8"La vie est un conte de fée qui perd ses pouvoirs magiques lorsque nous grandissons."
[Robert Lalonde]
Le diable en personne
Plume : Taegaïan
Grésil écarta la tenture le plus doucement possible et retint son souffle. De là, elle avait la vue sur toute la salle des doléances. A quelques pas devant elle siégeait son Oncle Glace. Elle se trouvait derrière lui, mais sa présence n’était sûrement pas passée inaperçue pour lui. De toute façon, elle avait le droit d’être là. Son oncle l’encourageait même à venir assister aux audiences. C’était un calvaire mais maintenant, elle était si heureuse d’être de retour chez elle que tout n’était qu’émerveillement, même rester debout derrière Maître Glace à écouter des gens pleurnicher. Et surtout, elle n’était pas là pour cela. Elle s’avança le plus discrètement possible et se plaça derrière son oncle en prenant soin de rester dans l’ombre d’une colonne. Il y avait du monde dans la grande salle, mais pas plus que d’habitude. Un représentant de Maé expliquait un souci de digue fragilisée par la tempête du mois dernier. Elle perdit vite le fil de son discours scrutant des yeux les visages présents. Elle sourit enfin en reconnaissant celui qu’elle cherchait. Elle lui fit un discret signe de la main mais, vu la distance, il ne l’aperçut pas. Pourtant, elle, elle ne voyait plus que lui. Il avait changé mais il était toujours aussi beau. Non, beaucoup plus. Et grand. Qu’est-ce qu’elle avait pu être déçue à son arrivée d’apprendre que Chiffre n’était pas là. Bien sur, elle avait retrouvé Coton avec beaucoup de plaisir mais elle ne l’avait pas vu beaucoup. Il travaillait avec son père maintenant. Et puis, après plusieurs jours qui lui avaient paru interminables, elle avait appris par hasard le retour du marchand Mangue et de son fils. Elle s’était précipitée et Plumeau l’avait attrapée par le col de sa tunique. « Il est hors de question que vous repreniez vos manières de sauvageonne » Grésil. « Vous n’avez pas à courir derrière les garçons.
- Mais c’est Chiffre
- Raison de plus. Laissez-lui quelques jours de repos et ensuite vous pourrez le convoquer. En plus, il doit venir prêter allégeance à Maître Glace. Il y a sûrement beaucoup de membres de sa famille et de ses amis qui seront venu pour l’occasion et devra les recevoir ». Plumeau ne veut pas que j’aille lui parler mais elle ne peux pas m’interdire de le voir s’il prête allégeance à Oncle Glace avait-elle pensé. L’autre avec ses histoires de digue s’éloignait en reculant.
Le marchand des domaines, Mangue s’avança à son tour son fils sur les talons.
Le jeune Chiffre sentait son cœur battre à tout rompre. La grande salle des doléances et tout ce monde tourné vers lui, c’était autrement plus impressionnant que le salon d’accueil ou même le grand salon de réception. A chaque pas qu’il faisait sur les grandes dalles de marbre blanc, il ne pouvait s’empêcher de s’imaginer trébuchant devant l’assemblée. Toute sa famille était venue. Un faux pas, et se serait le comble du déshonneur. Son père resserra légèrement son étreinte contre son bras. Il comprit le sens de ce geste qu’il lui faisait souvent. Tiens-toi bien voulait-il dire. Tiens-toi bien et fais-moi honneur. Combien de fois par jour lui ressassait-il ses mots. Il prit une grande inspiration et releva la tête tentant d’ignorer ses jambes qui vacillaient. Il regarda d’abord autour de lui. Il aperçut sa sœur et deux de ses frères ainsi que quelques connaissances puis tourna enfin les yeux vers l’estrade qui se rapprochait un peu plus à chaque pas. Maître Glace était assis dans un immense fauteuil de pierre. Derrière lui, il aperçut une ombre familière. Non, ce ne pouvait être elle pensa-t-il, elle était à Tiyana. Son cœur fit un bon dans sa poitrine en reconnaissant son amie. Elle était revenue. Elle avait changé mais elle était magnifique. Toutes les Adarii étaient jolies mais elle, encore plus. Elle avait tressé ses longs cheveux noirs et le fixait de ses grands yeux bleus, souriant soudain d’une mine réjouie. Son courage était revenu. Il inspira encore une fois et leva les yeux vers Maître Glace. Quand il le regardait, il avait l’impression qu’il allait tomber. Comme quand il se penchait pour regarder les vagues du haut de la falaise surplombant la cité. Le vide l’attirait et le révulsait à la fois. Maître Glace aussi l’attirait mais qu’est-ce qu’il pouvait lui faire peur. Il tenta de relativiser. Les autres Adarii aussi lui faisaient le même effet mais Maître Glace le plus impressionnant. Enfin, après Maître Blizzard de Maniya. Son père, Mangue, resserra encore sa prise. Chiffre sortit de ses réflexions et se rendit compte qu’il était arrivé au bas de l’estrade. Il rougit de sa distraction. Inspira encore profondément, salua Maître Glace puis, relevant la tête, se força à le regarder dignement maîtrisant le vertige qui montait en lui. Il entendit son père à ses cotés dire les formules d’usage qu’ils avaient répété ensemble.
« Maître Glace, protecteur de Taegaïan, Mangue, marchand des domaines et représentant de Taegaïan vous présente aujourd’hui officiellement son fils Chiffre.
Maître Glace se tourna subtilement vers lui et leurs yeux se croisèrent renforçant encore son malaise. Je n’ai aucune raison d’avoir peur se dit-il pour se rassurer. Il a les mêmes yeux que Grésil. Grésil, ne fait pas peur. Il avait envie de chercher la petite fille du regard. Il savait qu’elle était à peine plus loin, à la limite de son champ de vision mais ce n’était pas elle qu’il fallait regarder pour l’instant.
« Pourquoi es-tu ici aujourd’hui Chiffre, fils de Mangue Marchand des domaines ? »
Les mots tant de fois répétés sortirent de la bouche du garçons bien trop récités à son goût : « Moi, Chiffre, je souhaite être attaché aux terres de Taegaïan dans lesquels je suis né et j’ai grandi.
- Acceptes-tu de vivre sous les lois de ses terres, de les accepter et de t’y soumettre ?
- Oui, je l’accepte. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour servir Taegaïan, les autres territoires de Plume et de Saphir et le peuple Adarii qui les protège. »
Il resta un instant ne sachant plus que dire. Il avait tant de fois répété mais toutes ses formules apprises par cœur, ils ne les retenaient jamais. Il chercha encore ses mots. Enfin, pas ses mots, les mots que son père lui avait appris mais il avait tout oublié. Un jour, sa mère lui avait dit qu’il ne fallait pas parler avec sa tête mais avec son cœur. Il décida de suivre son conseil. Il arrêta de chercher ses mots dans sa mémoire, pensa à Grésil et se sentit mieux.
« C’est vrai » continua-t-il, « je ferais tout ce que vous voudrez, je serais loyal, et travailleur aussi. Et puis, je vous ferais honneur. A vous et à tous les vôtres parce que je sais tout ce que vous faites pour nous. Je sais aussi que sans vous, et les vôtres nous serions aux mains des mondes extérieurs et … » Son regard glissa et tomba sur Grésil et il se sentit rougir. Il ne savait plus quoi dire. Il sentait les regards de l’assemblée posée sur lui, et encore plus pénétrant, celui de Maître Glace et les beaux yeux de Grésil. Il se força à regarder à nouveau ce dernier. Il était toujours impressionnant, il semblait réfléchir intensément mais dans son visage figé, il crut voir percer l’ombre d’un sourire et du coup son propre visage s’illumina.
« Chiffre fils de Mangue » dit-il enfin. « Tu seras maintenant Chiffre, fils de Taegaïan. »
Chiffre souffla profondément. Maître Glace tendit la main.
Chiffre sentit que son cœur était prêt à exploser dans sa poitrine. Il avait envie de fuir en courant mais se força à avancer monta une a une les marches de l’estrade pour se retrouver à la hauteur de son Maître. Il ne put s’empêcher d’essuyer sa main contre sa tunique de cérémonie puis d’un geste assuré et confiant, serra la main tendue avant de s’incliner à nouveau et de redescendre les marches à reculons sa peur de tomber revenant subitement à la surface.
Voila, c’était fini. Il était presque déçu. Ce serait sans doute la seule fois de sa vie qu’il aurait un contact physique avec un Adarii. Il s’était imaginé qu’il se serait passé quelque chose, il ne savait pas quoi mais quelque chose. Mais non. La main du Maître Glace était comme celle de n’importe qui.
Il commença à faire demi-tour mais maître Glace le rappela.
« Chiffre » dit-il n’as-tu pas une requête à me faire ?
Le jeune Chiffre s’arrêta, un peu perdu. Cette question ne faisait pas partie de la cérémonie. De quoi voulait-il parler ? Chiffre supposait qu’il avait du lire dans ses pensées ce qu’il désirait. Depuis plus d’un an, il suppliait son père d’en parler à maître Glace mais ce dernier se contentait de lui dire qu’il était trop jeune. De toute façon il ne voyait pas d’autres requêtes :
Il inspira encore un coup et se lança : « Mon seul désir et de servir Taegaïan.
- Comment souhaites tu le servir ?
- Je voudrais pouvoir devenir Marchand des domaines comme mon père.
- Penses-tu pouvoir nous faire honneur ?
- Je ferais le mieux que je peux ».
Chiffre rougit se rendant compte de sa tournure de phrase pitoyable. Mais Maître Glace souriait. « Un jour, tu feras un bon Marchand des domaines. Chiffre de Taegaïan apprenti du marchand Safran.
- C’est vrai ! Je peux être l’apprenti du marchand Safran ? » s’exclama-t-il. Il n’en revenait pas, Safran était un des marchands les plus réputé avec son père. En principe, les garçons de son age commençaient à travailler avec des commerçants et une fois qu’il connaissait le métier seulement il pouvait espérer passer apprentis dans la haute société marchande et encore, bien peu y était admis.
« Je sais pas quoi dire » dit-il
« Alors ne dis rien mais fais-moi honneur.
- Ho oui, comptez sur moi. » Son regard dévia soudain attiré par du mouvement à la limite de son champ de vision. Tout en reculant, il tentait d’apercevoir Grésil qui lui faisait signe remuant les lèvres pour lui faire comprendre quelque chose.
« Rejoins-moi » crut-il comprendre tandis que Maître Glace se retournait. Les deux enfants devinrent rouge de confusion et Chiffre franchit les derniers mètres de plus en plus vite courant presque pour franchir la sortie.
Maïcentres : Basses villes
Le cercle qui avant entourait Umia s’était déplacé autour de Dyasella.
Nous ne pouvons rien faire, nous n’avons accès à rien. Nous ne pouvons pas monter sur la colline du conseil. Et encore moins avoir accès à plume. Nous sommes coincés.
- Vous allez me faire pleurer. Moi j’irais.
Comment comptes-tu à toi seule chasser Synshy de la villa.
- Moi, mais j’en suis incapable, c’est sur Plume que j’irai.
- Les frontières de Plume sont bloquées, les patrouilles permanentes. Comment imaginez-vous les convaincre ?
- La Syhy Lytyl n’a de compte à rendre à personne. Elle a ses propres vaisseaux et les utilisent comme elle l’entend.
- Miroir et Crayon aussi ont une navette et ils se sont fait gentiment éconduire.
- Oserais-tu insinuer qu'on pourrait m'éconduire ?
Dyasella fixait Cannelle les bras croisé devant elle.
A sa plus grande stupéfaction Umia vit Cannelle reculer. Je n'ai pas dit ça, je pense juste.
Arrête de penser, agis s'exclama-t-elle.
Plume : Taegaïan
Grésil retrouva son ami sur l’esplanade devant la villa. Elle ne l’avait jamais vu si heureux. Il était entouré par une multitude d’amis. Que des personnes qu’elle ne connaissait pas. Des jeunes de son age lui frappaient dans les mains. Elle aurait voulu se joindre à eux, sauter dans les bras de son ami qu’elle n’avait pas vu depuis si longtemps et rire avec eux, mais ce n’était pas le moment d’aller lui parler. Il était occupé et ce n’était pas gentil de les déranger. Ca risquait de les mettre mal à l’aise. Mais, elle avait tant envie de le voir. Elle s’avança résolument et s’arrêta imaginant encore le discours que lui ferait son oncle sur la façon de se tenir. Elle intercepta un domestique et lui demanda de dire au jeune garçon qu’elle désirait le recevoir dans le salon d’accueil. Ainsi, elle éviterait déjà les soupirs désespérés de sa gouvernante.
Chiffre arriva cinq minutes plus tard tout sourire
« Tu m’as manquée ». S’exclama-t-elle.
« Moi aussi vous m’avez manqué. Je ne savais pas que vous étiez rentrés. J’ai été surpris, une belle surprise ».
Grésil se sentit gênée d’un coup, elle ne savait plus quoi dire. Avant, ils avaient toujours quelques choses à se dire et, même si parfois ils restaient silencieux, observant les reflets d’un étang ou sommeillant sous un arbre, il n’y avait jamais eu la moindre gêne entre eux. Elle se sentait bête, comme si la distance entre eux subsistait encore.
« Tu as accompagné les marchands en Azlan ? » finit-elle par dire
« Oui, et nous sommes revenus par les forêts d’Arkae. Nous avons ramené une cargaison de bois précieux. »
Les yeux de Grésil s’illuminèrent et toute crainte s’évanouit devant les yeux pétillant de son ami : « raconte ! »
- Je ne sais pas quoi dire. J’ai vu pleins de trucs. On est passé par les cascades sur le pont du territoire Azlan. C’est gigantesque. Et j’ai vu des arbres encore plus haut que la villa. Presque jusqu’au ciel. » Ils retombèrent dans un silence un peu lourd.
« Je le pensais pour de vrai ». S’exclama soudain Chiffre. « Enfin, vous le savez ou Maître Glace te le confirmera. Mais vous savez ce que je veux dire c’est que je le pensais plus fort que les autres. Enfin les autres devaient le penser fort aussi mais moi, je me disais que je voulais être comme les chevaliers dans les livres que vous m’avez montrés. Ceux qui sont pleins d’honneur parce que le serment que j’ai fait aujourd’hui, il est comme celui qu’on a fait il y a longtemps ». Tout en disant cela Chiffre tendit le poing et Grésil fit de même « Amis pour toujours » dirent-ils ensemble.
« Que c’est mignon tout ça. »
Chiffre sursauta et blêmit tandis que Grésil se contenta de se retourner vers l’entrée du salon. « Eclaircie ! Tu nous as fait peur » dit-elle.
« Adarii Eclaircie, Chiffre de Taegaïan est à votre service » dit le petit en s’inclinant avant de lever les yeux vers le jeune homme qui était entré dans le salon d’accueil.
« Pas juste Chiffre répondit ce dernier mais apprenti marchand Chiffre. J’ai appris ta promotion » ajouta-t-il en s’asseyant dans un fauteuil, « c’est un grand honneur que Maître Glace t’a fait là.
- Oui, et j’en serais digne » répondit-il fièrement.
« Je n’en doute pas. » grommela Eclaircie « Tu vas partir souvent.
- Oui, mais je suivais déjà mon père parfois. Quand nous étions bébés, mes parents nous emmenaient partout. Maintenant un peu moins, car je devais suivre l’apprentissage. »
Eclaircie sembla réfléchir et passa sa main dans ses cheveux clairs. « Hé bien, bon courage, jeune chiffre. Je pense que tu devrais rejoindre ta famille. De nombreuses personnes doivent t’attendre, Grésil ne devrait pas te retenir ainsi.
- Ca ne me dérange pas » répliqua le jeune Chiffre en se dirigeant vers la sortie. « Je suis à son service. Je suis là pour servir les Adarii et protéger leurs enfants.
- C’est cela oui » murmura Eclaircie tandis que le petit courrait déjà dans le hall d’entrée.
Eclaircie le suivit des yeux puis en revint à Grésil. « Jolie promotion qui est faite à ton ami.
« Il le mérite répondit-elle exaltée. « Il fera un très bon marchand des domaines et je suis sûre qu’on pourra tous être fiers de lui.
- Mais oui. Et il va parcourir le monde au lieu de rester ici à s’occuper de toi. Un coup de maître de la part de Glace.
- Que veux-tu dire ?
- Rien, rien.
- Il l’a nommé apprenti car c’est quelqu’un de bien, d’intelligent et de dévoué. Pourquoi voudrait-il l’éloigner de moi ?
- Peut-être justement à cause de tout cela ». Eclaircie se leva et se dirigea vers le patio « Que la journée te soit agréable Grésil, fille de Pluie et Orage.
Plume Taegaïan
« Comment ça disparu ? »
Les colères de Matinée étaient rares mais quand elles éclataient, une chose que Rafale avait vite appris c’est qu’il n’avait pas intérêt à intervenir. Il laissa donc le représentant du peuple balbutier quelques excuses aussi pitoyables qu’inutiles,
« Je veux savoir où et quand » Hurla Matinée au pauvre bougre qui se recroquevilla en tremblant tandis que Matinée reprenait encore plus fort : « Tout de suite »
Rafale suivit du regard l’homme qui fila comme si il avait le feu aux trousses.
« Incapable » murmurait encore Matinée entre ses dents, « tous des bons à rien, je vais m’en occuper moi-même de cette provinces, ils nous ont tourné en bourrique, tout cela était prémédité, j’en mettrais ma main au feu.
- Voyons, ils se contentent de faire ce qu’on leur demande. Ses espions avaient pour mission d’étudier l’implantation des Maÿcentres en Cashir et les dégâts qu'ils ont engendrés. Jamais personne ne leur a demandé de surveiller Cyril.
- Et résultat, cette fouine se balade on ne sait où, prêt à récupérer des documents qui nous reviennent de droit.
- Je pense plutôt qu’il s’est contenté d’aller chercher sa fille. Il a dû magouiller avec quelques marchands des Maÿcentres. Son peuple se meurt et sa fille a disparu. J’imagine mal qu’il ait choisi ce moment pour jouer les archéologues
- A sa place, c’est tout à fait le moment que je choisirais pour chercher des documents qui pourraient m’aider à me débarrasser de certains parasites. Et dire qu’à l’entendre il était presque soumis à l’esclavage.
- Oui, mais un esclave, rusé et possédant une fortune en marchandises qu’affectionnent les mondes extérieurs. Il était évident qu’il n’attendrait pas indéfiniment qu’on le soutienne. Dès qu’il a pu soudoyer un marchand, il est parti. Je soutiens qu’il a dû se rendre sur les Maïcentres.
- Et il avait aussi le code contenant l’emplacement des documents à la base de notre histoire. »
Rafale ne répondit pas. Il l’avait déjà fait plusieurs fois. D’abord, il imaginait mal que Cyril ait pu déchiffrer le code, ensuite, il aurait fallu qu’il fasse le rapport entre les coordonnées et
Une porte claqua et Rafale sursauta. Matinée était parti. Tant mieux, sa mauvaise humeur et sa tension devenaient vraiment pénible. Rafale s’approcha du balcon. Grésil se baignait dans la piscine du patio avec Eclaircie. Elle riait. Elle était plus heureuse ici. Il avait eu raison d’insister pour qu’on la ramène à Taegaïan pour quelques temps. Chiffre n'était pas là. Eclaircie avait dû réussir à intercepté Grésil avant qu'elle ne s'accapare le jeune garçon. Maître Glace n’avait pas encore réussi à s’en débarrasser de celui-là. Ca crevait les yeux que le jeune Chiffre avait plus que du respect envers Grésil et elle aussi avaient certains sentiments que la distance n’avait pas amoindris. Envoyé le gosse en apprentissage n’était en effet pas une mauvaise idée, ça lui ouvrirait de nouveaux horizons. Mais au moins, avec lui, Grésil sortirait peut-être de son petit monde de rêve dans lequel elle avait tendance à s’isoler à Tiyana. Ca lui faisait du bien d’avoir des vrais amis et non plus des amis imaginaires. C’est vrai, il n’avait pas fait le rapprochement entre l’Onirique dont parlait Réalité et l’ami imaginaire de Grésil à qui elle avait donné le même nom.
Ce pourrait-il qu’il s’agisse d’autres choses que d’une simple coïncidence ? Grésil y croyait. Rafale sourit, il devenait aussi irréaliste que Matinée. Il s’agissait juste d’un hasard. Grésil avait eu accès à ce livre mais n’avait pas pu en saisir le code. Elle avait appelé son soi disant ami ainsi parce que, tout au fond d’elle, elle savait que ce n’était qu’un rêve, qu’il n’existait pas vraiment.
Terre : Nouveau Mexique
La douleur comme une pioche qui frappe encore et encore sur sa tête. Non, une perceuse qui lui vrille le cerveau et…Plus rien. Plus de bruit, plus de souffrance, plus d’image. Le vide, le néant. Gris à perte de vue. Gris et vert. Un ciel gris et de l’herbe verte. Des fleurs maintenant. Beaucoup de fleurs. Diverses subtilités dans le gris du ciel. Des nuages. Hé merde pensa Thibault. Comme si je n’avais pas passé l’age de ses conneries. Il y avait un arbre. Loin. Trop loin. Thibault s’assit dans l’herbe et se contenta d’attendre. Une ombre sur l’herbe devant lui. Un homme. Thibault ne releva pas la tête préférant observer l’ombre que l’homme lui-même. « Juste un truc » dit-il « vu l’épaisseur de la couche nuageuse, l’ombre ainsi, ce n’est pas possible.
- Depuis quand devrais-je prendre en compte la réalité ? »
- Tout ce qui n’est pas régi par les lois de la physique me rend malade. L’ombre avait disparu mais Onirique était resté Planté au milieu d’un parterre de fleur comme à son habitude. . « Ici, tu ne seras malade que si je le décide. »
A ces mots Thibault recommença à se sentir mal, nausées, migraine.
« Arrête ça ou je vomis dans ta prairie.
- Je t’avais dit de ne pas le faire. »
Thibault se mit debout pour être à sa hauteur. Il fut tout de même obligé de lever la tête. Ses douleurs avaient été évacuées, c'était déjà un bon point.
« Oui, et tu me connais assez pour savoir que je fais toujours ce qu’on me dit de ne pas faire. Alors tu diras à Substance que j’ai trouvé ton journal et…
- Je ne peux pas contacter Substance. Ce serait trop dangereux et pour moi et pour lui.
- Prends moi pour un con. Je sais que tu m’espionnes pour lui.
- Je ne t’espionne pas, je veille sur toi. C’est différent. Et pas pour lui.
- Pour qui alors ?
Je n’ai pas l’autorisation de te le révéler mais j’ai découvert quelque chose. Par Chance.
- Par chance ou par Chance
- Un peu des deux. Il faut que tu ailles là où tu as découvert mon journal. Tu verras quelqu’un… »
Les nausées reprirent, la tête de Thibault se mit à tourner et il régurgita un flot de minuscules fleurs blanches. Onirique le regardait avec pitié et de nouveau la douleur s’estompa. Thibault avait horreur de la pitié, il détestait aussi qu’on l’aide.
« Cette pierre a été façonnée pour les Adarii, elle te résiste.
- Tu me l’as déjà dit, et je ne suis qu’au pauvre mec trop faible. Je vais crever ?
- Trop faible ! » Onirique se mit à rire. Non, bien sur que non, tu as suffisamment de sangs Adarii pour t’y accorder. Si ton corps résiste, ce n’est pas parce que tu es trop faible, c’est parce que tu es trop fort. Il y a plus de musiques en toi que de parfums
« Ho Putain »,
Le choc réveilla Thibault qui se raccrocha à son lit, entraînant avec lui une bouteille d’alcool qui explosa sur le carrelage, envoyant des éclats de verres jusqu’à la porte. Heureusement qu’elle était vide.
Thibault se hissa pour remonter sur son lit et s’affala sur le matelas, prit l’oreiller et le plaqua contre sa tête comme si ça pouvait soulager sa migraine. Au fond, si la bouteille avait été pleine, j’aurais peut-être moins mal à la tête pensa-t-il Il ne se rappelait plus ce qu’il s’était passé. Il avait pris une bonne cuite comme il ne l’avait plus fait depuis bien dix ans, ça c’était sur. Il fit glisser l’oreiller regardant autour de lui la chambre qui tanguait dangereusement. « Je suis chez moi. »
Voilà qui était surprenant, il avait quitté les Etats-Unis depuis au moins un an. Une excuse débile qu’il avait donné à ses employeurs extraterrestres sur l’importance d’augmenter les contacts avec l’Europe en général et
Il riait encore en prenant le téléphone qui sonnait depuis un bon moment.
« Monsieur Malta, c’est Joe.
- Oui, je t’écoute.
- Où étiez-vous, ça fait trois jours qu’on essaie de vous joindre.
- Où je passe mes journées et mes nuits et avec qui ne te regarde sûrement pas. Sors tes infos et je sortirai peut-être mon fric.
- Le conseiller Vygosi est furieux, il paraît qu’il vous a mandé de revenir il y a plus d’une semaine. »
Thibault ne s’en souvenait plus, sans doute l’avait-il su. C’était peut-être pour cela, qu’il était rentré aux USA mais il avait beau se concentrer, il semblait qu’il ait un trou de mémoire.
- On est le combien Joe ?
- Le 25.
Ca ne l’avançait pas beaucoup. La dernière date dont il se souvenait précisément c’était qu’il avait pris l’avion le 15 pour aller chez Marcus en Crête. A moins que ce ne soit le 5. Il y avait un cinq, c’était sur. Il n’était pas resté longtemps, ce devait être le quinze. Ca faisait dix jours. Dix jours dont il ne se rappelait rien. A moins que ce soit le vingt qu’il ait été voir Marcus ? Merde, il n’allait pas bien lui.
« Ca va pas monsieur Malta ? »
La petite fouine de Joe. Ca il s’en souvenait. Il faisait du nettoyage sur la base des Maÿcentres. Il s’était rendu compte, tout à fait par hasard, qu’il avait tendance à entendre beaucoup de choses. Les gens ne se méfient jamais du mec qui nettoie. Ils ont tort. Et puis il avait accès à pas mal d’endroits pour son boulot et il était bien mal payé. Thibault avait réglé cette injustice et en échange, il laissait traîner ses oreilles en même temps que sa serpillière à certains endroits sur commande. Il avait fait du bon boulot pendant son absence. Il était mieux renseigné par Joe que par ses employeurs.
« Oui, ça va Joe. J’ai été un peu malade. Enfin, je crois. Mais ça va mieux, j’arrive, le temps que tu nettoies mon bureau et je suis là.
- C’est que je ne peux pas nettoyer grand-chose, je suis viré.
- Viré ? Pourquoi ?
- Ben chais pas c’qui m’a pris, j’ai laissé entrer un mec vers les plate-forme d’atterrissage. Y en a qui disent qu’il aurait volé un vaisseau en forçant le pilote à décoller. Je crois que c’est des conneries, parce qu’un vaisseau ça se vole pas comme ça. Mais c’est vrai que je l’ai laissé passer, je sais même pas pourquoi. Sur le moment, j’ai cru qu’il avait droit.
- Putain. A quoi il ressemblait ton mec ?
- En fait, c’était même pas un mec, juste un gosse. Sans doute un ado qui voulait voir les vaisseaux de près.
- Putain Joe, réponds à la question, il ressemblait à quoi ?
- Très grand, comme vous. Cheveux noir, assez typé du sud. Mexicain peut-être mais avec des yeux clairs. Genre que si j’étais comme lui, ce serait plus facile avec les nanas parce que…
- Quand ?
- Il y a trois jours mais… »
Thibault avait raccroché. Il en savait suffisamment et la voix nasillarde de débile de Joe accentuait son mal de crâne. « Le con » souffla-t-il.
Mike ?
Thibault, que t’est-il arrivé ? Où es-tu ?
L’oiseau s’est envolé.