement est l’allégeance aux Adarii ? »
Rafale fit non de la tête. « C’est ce que voudrait sans doute la plupart des Maîtres de Plume, mais c’est moi qui décide. « Je veux les documents que tu as trouvés sur Terre. Tous les documents. Je veux aussi les plans de vos bateaux, un tribut sous forme de marchandises que nous déterminerons afin de payer la protection que nous vous offrons.
- Et je suppose l’oubli de ce que j’ai appris ? »
Rafale réfléchit. Il n’aimait pas ça. Il voulait partir sur de bonnes bases avec Cashir. Réalité lui avait fait entrevoir des possibilités inespérées qu’il serait dommage de gâcher et il ne voyait pas quel danger représentaient ses connaissances. Bien sur, il faudrait d’abord qu’il étudie consciencieusement leur contenu mais après tout, si Cyril voulait garder la mémoire, ça ne lui posait pas de problème au contraire, il pourrait ensuite craindre de le perdre et ça pourrait servir de moyen de pression. Maître Blizzard serait furieux. Glace aussi et même Matinée mais au fond, cette histoire était entre Cyril et lui, les autres n’avaient pas besoin de le savoir.
« Tu peux garder ton savoir mais pour traiter avec toi, je demande deux choses.
- Je vous écoute ?
La première c’est un représentant de Cashir sur nos Terres afin de servir de liaison entre nos deux peuples
- C’est sans doute faisable. » Déjà accepter ça, voulait dire qu’il acceptait aussi ce qu’il avait demandé précédemment.
- Que se soit clair, nous ne voulons pas n’importe qui. Je veux que ta fille Réalité prenne ce poste, à condition qu’elle soit d’accord, bien entendu. »
Cyril fronça les sourcils « sorte d’otage afin que je me tienne tranquille ? »
Il n’était vraiment pas idiot « en quelque sorte »
Et si elle n’est pas d’accord ? »
- alors je choisirai quelqu’un d’autre de condition similaire. »
Cyril sourit. « D’accord, à condition que vous la retrouviez.
- C’est déjà fait »
Un torrent d’émotion envahit Rafale. Jusque là, il n’avait pas perçu, dans le flot de crainte de Cyril, à quel point le sort de sa fille l’inquiétait. Il n’arrivait même plus à parler. Rafale en profita « nous avons récupéré ta fille. Elle était sérieusement blessée. Nous l’avons soignée et installée dans une petite maison dans les collines de Taegaïan où elle t’attend »
C’est parfait, maintenant, il était en mesure d’obtenir de lui tout et n’importe quoi.
« Où sont les documents ? » Cyril secoua la tête. Je ne les ai pas. Ce n’est pas moi qui les ai trouvé mais un certain Thibaut. Thibaut Malta sur Terre. C’est lui qui me les a traduit.
« D’accord, nous le retrouverons. J’ai déjà envoyé quelqu’un là-bas. Il reste une dernière chose cependant. »
Cyril avait dû comprendre qu’il ne s’en sortirait pas si facilement. Ses inquiétudes étaient revenues. « Nous aiderons le peuple de Cashir, même s’il ne nous est pas fidèle mais je veux que vous le soyez.
- Vous voulez que je prête votre serment !
- En quelque sorte
- Vous voulez sonder mes pensées !
- Non, je veux juste la parole du maître de la guilde des souvenirs.
- Et le peuple de Cashir sera libre ?
- Et le peuple de Cashir sera libre.
Cyril tendit la main à Rafale d’un geste assurée. Il lui faisait confiance à son tour Ce dernier ne put s’empêcher de sourire. Il avait retrouvé Grésil, récupéré la villa, Mutine était arrivée sur Terre sans encombre et n’aurait aucun mal à retrouver ce simple petit indigène du nom de Malta, et bientôt, il aurait Cashir. Son plan se déroulait encore mieux que prévu
Terre : Arabie Saoudite
- Pas étonnant qu’on ait eu tant de mal à la repérer. Elle est minuscule.
- C’est un jet monoplace de Vengeance. Rapide, discret mais très rare. »
Thibault se retourna vers sa compagne. Sans qu’il puisse dire pourquoi, il avait du mal à imaginer qu’elle ait la moindre connaissance des autres mondes. Pourtant elle avait du pas mal traîné sa carcasse.
« Qu’est ce que tu attends ? Ouvre-moi ça. »
C’est cela oui. Va devant Thibault, si tu survis, je te suis. Et ça se fait passer pour une déesse. Il ouvrit sans mal le sas et inspecta rapidement la petite cabine. « Il n’y a personne. »
Ninhoursha commença à faire les cent pas en s’éloignant, marmonnant toujours dans sa langue natale. « Pas pu aller bien loin » conclut-elle dans la langue des Maÿcentres avec l’accent de Vengeance.
Thibault acquiesça pour lui faire plaisir ou plutôt pour ne pas la contrarier davantage. Il n’en avait rien à foutre et il avait déjà passé bien trop de temps dans ce désert. Il s’étira et s’assit la laissant chercher d’hypothétiques traces de présence humaine. Il regardait son ombre sur le sol se rétrécir au fur et à mesure que la journée avançait. Pénible. Quelque chose bougeait. Regain d’attention. Pas normal cette ombre. Ce n’était pas la sienne. Il ne put y réfléchir plus longtemps, seul ses réflexes le poussèrent sur le coté pour éviter le rocher qui s’écrasait à la place à laquelle il se trouvait.
« Qu’est-ce qu’il se passe encore ? »
Il se retourna. Une toute jeune fille se trouvait devant lui. Très mignonne au demeurant. Il sentit sa tête tourner tandis qu’il la regardait. Il perdait conscience. Il se reprit, papillonnant des yeux pour chasser cette fatigue artificielle qui s’ajoutait à celle, bien réelle de sa nuit blanche et secoua la tête pour se remettre les idées en place. La gamine était toujours là. Elle ne s’attendait pas à la moindre résistance. Adarii pensa Thibault en souriant. C’est pour ça que cette vieille peau de Ninhoursha tenait tant à retrouver ce vaisseau. Rien à voir avec une opération illicite de la confédération. La jeune fille avait renoncé à ses vaines tentatives de manipulation, préférant prendre la fuite. Thibault la rattrapa aisément. Il avait l’habitude de crapahuter dans ses rochers. Il la ceintura par derrière, ne lui laissant que la possibilité de se tortiller inutilement. Elle n’était pas stupide, elle comprit vite que ses tentatives étaient vaines et changea de tactique, suppliant dans quatre ou cinq langues différentes parmi lesquelles Thibault reconnut l’anglais, l’arabe, le dialecte principal de Vengeance puis pour finir la langue de Saphir et Plume.
« Choisis celle que tu veux ma belle, je les connais toutes mais personne ne viendra te sauver. »
Elle continuait à le supplier. Elle était au bord des larmes. Thibault n’était pas du genre à se laisser émouvoir mais il desserra son étreinte. La sale gosse en profita pour lui assener un coup de coude dans le ventre qui lui coupa la respiration.
Un cri retentit. Ninoursha avait attrapé la fugitive par les cheveux.
« Tiens-moi ça et ne la lâche pas » dit-elle désignant la gamine qui se débattait toujours. Thibault lui attrapa les bras tandis que Ninhoursha lui arrachait son foulard pour en faire un bâillon. Et lui attacher les mains.
La colère de la déesse Néfilim s’était muée en une fraction de seconde en immense satisfaction. Elle avait entamé un monologue avec sa captive.
« Alors voila que le peuple Adarii s’intéresse de nouveau à cette vieille boule de Terre. Je me demande bien ce qui vous amène dans ce coin perdu ? A votre place j’aurai choisi un endroit plus confortable pour faire du tourisme. Certaines îles sont très agréables. A moins que vous préfériez la ville ? Mais non, il a fallu que vous veniez ici, comme par hasard. Allez, dites-moi ce que le peuple Adarii recherche ? Répond » hurla-t-elle dans la langue de Plume.
Thibault intervint avant que Ninhoursha ne reparte dans une nouvelle crise. Elle avait tendance à ressembler à Emma quand elle gueulait comme ça. « Vous l’avez bâillonnée, elle ne peut pas parler. »
La Néfilim daigna admettre. Elle fit le tour de sa captive à genoux sur les rochers, la souleva d’une main par les cheveux et de l’autre lui arracha sa tunique.
Thibault se détourna par réflexe. Elle était mignonne cette fille, quoique un peu flasque. Sa beauté était peut-être fade à coté de la splendide Ninhoursha mais elle était fraîche, presque candide. Une peau brune dans laquelle se perdait quelques taches de rousseur, une longue crinière dorée, des pupilles roses sombres comme il n’en avait jamais vu et de jolis petits seins. Il secoua la tête pour en revenir à Ninhoursha. « Taïla » ralait-elle désignant le tatouage dans le dos de la jeune fille.
« Allez, enlève-lui son bâillon et interroge-là. Je veux savoir ce qu’elle fait ici. Mais méfie-toi, cette garce sait manipuler par la voix.
- Ca veut dire quoi ?
- Ca veut dire que cette sirène t’a envoûté en faisant sa mijaurée pour que tu la lâches et toi, en simple nigaud que tu es, tu t’es fait avoir comme un débutant. »
Elle avait fait son beau discours en français. Il espérait que la captive ne parlait pas cette langue. Il lui enleva son bâillon et s’accroupit devant elle. De nouveau, il sentit son regard qui tentait de l’envahir mais il repoussa aisément ses tentatives.
« Qui êtes-vous ? » finit-elle par demander sa curiosité prenant le dessus.
Thibault s’assit en souriant. « Ma petite dame, je vais t’expliquer comment ça marche sur Terre. Celui qui a les mains libres pose les questions et le prisonnier répond. Tu penses pouvoir faire ça ?
- Je ne sais pas, je ne sais rien, je me suis perdue. » De grosses larmes perlaient au coin de ses yeux. Thibault secoua la tête. Il commençait à comprendre ce dont parlait Ninhoursha. A chaque mot de cette fille, il aurait voulu se perdre dedans. Il voulait la croire. Il secoua encore une fois la tête. C’était violent ce truc. Un vrai tour de sorcière. Il faudrait qu’il apprenne ça.
« Comment t’appelles-tu ? »
Elle hésita : « Mutine »
Il sourit. Ca lui allait bien.
« Détachez-moi » supplia-t-elle.
« Ecoute Mutine, tes tours de passes passes ne marchent pas avec moi alors tu vas commencer par nous dire qui t’a envoyée ici et pourquoi. »
Ses yeux larmoyants s’étaient changés en une fureur contenue. Pour tout réponse elle lui cracha au visage.
Ninhoursha soupira, comme envahie soudain par une grande lassitude.
« Thibault, sonde cette gosse, qu’on en finisse.
- On se calme les filles. Je suis sûr qu’on va pouvoir s’entendre. » Les deux filles semblaient prêtes à s’étriper. Ninhoursha poussa soudain Thibault attrapant la jeune Mutine par la gorge. « Je veux savoir ce que tu faisais ici » hurla t-elle comme une gamine gâtée faisant une colère.
Elle la lâcha se prenant d’un rire hystérique. « Le livre d’Onirique c’est ça je parie ? Tu pensais le trouver ici. Pauvre idiote, il est perdu à tout jamais »
Thibault aurait voulu être ailleurs. Pas bon ça. Pas bon du tout. Ninhoursha se tourna d’un bond vers lui tandis que Mutine peinait à trouver une respiration normale. « Tu le savais » grinça-t-elle. « Je suis sûre que tu le savais ». Ces yeux n’étaient plus que deux fentes. « C’est toi qui l’as et tu ne m’as rien dit. »
Parfois, il faut savoir faire preuve d’une exemplaire couardise pour rester vivant. « J’ignorai que vous vous intéressiez à si peu. Ce n’est qu’un simple journal ».
Mutine avait retrouvé son souffle. Elle aussi était furieuse.
« Vous ne vous en tirerez pas comme ça, si vous ne me lâchez pas, mes amis viendront me chercher. L’Annunaki Rafale vous écrasera.
- Quoi ! Que raconte encore cette pimbêche ? » Elle l’attrapa de nouveaux violemment. Il n’y a plus d’Annunakis. Ils sont tous morts. J’y ai veillé personnellement.
A moins que. » Elle fixa encore intensément sa captive un rictus sadique barrant la perfection de son visage.
« Anngaal. La pierre d’Anngaal ! Oui, je parie que c’est ça. Tu ne sais pas ce dont je parle n’est ce pas ? Bien sur que non, comment saurais-tu ?»
Thibault était le seul encore sensé. « Elle a raison sur un point, si on ne la relâche pas, nous aurons toute la clique Adarii sur le dos.
- Et alors » marmonna Ninhoursha. « Le fier Thibault aurait peur de quelques Adarii ?
- Je ne suis pas idiot, je sais me montrer raisonnable. Autant éviter les ennuis.
- Tu crois que ton Annunaki peut nous vaincre. J’aimerai bien voir ça. Oui, j’aimerai beaucoup ».
Elle resserra encore sa prise autour du cou de la frêle jeune fille puis la laissa retomber. Mutine s’écrasa sur les rochers.
Thibaut en resta sans voix. Il la fixa un bon moment avant d’en revenir à Ninhoursha qui s’était remise à maugréer dans sa langue avant d’exploser dans une rage féroce sortant une flopée de juron dans une dizaine de langues différentes. « Anngaal, pétasse » gueula-t-elle enfin le poing levé.
Thibault hésita, regarda encore Mutine qui n’avait pas bougé puis Ninhoursha qui frisait l’hystérie. « Elle est morte » articula-t-il enfin ses mots sortant difficilement de sa bouche. « Vous l’avez tuée !
- Evidemment qu’elle est morte. Tu as dit que tu ne voulais pas avoir ses amis sur le dos. Au moins comme ça, elle ne communiquera pas.
- Mais…
- Mais quoi ? Tu ne sais décidemment pas ce que tu veux.
- Mais ils viendront se venger.
- Ce n’est qu’une gamine. Ce genre de petite sirène, il y en a en masse sur Plume et Saphir. Une de plus ou de moins ne fera pas la différence. »
Thibault resta bouche bée. Il n’arrivait pas à savoir si elle était sérieuse ou non. Il craignait qu’elle le soit. Malgré les millénaires durant lesquels elle avait vécue, elle était toujours incapable de cerner la nature humaine.
« Bien sur que si, ils viendront ».
Ninhoursha s’arrêta d’un coup de maugréer. « Ils viendront tu penses ? Se venger ? L’Annunaki viendra à moi alors. Et je serais prête à le recevoir. Oui, voila qui promet d’être très amusant. » Un rire dément s’éleva dans le désert.
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