samedi 15 décembre 2007

AP : 3. Rafale : Chapitre 4

4

Le monde est sa propre magie.

[Seijun Suzuki

Saphir : Domaine de Tiyana

Ma vie est horrible. Ca fait 2 ans que je suis arrivée à Tiyana. C’est comme on m’avait dit : très grand, très joli, mais, il n’y a pas de quoi en faire de telles histoires. Au final, ce n’est qu’un tas de pierre. Oncle Matinée est gentil mais il devient désagréablement exigeant. Il me dit pleins de trucs que je ne comprends pas. En plus, il m’oblige à m’habiller correctement comme il dit. On m’a amené ici soi-disant pour me donner plein de responsabilités, mais on me considère encore comme une petite fille.

En plus, on m’avait toujours dit que la villa de Tiyana attirait beaucoup de monde mais, il y a surtout des vieux. Ils parlent pendants de heures de choses tellement inintéressantes que je n’ai aucun plaisir à les espionner. Je croise de temps en temps les amies de Matinée dans le grand salon des appartements de Tiyana. Il y a Ombre qui fait toujours la fière. Dès qu’elle m’adresse la parole, c’est pour me réprimander. Fragile est gentille mais elle me traite comme une gamine, se contentant de m’ébouriffer les cheveux et de me parler comme si j’étais un bébé. Ma préférée, c’est Tempête. C’est ma Namma. Une amie de mon père, un peu comme ma maman mais pas pareil. C’est la plus vieille, mais elle est marrante et elle m’apprend pleins de choses. Elle a un petit garçon de Matinée qui a presque quatre ans et il a déjà un nom alors que moi, on a attendu que j’ai six ans bien passé pour m’en donner un. Avenir il s’appelle. Parfois, je m’en occupe mais il est trop petit pour être vraiment intéressant. Il y a des jours où je m’ennuie tellement que je regrette presque Arc en ciel. Matinée disait que grâce à la puissance de la pierre d’Orage, je pourrais apprendre à faire pleins de choses. Je n’ai pas tout compris mais ça avait l’air palpitant.

Au début, c’est sur, c’était bien. On m’avait installé dans une jolie chambre qui surplombe la cité. Elle donne sur un petit salon que je partage avec mon frère. C’est là que se trouve la pierre Annunaki. A son sujet aussi j’ai été déçue, je m’attendais à quelque chose d’impressionnant, c’est un vulgaire caillou tout noir avec des trucs qui ont l’air de briller à l’intérieur. Briller n’est pas vraiment le bon terme parce que ça fait pas de lumière mais je ne vois pas comment le décrire mieux. Quand on la touche, ça donne des sensations bizarres, plutôt agréables en fait. Mais il faut faire doucement. Il parait que les autres ne peuvent pas la toucher. Il parait que la pierre les rejette, mais je n’ai pas vraiment compris ce que ça veut dire et personne ne m’explique jamais rien. Quand je suis en contact avec la pierre, j’arrive à obliger les autres à faire ce que je veux. Ce pourrait être drôle mais je n’ai pas le droit de le faire, alors, je ne vois pas l’intérêt. Rafale dit que, plus tard, je pourrais aussi y arriver même quand je ne serais pas près de la pierre parce que j’aurais crée un lien avec elle. Lui, il y arrive. Il est très fort.

Avec mon frère, je m’entends bien. Au début, on faisait des grandes ballades dans la montagne, des courses à cheval et beaucoup de jeux mais il était souvent très occupé. Il dit aussi que la pierre a besoin d’avoir souvent ma présence pour créer un lien, alors je reste auprès d’elle, coincée dans ce salon vide à scruter un caillou pendant que Rafale passe son temps je ne sais où avec je ne sais qui.

Enfin, je sais avec qui, elle s’appelle Mutine. C’est sur qu’avec un nom pareil, on pouvait s’attendre au pire. Elle est arrivée il y a un mois. Je me souviens encore la joie que j’avais eu quand j’ai appris qu’une navette de Taïla été arrivée. J’allais voir des gens de chez moi. Enfin pas tout à fais chez moi, mais le territoire de Taïla est proche de Taegaïan et je connais quelques personnes. Il y avait entre autre deux garçons de mon age avec qui je m’entendais bien. Je m’étais précipitée et j’étais arrivée juste à l’atterrissage de la navette. Il n’y avait que des vieux. Des vieux et Éclaircie, ça c’est bien, et … Mutine. Elle a 16 ans, la peau brune bien sur mais les cheveux dorés très longs. Des yeux roses et un air mutin, comme on pouvait s’y attendre. Du jour où elle est arrivée, Rafale a disparu, me laissant m’ennuyer à mourir avec un caillou qui a une fâcheuse tendance à m’épuiser. Je ne sais pas ce qu’il lui trouve, elle est superficielle, et inintéressante. Je l’ai prévenu bien sur, mais il ne m’a pas écouté et m’a dit de m’occuper de mes affaires. C’est la faute de cette fille qui lui a tourné la tête.

Et puis, hier soir, elle est venue alors que la soirée était déjà bien avancée. C’est moi qui lui ai ouvert la porte. Après réflexion, je n’aurai pas dû. Elle est entrée avec l’air de quelqu’un trop sur de soi. Genre qui va faire un mauvais coup. Elle était habillée tout en rose avec une tenue pas pratique du tout et un maquillage assorti. Je lui ai dis que Rafale n’était pas là, qu’il était à une réunion avec Matinée. Elle m’a regardé avec une lueur bizarre dans le regard et un sourire très louche et m’a dit que ce n’était pas grave, qu’elle allait l’attendre et elle est partie droit sur sa chambre.

Je lui ai fait remarquer qu’elle n’allait tout de même pas aller dans sa chambre

Elle m’a répondu : « ha oui ? Et pourquoi pas ? »

« Parce que » ais-je répondu ne trouvant rien d’autres, « mon frère n’est pas comme ça. » et c’est vrai qu’il n’est pas comme ça

« Annunaki Grésil » m’a-t-elle dit d’un air pas respectueux du tout, « et moi, je pense que votre frère est comme ça. Ensuite, elle est rentrée dans la chambre de Rafale et elle a fermé la porte derrière elle.

Bien sur, j’ai appelé Plumeau et je lui ai expliqué la situation, mais ça l’a fait rire et elle a pensé qu’elle allait avoir la palme du meilleur potin. C’est une sorte de jeu qu’elle a instauré entre les domestiques de la villa. Chaque semaine, ils élisent celui qui ramène l’information la plus intéressante qu’ils ont réussi à grappiller cependant, ils ne se permettent pas de le faire concernant ce qu’ils ont pu apprendre des Adarii enfin en théorie. Cependant, c’est un secret et je ne dois pas le dire. De toute façon, je ne doute pas que tout le monde soit déjà au courant de cette petite activité illicite On ne peut jamais rien cacher ici.

J’ai dit à Plumeau qu’elle devait chasser Mutine mais elle m’a dit que si elle le faisait, elle n’aurait plus de potins à raconter.

Et puis, Mutine, était Adarii et jamais Plumeau ne se permettrait de lui donner un ordre. Il y avait certaines limites qu’elle n’oserait pas dépasser sous peine de perdre ses avantages durement acquis. Ca, Plumeau ne l’avait pas dit mais quand je suis près de la pierre, je sens les pensées des gens.

Je lui ai dit que Mutine, elle rendait Rafale totalement dingue.

Plumeau s’est contenté de dire « hé oui » et elle a pensé que les hommes étaient bien tous les mêmes.

Je lui ai fait remarquer que Rafale n’était pas un homme, qu’il n’avait que 15 ans.

Elle m’a répliqué qu’elle n’avait rien dit de telle puis elle a réfléchi et m’a demandé si j’étais capable de lire ses pensées.

Je lui ai dit que oui mais qu’elle ne devait pas changer de conversation, il fallait s’occuper de Mutine.

Elle m’a dit que ce dont elle devait s’occuper, c’était de me mettre au lit et, tout en m’aidant à me déshabiller elle s’est perdue dans une réflexion sans intérêt dans laquelle elle se demandait quel potin serait le plus intéressant à révéler entre moi qui pouvait lire les pensées même à distance à 8 ans et Rafale qui allait sûrement passer la nuit avec Mutine. Après réflexion, elle a conclu que cette histoire de télépathie, ce n’était pas bon pour elle et sans doute pas racontable. « Assez » lui ai-je dit. « Sors d’ici ». Je devais attendre Rafale pour le prévenir. Dans une dernière tentative désespérée, je me suis accrochée à la pierre tentant de joindre Rafale à travers elle afin de lui envoyer toutes mes suspicions contre Mutine mais je suis restée trop longtemps près de ce caillou et je me suis endormie dessus. J’ai vaguement senti que Rafale me portait dans ma chambre, j’ai tenté encore de le mettre en garde mais je n’arrivais pas à ouvrir la bouche et je ne suis pas sûre de m’être exprimée clairement

Quand je me suis levée le lendemain matin, j’étais plutôt de bonne humeur. J’avais bien dormi, il faisait beau, et il y avait pleins de galettes aux myrtilles sur la table du salon. Rafale est sorti de sa chambre et est venu s’asseoir à coté de moi et puis Mutine est sortie à son tour de la chambre.

J’ai regardé Rafale et je lui ai dit que j’avais tenté de le prévenir. Il m’a dit qu’il avait entendu et que c’était formidable que j’arrive à le contacter ainsi. Que je faisais des progrès et patati et patata. Il n’a aucun sens des priorités. Je lui ai fait remarquer que je lui avais dit de se méfier d’elle et qu’il ne paraissait pas m’avoir écoutée.

Il m’a dit qu’il m’avait écouté et que d’ailleurs, du coup, il était rentré plus tôt.

« Elle prépare un coup tordu » ai-je encore dit.

Mais Mutine s’est assise tout contre Rafale et lui a dit que ce soir elle pourrait peut-être lui préparer un autre coup tordu du même genre et les yeux de Rafale se sont mis à pétiller d’une façon bizarre. Mutine est dangereuse. Ce doit être une sorte de démon comme on en trouve pleins sur Terre. Et moi seul le vois.


Terre : France

Mike était déjà en retard quand le téléphone sonna. Il hésita et fit demi-tour pour répondre. « Mike Gentry » dit-il dans le combiné ne pouvant masquer l’agacement dans sa voix. Depuis le départ du petit sa vie était un enfer. Avec Hélène, c’était dispute sur dispute. Il avait même songé plusieurs fois à partir mais revenait toujours. Et puis son inquiétude ne le quittait pas. Plusieurs fois il avait eu des contacts avec Thibault sans rien apprendre, ni de l’endroit où il se trouvait, ni de la raison qui l’avait poussé à agir de la sorte. Ses inquiétudes s’en ressentaient dans son travail et il avait fait plusieurs erreurs impardonnables si bien que sa place était menacée.. Il avait envie de leur hurler à tous, fichez-moi la paix. Mon fils est en fugue. Mais il avait choisi de se taire. Ses problèmes ne regardaient que lui. Il savait qu’Hélène en avait parlé autour d’elle, elle avait même appelé la police. Sans succès évidement. Ils leur avaient répondu qu’il n’avait pas pu aller bien loin. S’ils savaient…

Hélène se lamentait, il préférait se taire. Quel intérêt de parler de problèmes qu’on ne pouvait résoudre, car ce n’était pas une main sur l’épaule ou quelques paroles qui se veulent compréhensives qui changeront quoi que ce soit. De toute façon, personne ne pouvait comprendre ce qu’il ressentait. Il n’aurait pas dû répondre au téléphone, si c’était encore quelqu’un qui voulait exprimer sa sympathie, juste pour lui rappeler encore ses malheurs, il lui raccrocherait au nez, il en avait marre de faire des politesses, il ne voulait plus voir personne, plus entendre personne, il voulait qu’on lui fiche la paix.

« Qui est ce ? dit-il n’entendant que le silence au bout du fil.

« C’est moi ».

Mike tomba plus qu’il ne s’assit dans le fauteuil à coté du téléphone. Sa voix trembla quand il répondit : « LG, c’est enfin toi. »

La peur prit le pas sur l’émotion, le moindre mot de travers et son fils risquait de raccrocher. Où es-tu avait-il envie de crier, ne bouge pas, je viens te chercher. Mais ce n’était peut-être pas ça qu’il fallait dire. Mais alors quoi ? Il ne savait pas. Si au moins Hélène était là. Le silence s’éternisait.

« Ca va ? » Finit-il par dire rageant intérieurement de ne rien trouver d’autre.

« Pas trop mal. »

Il s’était interdit d’en parler mais pourtant il ne put tenir d’avantage : « tu es ou ?

- Dans un aéroport. »

Lequel ? où ? » Non, ne pas le harceler, mauvaise tactique. « Je suis désolé, nous n’aurions pas dû te cacher la vérité. » Il n’osa pas aller plus loi. Il ne savait pas ce que Thibault lui avait révélé.

« Ce n’est pas grave. Je comprends. C’est pour ça que j’appelais, pour dire que je ne vous en voulais plus. Tu n’avais sans doute pas le choix.

- C’est vrai, tu vas rentrer alors ? Nous sommes mort d’inquiétude, ta mère est dans tous ses états, et…tu nous manques. Il faut que tu reviennes.

- Non.

- Pourquoi ? Ecoute, dis-moi où tu es, je te promets, tu ne seras pas puni, on pourrait se retrouver et parler tranquillement, ta mère, Thibault, toi et moi.

Il entendit le petit rire au bout du fil. « Si je ne suis pas puni, alors, je suis rassuré » il continua plus sérieusement « de toute façon, je ne suis plus avec Thibault.

Mike restait incrédule. Il ne savait pas s’il devait se réjouir ou s’inquiéter de cette nouvelle, l’un comme l’autre, il n’en eut pas le temps, le petit continuait : « Dis à maman de ne pas s’inquiéter, je dois te laisser, j’ai un avion à prendre. »

Mike s’affola, l’idée de perdre la communication le reliant à son fils était insupportable. « Non, Lull, ne raccroche pas, sil te plait, surtout, ne raccroche pas.

- Non Mike, Ce n’est pas Lull, c’est Accalmie.

La communication était coupée. Il était de nouveau seul. Il serait en retard au travail. Comme si ça avait la moindre importance. « Accalmie » murmura-t-il. « Qu’est ce que tu nous fais ? Bon Dieu, qu’est ce que tu nous fais ? »

Saphir : Domaine de Tiyana

« Arrête, tu me chatouilles

- C’est pour vérifier si vous êtes capable de rire

- Je suis désolé, je ne suis pas un compagnon bien agréable.

- Ne dites pas ça Annunaki Rafale. Un peu trop sérieux c’est tout.

- Je suis désolé, je sais qu’elle n’est pas facile avec toi ».

Mutine fronça les sourcils et s’éloigna légèrement. « Est-ce que ça se fait de s’occuper des pensées des autres ? »

Rafale rougit. Perdu dans ses soucis, il n’avait pas remarqué que Mutine n’avait pas parlé à voix haute. Il aurait aimé qu’elle puisse s’entendre avec sa sœur, ça lui ôterait déjà un souci et puis ce pourrait être une amie pour elle.

« Ne t’excuse pas pour tout et n’importe quoi, je te plaisante et je fais pareil. J’ai vu Grésil oui, enfin aperçu, dès qu’elle m’a vue elle est partie en courant après quelques mots bien peu digne d’une enfant Adarii. Elle ne m’aime pas beaucoup.

- Ne le prends pas pour toi. Ce serait pareil avec n’importe quelle fille qui s’approcherait de moi. Elle n’a que moi ici et pour l’instant j’ai autre chose à faire que m’occuper d’elle mais je ne vois pas comment lui expliquer.

- Elle va me faire pleurer ! Il y a un monde fou ici et elle me paraît avoir la bonne vie.

- Oui mais elle n’a pas d’ami et elle n’est pas chez elle. Tout est si différent ici. Si stricte. Sur Plume, les rapports sont plus simples. La rigidité qu’on trouve ici est difficile à supporter. Maître Matinée dit que nous sommes obligés de faire preuve de beaucoup de rigueur pour nous occuper d’un domaine aussi vaste que Tiyana mais les rapports humains sont du coup bien plus superficiels. Jamais ici ce ne pourrait être envisageable pour un enfant Adarii de jouer aussi simplement que sur Plume. J’ai vécu ça. Tu ne te rends pas compte, tu es libre de vivre ta vie comme bon te semble. Moi, on m’a amené ici. Ce n’est pas moi qui aie choisi de me rallier à Tiyana, Matinée m’a adopté mais il n’est pas devenu mon père pour autant. Grésil partage mon destin, c’est important pour moi. C’est le seul lien qui me reste avec mon père.

- Je pensais que tu ne voulais pas qu’elle vienne ici.

- Non, je ne voulais pas. Elle me facilite la vie mais j’ai beaucoup souffert en venant ici. Je ne voulais pas qu’elle vive la même chose. Pendant des années j’ai lutté contre l’attraction que la pierre Annunaki lui imposait mais ça n’a pas suffi. On veut régenter son destin comme on a régenté le mien et je suis impuissant à la protéger. On dit que j’ai un grand pouvoir mais J’ai l’impression de n’avoir jamais rien fait par moi-même, rien qu’on ne m’ait même pas imposé même si ce n’était pas par ordre stricte. Ce n’est pas un privilège qui m’est dû, c’est un fardeau que je porte et le laisser à Grésil me fait culpabiliser davantage. Elle est si jeune.

- Toi aussi tu es jeune et vous devriez avoir le droit de vivre.

- Comment veux-tu que je vive alors que même toi tu m’es imposée ?

- Tu veux dire que tu es avec moi par devoir ?

- Je ne sais pas, sans doute.

- Tu n’avais pas l’air de trouver ça si terrible. En tout cas, tes pensées étaient moins moroses.

- Ho non, ne crois pas ça Mutine. Je ne me suis jamais senti si bien que depuis que tu es là. Mais, j’aurai voulu pouvoir choisir, j’aurai voulu que ça vienne de moi et de toi.

- Et qui aurais-tu choisi ?

- Toi sans doute.

- Alors quelle différence ?

- Parce que ça ne t’a pas gêné ? Que t’a-t-on dit ? Ne pourrais-tu pas aller sur Saphir séduire l’Annunaki pour qu’il fasse vite des descendants ? »

Le rire de Mutine résonna dans la chambre. Elle riait toujours, un rire léger et cristallin. Un rire innocent illuminant son beau visage et paraissant se répandre dans tout son corps. C’était agréable et ces émotions si simples lui redonnaient le moral.

« C’est ce que tu penses ? Qu’on m’a forcée à venir ? Tu l’as dit, je suis libre et jamais je n’aurais accepté ça. Non, pas du tout. Ca ne s’est pas passé ainsi. C’est Eclaircie qui a arrangé ça. J’étais avec lui quand tu étais à Taegaïan. Je lui ai dit que tu me plaisais aussi, quand il a voulu organiser une expédition ici avec Taïla, il m’a proposé de l’accompagner. C’est seulement ensuite qu’il a soumis l’idée à Maître Glace et Maître Douce que ce pourrait être une bonne occasion pour toi de rencontrer quelqu’un. »

Rafale sourit enfin. « Eclaircie, je le reconnais bien là. C’est un ami fidèle et dévoué. Sans doute celui qui me connaît le mieux. Je ne me suis même pas rendu compte que tu étais aussi avec lui.

- Nous avons décidé de rester à l’écart l’un de l’autre tant que nous étions ici. Je voulais en profiter pour être avec toi et Éclaircie craignait que tu soies gêné si tu le savais. Il dit que les filles peuvent être déjà suffisamment intimidante comme ça.

- Ca ne me gène pas, je préfère ça qu’imaginer que tu es venu sous l’ordre de Maître Douce.

- Mais ce n’est pas la seule chose qui te tracasse n’est-ce pas ?

- Tu sais, je crois que je vis dans la crainte perpétuelle. Tout le monde se repose sur moi comme si j’étais capable de tout résoudre mais c’est trop de responsabilité. Chaque jour, je ne peux m’empêcher d’imaginer ce qu’il se passe sur les autres mondes. Parfois, j’en aperçois des brides, comme une vision fragmentée, des détails sans intérêt la plupart du temps mais ils me font peur. Je sens cette menace qui plane sur nos têtes. J’entends dans mes cauchemars les gens qui hurlent et la débâcle quand Synshy a pris Taegaïan. J’y étais, j’ai tout vu. Je ne veux pas que ça recommence et je ne cesse pas de me demander comment empêcher ça. J’imagine toutes les stratégies qui pourraient être utilisées et comment les parer, j’essaie d’en savoir plus mais je n’y arrive pas et ça m’épuise. Parfois, j’ai l’impression d’être déjà vieux avant même d’avoir vécu. Je voudrais me laisser aller, quitter tout ça mais je ne peux pas.

« Pourquoi ne pas clarifier la situation avec les mondes extérieurs ?

- Ce n’est pas si facile, c’est dangereux. Ce n’est pas pour moi que je crains, j’ai peur de ce qu’il pourrait arriver si je n’étais plus là. Je n’ai pas droit à l’erreur.

- He bien moi, je craindrais plus pour toi que pour tout le peuple Adarii mais parfois il faut dire halte à la prudence, il faut se lancer, entreprendre, cesser de réfléchir, agir. »

Rafale sourit voyant Mutine si expansive et eut presque envie de rire. Elle le regardait les yeux pétillants à genoux sur le lit parlant de ses rêves sans se soucier de broutilles comme elle appelait tous les éléments à envisager pour vérifier si ses projets étaient faisables. Elle rêvait c’est tout. Elle imaginait un monde libre, sans peur, un monde fier et heureux et elle partageait ses rêves avec lui, si simplement. Pris d’une impulsion soudaine, il l’attira à lui.

« Annunaki Rafale, » dit-elle avec son sourire espiègle, « il est bien trop tard pour s’occuper de tes devoirs.

- Si je ne peux m’occuper de toi par devoir Mutine, laisse-moi te prendre pas désir. »

Mutine le renversa sur le lit. Le laissant un instant trop surpris pour réagir puis il se mit à rire au éclat comme il ne l’avait plus fait depuis tant d’année tandis qu’elle s’approchait pour l’embrasser.

Terre : Bahrein


Thibault se prit la tête dans les mains. S’il ne craignait pas qu’on le prenne pour un dingue, il aurait hurlé. Il se contenta de faire les cents pas dans la cellule étroite comme si bouger pouvait le distraire. Il avait rêvé d’Onirique cette nuit. Et bien sur il n’aurait pas daigné bouger le petit doigt pour l’aider. Encore moins pour lui donner des réponses. Alors qu’il les avait, sans aucun doute. Ils s’étaient disputés et avait passé le reste de la nuit à se faire poursuivre par une ombre. Mesquin. Il aurait été plus reposé s’il n’avait pas dormi du tout. Mike martelait sa conscience avec plus de force, il se mit à rire seul dans son trou sordide, d’un rire nerveux et résigné. Pourquoi s’efforcer à le garder à l’écart ? Il n’avait plus rien à cacher.

- Que me vaut l’honneur de ta présence ? pensa-t-il.

- Qu’est-ce qui se passe avec le petit ?

Thibault sentit directement qu’il ne s’agissait pas de la même interrogation qu’il lui posait sans cesse. Il savait. Sans doute en savait-il d’ailleurs plus que lui-même.

- Il est parti

- Où ? Quand ? Pourquoi ? Qu’est-ce que vous trafiquez bon sang ?

Toutes ces questions, cette colère, après ces dernières 24h, c’était plus qu’il ne pouvait supporter. Il s’assit sur la banquette qu’on lui avait dit s’appeler lit, reprenant sa tête dans les mains. Autant par épuisement que par lassitude.

Il s’était fait avoir voila tout, il avait joué avec le feu et s’était brûlé, encore et encore, c’était un moins que rien. Mais un jour, il aurait sa revanche et là, gare à celui qui serait sur sa route. C’est qu’il avait commencé à s’y attacher à ce gosse, ils s’entendaient bien. Pourquoi avoir agi ainsi ? Il se sentait trahi. Et ce n’était pas la première fois. En fait ça faisait seulement écho à des sentiments plus anciens, plus profonds.

- je ne comprends rien

Ce n’était pas étonnant que Mike ne suive pas ses réflexions, Lui-même avait du mal à suivre ses propres pensées.

- Calme-toi Thibault ».

Pour une fois, Mike s’était exprimé avec douceur, sans lui envoyer rudement ses reproches. Seul Mike arrivait à le calmer. Adolescent déjà il se faisait malmener par ses compagnons de classe. C’était souvent lui qui commençait, il fallait l’admettre. Il ne les supportait pas. Des êtres inférieurs et il se contentait de les ignorer. Mais l’indifférence peut-être insupportable et ils n’hésitaient pas à le traiter de tous les noms pour se venger. Thibault avait vite compris et, afin de les insulter d’avantage, il les ignorait encore plus, ne prenant même pas la peine de tourner la tête quand on s’adressait à lui. Mais même s’il ne répondait pas à leurs insultes, leurs sentiments le touchaient et il bouillonnait de rage intérieurement. Qu’aurait-il fait sans Mike et Espoir ? Mike était le seul capable de le calmer et Espoir ! Espoir lui avait appris des façons plus subtiles de se faire respecter et le pouvoir qu’il avait pu acquérir sur les autres grâce à lui, même faible, était amplement suffisant pour se faire respecter de ses animaux. Il s’était depuis délecté des joies de la supériorité. Et maintenant, il croupissait comme un vulgaire insecte. Il se concentra sur Mike.

- Sois heureux Mike, l’oiseau s’est envolé.

- Qu’est ce qui s’est passé, pourquoi l’as-tu laissé partir ?

Il attrapa un rire nerveux. C’était la meilleure. Ca faisait des mois que Mike l’accusait de séquestrer son fils et maintenant, il l’accusait de l’avoir laissé partir. Il ne savait pas ce qu’il voulait celui-là.

- Thibault, je ne sais pas ce qu’il t’arrive mais tu n’es pas dans ton état normal. Commence par me dire où tu es ? Tu as besoin d’aide ? »

C’est vrai qu’il n’allait pas très bien, un peu comme s’il avait pris la cuite du siècle. Se saouler un bon coup, voila qui l’arrangerait.

- Je suis en train de croupir au fond d’une cellule de la pire prison qu’il m’ait été donné de voir. » C’était aussi la seule qu’il ait vu.

- Qu’est ce que tu as fait ?

Ce n’était pas en s’affolant ainsi qu’il va me calmer pensa Thibault mais il se contenta de répliquer. « Si je te dis que je n’ai rien fait, tu me crois ?

- Oui.

Thibault sourit tout seul. Oui, il le croyait vraiment. Ou du moins il se rendait compte qu’il n’était pas en état de pouvoir lui mentir par télépathie. C’était un exercice plutôt périeux. Cette intimité qu’il partageait le calma soudain ne lui laissant qu’une grande lassitude.

- Dis-moi ce qu’il s’est passé ?

Thibault obtempéra sans même s’en rendre compte. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Je lui ai dit quelque chose qui lui a déplu. Accalmie est devenu comme enragé, il a dit qu’il fichait le camp d’ici, qu’il n’en avait rien à foutre de mes histoires, que je n’étais qu’un dingue mystique et qu’il avait d’autres priorités.

- Quelles priorités ?

- Je ne sais pas, il ne m’a pas dit.

- Pourquoi ne l’as-tu pas retenu ?

- Je l’ai retenu. J’ai tenté de le raisonner mais il n’a rien voulu entendre. Je l’ai suivi dans l’hôtel disant qu’il était hors de question que je laisse un gosse faire n’importe quoi et que maintenant, il allait obéir. Ca a fait un beau scandale dans le hall. Il s’est contenté de rire et il s’est dirigé vers la sortie. Je l’ai attrapé par le bras pour le retenir mais il s’est dégagé. Il a de la poigne ce gosse. En passant devant les gars de la sécurité à l’entrée de l’hôtel, il s’est contenté de me pointer du doigt en les regardant et leur a dit que j’étais un dangereux criminel en fuite puis il a continué sans me porter la moindre attention tandis qu’on me jetait contre le mur pour me menotter.

- Pourquoi tu lui as appris ce genre de conneries ?

- Tu plaisantes Mike, il excellait déjà à ce genre de jeu avant que je le rencontre. Il n’y a qu’Hélène et toi pour être assez aveugles pour ne pas l’avoir remarqué.

Mike s’éloigna mais Thibault le sentait encore à la limite de sa conscience. Mélange de craintes et de colères, de remords aussi.

- Qu’est-ce que je peux faire pour te sortir de là ?

- Rien du tout, t’inquiète, une fois qu’ils auront vérifié leurs infos et vu que je n’ai rien à me reprocher ils me relâcheront et celui qui m’a arrêté en prendra pour son grade d’avoir fait une telle bavure. Non, il faut retrouver le gosse plutôt. J’ai peur qu’il fasse des conneries.

- Comme quoi ?

- Je n’en ai aucune idée. C’est bien ça qui m’inquiète.

Thibault se laissa aller se cognant la tête contre le mur. De sa poche il sortit un papier de soie qu’il ouvrit sur une minuscule pierre noire. Il tenta encore de l’approcher mais recula la main. Il n’en avait pas vraiment envie.

Sortir d’ici, récupérer les manuscrits d’Onirique dans sa chambre, trouver Substance, retourner aux EtatsUnis, trouver un baratin pour expliquer au légat Vygosi où il était ses derniers mois et pourquoi sa mission était de la plus haute importance.

Il regarda encore une fois la petite pierre dans son écrin avant de la remettre dans sa poche. Mike, si un jour tu n’as plus de nouvelles de moi, c’est que j’ai fais une belle connerie.

Aucun commentaire: