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Quand on croise son destin, le secret s'impose. La magie est à ce prix.
[Noëlle Châtelet]
La femme coquelico
Saphir : domaine de Tiyana
Il faisait noir. La forêt se détachait à peine de l’obscurité d’une nuit sans étoile. Un souffle froid glissa le long des branches nues les faisant frémir dans un craquement sinistre. Un corbeau coassa au loin satisfait de cette atmosphère lugubre. Grésil ne frissonnait pas malgré sa tunique légère. Elle se contenta de ramener ses bras autour de ses jambes, le regard perdu dans une introspection où mauvaise humeur se mêlait à ennui. Une ombre traversa le ciel dans un battement d’aile tandis qu’une aube grisâtre éclairait la scène. La lumière s’intensifia virant au rose et orange tandis que sur les arbres les bourgeons éclataient, prémices d’un printemps accéléré.
Grésil leva la tête et fronça les sourcils. Ce qu’elle vit ne lui convenait pas. Elle n’avait pas façonné son rêve pour qu’on lui change tout. Un coup de froid transperça les bourgeons, les enfermant dans une gaine de glace brillant un instant au soleil avant que de gros nuages obscurcissent à nouveau le décor. Grésil reposa la tête sur les genoux et soupira. Elle ne leva pas les yeux quand un immense dragon se posa devant elle après avoir fait disparaître quelques arbres. Sous ses pattes poussaient un tapis d’herbes tendres qui se couvrait de fleurs.
« Fiche le camp Onirique.
- Comment m’as-tu reconnu ?
- Quel que soit ton apparence, tu laisses toujours une traînée d’herbe derrière toi. En plus, le coup du dragon, tu l’as déjà fait.
- Je ne t’ai pas donné le pouvoir de façonner tes rêves pour créer de telles horreurs.
- C’est mon rêve » dit Grésil. « Je l’ai crée à ma convenance, tu n’as pas à le modifier.
- Que voila un ton impératif insignifiante Grésil. Les rêves m’appartiennent, tout comme les créations des artisans de Taegaïan t’appartiennent et pour le tien, je souhaite du soleil, du sable chaud, et une villa de pierre blanche. »
Le menton de Grésil se mit à trembler en voyant peu à peu se former l’endroit où elle était née et la plage où elle jouait.
« N’est-ce pas mieux ainsi ? »
Grésil essuya une larme du coin de l’œil. « Il manque les gens »
De nulle part surgirent des visages souriants, des enfants courraient dans l’eau, des jeunes femmes dans de belles toilettes discutaient le long de la digue.
« Assez » hurla Grésil effaçant d’un revers de main cette ambiance pourtant agréable comme on effacerait de la craie sur un tableau noir.
Maintenant seul, sur la plage, le gros dragon parut hésiter. Il se retourna et fit difficilement quelques pas, traînant son corps trop lourd sur le sable laissant derrière lui un sillage d’herbe tendre et fleurie, puis revint vers Grésil.
« Qu’est ce qui te rends si triste ? »
Grésil regarda le dragon, hésita puis reprit sa position prostrée. « Rien.
- Allez, à moi, tu peux bien le dire. »
Grésil ne put s’empêcher de sourire devant la démarche pataude de l’animal qui ne savait que faire de ses ailes trop grandes repliées devant lui. Il accentuait délibérément l’attitude ridicule dans l’espoir de la faire rire et il réussit presque.
« Pourquoi t’occupes-tu de moi ainsi Onirique ?
- Je ne peux pas te le dire. » Le dragon réfléchit et reprit, « je cherchais un trésor mais j’ai dû m’égarer et je suis resté. C’est ça ou passer le temps. Et toi, que cherches-tu ? Pourquoi es-tu triste ? »
Grésil réfléchit et se leva. « Je vais te raconter une histoire Onirique le dragon. Il était une fois, une petite fille qui était allé dans un pays merveilleux. Il y avait des montagnes dont les sommets se couvraient de neige, un fleuve immense, une belle villa et une grande cité autour. » Tout en disant cela, un pinceau apparut dans la main de Grésil et elle étayait son discours en dessinant autour d’elle le cirque de Tiyana. Une fois son œuvre achevée, elle hocha la tête et ajouta de minuscules taches blanches, marrons et grises qui prirent forme de chevaux sauvages galopant dans les steppes. Elle ajouta des hommes sur quelques chevaux et des lassos enserrant d’autres animaux qui ruaient pour se défendre
« Un jour, les rabatteurs avaient ramené des bêtes magnifiques à Tiyana. Ils les avaient enfermés dans un enclos et la petite fille avait été les voir. Il y avait là un jeune garçon qui s’appelait Crin. »
Une tache de couleur se transforma en jeune garçon blond d’une dizaine d’année accoudé à la balustrade de l’enclos. Crin proposa à la petite fille de monter les chevaux et elle accepta volontiers d’autant plus qu’elle s’ennuyait à mourir. Elle passa un moment merveilleux en sa compagnie et il lui présenta ses amis. Tous ensemble ils jouèrent dans la montagne et le soir venu, ils rentrèrent essoufflés mais heureux car la petite fille n’avait pas beaucoup d’occasions de sortir et de s’amuser avec des enfants de son age ».
Grésil se retourna vers le dragon se prélassant au soleil, appuyé contre un énorme rocher.
« Jolie histoire » dit-il « quoique beaucoup trop banal à mon goût. Est-ce la banalité qui te rend si morose ?
- Non, je continue mon histoire. A la fin de la journée du lendemain, on fit le pari d’arriver à mater le cheval le plus téméraire mais Maître Matinée arriva à ce moment là sans doute prévenu par ma mère, il m’attrapa alors que j’enjambais l’enclos et me ramena en me faisant la morale pendant plusieurs heures. Et encore, une fois parti, Ombre a continué les réprimandes. Elle a décidé de me prendre en main et de m’apprendre à me tenir comme il se doit. Ce sont ses mots »
Grésil se retourna encore contre le dragon. Il frappa deux fois des pattes et Maître Matinée apparut devant lui dans une attitude de gamin repentant.
« Maintenant c’est toi le Maître Grésil, venge toi.
- Tu ne comprends rien » hurla Grésil provoquant par le seul son de sa voix un tremblement de terre. Une crevasse s’ouvrit sous le dragon emportant l’image de son oncle tandis que l’animal déployait ses ailes pour se soulever et se reposer sur un terrain plus sur.
« Explique-moi alors ?
- Ton comportement est une insulte au Maître de Tiyana » lança Grésil les bras sur les hanches dans une attitude de petite femme. « Ne t’avise plus jamais de faire de telles choses. »
Le dragon éclata de rire lançant au passage des gerbes de flammes qui se transformèrent en fleurs en touchant le sol. « Une enfant me donnant des ordres. Voila qui devient intéressant.
- Je ne suis pas une enfant, je suis Annunaki.
- Pour moi, ça ne représente plus grand-chose.
- C’est vrai ? » Dit Grésil ravie se précipitant sur le dragon pour embrasser le museau baissé vers elle.
« Tu es tellement bizarre, j’essaie de te faire plaisir, et tu te fâches ensuite tu m’embrasses sans raison.
- Je finis mon histoire, tu vas comprendre. Le lendemain, Rafale m’a sortie du lit. Il avait la mine sombre et a refusé de me dire quoi que se soit. Il m’a traînée jusqu’aux appartements de Fragile et m’a dit qu’il repasserait me prendre. Je suis restée comme une sotte dans le petit salon du domaine d’Agoza grignotant quelques gâteaux puis Fragile est arrivée avec son air éthéré. Celle-là, on dirait qu’elle est toujours ailleurs, comme perdue dans ses rêves.
- Elle me plairait je crois.
- Elle s’est mise en devoir de m’habiller d’une façon inconfortable au possible. J’ai eu beau lui dire que ça n’avait aucun sens de gâcher de si belles robes vu que j’allais les abîmer sur les rochers. Elle ne m’a pas répondu et a commencé à me coiffer. Je lui ai dit que j’avais Plumeau pour ça mais elle a continué à chantonner comme si elle ne m’entendait pas. Je me suis mise en colère, je lui ai arraché la brosse des mains et j‘ai dis que je ne voulais plus qu’elle me touche. Là seulement, elle a réagi. Elle m’a dit que Ombre avait raison, qu’il était plus que temps que j’apprenne le respect et l’obéissance, que si elle s’occupait de moi ainsi, c’était sous l’ordre de Matinée et que si je ne pouvais pas faire preuve de la moindre correction à son égard, je pouvais au moins respecter les ordres de mon oncle et Maître.
- Et alors, qu’as-tu fais ? » Le regard du dragon s’alluma comme s’il se décidait enfin à s’intéresser au récit.
« J’ai obéi et je me suis laissé faire, que voulais-tu que je fasse d’autre ? »
Le dragon s’affaissa et la lueur d’intérêt de son regard disparut tandis que Grésil continuait son récit. « Rafale est venu me chercher peu après. Je ressemblais à Arc en Ciel pomponnée ainsi. C’était joli mais pas du tout adapté. A la rigueur pour une réception. J’avais l’air d’une grande. Mais en petite. Rafale m’a dit que j’étais très jolie, mais vu la façon dont il me l’a dit, il avait un petit pincement au cœur. Je me suis répétée dix fois que mon frère était Adarii et Annunaki et que moi, j’étais Grésil. Par conséquent je me devais d’être respectueuse et que je ne devais pas poser de question. Après la dixième répétition, j’ai craqué. Je me suis arrêtée net au milieu de l’escalier, j’ai vérifié que l’endroit était désert et que personne ne pourrait être témoin de mon comportement irrévérencieux et j’ai dit à mon frère que je n’étais pas une poupée qu’on habillait à sa convenance et qu’on traînait partout sans explication et que, s’il ne me disait pas ce que cela signifiait, je ne bougerais pas d’ici. En disant cela, je me suis rendue compte que j’aurai pu trouver un meilleur endroit car si ma stratégie ne marchait pas, je me voyais mal rester à bouder au milieu des escaliers. C’était un peu froid et inconfortable. Heureusement, Rafale m’a lâché. Il m’a dit que je n’aurais pas dû me faire remarquer la veille avec les chevaux.
Je ne voyais pas en quoi m’attifer comme une adulte avait un rapport quelconque avec ces histoires de chevaux. Matinée ne pouvait pas s’imaginer que m’obliger à porter des beaux habits, m’ôterait l’envie de courir et de jouer. J’en ai fait la remarque à Rafale. Il m’a répondu : “On dit Maître matinée” en éludant soigneusement ma question. Puis, il a repris ma main et m’a forcé à le suivre. Je lui ai demandé de me répondre. Je n’en avais plus rien à faire d’être effrontée. Rafale a réfléchi mais il ne s’est pas fâché. Au contraire, il a passé la main dans mes cheveux en faisant bien attention de ne pas abîmer ma coiffure et m’a regardé empli de pitié sincère. « Maître Matinée compte faire pire que de t’imposer une tenue décente ». M’a-t-il dit. Ensuite il m’a encore repris la main et m’a amené jusqu'à la salle des doléances. La salle était comble. Encore plus que d’habitude. Rafale m’a conduit par une petite porte latérale réservée aux habitants de la villa. Matinée trônait entouré de quelques domestiques un peu comme dans les contes de ma maman. Tempête était derrière lui avec son petit dans les bras. J’ai aperçu Ombre aussi un peu plus loin. Rafale ne s’est pas arrêté. Interrompant le représentant des artisans de la vallée océane, il est monté sur l’estrade me serrant toujours la main. Je me suis retrouvé face au peuple de Tiyana sans même savoir ce qu’on voulait de moi mais une chose était sûre, ce n’était pas du bien. Rafale a salué Matinée et ce dernier lui a pris la main un court instant puis il s’est écarté légèrement. J’ai fait de même, mais quand j’ai voulu m’éloigner, Matinée a gardé ma main dans la sienne. Il a jeté un regard à Rafale échangeant sous doute quelque mot par télépathie car il a paru plus résigné que jamais. Il est passé devant moi, il m’a fait un bisou et il est redescendu me laissant un sentiment de solitude étrange quand on pense à la foule qui était réunie là. A ce moment, je me suis rendue compte que, malgré le monde, l’immense salle était plongée dans le silence. Même pas un toussotement, ni un cri d’enfant ou quelques piétinements. Tout le monde me regardait sans faire le moindre mouvement.
Tu sais, Onirique, des cérémonies, des défilés et autres trucs barbants ou on se retrouve devant tout le monde, j’en ai fait à Taegaïan mais là, pour la première fois, j’ai eu vraiment la trouille.
Matinée s’est levé et on aurait dit, je ne sais pas, comme si tout le monde avait reculé d’un pas en même temps. Comme si ma peur avait gagné la salle entière.
Il a levé ma main qu’il tenait toujours dans la sienne et s’est adressée à la salle. “Peuple de Tiyana” a-t-il dit, voici Grésil. Fille des Adarii Pluie de la cité de Taé de Taegaïan et Orage de la cité de Maé de Taegaïan. Tout comme son frère, Grésil a hérité des connaissances des Annunaki. Elle nous fait l’honneur de faire son apprentissage auprès de la guilde du savoir de Tiyana.”
C’était tout ! Je m’étais inquiété, on m’avait fait pleins d’histoires et tout cela pour une simple présentation. Il faut toujours qu’ils compliquent tout à Tiyana. J’étais enfin rassurée. Mais je me suis vite rendu compte que je me trompais. En fait, c’était la punition la plus machiavélique qu’il soit.
Je te raconte : ayant digéré les réprimandes et passée une tenue plus correcte, je m’en retourne aux écuries retrouver mes nouveaux amis dans l’idée de trouver des jeux plus calme. Je retrouve Crin et lui propose une ballade et voila qu’il se confond dans milles excuses car il ne savait pas qui j’étais et que sinon, jamais il ne se serait permis, et patati et patata.
Tout à l’heure, tu m’as demandé ce que je voulais. Je voudrais un ami. Un vrai, qui ne me considère pas comme une sorte d’être bizarre et supérieur. Un ami comme Chiffre
Le dragon réfléchit, en regardant l’image de Crin accoudé devant les écuries. Le jeune garçon s’approcha de Grésil et lui pris la main en souriant.
Grésil retira sa main et d’un claquement de doigt le fis disparaître.
« Non, je voudrais un ami pour de vrai. »
Le dragon ouvrit la gueule et la referma envoyant au passage des volutes de fumées vertes. Avec sa patte, il gratta quelques écailles qu’il lissa ensuite semblant perdu dans une longue réflexion. Autour de lui, le paysage se mouvait peu à peu pour retrouver la sombre forêt d’arbres morts.
D’un mouvement de queue, le dragon balaya les environs les recouvrant d’herbe et prit finalement la parole « je pourrais peut-être être ton ami »
Grésil le regarda dans un sourire désolé. « Tu es un dragon, tu n’es pas un enfant.
- Un enfant » dit le dragon, « d’accord » Il cracha encore un nuage de fumée dans lequel il disparut. La fumée se dissipa laissant place à un jeune garçon de l’age de Grésil.
« Maintenant on peut être ami ? Je suis un garçon et je t’aime bien. Enfin je crois » reprit-il après une hésitation.
« Onirique » dit Grésil « tu es mignon tout plein, mais ce n’est pas d’un rêve dont j’ai besoin, je veux quelqu’un de réel.
- Et pourquoi ne serais-je pas réel ?
- Parce que tu fais partie du rêve voyons. »
Le petit garçon croisa les bras devant lui. « Heureusement pour toi que tu vis dans un monde ou ton insignifiante personne est considérée car ta prétention est insupportable. Parce que je n’ai pas d’apparence physique, je ne suis pas réel, c’est bien cela ? Pauvre Grésil, tu es tellement limitée.
- Onirique » Cria Grésil tandis que le petit garçon disparaissait ne laissant qu’un rond d’herbe verte. « Onirique revient, ne te vexe pas. »
Sous la confusion de Grésil toute sa forêt avait disparu ne laissant qu’une grande toile gris clair et un petit rond d’herbe verte. « Onirique ! Je t’aime bien moi aussi ».
Grésil se réveilla dans son lit. Il faisait encore nuit. Personne ne la comprenait. Si encore elle apprenait quelque chose ici. Mais non, rien. Comme d’habitude, elle ne pouvait compter que sur elle. Les autres la considérait comme une petite fille sans pour autant pouvoir en profiter. Elle sauta au bas de son lit. On l’avait amené ici en lui promettant qu’elle serait Annunaki. Elle trouverait la connaissance par elle-même. Elle savait où chercher, La bibliothèque privée de Matinée. C’est là qu’elle trouverait les secrets de Tiyana
Maïcentres
Syhy Lytil ?
La jeune femme quitta ses rêveries et lâcha les fleurs du jardin des yeux. Elle aimait cette véranda. Depuis qu’elle avait quitté Ryun, elle était revenue s’installer dans la maison de sa famille sur la colline du conseil. Ses parents étaient retournés sur Vengeance quelques années plus tôt. Elle restait seule mais la solitude ne la gênait pas. Au contraire. Ses journées étaient si remplies que le soir, elle n’aspirait qu’au silence. Quitter Ryun l’avait émancipée. Elle n’avait été nullement gênée par les commentaires et autres rumeurs qui l’avait poursuivie les mois suivant sa séparation déplaisants, au contraire, elle s’était mise en avant. Ses parents avaient fuit sur Vengeance sans doute pour s’éloigner du scandale dont leur fille était le centre. Ils lui avaient suggéré de faire de même mais elle était restée. Pire, elle les avait peu à peu remplacés dans leurs positions de représentants de la première province continent de Vengeances. Ses idées étaient appréciées. Elle s’était peu à peu découverte un talent d’oratrice qu’elle ne soupçonnait pas et Ryun était furieux de voir sa position s’élever alors que la sienne déclinait. Elle repensait à Umia qui l’imaginait au pouvoir pour satisfaire ses instincts de vengeance. Elle ne l’avait pas pris au sérieux à l’époque mais elle devait admettre qu’elle avait attrapé le goût du pouvoir et montait les échelon de plus en plus vte soutenu par le peuple. Elle se sentait utile en découvrant que ses projets se concrétisaient et que à petit pas, elle faisait reculer la misère, et relançait l’économie des basses villes.
Elle se décida à répondre dans l’interphone : « qu’est ce qu’il y a ?
- Une dame à la porte demande à vous voir. Elle dit être une employée de Marcus Substance. » Une lueur d’intérêt passa rapidement dans le regard de Dyasella. Marcus Substance était un personnage qui éveillait la curiosité. Elle ne s’intéressait pas aux ragots le concernant pour autant elle éviterait de le froisser. « Fais-la entrer ».
Dyasella attendit quelques minutes et une jeune fille se présenta à la porte. Elle la détailla rapidement. « Vous travaillez pour Marcus si j’ai bien compris. Le Maître Substance comme il se fait surnommer.
- Je ne connais pas ses petits surnoms mais je suis à son service en effet.
- C’est un grand sculpteur et comme tous ici, j’ai beaucoup d’admiration pour ses œuvres. Pourquoi vouliez-vous me voir ?
- Marcus m’a demandé de vous apporter ceci » dit-elle en posant un paquet sur une table.
« Qu’est ce que c’est ?
- Un cadeau je crois.
- En quel honneur ?
- Qu’est ce que j’en sais, ça ne me regarde sans doute pas. Marcus souhaitait que je vous le remette en main propre. Je peux m’asseoir » ajouta-t-elle désignant la place libre au coté de Dyasella.
Cette dernière fronça les sourcils. « Je n’ai pas pour habitude de tenir la conversation avec tous les gens de maison qui passent chez moi.
Vous recevez bien les jeunes dames de la haute noblesse des Maÿcentres ou de Vengeance.
- Oui en effet mais… »
La jeune fille la coupa et s’assit face à elle. « Alors, vous recevrez bien une fille de la haute société des campagnes libres de Cashir à moins que tout comme votre président vous dénigrez Plume au point de laisser moisir ses représentants et les obliger à se retrouver dans des places subalternes que le plus pauvre de Cashir ne pourrait l’accepter »
Dyasella était si étonnée qu’elle ne savait plus quoi faire.
« Qui êtes-vous ? » demanda-t-elle enfin.
« Je m’appelle Réalité. Je suis la fille de Cyril, le Maître de la guilde du souvenir de Cashir.
- Et au service de Marcus Substance ?
- En effet oui.
- J’ai entendu parler de la déchéance de Cashir » finit par dire Dyasella, « j’en suis désolé.
- En être désolé n’est pas suffisant à mon goût.
- Comment osez-vous me parler ainsi ? A vous entendre, je serais responsable de vos malheurs.
- C’est Thaïs qui vous a parlé de Cashir ?
- Thaïs ?
- Sy Thaïs Umia
- En effet oui, vous le connaissez ?
- Bien sur que je le connais, et il m’a dit qu’il vous avait vu, qu’il avait demandé votre aide mais que vous avez refusé.
- C’est plus complexe que ça. Umia est un doux rêveur. Sérieusement, j’estime que je fais déjà suffisamment pour le peuple des Maïcentres et il m’en est reconnaissant. Je lutte tous les jours pour imposer mes réformes devant le conseil. Que voulez-vous que je fasse de plus ?
- Vous avez des vaisseaux puissants et une immunité diplomatique, vous pourriez les forcer à nous ouvrir une voie vers Plume ou Saphir. On pourrait se frayer une route jusqu’au continent du sud sous protectorat Adarii et demander leur aide. Le peuple est opposé à Synshy mais il est trop faible pour réagir. Il ne leur faudrait pas grand-chose pour se révolter et remettre en cause sa position présidentielle »
Dyasella jeta la tête en arrière en soupirant. « Vous vous appelez peut-être Réalité mais vous aussi vous me paraissez plutôt rêveuse, tout comme votre amant car j’imagine mal qu’il soit juste votre ami.
- Ne me faites pas le jeu de la pauvre offusquée, j’en ai assez de vos beaux principes. Vous n’imaginez pas le nombre d’hommes qui ont voulu m’embaucher pour bien autre chose que le ménage. Les gens d’ici aiment prendre leur grand airs et se cacher derrière leur morale et après, ils s’imaginent que les filles de Plume vont satisfaire discrètement leurs perversions secrètes.
- Et ce n’est pas le cas ?
- En effet, il semble que je me sois trompée. Je pensais trouver une femme entreprenante, fière et puissante comme le peuple des basses ville vous voient et vous n’être rien de plus qu’une petite pimbêche prête à s’exciter sur le moindre ragot, moralisant les autres pour tous ce qu’ils osent faire et que vous n’oserez jamais. Et pour votre information, non, je ne couche pas avec Umia. Ou du moins plus depuis longtemps. »
Attendez » voulut dire Dyasella, mais c’était trop tard, la jeune fille était partie en claquant la porte.
Saphir : domaine de Tiyana
La porte s’ouvrit sans bruit et une pâle lumière diffuse se propagea sur le grand lit encastré dans le plancher de bois clair. Matinée dormait sur le dos, la tête légèrement sur le coté, la cascade épaisse de la chevelure d’Ombre recouvrant ses épaules. La lumière ne l’avait même pas fait ciller, il devait être profondément endormi. La clarté s’intensifia légèrement grignotant l’obscurité jusqu’à révéler la porte de bois sculpté à l’autre bout de la chambre. C’était le but à atteindre. La chambre était immense, ce ne serait pas facile. Un bruit ! De nouveau la lumière diminua et les cheveux sombres d’Ombre se confondirent avec les draps de satin noir. A l’autre bout du lit, le bras clair et couvert de taches de rousseurs de la jolie Fragile ressortait encore. La jeune femme se retourna dans son sommeil faisant tinter ses fins bracelets d’or qui ne la quittaient jamais.
C’était ça le bruit.
Grésil n’avait jamais vu d’Adarii à la peau aussi claire que celle de Fragile avant de venir sur Saphir. Elle pensait que seul le peuple des montagnes pouvait avoir cette carnation si particulière mais Rafale lui avait dit que c’était courant dans certains domaines du sud de Saphir.
La porte se referma doucement sur le salon désert à cette heure plus que matinale.
Grésil s’appuya contre le mur, son cœur en ébullition. Elle avait beau être une espionne, il s’agissait de traverser toute la chambre du Maître Matinée et de s’engouffrer dans la petite bibliothèque attenante sans se faire remarquer. La tâche était loin d’être aisée. Pendant quelques instants, l’idée de revenir une nuit où Matinée serait seul traversa la tête de Grésil mais elle l’écarta. Elle n’abandonnerait pas si près du but. Si au moins c’était Tempête qui partageait le lit de Matinée, elle, même si elle se réveillait, Grésil était sûre qu’elle ne dirait rien. Voire même, elle l’aiderait. Depuis que Grésil était arrivée à Tiyana, c’était avec Tempête qu’elle s’entendait le mieux. Elle avait beau être plus vieille que sa propre mère, c’était la seule fille digne d’intérêt ici.
Le jour n’allait pas tarder à se lever, c’était maintenant ou jamais. Elle ouvrit de nouveau tout doucement la porte de la chambre. D’une simple pensée la lumière issue du petit globe dans sa main s’intensifia. Pas si fort pensa-t-elle tandis que la lumière décroissait lentement renvoyant dans la pièce une pâleur diffuse. Grésil retint sa respiration et avança d’un pas dans la chambre. Ses talents d’espionne lui permettaient de s’infiltrer partout, elle était aussi agile qu’un écureuil, ses yeux aussi perçant que ceux du faucon et ses pas plus silencieux qu’un chat. Elle contournait maintenant le lit, ne pouvant se résoudre à lâcher des yeux les trois personnes endormies. Le but était maintenant à sa portée, les yeux rivés sur la porte de la bibliothèque, elle se précipita pour traverser le dernier mètre et… glissa sur une tunique laissée à terre avant de s’étaler de tout son long.
« Qu’est ce que c’est ? » dit une voix ensommeillée.
Eteint pensa Grésil rendant la chambre à la nuit.
« Il y a quelqu’un dans la chambre. » Grésil reconnu la voix d’Ombre.
Elle ne doit pas me voir supplia Grésil en pensée, cependant, un autre globe s’était allumé éclairant toute la pièce.
« Grésil que fais-tu là ? » lui dit Matinée à moitié endormi.
Ombre se tourna à son tour vers elle tandis que Fragile se contenta de se retourner dans un grognement de désapprobation portant sur la lumière excessive.
« Où est-elle ? » demanda Ombre
« Juste devant toi »
Ombre écarquilla les yeux balayant du regard la pièce sans s’attarder sur la petite fille.
« Qu’est-ce que tu fais là » répéta Matinée
« Je voulais… » Grésil chercha vite une parade, mais elle voyait mal comment elle pourrait mentir à son oncle. « Je voulais voir la bibliothèque » finit-elle par dire confuse.
« Ca y est, je te vois petite peste. Sors d’ici tout de suite et attends-toi à une punition exemplaire. »
Grésil regarda son oncle avec des yeux suppliants
« Dites quelque chose » dit Ombre à Matinée, « elle débarque au milieu de la nuit, et vous, ça vous amuse.
- Elle a réussi à t’avoir, tu ne l’avais pas vue. Elle est douée.
- C’est ça félicitez là aussi tant que vous y êtes. Il faut qu’elle apprenne à se tenir et au lieu de cela, elle se sert de ses pouvoirs pour fouiner dans la bibliothèque.
Et puis, j’en ai marre, réglez ça comme vous voulez, moi, je rentre chez moi et joignant le geste à la parole, elle sortit du lit, enfila un peignoir de soie blanche sur sa peau nue et claqua la porte en sortant tandis que Fragile recommençait à grommeler quelques chose d’incompréhensible avant de se retourner de nouveau pour se blottir contre Matinée.
« Comment elle s’y croyait Ombre à faire sa fière parce qu’elle partageait les faveurs du Maître de Tiyana. Grésil se retourna vers son oncle, prête à recevoir les réprimandes. Il était sorti du lit après un dernier baiser à Fragile et passait maintenant une tunique et un pantalon de cuir.
« Viens » lui dit-il en sortant de sa chambre. Elle le suivit sans poser de question et monta à sa suite sur la terrasse au sommet de la villa. Il posa les deux mains sur la rambarde sans dire un mot. On commençait à distinguer la cité dans la clarté grise de l’aube. Au bout de quelques minutes, Matinée brisa le silence : Il y a à peine huit ans, tout ce que tu peux apercevoir ici n’était que ruines et déserts. Maintenant, c’est tout un monde qui s’étale à nos pieds. Tiyana a retrouvé sa gloire d’antan, des hommes arrivent de partout pour s’installer ici et prêter l’antique allégeance aux maîtres de Saphir. Cette renaissance, c’est à tes parents qu’on la doit.
- A entendre Maître Blizzard, mes parents ont surtout été la cause de tous les problèmes qu’on a pu avoir et qu’on a encore avec les autres mondes. Il dit que si Synshy est venu mettre le feu à Taegaïan, c’est uniquement leur faute. »
Matinée ne répondit pas, tout entier dans la contemplation du soleil qui se levait embrasant d’un coup la cité d’orangés, de doré de pourpre et de rose.
« Peut-être n’a-t-il pas tort. Mais peut-être aussi que parfois, une cité doit s’embraser avant que la nuit ne cède la place au matin.
- Bonjour toi »
Matinée ouvrit le bras, laissant Tempête venir s’y blottir.
- Tu es déjà debout ?
- Je sais que tu viens voir le soleil se lever ici tous les matins. J’avais envie de partager ça avec toi mais je vois que je n’ai pas été la seule à avoir cette idée » continua-t-elle faisant un clin d’œil à Grésil.
« Oui, Grésil est venue me faire une petite visite matinale. Mais ce n’était pas moi qui l’intéressait, mais plutôt la bibliothèque.
- Ce n’est pas bien Grésil, tu dois apprendre à ne pas fourrer ton nez partout.
- Laisse là Tempête, le jour ou Orage s’est sacrifié pour réveiller Tiyana, il a laissé tous ses secrets en héritage à ses enfants. Mais Ombre à raison, c’est une grande responsabilité et non un cadeau. Tout ce que tu veux savoir Grésil, tu le sauras mais avant, je veux que tu réfléchisses à une chose. Qu’en feras-tu ? »
Grésil était restée silencieuse, les paroles de son oncle la dépassaient. Elle était une espionne, elle devait découvrir les secrets, après, le reste n’avait pas d’importance. Qu’en ferait-elle ? Le bien sans doute, protéger les siens des méchants.
« Ne réponds pas Grésil et va maintenant, profite de cette nouvelle journée qui commence. On va encore avoir une belle journée aujourd’hui.
- Tu dis la même chose tous les matins et hier et il a plu toute l’après-midi.
- La pluie n’est peut-être pas agréable mais elle est nécessaire. En ce qui me concerne, elle n’a jamais gâché ma journée.
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