mercredi 5 décembre 2007

AP : 2. Rêves d'enfants : Chapitre 7

"Rien n'est plus artistique que le reflet de l'imagination d'un enfant."

[Thibault Wehbe]

Plume

Grésil s’écarta d’un pas, fis quelques mouvements de la tête pour assouplir son cou. Elle commençait à avoir des crampes à force de rester dans la même position. Enfin, c’était le métier qui voulait ça. Elle se rapprocha de la porte et plaqua de nouveau son oreille contre le bois. A peine arrivé, ils s’étaient enfermés pour discuter

Depuis qu’ils étaient arrivés, ils passaient leur temps à s’enfermer là-dedans. C’est à peine si elle avait pu voir son frère. En plus, elle ne comprenait rien à ce qui se racontait. Ces portes étaient vraiment trop épaisses. Elle discernait bien quelques brides de conversations, mais ce n’était pas très clair. Il avait été question longuement de gestions et d’échanges entre les domaines de Saphir et les territoires de Plume. Très ennuyeux. Ensuite, ils avaient parlé de Vengeance et des Maÿentres. Grésil avait retenu sa respiration en entendant le nom des deux planètes qui avaient tenté de les envahir des années plus tôt. Mais son frère Rafale les avait tous sauvé. C’était un héros. Son père Orage aussi était un héros. Et même sa mère et Oncle Glace. Même qu’ils avaient vécus sur les Maÿcentres. D’après Souffle, la petite sœur de Rafale, il y avait des monstres là-bas. C’était Orage qui lui avait dit, il y avait bien longtemps. En tout cas, du peu qu’elle avait pu comprendre, il n’avait pas été question du moindre monstre. Juste de quelques remarques comme quoi de plus en plus de vaisseaux atterrissaient en Cashir. Grésil n’avait pas compris ce qu’il se passait là-bas. Mais de toute façon, la conclusion avait été qu’on ne s’en mêlerait pas. Maître Blizzard avait même ajouté très fort que les indigènes de ce continent faisaient les fiers en disant qu’ils pouvaient se débrouiller seul alors qu’ils n’avaient qu’à se débrouiller. Maître Glace avait paru sceptique, il n’aimait pas les savoir si près. Et maintenant, il parlait de la magie des Pierres de Tiyana. Grésil savait qu’elle n’en apprendrait pas beaucoup même en se collant très fort à la porte. Ceux de Tiyana gardaient jalousement leurs secrets. Ils parlaient de Rafale. Quelqu’un disait qu’il devait être secondé. Rafale avait répondu qu’il se débrouillerait encore quelques années. Il disait qu’il avait été obligé d’accepter ce fardeau et qu’il ne voulait pas l’imposer à quelqu’un de si jeune. De quoi parlait-il donc ? Et puis, un autre avait dit que de toute façon elle avait l’air de l’assumer même ici et puis Rafale avait dit qu’il pouvait la tenir à distance et c’était totalement incompréhensible.

Grésil fit doucement un pas en arrière en sentant sa gouvernante approcher. Trop tard. Plumeau se tenait juste derrière elle, les bras croisés.

« Est-ce là des manières dignes d’une enfant Adarii ? »

Grésil se retourna et lui fit signe de se taire. « Tu ne vas pas me réprimander alors que tu passes ton temps derrière les portes ?

- Justement, Ce sont des manières de domestiques. C’est mon privilège. Vous, vous devez vous conduire correctement ». Tout en disant cela, elle colla elle aussi son oreille derrière la porte.

« Vous voyez Grésil, tout l’art de l’espionnage consiste à écouter le plus négligemment possible. Si vous êtes trop curieuse, ils le sentiront. D’ailleurs, ne vous faites pas la moindre illusion, même plongé dans leurs histoires, je suis prête à parier qu’il y en a au moins la moitié qui savent que vous êtes là. Et au final, on dira que c’est ma faute car c’était à moi de vous surveiller ».

Tout en disant cela Plumeau sortit de la pièce avec un air pitoyable laissant Grésil seule avec sa conscience.

La perspective d’imaginer la pauvre gouvernante se faire réprimander la décida à quitter la porte. Pourtant, tandis qu’elle s’éloignait, elle crut percevoir son nom. Elle se rapprocha. Juste une minute de plus et je m’arrête pensa-t-elle. La voix de Glace disait qu’elle était trop jeune. Il devait en effet parler d’elle, on disait toujours qu’elle était trop jeune pour tout et n’importe quoi.

« C’est la seule qui puisse le faire ». Répondit Maître Blizzard. Elle avait dû se tromper, ce n’était pas elle. Elle n’avait pas de capacités particulières. Si ce n’est ses talents d’espionnes mais ça, elle le gardait secret. Maître Blizzard disait aussi qu’elle avait une capacité d’imagination très élaboré mais qui se cantonnait aux bêtises.

« Grésil !!!! »

Grésil sursauta de nouveau puis s’affola en entendant le ton agonisant et désespéré de sa cousine. S’était-elle fait mal ? Peut-être l’avait-on empoisonnée ? Un monstre des Maÿcentres sans doute ?

« Tu écoutes aux portes !!!!! » continua-t-elle sur le même ton.

Grésil soupira. Pourquoi fallait-il que cette pimbêche miniature soit toujours derrière elle. Il y avait un monde fou dans la villa. Elle trouverait bien des gamines pour parler de ses robes et de ses sandales dans un salon très éloigné de celui-ci.

« Ma pauvre Grésil, tu es désespérante. Mais regarde-toi !! Tout en disant cela, elle la poussa presque jusqu’à un grand miroir. Et alors avait-elle envie de demander en voyant son reflet, silhouette maigrichonne dans une courte tunique de coton brodé resserré à la taille par une fine écharpe dorée d’ou pendaient une myriade de minuscules pierres précieuse.

Derrière elle, tout en se regardant dans le miroir, Arc en ciel prit une moue affligée très élaborée.

« Tes cheveux sont en désordre » commença-t-elle

« Evidemment, je me suis baignée dans l’océan tout à l’heure.

- Ta tunique est trop courte.

- C’est plus pratique pour sauter sur les rochers

- Tu es pieds nus

- La plupart des gens sont pieds nus. Les chaussures, c’est bon pour le froid de Maniya

- Père dit que tu nous as fait honte à la cérémonie d’accueil. Il dit que tu t’es mal comportée. Il dit aussi que c’est la faute de ta gouvernante. Il dit qu’elle n’est pas digne de travailler dans une villa Adarii, Il dit que si tu étais sa fille, il te reprendrait en main vite fait et que si Pluie ne pouvait pas t’éduquer correctement, elle aurait dû te confier à mon père parce que Maître Glace, il n’a pas le temps de s’occuper de toi. ».

Arc en ciel avait dit une phrase de trop

« Laisse ma mère en dehors de ça » cria Grésil en empoignant les rubans de la robe de sa cousine.

Arc en ciel se mit à hurler alors qu’elle l’avait à peine touchée et en reculant, marcha sur les lacets de ses chaussures et s’affala en arrière entraînant Grésil avec elle. En même temps, la grande porte de bois clair s’ouvrit laissant aux plus éminentes personnalités de Plume et de Saphir, le spectacle de la pauvre Arc en ciel en larme, Grésil presque allongée sur elle.

« Elle m’a frappée » se lamenta-t-elle entre deux sanglots

« C’est elle » dit Maître Blizzard dégoûté en désignant Grésil

Glace avoua semblant presque s’excuser.

Une dame d’une grande beauté malgré son age avancée, qui devait être le Maître des forêts d’Arkae se mit à rire. « Elle n’a que 7 ans, que pouvez vous juger à cet âge-là

- Peut-être est-elle jeune mais elle a déjà le caractère de son père » reprit Maître Matinée en souriant.

« Elle a un peu de sa mère aussi». Dit le Maître Azlan

« Laissez-là grandir » dit Rafale désespéré.

« Vous êtes sur qu’Orage n’a pas d’autres enfants ? » demanda la jeune Maître Douce de Taïla.

« Ce qui serait bien » dit une voix du fond de la salle « c’est que le jeune Annunaki nous fasse une descendance, ça assurerait les arrières

« Dois-je vous rappeler que je n’ai que 13 ans » reprit Rafale indigné. « Je ne suis pas un étalon reproducteur.

- Sans aller jusque là, à votre age, vous pourriez au moins choisir quelques jolies filles pour flirter.

- Il aurait besoin de plus de temps.

- On en revient donc à Grésil.

- Vos propos sont tout à fait déplacés. C’est de votre protecteur dont vous parlez. Malgré son jeune age, vous lui devez votre respect » reprit Maître Matinée.

- Il est évident que nous avons tout beaucoup de respect pour Tiyana et le jeune Annunaki, mais nous somme là pour parler notre avenir et il nous faut prendre aucun risque. D’ailleurs, Tiyana a failli disparaître. Si je puis me permettre Maître Matinée, je ne doute pas que votre fils soit magnifique, mais un, c’est un peu juste.

- Surtout s’il hérite du caractère de sa mère.

- Vous dépassez les limites, je ne veux plus rien entendre à ce sujet. Ce n’est pas à vous de dire ce que j’ai à faire et avec qui » répondit Matinée.

La porte du salon s’ouvrit à la volée sur oncle Grêle. Les réprimandes allaient fuser pensa Grésil. Mais pour une fois, Grêle n’eut pas l’air de prendre garde à sa fille toujours en train de pleurnicher inutilement. Aurait-il enfin compris que ce n’est qu’une chochotte idiote ?

« Un bateau gigantesque vient d’entrer dans le port de Taegaïan. Rien à voir avec nos bateaux de pêche. Jamais personne n’a vu de vaisseau de cette taille.

- Les mondes extérieurs » cria quelqu’un affolé.

- Sois raisonnable » reprit Glace en se dirigeant vers la porte, « ils ne viendraient pas en bateau. »

Grésil se précipita à la suite de Glace. Enfin quelque chose d’excitant allait se passer. Peut-être étaient des marchands de contrées lointaines et mystérieuses amenant des marchandises somptueuses. Peut-être avaient-ils des objets fabriqués par la magie comme à Tiyana. Elle n’allait pas rater cela mais Grêle l’attrapa par sa tunique alors qu’elle franchissait la porte.

« Où cours-tu ainsi petite peste ? Tu n’iras nulle part avant de m’avoir dit ce que tu as encore fait pour m’être ma fille dans un état pareil.

- Mais c’est Arc en Ciel qui…

- Je ne veux pas le savoir, tu nous fais honte à tous. Une vraie petite sauvageonne. Il serait temps que tu apprennes à obéir et je vais m’en occuper personnellement puisque ta mère ne semble pas s’en soucier. D’abord, où est la petite fouine qui te sert de gouvernante ?

- Laisse-là Grêle ».

Grésil se retourna plein d’espoir vers Matinée.

« Maître Matinée » reprit Grêle sur un ton beaucoup plus respectueux. « Grésil est ma nièce et je pense être en droit de faire son éducation.

- Grésil est tout autant ma nièce que la tienne. Occupe-toi de ta fille.

- Grésil l’a frappée » reprit Grêle.

« C’est vrai Grésil ? » Demanda Matinée

« Non, je l’ai à peine touchée.

- Tu vois Grêle, elle n’a rien fait à ta fille, maintenant laisse nous. »

Il attendit que Grêle ait fermé la porte derrière lui traînant sa fille à ses cotés avant de reprendre. « C’est vrai que tu as l’air d’une sauvageonne. »

Grésil n’en avait cure, ce qu’elle voulait, c’était aller voir le bateau. « Je peux aller voir le bateau.

- Je t’ai sortie des griffes de Grêle, c’est en fuyant ainsi que tu me remercies ?

- Vous savez bien à quel point je vous en suis reconnaissante Maître

- Fais-moi un bisou. »

Grésil sauta au cou de son oncle et l’embrassa sur la joue.

« Tu me revaudras ça ?

- Comment pourrais-je être utile au Maître de Tiyana ? Je ne suis que Grésil.

- Tu pourrais peut-être faire un effort pour te tenir correctement.

- D’accord, je le ferais » dit Grésil le pensant sincèrement. « De toute façon, elle n’aurait pas osé essayer de tromper son oncle. « Je peux aller voir le bateau maintenant.

- Il lui faudra du temps pour amarrer. Je pense même que tu devrais avoir le temps de passer une tenue plus convenable. Quels qu’ils soient, ces gens n’ont sûrement pas fait tous ce trajet pour voir une petite paysanne

Depuis que les femmes travaillent, on est passé de “Merci mon Dieu, c’est vendredi” à “Merci mon Dieu, c’est lundi”. Si une mère n’a jamais dit ça c’est que ses enfants n’ont pas encore atteint l’adolescence.

[Ann Diehl]
Extrait d’un article dans Vogue - Janvier 1985

Terre

« Tout ca, c’est de ta faute » répétait inlassablement Hélène.

Chaque jour, c’était les mêmes disputes. « Je te rappelle que c’est toi qui es venue me chercher, désespérée parce que tu te retrouvais perdue avec le gamin d’Espoir. Je te l’avais dit que c’était de la folie, mais non, tu as fait ta fière, tu as fait celle qui savait très bien ce qu’elle faisait, qui pouvait tout gérer et maintenant, ce serait de ma faute !

Tu as refusé de voir la vérité en face. »

Une douleur cuisante traversa la joue de Mike et il s’arrêta instantanément. Hélène était en fureur et s’apprêtait à le frapper à nouveau. Il retint sa main, prêt à lui rendre son coup et s’arrêta soudain. Ils devaient se calmer, ça ne servait à rien de se disputer ainsi à se jeter leur crainte l’un sur l’autre. Réfléchir, se calmer, trouver une solution, trouver Thibault. Il lâcha la main de sa femme, fit demi-tour et sortit en claquant la porte.

"Ce sont les enfants et les oiseaux qu’il faut interroger sur le goût des cerises et des fraises."

Goethe

Plume

Grésil s’était faufilée jusqu’au port. Elle avait réussi à trouver un gros rocher sur lequel grimper et elle avait même passé un long sari de soie pourpre pour faire semblant d’être une vraie fille. Elle s’était aussi coiffée et Plumeau l’avait coincée l’obligeant à rester sans bouger le temps de lui tresser les cheveux. Elle avait réussi à lui faire dix petites tresses avant qu’elle ne s’enfuie. Déjà les perles métalliques qui les maintenaient en place s’entrechoquaient suffisamment pour mettre fin à toute tentative d’espionnage. Elle n’avait pas poussé le vice jusqu’à porter des sandales ou plutôt elle avait dû les perdre dans l’escalier. Le bateau était là. Encore plus gigantesque qu’elle ne l’avait imaginé. Pourtant son imagination était immense. La proue était sculptée en forme d’oiseau aux ailes déployées. Une sculpture magnifique. Les voiles avaient été baissées, mais elle avait eu le temps de voir leurs couleurs chatoyantes. Elle aurait pu s’approcher plus, personne ne se serait permis de l’en empêcher, mais elle avait eu un peu peur. Après tout, elle ne savait pas d’où venaient ces gens. Plusieurs hommes avaient débarqués portant de somptueuses capes d’apparats. Pas des vêtements de pécheurs ça. Ce devait être des marchands de statuts élevés. Maître Glace lui-même était venu à la rencontre de ses hommes venus d’ailleurs.

« Je vous trouve enfin ».

Grésil se retourna vers sa gouvernante. « Qui sont-ils ? »

- Des émissaires des campagnes libres de Cashir à ce que j’ai cru comprendre.

- La campagne libre !é

Voilà qui était excitant, un continent mystérieux dont Maître Blizzard n’avait révélé l’existence que quelques années auparavant.

« Tu crois qu’ils apportent des présents exotiques ? Peut-être des objets issus de la magie ?

- Des présents exotiques, sûrement. Quant à la magie, ces hommes n’ont jamais su la maîtriser. Ca se saurait.

- Rafale m’a offert un foulard qui change de couleurs avec mes émotions.

- Il doit clignoter sans cesse alors. »

- Et Tempête un bracelet qui permet de voler.

- Ca m’étonnerait.

Grésil relativisa. « Qui permet de se soulever un tout petit peu du sol. Elle n’ajouta pas qu’en général avec ce joujou elle perdait systèmatiquement l’équilibre et finissait par terre. Il lui en restait encore quelques bleues.

- C’est un programme d’antigravité de bracelet contact de Vengeance sans doute. Rien à voir avec de la magie. »

Grésil ignora les propos terre à terre de sa gouvernante, il y avait plus intéressant. Glace avait fini de parler aux émissaires et se dirigeait vers la villa. Pendant quelques minutes, elle les perdit des yeux, dissimulés par la foule qui s’était pressée autour du port, puis toujours juchée sur son promontoire, elle les vit à nouveau atteindre l’esplanade de la villa. Elle aperçut aussi de loin Matinée qui s’entretenait avec un domestique et crut qu’il lui avait fait un signe mais il entra à la suite de Glace et des émissaires. Il était temps de reprendre son rôle d’espionne. Ils n’iraient sûrement pas dans la grande salle des doléances, Glace voudrait leur parler en privé. Ils n’iraient pas non plus dans la salle de l’assemblée, ce n’était au fond que des hommes des campagnes libres.

« Bouh ! »

Grésil se mit à hurler et Chiffre, qui l’avait surprise, rit aux éclats.

« Est-ce des manières » gronda la gouvernante.

« Désolé Plumeau » se repentit le petit garçon.

Plumeau s’approcha de lui. « En ce qui me concerne, tes taquineries ne me posent pas de problème mais évite ce genre de familiarité en public, sinon, ça va jaser et nous retomber dessus.

- Je suis désolé » reprit le jeune garçon avec plus de sincérité. « ça fait des jours que je ne vous ai pas vue. Grésil »

Avec tout le monde qui est venu pour l’assemblée, je dois rester et m’occuper des invités, encore une idée de ma mère, tu as vu ce bateau ? » s’exclama Grésil

« Qui est ce ? » Lui demanda Chiffre.

Grésil n’eut pas le temps de répondre, sa gouvernante intervint encore. « Chiffre tu n’as pas à lui poser ce genre de question et Grésil, vous n’avez pas à lui répondre.

- Pour ce que je sais de toute façon » lança Grésil.

« Vous savez quoi ? » demanda Chiffre sans se soucier de Plumeau.

« Rien, comme d’habitude. Glace ira sans doute à la petite salle d’audience, celle où il reçoit les marchands Ce ne sera pas simple, elle donne dans le grand hall d’entrée. Coller l’oreille à la porte ne serait pas discret ».

« Aie » s’exclama-t-elle sentant son pied écrasé par celui de sa gouvernante.

« Si vous mettiez des sandales, vous ne sentiriez rien. Et répétez-moi cette phrase correctement. »

Grésil soupira. « Maître Glace « dit-elle en insistant bien sur le titre qu’elle avait négligé « les recevra sans doute dans la petite salle d’audience mais je n’irai pas les espionner car je suis bien élevée et que de toute façon Glace saura que je suis derrière la porte et que Plumeau se fera réprimander.

- C’est mieux mais pas encore ça. Répétez en supprimant la fin » dit Plumeau tandis que Chiffre pouffait le visage caché derrière la main.

Grésil n’eut pas le temps d’entamer la troisième version, un serviteur se présenta devant elle. Ce devait être un de ceux de Matinée vu sa tunique noire.

Maître Matinée souhaite que vous le rejoigniez dans la salle d’audience.

Grésil était si étonnée qu’elle ne répondit pas. C’était trop beau, trop inattendu, trop extraordinaire aussi. Elle tendit son poing fermé vers Chiffre qui fit de même et il se frappèrent doucement poing contre poing. C’était leur signe de ralliement. Amitié pour toujours que ça voulait dire.

Arrivée devant la porte, elle ne sut que faire aussi se contenta-t-elle d’attendre, folle de curiosité. Jamais on ne l’avait convié à la moindre réunion, alors en plus avec des hommes venus du bout du monde, c’était si palpitant tout cela. Décidemment, elle adorait son oncle Matinée. Glace ne l’aurait jamais convié à ce genre de chose. Il ne fallut pas longtemps pour que l’aide de Matinée lui ouvre la porte. Glace était au fond de la salle, installé sur un canapé bas recouvert de brocard. Il fronça légèrement les sourcils en voyant Grésil mais ne fit aucun commentaire. Un des émissaires assis un peu à l’écart sur l’épais tapis de laine se retourna pour voir la nouvelle arrivante mais les autres ne parurent rien remarquer. Enfin si, légèrement à l’écart, Maître Blizzard avait l’air furieux mais il avait toujours cet air là. Grâce à ses talents d’espionne, Grésil se fondit, telle une souris microscopique, à la suite du serviteur de Matinée qui la conduisit au coté de son oncle. Elle hésita, en principe, elle devrait s’asseoir derrière Glace, après tout, il était son tuteur cependant Matinée se déplaça légèrement et lui fit signe de s’asseoir entre Rafale et lui. Très fière de cette promotion Grésil ne se fit pas prier et pour une fois n’eut pas de scrupule à écouter la conversation.

L’homme qui parlait avait un air sur de lui à la limite des convenances, à croire qu’il ne se rendait pas compte à qui il s’adressait. Il était assez âgé, bien moins que maître Blizzard, mais beaucoup plus que Glace et à fortiori Matinée.

La voix froide et posée de Glace trancha à la fin du discours de l’homme. « Les campagnes libres ne sont pas soumises à notre autorité. Et cela, selon vos souhaits et les nôtres. Pourquoi venir subitement nous seriner vos petits ennuis ?

- Parce que justement, ils ne sont pas petits » reprit le porte parole. « Je ne viens pas supplier les puissants Adarii de régler un problème de voisinage quelconque, je viens en temps que Maître de la guilde du souvenir de Cashir traiter avec les Maîtres protecteurs des terres du sud au sujet d’un parasite commun. Si vous êtes à la place que vous occupez actuellement, c’est parce qu’un jour, l’un des vôtres est venu frapper à ma porte et que je lui ai ouvert ma maison et offert mon aide.

- En rendant des documents qui avaient été volés à notre peuple. Quelle grande magnanimité.

- Je ne saurais dire, il se trouve qu’il m’est resté comme une sorte de trou de mémoire très peu naturel à ce sujet.

- Vos sarcasmes ne m’intéressent pas Cyril de la guilde du souvenir, si vous n’avez rien de mieux à dire vous pouvez sortir.

- Ses ordures ont pris ma fille aînée.

- Essayez encore une fois de nous raconter des mensonges et vous trouverez que les mondes extérieurs sont en fait bien magnanimes

- D’accord, elle a cru être capable d’aller parlementer sur les Maÿcentres, elle a profité qu’un de leur hommes se soit entiché d’elle pour aller là-bas. Mais le résultat est le même.

- Ne pensez-vous pas plutôt qu’elle s’est entichée d’un de leurs hommes ? Après tout, vous êtes de la même race.

- Pas d’injure je vous prie, vous connaissez leurs coutumes barbares.

- Oui je connais » dit Glace en souriant « et je ne me fais pas d’inquiétude, ils ne toucheront pas à votre fille.

- Elle connaît bien des secrets

- C’est une menace ?

- Je ne me permettrais pas. Ecoutez, ils fourrent leur nez partout, exploitent nos artisans, nous méprisent, se croient en droit de diriger nos cités, prennent nos femmes.

- Juste votre fille

- Le peuple de Cashir s’essouffle, bientôt il n’en restera plus rien

- Si je résume, vous voudriez qu’on s’occupe de jeter les Maÿcentres hors de Cashir, qu’on retrouve votre fille perdue on ne sait où, le tout s’en empiéter sur votre territoire. Et en échange, nous aurons droit à quoi ? Des remerciements ?

- Qu’est-ce que vous voulez ?

- C’est bien ça le soucis, nous avons tout ce dont nous avons besoin, alors pourquoi s’ennuyer avec vos histoires ?

- Par rapport de bon voisinage, par esprit de justice, par pitié, par reconnaissance.

- Ecoutez Cyril. Il y a quelques années, vous avez reçu l’un des nôtres, je vous recevrais donc. Vous avez aidé l’un des nôtres. Je vous aiderais donc, mais revoyez vos ambitions à la baisse, nous ne sommes pas là pour résoudre vos problèmes. »

Glace se tourna vers le domestique debout dans un coin de la salle. Tu installeras ces hommes dans les appartements de l’Adarii Pluie.

« Tu as eu tort Glace lança maître Blizzard à peine les hommes avaient-ils quitté la salle. On ne doit rien à Cashir et en aucun cas on ne négocie avec eux. Qu’ils se débrouillent, leurs problèmes ne nous concernent pas. En plus la décision de les aider ne t’appartenait pas. Tu es le Maître de Taegaïan et cette décision dépasse de beaucoup ta fonction.

- En effet Maître Blizzard » reprit Matinée, « c’est sous mon ordre que Glace a proposé son aide

- De quoi vous mêlez-vous ?

- De ce qui me regarde. A moins que Maniya n’ait les capacités de résoudre ces problèmes.

- Maniya à la capacité de refuser de résoudre ces problèmes. Quand à Tiyana, son rôle est la protection des terres Adarii de Saphir et Plume. Ce qui n’inclut en aucun cas les lointaines campagnes libres.

- Bien sur, laissons les Maÿcentres racontez à qui veut l’entendre qu’ils ont vaincu les terres Adarii, laissons les prendre les lointaines Cashir. Il serait temps de relativiser. Nous parlons de peuples ayant l’habitude de voyager sur des millions de kilomètres en quelques heures et nous nous permettons encore de parler de la lointaine Cashir. Cashir est à nos portes voilà la vérité. Seul un océan et quelques montagnes vous séparent. Il existe sur d’autres mondes des armes pour qui ses distances ne sont rien. Ils peuvent de là-bas empoisonner l’air et l’océan et que sais-je encore et vous dites encore que ça ne nous regarde pas ?

Blizzard avait perdu son arrogance face à l’emportement du jeune Matinée. Glace profita de ce répit pour prendre la parole. « Que comptez-vous faire exactement Matinée ?

- Ce n’est pas à moi qu’il faut poser la question. Rafale ?

- Sur le court terme, agir n’est pas envisageable » reprit Rafale, « Nous avons repéré les activités des mondes extérieurs en Cashir depuis plusieurs années déjà mais il faudrait en apprendre d’avantage sur la situation. Il faudrait aussi savoir exactement ce qu’en pense le peuple de Cashir. Cyril m’a l’air furieux parce que les Maÿcentres font de l’ombre à son pouvoir et qu’on lui a pris sa fille mais il s’agit de soucis bien personnels. Après, si les Maÿcentres se contentent d’exploiter Cashir, après tout, ça ne nous regarde pas. A la rigueur, ils ont le choix, ils peuvent toujours venir ici et prêter allégeance aux Adarii si leur situation est insupportable. Il doit y avoir moyen de morceler Cashir afin d’en laisser la gérance aux différents territoires en place ou, vu la distance, trouver des volontaires pour récupérer ses terres comme un nouveau territoire. Mais l’idéal serait que la décision vienne d’eux. Par contre, je crains que ça ne s’arrête pas là. Le fait que les mondes extérieurs clament hauts et forts qu’ils nous ont vaincu me dérange énormément, d’un autre coté, je ne veux pas prendre de risque et nous ne sommes pas si puissant. Je suis d’accord avec Maître Blizzard quand il dit que notre rôle est la protection des terres Adarii. Quoi qu’on fasse, ce doit être notre priorité. Il est hors de question de se lancer dans la moindre action qui risquerait de faire courir un risque quelqu’il soit aux nôtres. Une fois qu’on aura étudié tout cela, alors seulement, on pourra les surveiller et éventuellement, voir ce qu’on peut faire avec nos faibles moyens si ça commence à dégénérer.

- Quand Rafale parle de faibles moyens » reprit Glace s’adressant personnellement à Matinée, « dois-je comprendre que si Grésil est à vos cotés, c’est que vous considérez qu’elle en fait partie ?

- Tu as tout à fait compris mon frère

- Est-ce que nous n’avons pas déjà discuté de cela ?

- Si bien sur, nous ne faisons que ça, discuter. Alors maintenant, nous allons nous arrêter de discuter et nous dirons qu’il s’agit d’un ordre. »

Glace s’arrêta incrédule. Matinée ne cilla pas. Glace soupira. « Je m’incline devant l’autorité du Maître de Tiyana mon frère mais dans ce cas, je vous laisse aussi le grand honneur d’annoncer votre décision à sa mère.

Grésil avait tout écouté sans dire un mot. Elle s’était offusquée de l’impudence de l’homme de Cashir, elle avait été follement excitée d’entendre parler des Mondes extérieurs, En entendant parler de l’enlèvement de la fille de Cyril, elle avait commencé à s’inventer une histoire dans laquelle elle pourrait à elle seule sauver la jeune fille. Elle avait été émerveillée devant les propos si mature de son grand frère Rafale qui était si beau et puissant et elle n’avait plus rien compris quand on avait parlé d’elle.

« Je fais partie de quoi Matinée ?

- On dit Maître Matinée Grésil et on ne pose pas de question. Je vais demander à ta mère de venir et nous réglerons ça en sa présence. Ensuite, je pense que le pire sera fait. Matinée se mit à sourire à Glace. Se confronter aux Maÿcentres ne devrait pas être si terrible, mais à Pluie, c’est une autre histoire.

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