mercredi 5 décembre 2007

AP : 2. Rêves d'enfants : Chapitre 6

"Le rêve ne pense ni ne calcule ; d’une manière générale il ne juge pas : il se contente de transformer."

[Sigmund Freud

]

Nulle part

Onirique approuva du regard le petit plateau perdu dans la garrigue. Il y avait même des collines au alentour pour protéger la modeste habitation de rondin de bois du mistral. Telle qu’il la connaissait, elle aurait été capable d’y mettre même le vent pour faire plus vrai. Il admira quelques minutes la douce lumière rosée recouvrant la fin du jour. Le tableau était parfait. Après un instant d’hésitation, il frappa à la porte, soulagé de sentir le bois sous ses doigts. C’était bien ici.

« Qui est là ? » chanta presque une voix de l’intérieur

« Toc toc toc, cherche lapin blanc au pays des merveilles. » Répondit Onirique.

Seul le silence lui répondit aussi il se décida à pousser la porte. A l’intérieur, il découvrit un salon rustique environ trois fois plus grand que la surface extérieure de la cahute dont le centre était occupé par un important foyer. Une grosse table en bois brut et quelques canapés de tissu élimés avec des dossiers recouverts par de vieux napperons de dentelle de mauvaise qualité. Non, il ne s’attendait pas à cela. Il était plutôt déçu. Finissant de parcourir la pièce des yeux à la recherche de sa propriétaire, il finit par avancer d’un pas et buta presque sur la fourrure d’un tout petit lapin blanc. « Tu ne peux pas faire attention » dit le petit animal se transformant instantanément en une jeune fille d’une vingtaine d’année aux joues roses parsemées de taches de rousseur, les bras croisés sur un corsage bleu clair. « Et regarde » ajouta-t-elle, un balai apparaissant dans ses mains, « tu salis tout ». Précisa-t-elle en désignant le tapis d’herbe verte qui avait poussé sous les pieds du nouveau venu.

Onirique ne prit pas garde à ses propos et se dirigea vers un des canapés pour s’y asseoir tandis que la propriétaire balayait quelques fleurs des champs en maugréant. « Je ne t’imaginais pas dans un tel environnement. Tu m’avais habitué à plus cossu.

- Que tu me connais mal » dit-elle en se précipita à ses cotés, enserrant les bras autour du cou d’Onirique et le renversant presque dans un fougueux baiser.

« Préfères-tu ainsi » demanda-t-elle tandis qu’il écartait les grosses boucles blondes pour découvrir le petit mat entièrement rénové.

« Tu as oublié le fauteuil. » Tout en disant cela, il pointa du doigt le vieux canapé dans lesquels ils étaient toujours installés. Il sentit quelques picotement puis le toucher du cuir sous ses doigts. Il se leva pour observer la vue par le balcon. La mer scintillait aussi loin que portait son regard. Une plage de sable blanc, des cocotiers, quelques oiseaux, une tortue. Un éléphant. Onirique tiqua sur ce dernier détail. Le réalisme de Chance faiblissait.

- C’est exotique.

- N’est ce pas » dit-elle faisant apparaître un plateau, une théière, deux tasses et une table basse

- Elle est vide » dit Onirique en désignant la tasse que Chance venait de lui servir.

« Suis-je distraite » s’exclama-t-elle tandis qu’un liquide sombre emplissait le récipient.

Onirique but une gorgée qu’il se força à avaler avec une grimace de dégoût.

« C’est infect, qu’est ce que c’est ?

- Je ne sais pas, je viens de l’inventer. Tu fais bien de me prévenir, je n’en boirais pas si ce n’est pas bon.

- Tu m’en veux c’est ça.

- Bien sur que je t’en veux. Tu m’as lâchement abandonnée. Me diras-tu enfin ou tu étais ?

- J’ai éludé quelques années qui ne me semblaient pas des plus utiles pour mes affaires.

- Toi » dit-elle en souriant. « Tu es entrée dans les bonnes grâces de Sempiternelle.

« J’essaie. Le temps est un concept tellement contraignant.

- Tu es resté trop longtemps isolé de lui

- D’elle

- Sempiternel est féminin ?

- En tout cas, vu les rêves qu’elle me réclame en échange de ses services, je suppose.

- Tu as d’autres potins dans le style. » Elle n’attendit pas la réponse « En ce qui me concerne, je ne pourrais pas, j’aurais trop peur de rater quelque chose d’important. »

- Ca m’est arrivé, une petite qui me tient à cœur qui faisait des cauchemars.

- Depuis quand les gens te tiennent à cœur ? Elle se reprit. « ho, un de ceux-là » elle secoua ses boucles dorées « Pendant combien de temps veilleras-tu encore sur eux. Tu prends des risques et tu leur en fais prendre »

Onirique se déplaça sur le canapé dans l’espoir de trouver une position plus confortable.

J’ai promis » dit-il. Décidemment, Chance n’avait aucun art pour imaginer des décors agréables. Même ses copies étaient de mauvaises qualités.

« Je préférai le décor que tu avais façonnés la dernière fois que j’étais venu.

- C’était quand ?

- Je ne sais pas, il y a six ou sept ans

- Tout ça ! Tu devrais vraiment venir me voir plus souvent.

- Je sais, en plus je suis venu pour te demander un service.

- Non, rien du tout, je les connais tes services, c’est toujours pour m’attirer des ennuis. Origine se méfie et Vérité joue les chiens de garde, moi je ne me mêle de rien.

- Allez Chance, tu ne vas pas marcher dans leurs jeux.

- J’ai dit non.

- Des informations contre un rêve de Maître Matinée de Tiyana.

Elle se retourna furieuse.

- C’est la dernière fois que j’entre dans tes combines Onirique.

"L'enfance ne se vit pas dans l'action mais dans quelque chose de plus subtil, qu'on appelle l'innocence à défaut de pouvoir la mieux nommer"

[Victor-Lévy Beaulieu]
Extrait d’ Oh ! Miami, Miami, Miami

Plume

Seul une mince corniche au-dessus du vide lui permettait d’avancer encore. Elle se colla davantage aux parois de la falaise tandis qu’une violente bourrasque menaçait de la projeter dans le vide. La pluie s’était mise à tomber. Une petite pluie fine d’abord mais elle s’était intensifiée et tombait drue maintenant rendant la roche calcaire de plus en plus glissante. Elle ne put s’empêcher de regarder en bas. Très loin en dessous d’elle les vagues se brisaient sur les rochers. Une chute et c’était la fin. Les hommes des Maÿcentres approchaient. Elles les sentaient, tout proche. Si ils l’attrapaient, s’en était fini d’elle. Depuis qu’ils s’étaient emparés de Plume, le chaos régnait dans la cité. Elle était leur dernier espoir à tous. Et elle était coincée. Elle regarda encore une fois le mouvement de la houle. Peut-être qu’en sautant assez loin ? Non, il ne fallait pas se faire d’illusion. La fuite n’était plus possible. Il faudrait se battre cette fois. Et elle serait seule. Mais elle ferait face fièrement. Et elle vaincrait car elle était la fille du puissant Orage. Elle était l’Eclair, elle était le Tonnerre. Elle était…

« Grésil !!! »

Grésil sauta au bas du muret et se retrouva sur la digue. Elle se retourna et cligna des yeux, éblouie par le soleil avant de soupirer en voyant sa cousine arriver. Arc en ciel avait l’air d’une dame en miniature avec sa robe longue et ses grands airs du haut de ses 8 ans.

« Grésil » reprit-elle passant négligemment sa main dans sa coiffure compliquée juste pour se mettre en valeur, « tu n’es pas encore prête ? Tu sais que la délégation ne va pas tarder à arriver.

- Quelle délégation ?

Arc en ciel ouvrit de grands yeux. « La délégation pour l’assemblée évidemment. Tu sais bien. »

Qu’est-ce qu’elle pouvait être cruche pensa Grésil. Comment pouvait-elle être aussi bête. Evidemment qu’elle savait qu’exceptionnellement les Maîtres se réunissaient à Taegaïan. Elle savait aussi que Tiyana devaient en faire partie. C’était d’ailleurs pour cette raison que l’assemblée ne se réunissait pas à Maniya. Maître Matinée de Tiyana voulait profiter de ce voyage pour venir à Taegaïan, son père étant issus de la cité de Taé. On lu iavait même avancée la cérémonie de son nom pour l’occasion. De toute façon, elle était toujours au courant de tout. Après tout, elle était une espionne. Et même, sinon, elle aurait toujours eu sa cousine pour lui rappeler. Elle ne parlait que de cela depuis son arrivée. Elle passait des heures à lui raconter en détail ce qu’elle allait porter pour l’arrivée de la délégation. Que sa robe si délicate était en cuir. Qu’elle aurait des sandales de satin blanc et des Saphir d’Incarada…

« C’est la délégation de Maniya ou de Saphir qui arrive ?

- Maniya devrait arriver en premier et Saphir peu de temps après. Tout le monde se réunit sur l’esplanade pour recevoir Maître Blizzard. Ca fait des années parait-il qu’il n’a pas quitté Maniya. Il nous fait un grand honneur en venant ici. Comment trouves-tu ma robe ?

- Trop chaude. »

Arc en ciel la regarda avec un air désapprobateur. Elle n’allait pas tarder à lui faire la morale comme quoi elle devrait faire plus attention à son apparence, qu’elle ressemblait à une paysanne, qu’elle faisait honte à son rang et patati et patata.

Grésil décida de prendre les devants pour éviter cela : « Arc en ciel, vite, la délégation de Saphir est sur le point d’atterrir, ils ont dû prendre de l’avance.

Arc en ciel ouvrit de grands yeux étonnée « Tu es sur ?

- Bien sur que j’en suis sur, ils arrivent, je le sens. »

Arc en ciel fit demi tour et se mit à courir relevant d’une main le bas de sa robe ce qui ne l’empêcha pas de se prendre tout de même les pieds dedans. Grésil se mit à rire de bon cœur. Comment aurait-elle pu savoir quoi que ce soit. Elle avait à peine sept ans. Maître Matinée avait beau être son oncle, elle ne pourrait pas savoir pour autant où il était.

Bon, où en étais-je pensa-t-elle en remontant sur le muret. Les hommes des Maÿcentres étaient tout près maintenant. Alors qu’ils étaient presque sur elle, elle trouva à tâtons une dernière prise et se hissa sur la falaise. Elle aurait voulu avoir le temps de reprendre ses esprits mais chaque seconde comptait. Elle se mit à courir jusqu’à la cité. Les rues étaient désertes et la pluie tombait toujours.

Grésil s’arrêta un instant contre le mur de pierre blanche d’une échoppe. Non, pensa-t-elle. On disait plutôt qu’il ne pleuvait plus. Mais il y aurait du brouillard. Oui, c’était bien ça le brouillard. Elle reprit sa route plus lentement en faisant attention de ne pas se faire voir. Les rues étaient désertes, sans doute les gens se cachaient-ils craignant sa puissance dévastatrice. Grésil fit encore quelque pas, se plaqua contre le mur avançant doucement la tête pour s’assurer que l’avenue suivante était déserte elle aussi et s’y engagea. Les hommes des Maÿcentres avaient chassé tous les habitants et les rares survivants s’étaient repliés dans le désert. Grésil s’arrêta. Ca n’allait pas, elle avait déjà imaginé que c’était sa puissance dévastatrice qui avait fait fuir tout le monde. C’était mieux cela. Mais au fait, pensa-t-elle revenant soudain à la réalité, où étaient les gens en vrai ? Grésil tourna la tête à droite et à gauche. Son cœur fit soudain un bon dans sa poitrine. La délégation de Maniya, elle l’avait oubliée, si elle n’était pas là on allait encore la gronder et Arc en ciel dirait que c’était bien fait. Grésil se mit à courir. Enjambant un muret pour passer sur le toit d’une échoppe, continua ainsi sautant d’un toit à l’autre avant de descendre dans une rue transversale. Elle devait arriver par derrière pour être plus discrète. Elle sauta au dessus de la digue, atterrit sur la plage dans un craquement de soie. Elle s’arrêta un instant, regarda l’accroc de sa robe avec une grimace, haussa les épaules et se remit à courir sur le sable. Virage à 90 degré, elle tourna le dos à la mer grimpant quatre à quatre les marches menant au jardin de la villa Adarii. L’ombre des manguiers lui apporta un peu de fraîcheur mais elle était tout de même en sueur. Les portes donnant sur les salons étaient ouvertes, elle y pénétra d’un bond laissant des traces de sables sur les parquets clairs. S’arrêta devant l’escalier de marbre hésitant entre aller se changer pour être présentable mais en retard ou y aller directement. Elle fit quelques pas et se retrouva face à un grand miroir. Evaluation rapide. Elle détacha le ruban retenant ses cheveux sombres qui se répandirent sur ses épaules en boucle éparses qu’elle démêla rapidement avec ses doigts. Elle replaça le fin ruban bordeaux et argent autour de son front, Elle essuya d’un revers de main une trace de terre sur la joue. Elle lissa sa robe de soie trop simple et cacha l’accroc avec sa main. Elle contourna l’escalier et sortit par une petite porte latérale. Un brouhaha incohérent se diffusait de la foule qui se pressait sur l’esplanade. Grésil tenta de se mettre sur la pointe des pieds comme si elle pouvait voir d’avantage. Sans succès évidemment. Elle se décida à s’avancer, se glissant parmi le monde et se retrouva devant sous le soleil éclatant de l’après-midi. La délégation arrivait par l’avenue principale. L’estrade n’était plus qu’à quelques mètres et tout le monde était tourné vers les nouveaux venus. C’était le moment. Elle se faufila parmi la foule jusqu’au mur de la villa. Là, commençait la partie la plus difficile, traverser le terrain dégagé. Grésil glissa le long des murs de la villa comme si elle pouvait se fondre dans la pierre. « Ne me vois pas, ne me vois pas » lança-t-elle comme un appel mental à la foule qui ne pouvait voir qu’elle. Elle arriva à l’arrière de l’estrade, escalada discrètement tandis que tout le monde avait le dos tourné. Une main l’agrippa violemment et la poussa devant à coté de Maître Glace. Ce dernier, assis sur une large banquette la fusilla du regard discrètement. Elle tenta un discret sourire pour l’amadouer mais ne reçut rien en retour. Elle se redressa et tenta de paraître le plus digne possible. Tenant toujours l’accroc de sa robe dans la main et se décida à regarder le spectacle. Elle pensait voir arriver maître Blizzard, mais son sourire se fit plus lumineux en voyant Maître Matinée à ses cotés. Ils s’approchèrent, saluant oncle Glace puis s’écartèrent laissant passer le gardien Annunaki. Il avait grandi, mais il était toujours aussi beau. Sa cape noire scintillait de mille reflets. Il fit encore un pas, salua Glace très dignement, releva la tête et fit un sourire charmeur à Grésil, accompagné d’un clin d’œil. Elle ne put attendre d’avantage. Elle dévala l’estrade et se jeta dans les bras de son frère. « Rafale » hurla-t-elle folle de joie, sautant au cou du jeune adolescent ignorant les regards médusés de Maître Blizzard, désespérés de Maître Glace et franchement amusés de Maître Matinée

L’adolescence est le temps où il faut choisir entre vivre et mourir.

[Hafid Aggoune]
Quelle nuit sommes-nous

Terre

« Comment ça parti ? »

Hélène avait demandé ça plutôt calmement. Mike fut légèrement rassuré, il s’attendait à pire mais la colère de sa femme le submergea soudain..

« Comment ça parti » répéta-t-elle en hurlant. Oui, c’était plutôt ainsi qu’il avait imaginé cette confrontation avec sa femme.

« Tu te moques de moi, tu veux dire que tu l’as retrouvé et que tu l’as laissé partir !

- Oui, c’est vrai, je l’ai vu le mois dernier. Et oui, je ne te l’ai pas dit. Qu’est ce que tu voulais que je fasse ?

- Tu devais le forcer à revenir

- Comment ? Et même si j’en avais été capable, qu’est ce qui l’aurait empêché de partir à nouveau ?

- Tu n’y connais rien, j’aurais dû y aller avec toi, je l’aurais empêché, j’aurais trouvé les mots, toi, tu as tout gâché. »

Mike imaginait mal qu’elle aurait fait mieux que lui mais ce n’était peut-être pas le moment d’en rajouter.

« J’appelle la police » ajouta-t-elle. Se dirigeant vers le téléphone.

Mike arrêta son geste en posant la main sur le combiné. « Non » lui dit-il

« Comment ça non ? »

- C’est justement pour éviter ce type de réaction que je ne t’en ai pas parlé plus tôt. Réfléchis, que vas-tu leur dire ?

- Je vais dire que mon bébé est perdu et qu’il faut le retrouver évidemment.

Mike ne put s’empêcher de sourire. Il va les massacrer son bébé oui pensa-t-il mais le dire risquait d’attiser la colère de sa femme. « C’est de la folie, » se contenta-t-il de dire « il faut éviter le plus possible d’attirer l’attention sur lui. De toute façon, il est bien plus puissant que toutes les polices qui pourraient le pourchasser.

- Et tu proposes quoi alors ? Il faut savoir où il est, ce qu’il fait, il est peut-être en danger, blessé, effrayé.

- Il est avec Thibault.

- Quoi ! » Devant les craintes irraisonnées de sa femme, Mike avait fini par lui avouer ce qu’il savait. Elle aurait dû être rassurée. Son fils allait bien mais apparemment non.

« Thibault et Lull !!! Mike, je vais te tuer, tu m’avais promis que ça n’arriverait jamais, tout ça, c’est de ta faute.

- Hélène, s’égosiller ainsi n’arrangera rien. Il faut se calmer et réfléchir objectivement. Voyons les points un par un. Lull ne risque rien. La bonne nouvelle, c’est qu’il est tout à fait capable de se défendre. » Mike avait tenté de dire cela en souriant mais l’affolement d’Hélène avait encore augmenté. « Comment peux-tu dire qu’il ne risque rien ! Il n’y a pas plus dangereux que Thibault, c’est le diable en personne.

- N’exagère pas, je ne sais pas ce qu’il mijote mais il n’est pas méchant. »

Pourquoi ne gardait-elle pas ses sentiments pour elle. « A vrai dire, » ajouta-t-il « on a plus à craindre pour ceux qu’il rencontrera que pour lui.

- Mike, tu n’es pas drôle.

- J’essaie de relativiser, c’est tout. Allez, on n’a pas à s’en faire, il reviendra. Il ne se laissera pas faire par Thibault. On l’a bien élevé ce gosse, on s’est évertués à lui enseigner une bonne morale, il s’en souviendra.

- Tu me prends pour une conne ! »

Au moins elle n’était pas tout à fait naïve.

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