mardi 8 janvier 2008

Après Pluie : Partie 4 Réalité : Chapitre 1

1

La réalité ne pardonne pas qu'on la méprise ; elle se venge en effondrant le rêve, en le piétinant, en le jetant en loques dans un tas de boue !

[Joris-Karl Huysmans]
Là-bas

Maÿcentres : Plateau

Nous sommes de retour sur les Maÿcentres. Notre mission en elle même fut un échec mais nous avons réussi à informer les Maîtres des terres Adarii de Plume de la situation. Si j’avais encore le moindre doute, je peux aujourd’hui affirmer que Synshy n’a pas réussi à mettre la main sur ces territoires et qu’ils vivent en parfaite autonomie. Pour l’instant, je ne peux compter sur eux pour récupérer le rang qui m’est dû mais je suis persuadé qu’ils viendront d’ici peu mettre un peu d’animation surtout à cause d’une nouvelle pièce dans notre jeu. Une pièce aussi cinglante que de minuscules cristaux de glace. Une pièce nommée Grésil. Pour l’instant, nous ne savons que faire d’elle. Je voudrais profiter de cette aubaine. En gardant la petite, ses parents n’hésiteront pas à venir la chercher. Il nous faut élaborer une nouvelle stratégie d’action en fonction de cette donnée inattendue. La Syhy n’est pas d’accord avec ce point de vue. Elle pense qu’ils risquent de venir la chercher mais que dans ce cas, ce n’est pas au président qu’ils feront la peau, mais à nous deux. C’est possible, raison de plus pour nous préparer. Elle veut les ramener. Nous nous sommes disputés à ce sujet et je n’ai plus de nouvelles d’elle depuis. Elle est remontée par le funiculaire et je n’ai pu la suivre. La Syhy Lytïl avait à mes yeux toutes les qualités d’une bonne partenaire : Une famille prestigieuse, suffisamment intelligente pour se faire une place au conseil, assez naïve pour me suivre et avec en plus un talent certain d’oratrice. Malheureusement, plus le temps passe plus elle s’émancipe et à une fâcheuse tendance à agir en solo.

J’ai appris que ses vaisseaux avaient été bloqués en réaction au non respect des règlements en vigueur. C’est une procédure normale qui m’arrange. Au moins, elle sera obligée de garder la petite. Sauf si cette dernière s’en mêle. Je soupçonne fortement la petite Grésil d’être beaucoup plus puissante que Dyasella ne veut l’admettre. La Syhy la traite comme une enfant et c’est vrai qu’elle en a l’air mais la facilité avec laquelle nous sommes entrés sur les Maÿcentres ne s’explique pas, sauf si Grésil a des pouvoirs de suggestion suffisants pour avoir influencé les gardes. Nous n’avons pas été interpellé à notre arrivée et nous n’avons eu aucun écho concernant le garde que Réalité avait violenté. A croire que cet épisode n’a jamais existé.

Il est impératif de cerner les capacités de la petite fille. Ils peuvent nus être utile mais aussi nous poser de gros problèmes. J’ai évoqué le sujet avec Dyasella mais là aussi, elle est peu réceptive. Elle ne conçoit pas que Grésil soit autre chose qu’une simple petite fille. Pour elle, si nous avons atterri sans encombre, il s’agissait d’un coup de chance et si les enfants ont pu prendre le funiculaire c’est parce qu’ils sont trop jeunes pour être contrôlés. Quant au garde maltraité. « Il doit y avoir une autre explication » m’a-t-elle répliqué. Sa naïveté m’est utile mais elle fait parfois peine à voir.


Plume : Territoire de Taïla

Réalité fit encore quelques pas, doucement, en se tenant au mur mais la fatigue reprit le dessus et elle se laissa tomber sur le lit luttant pour ne pas se rendormir. L’homme assis sur une chaise retint mal un sourire et la jeune fille le fusilla du regard. Il n’était pas méchant, mais Réalité n’arrivait pas à déterminer son rôle. Quand elle s’était réveillée quelques jours plus tôt, il s’était présenté comme quelqu’un chargé de veiller sur elle. Cela voulait-il dire veiller sur sa santé, son confort, ou veiller à ce qu’elle ne sorte pas d’ici ? Les premiers jours, elle ne s’était pas posée la question. Trop épuisée pour seulement envisager de penser. Elle se réveillait. On lui faisait ingurgiter quelques substances sans goût et l’effort d’avaler était déjà trop important, elle se rendormait. Ensuite, ses premières préoccupations furent pour s’enquérir du sort de ses compagnons. Ce en quoi, il lui fut répondu par un brillant renseignement : « je ne sais pas ». Il aurait pu répondre en disant « je me fiche de toi », elle ne l’aurait pas pris différemment. Et voila qu’il se moquait d’elle parce qu’elle n’arrivait pas à faire quelques pas sans s’essouffler. « Ca n’a rien de risible Aiguille !

- Tu vois le mal partout Réal, je ne me moque pas, loin de là. Tes blessures étaient sévères. C’est normal que tu sois encore faible.

- Je ne veux plus me traîner ainsi.

- J’ai déjà vu d’autres personnes ayant été soignées par les guérisseurs de Maniya. Leur art est prodigieux mais la fatigue qu’il engendre est immense. Tu iras mieux, laisse-le temps faire son œuvre.

- Laisser le temps » répéta-t-elle en maugréant. Comme si je n’avais que ça à faire. « Et puisqu’on parle de temps, je suppose qu’en ce qui te concerne, tu n’as toujours pas trouvé le temps nécessaire pour t’informer de ce qui est arrivé à mes amis.

- Tes amis » répondit-il écoeuré. « Comment une jeune fille de Plume peut-elle donner cette dénomination à des hommes des mondes extérieurs !

- Comment te permets-tu de juger ? Que connais-tu des mondes extérieurs ? Moi, j’y ai vécu. Tous ne sont pas comme leur président Certains de leurs hommes sont bons et ceux qui m’accompagnaient sont venus pour vous aider.

- Nous n’avons pas besoin d’aide.

- Prétentieux » souffla-t-elle trop bas pour être entendue avant de reprendre plus fort. « Et ça te demanderait trop d’efforts de te renseigner à leurs sujets où est-ce plutôt parce que tes Maîtres prennent un grand soin à te laisser dans l’ignorance. » Elle avait dit ça avec ironie, elle se doutait qu’il devait être tenu dans l’ignorance. Elle le regarda. Il avait perdu son sourire. Il se tourna vers la plaque et retira une louche de la marmite pour lui tendre un bol de bouillon.

« Tes amis » finit-il par dire mettant dans ce terme tout le dédain possible « ont été entendus, et renvoyés d’où ils venaient.

- Ce n’est pas possible, ils ne seraient pas partis sans moi. »

Aiguille soupira devant la naïveté soudaine de Réalité. Cette dernière se reprit réalisant que ce n’était pas Umia ni Dyasella qui pouvait être en mesure de lutter contre les Adarii. « C’est absurde » lança-t-elle « Ils étaient venu en amis. Ils pourraient être des alliés puissants pour Plume et vous les avez traités comme des moins que rien. »

Les yeux d’Aiguille n’étaient plus que deux fentes et son calme avait disparu quand il répondit. « Suffit petite fille. La seule qui prend les autres pour des moins que rien ici, c’est toi. Ne t’avise plus de juger les actes des Adarii, ni même de me faire étalage de ton savoir car tu as côtoyé les mondes extérieurs. Tu crois que je n’y connais rien, tu te trompes. Je suis resté dix ans sur les Maÿcentres. Exploité dans les mines des villes souterraines. Nous sommes en paix ici parce que les Adarii nous assure leur protection. Cashir refuse leur autorité ! A votre guise mais tu n’as pas à venir te plaindre ensuite. Ni toi, ni les nobles des Maÿcentres. Cette histoire ne nous regarde pas. »

Réalité se contenta de fermer les yeux. Que pouvait-elle répondre à cela ? Rien. De toute façon, Aiguille était parti en claquant la porte. Elle était si fatiguée. Qu’allait-elle devenir ici tout seule ? Reverrait-elle Cashir ? Elle en était plus proche que jamais. Seul un peu d’eau la séparait de chez elle. Un océan en fait. Et un désert aussi. Et quelques montagnes. Sa mère lui manquait. Son père aussi. Même les Maÿcentres lui manquaient. Où qu’elle soit, elle serait mieux qu’ici. Elle se retourna à plat ventre la tête dans les coussins et se mit à pleurer.

Maïcentres : Colline du conseil

Accalmie jetait un caillou et le faisait revenir vers lui, encore et encore. Il l’envoya un peu plus loin et fut obligé de faire un effort pour le retrouver dans la semi obscurité de sa cellule. Pourquoi avait-il été aussi stupide ? Il n’en pouvait plus rester à observer la base de loin et il n’avait pas réussi à trouver un plan valable alors, il avait foncé tête baissé pensant qu’il improviserait sur place un moyen de s’en sortir. Maintenant, il avait tout le temps d’improviser. Depuis plus de quatre jours il n’avait vu personne. Il disait plus car la pile de sa montre avait rendu l’âme ne lui laissant aucun moyen de suivre le temps qui passe. De toute façon, les journées n’étaient pas les mêmes ici. On lui avait apporté de la nourriture une fois. Une femme avec une voix stridente accompagnée d’un géant caché sous une cape noir. Elle lui avait dit de se mettre face contre le mur. Il avait obtempéré tout en guettant une opportunité. L’homme avait ouvert la grille métallique qu’il avait essayé vainement de desceller, il avait posé de la nourriture et de l’eau puis avait refermé la porte.

« Vous n’allez pas me laisser attacher ? » Avait-il crié.

La femme lui avait dit d’approcher ses mains des grilles. « Sans coup tordu » avait-elle précisé.

Il n’avait pas pu s’empêcher de répliquer : « Et Sinon quoi ? » Comme s’il pouvait encore se permettre de faire le fier dans sa situation.

« Sinon, c’est Mike Gentry qui en pâtira. »

Il n’avait plus rien dit. Il avait saisi qu’elle ne plaisantait pas et s’était trouvé plus démuni que jamais.

« Pourquoi me garder ici ? » avait-il fini par demander.

« Pour le plaisir. »

Elle avait disparu et il s’était affalé sur le sol de pierre. A la prochaine opportunité, je file s’était-il juré. Quand il avait vu les réserves de nourritures qui avaient été apportés, il avait craint le pire. Et il avait eu raison. Plus personne n’était venu depuis et il lui restait encore dix petites boites à manger. Il devenait fou à rester ici. Parfois, il se levait, tapait rageusement sur les murs ou s’accrochait à la grille et puis, il s’asseyait désespéré, se demandant s’ils avaient interpellé Mike. On disait que c’était un peuple de non violent mais ils allaient lui faire perdre l’esprit sans même le toucher.

Et puis, il appelait Grésil. Pendant des heures, il tentait de se concentrer sur la groseille, sans succès. Mike aussi et même Thibault. De toute façon, il n’avait jamais réussi. Même avec Grésil, c’était toujours elle qui venait à lui. Elle lui avait dit qu’elle repartait chez elle. Depuis, jamais elle ne l’avait plus contacté. Soit elle s’était désintéressée de lui soit elle ne pouvait pas le joindre de là où elle était. D’un coté comme de l’autre, c’était fichu


Maïcentres : Colline du conseil

« Grésil ! »

Dyasella se retint de crier encore une fois. Ne pas se faire remarquer se répéta-t-elle mentalement. Plus facile à dire qu’à faire avec deux enfants qui ne tiennent pas en place. Ils devaient avoir entre 8 et 10 ans, c’était suffisant pour comprendre et obéir. Les enfants de Plume était-ils tous aussi indisciplinés ? Elle leur avait expliqué les dangers qu’ils encourraient sur la colline. S’ils étaient découverts, elle n’imaginait pas ce qu’ils pourraient leur faire. Surtout à la fille. Dyasella resserra son manteau. Elle préférait aussi éviter de penser aux risques pour elle si il arrivait malheur à la fille. Elle était prise entre deux feux. Elle risquait d’être accusée par les siens pour les avoir dissimulés et par les Adarii pour enlèvement. Et Umia qui avait le culot de trouver la situation intéressante. Au moins, les alentours étaient déserts, seuls ces maudits enfants avaient l’idée de sortir en pleine nuit.

Dyasella retint son souffle en apercevant deux petites ombres noires qui revenaient vers sa propriété et se précipita jusqu’à eux.

« Pas sortir » dit-elle en arrivant à leur hauteur « si vous voir… »

Grésil la coupa « je fais ce que je veux, je suis Annunaki et je dois trouver celui qui sent bizarre »

Grésil apprenait vite, elle parlait en mélangeant du vocabulaire de sa langue et de la langue de la confédération. Bientôt, Dyasella la comprendrait, elle espérait car pour l’instant, la seule chose qu’elle comprenait était que la petite voulait en faire qu’à sa tête.

Elle prit la main de Chiffre et le tira à sa suite. Elle se retourna pour vérifier si Grésil suivait et l’aperçut face à face avec une autre ombre sombre dans un long manteau au capuchon rabattu. Elle est repérée pensa-t-elle désespérée mais tandis que le nouveau venu approchait, elle discerna certains motifs de son manteau. Il ne s’agissait pas d’un garde.

« La Syhy Lytil dehors a une heure si tardive. Je pensais être le seul sur cette colline a apprécier la magie de la nuit.

- Qui êtes-vous ?

- Je vous ai fait peur ? J’en suis profondément désolé, Je m’appelle Marcus. Nous sommes voisins je crois. Ou tout au moins, je possède une maison un peu plus haut.

- Maître Substance » souffla Dyasella tentant de discerner les traits de son interlocuteur.

« Certains me surnomment ainsi »

- Que faites-vous ici ?

- J’aime me promener sous le ciel étoilé. Tout est calme, paisible, chaque ombre, chaque parfum est autant de source d’inspiration pour mes œuvres. » Il regarda alternativement Grésil devant lui et Chiffre blottis dans l’ombre et Dyasella crut percevoir un sourire derrière son capuchon. « Par contre, il est un peu tard pour des enfants »

- Oui, j’ai certains soucis » improvisa-t-elle.

« J’ai entendu dire qu’on avait confisqué vos vaisseaux.

- En effet, » les nouvelles vont vite songea-t-elle en particulier celles qui ne regardent personne « Je n’ai plus l’autorisation de quitter la planète. Un malentendu fâcheux. D’autant plus que je devais ramener les enfants d’un vieil ami sur la plate forme de Saphir Plume. Ils sont venus pour découvrir la capitale et ils ne tiennent pas en place.

- C’est embêtant, Peut-être pourrions-nous chercher une solution au chaud, vous êtes mes invités » il se tourna vers les enfants « J’habite la maison de l’ancien président. Vous aimeriez la voir ? »

Les deux petits restèrent silencieux. « Ils sont très timides » dit Dyasella « et puis, comme vous l’avez fait remarquer, il est tard. Un autre jour peut-être »

Marcus se redressa « Mais non, ils ne sont pas timides, ils ont peut-être juste un peu de mal à comprendre ». Il s’adressa à nouveau aux enfants et le visage de la petite s’illumina. Elle répondit qu’elle était d’accord dans la langue de Plume et trotta derrière Marcus qui repartait déjà. Dyasella le rattrapa en vitesse. Elle ne savait quoi dire. Qu’il ait reconnu si facilement d’où venait les enfants était déjà inquiétant mais qu’il connaisse leur langue était tout à fait surprenant.

« Je… » Commença-t-elle.

« Vous venez des plates-formes et vous avez ramené des enfants de vos amis afin de leur faire visiter la capitale et maintenant ils sont coincés ici à cause d’un malentendu. Je n’ai pas besoin d’en savoir d’avantage. Cette version me convient tout à fait.


Terre : Arabie Saoudite

Vous connaissez le jeu : action vérité ? Non, je vous explique. Vous dites soit action soit vérité. Si vous dites action, vous devez faire un truc que je vous demande, si vous choisissez vérité, vous devez répondre à une question. Sauf que, dans le cas présent, vous n’avez pas le droit de choisir action. « Vous saisissez ? » ajouta Thibault attendant que Cyril écrase consciencieusement son mégot de cigarette alors qu’il devrait l’écouter.

« je saisis » finit par dire ce dernier « il n’est pas utile de me prendre pour un idiot avec vos jeux d’enfants, je n’ai pas de questions à poser ».

Thibault se laissa aller sur sa chaise. Louche songea-t-il. Cyril interpella un serveur et désigna les verres « pareil » dit-il dans un arabe hésitant.

« Alors, je pose les questions » continua Thibault. Cyril le regarda d’une façon qui ne lui plut pas du tout. En principe, les autres devaient avoir peur de lui. Il pouvait les influencer. En principe.

« D’accord » dit Cyril « posez les questions »

Thibault préférait ainsi. Il décida de poser ses questions de façon ordonnée et méthodique en commençant pas les points les plus importants. « Ok, comment êtes-vous venu sur Terre ? » ça c’était pas simple curiosité. L’ordre et la méthode n’était pas les points forts de Thibault.

« J’ai soudoyé un entrepreneur

- Pour vous amener sur Terre ! Impossible, vous auriez dû passer par la base qui est sécurisée puis prendre un avion civil.

- Peut être m’a-t-il déposé en route

- Un atterrissage illicite ne serait pas passer inaperçu

- Pourtant, je suis là »

Cyril le tournait en bourrique, soit il passait la journée à élucider ce mystère soit il avançait. Il y avait tant de questions à poser « pourquoi êtes vous venu ?

- Pour trouver un moyen de chasser la confédération de Cashir. »

Thibault se méfia. Rares étaient les gens qui venaient au milieu du désert dans l’espoir de trouver un moyen de se débarrasser d’un envahisseur. Il décida de feindre l’étonnement « Vous cherchez le moyen de libérer Cashir au milieu d’un désert Terrien ? »

Cyril posa les coudes sur la table, laissa le serveur desservir et poser de nouveaux verres. « Exactement»

Thibault devait le forcer à en dire plus sans révéler ce qu’il connaissait lui-même. La diplomatie n’était pas son fort « Mais que cherchez-vous exactement ?

- Vous »


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