vendredi 14 décembre 2007

AP : 3. Rafale : Chapitre 2

2

La magie du premier amour, c'est d'ignorer qu'il puisse finir un jour.

[Benjamin Disrael

i

Maïcentres

« Pourquoi m’avez-vous fait venir Syhy ?

- Pour que vous remerciez maître Marcus Substance de son présent.

- Vous n’aviez pas besoin de me faire traverser toute la colline pour cela.

- Toute la colline, n’exagérons pas Marcus n’habite pas si loin. Je connais sa résidence. Saviez-vous qu’elle appartenait à l’ancien président le Syhy Eysky. Ryun avait voulu la récupérer mais le prix qu’en a proposé votre employeur était nettement supérieur. C’est un personnage vraiment spécial. Personne ne semble savoir d’où il vient. Rare sont ceux qui ont ne fut-ce que vu son visage mais c’est un sculpteur de grand talent. Cet homme est un génie. Un génie excentrique mais génie tout de même. On dit que c’est lui qui le premier a lancé cette mode de masque pour cacher ses traits. Avez-vous vu son visage ?

- Bien sur que je l’ai vu, je travaille pour lui

- Parlez-moi de lui. Comment est-il ?

- Vous m’avez fait venir pour savoir à quoi ressemble Marcus ?

- Non. Je vous ai prié de venir pour repartir sur de nouvelle base. J’aimerai vous connaître.

- Vous voulez me connaître ou connaître Marcus ?

- Je voudrais vous connaître mais nous sommes comme ça sur Vengeance, nous avons toujours besoin de commencer par évoquer des sujets anodins avant d’en arriver au fait ».

Réalité parut de détendre et s’assit. « Il est banal mais très secret. Assez gentil mais pas bavard et très…correct comme vous dites ici.

- Qui ça ?

- Marcus Substance.

- Ha oui. » Dyasella sourit. Si Réalité acceptait d’entrer dans son jeu, ce n’en serait que plus facile.

« Il travaille beaucoup » ajouta-t-elle. « Toujours fourré dans son atelier ce qui fait qu’au fond, je suis assez libre, j’ai la maison pour moi seule. Enfin avec le gosse.

- Marcus a un enfant ?

- Non, je ne pense pas que se soit son fils, c’est plutôt un gamin qui fait des petits boulots de temps en temps.

- Et vous-même, vous travaillez pour lui depuis longtemps ?

- C’est la question pour virer vers le sujet qui vous importe vraiment ?

- C’est ça oui.

- Je commence à avoir l’habitude, Thaïs aussi avait du mal à parler franchement.

- Ca fait longtemps que vous vivez avec Umia ?

- Je ne vis pas chez lui. Je me suis fait chasser de chez moi et il m’a proposé de m’héberger mais j’ai refusé. Je reste dormir chez Marcus. Ca m’évite le trajet et aussi les rumeurs déplaisantes

- Vous savez, Thaïs, ce n’est pas un prénom, ça veut juste dire le benjamin.

- Je sais oui mais Umia, je trouve que c’est impersonnel. »

Dyasella se mit à rire. Parce que Thaïs l’est moins ? Tous les troisièmes enfants sont dénommés ainsi sauf s’il y en a un quatrième qui suit.

- Peut-être mais pour moi, il n’y en a qu’un.

- Vous êtes étrange. Je comprends que ça n’ait pas marché entre vous. Une fille de Plume avec quelqu’un de Vengeance. Nous sommes si différent.

- Oui, différent, c’est le terme mais, il est gentil.

- C’est ça qui vous a séduite chez lui ? Sa gentillesse ?

- Oui, je crois. J’étais aussi avec un de Plume. Un pilote. Je dois dire que j’ai encore plus de difficulté à m’entendre avec lui. Nous passons notre temps à nous disputer.

- Alors vous l’avez quitté pour Umia.

- Je ne l’ai pas quitté. Et je ne suis pas avec Thaïs.

Dyasella prit une tasse sur le plateau qu’elle avait préparé et la tendit à Réalité avant de prendre l’autre pour elle.

« Pourquoi souriez-vous ainsi ? »

Pourquoi Dyasella souriait-elle ? C’était une bonne question. La vivacité et la simplicité de Réalité l’amusaient. Ce n’était pas une fille ordinaire c’est le moins qu’on pouvait dire. En tout cas ici. Oui, ses histoires l’amusaient d’autant plus qu’elle n’était pas obligée de feindre d‘être horriblement choquée. Elle imaginait la tête de certaines de ses connaissances devant les propos de Réalité et elle sourit de plus belle. « Vous êtes une provocatrice et comme vous me l’avez fait remarquer, je suis une pimbêche de Vengeance. Ou en tout cas, j’essaie d’en avoir l’air pour faire bien mais j’ai eu tort de jouer à ça avec vous et je m’en excuse. Je connais les mœurs de Plume et n’en suis pas choquée. Vous l’aimez ?

- Qui ?

- Celui que vous nommez Thaïs

- Non mais c’est le seul qui me soutient sur ce monde. Forcement, ça crée des liens. » Réalité sourit. « En fait, oui, je pense que j’y tiens. Pas comme quand on est amoureux, mais j’y tiens. D’ailleurs j’avais tellement honte de me retrouver ici en simple domestique que je lui ai menti pour qu’il ne me prenne pas pour une moins que rien. Je lui ai dit que j’avais trouvé un poste de secrétaire pour un ambassadeur quelconque.

- Et il vous a cru ?

- Il a été un peu étonné qu’on puisse prendre une fille de Plume pour un poste au niveau politique mais j’ai dit que je lui avais fait croire que je venais du deuxième satellite.

- Vous êtes trop expansive pour venir de là-bas. Les filles du deuxième satellite sont plutôt effacées.

- Je sais oui mais je devais juste convaincre Thaïs et il a paru marcher. Le plus drôle, c’est que je ne sais même pas lire ni écrire votre langue alors je ne suis pas prête à trouver un poste de secrétaire.

- Pourquoi ne pas lui avoir dit la vérité

- Vous savez, chez nous, mêmes les plus grandes maisons n’ont pas de domestique. On vit tous sur un même pied. Même avec ma famille qui est très respectée, personne n’aurait l’idée de faire tant de manières compliquées comme on voit ici.

- Je comprends

- Et vous, vous étiez amoureuse d’Orage ? »

Dyasella s’étrangla avec son thé et se détourna pour tousser.

« Pardon ? » finit-elle par dire.

« Ben oui, tu me questionnes depuis une heure sur mes histoires de coeur et je t’ai répondu. Pardon, je vous ai répondu. En retour, j’ai le droit de connaître votre histoire.

- Vous pouvez me parler simplement. Je sais que sur Plume, il n’y a pas de façon de parler différente à part avec les Adarii. D’ailleurs, je ferais de même avec toi, toi et moi, nous sommes au même niveau, ce n’est pas ce que tu fais ici qui compte mais ce que tu es.

- Tu me dis cela pour me flatter ou pour détourner la conversation ?

- Les deux. Je te flatte dans l’espoir de détourner la conversation.

- Ca ne marche pas.

- C’est Umia qui t’a dit ça ?

- Oui. »

Comment pouvait-elle dire ça si tranquillement. Dysella se doutait qu’Umia avait découvert trop de chose à son goût. Qu’elle naïve avait-elle pu faire en songeant qu’il suffirait qu’elle se tienne à l’écart pour que personne ne déterre ce scandale. Réalité attendait tranquillement. Dyasella se prit à sourire. « Tu veux connaître mon histoire ?

- Oui, je voudrais bien. Enfin pas pour avoir des ragots pour offusquer les petites précieuses de Vengeance mais j’avoue que ça m’intrigue. »

Dyasella resta silencieuse un moment. Elle n’était pas prête à se confier. Surtout pas à une étrangère. Elle appréciait la simplicité de la jeune fille mais elle devait avant tout se tenir sur ses gardes. Démentir voila ce qu’elle devait faire. Toujours démentir. Son cœur se serra sans qu’elle sache pourquoi et ses mots sortirent de sa gorge indépendamment de sa volonté

« Orage, je l’ai rencontré dès me première soirée sur les Maÿcentres, je n’avais pas quinze ans. Je pense que l’appréhension qu’on peut ressentir envers les Adarii est une protection. Un mécanisme de défense qui dit, attention, si tu approches, tu te perdras. Et je n’ai pas écouté. Je me suis approchée de lui et plus rien d’autre n’a existé que sa présence. Tous les jours, à chaque moment, je n’ai plus pensé qu’à lui.

Je me souviens qu’un jour, j’étais avec d’autres jeunes filles aussi insouciantes que je pouvais l’être à cette époque. Elles parlaient d’Orage. Enfin, elles rêvaient de l’homme idéal qui ressemblerait Physiquement à Orage. Je leur ai dit “pourquoi chercher un double qui lui ressemblerait à l’autre bout de l’univers, alors que vous avez l’original à peine plus haut sur la colline ?”Je pense que j’étais aussi provocatrice que toi à l’époque

Tu imagines bien que ça a coupé leurs jacasseries. Elles m’ont regardée affolées, puis l’une d’elle m’a dit : “tu plaisantes j’espère, tu ne comptes pas… ”

Elle n’a pas pu aller plus loin tellement elle était confuse à cette seule idée. Alors que je suis sûre que chacune d’elle y avait pensé au moins une fois seule dans son lit. Evidemment, personne ne l’aurait admis. C’est à ce moment je pense que la vérité s’est imposé à moi. Je voulais Orage et je l’aurais.

Quand j’ai dit à mes compagnes que je ne plaisantais pas, elles se sont toutes détournées de moi. Rien qu’à me croiser, elles devenaient toutes rouges. Comme si avouer qu’on pouvait avoir d’autres ambitions que la chaste recherche du parti idéal était la pire des obscénités.

Et puis un jour, l’occasion s’est présentée. J’étais seule, je ne pensais presque plus à lui. Je revenais des basses villes avec un bouquet d’orchidée et en traversant le parc, j’ai croisé Orage. Il était si beau. Il portait une de ses capes magnifiques qu’ils fabriquent sur Plume. Il avançait négligemment la tête découverte malgré les lois en vigueur. Quand il est passé près de moi, sans me jeter plus d’attention qu’au brin d’herbe du jardin, je me suis sentie défaillir. Il s’est retourné, sans doute étonné par ces émotions inhabituelles et quand ses yeux verts si mystérieux ont croisé les miens, mon appréhension est remontée plus forte que jamais et j’en ai laissé tomber mes fleurs. Il m’a souri et a rabattu le capuchon de sa cape sur son visage avant de se baisser pour m’aider à les ramasser.

Je ne sais pas ce qu’il a pu penser à ce moment-là. Sans doute s’est-il amusé de me voir si perdue entre ma peur et le désir que je pouvais ressentir. Où peut-être avait-il l’habitude. Il m’a demandé où il m’était déjà vue et je lui ai rappelé la réception. Il a hoché la tête et a fait mine de continuer. En un instant, j’ai compris que si je le laissais partir, je n’aurais peut-être plus jamais d’autres occasions. Je l’ai rappelé et j’ai bafouillé de manière stupide quelques mots sur ma déception de n’avoir pas prêter allégeance à la villa, et je ne sais plus quoi encore. J’ai vraiment du paraître sotte mais il s’est retourné en souriant, m’a tiré des mains la plus belle hampe d’orchidée et m’a dit de passer à la villa puis il a continué son chemin.

Et j’y suis allée. Quand je suis arrivée le lendemain devant l’ambassade de Plume, mon cœur s’est mis à battre à tout rompre. Avant d’avoir eu le temps de trouver un mécanisme de présentation, une domestique m’avait ouvert la porte mettant fin à mon dilemme entre rester et repartir. Elle m’a toisé de haut en bas avec un air écœurée comme si je sortais des villes souterraines, moi la fille de la plus puissante famille de Vengeance, puis a haussé les épaules, et m’a dit de la suivre et je suis entrée dans un autre monde.

As-tu déjà eu l’impression que tout tourne a l’envers ? J’avais toujours vécu dans un monde de faste et d’opulence, dans lequel j’étais respecté voire adulée du moins le pensais-je. Et voila que je me retrouvais dans un environnement qui faisait passer notre palais de vengeance comme une chaumière ouvrière. J’ai suivi la domestique dans un hall gigantesque qui s’ouvrait de part et d’autres sur des salons de réceptions somptueux, avec des cheminée en pierre sculptées, le sol mêlait pierre et marqueterie, l’escalier qu’on me fit emprunter était tout en marbre de divers teintes. La domestique a attendu devant une porte sans frapper et une voix lui a dit d’entrer. Orage était là assis sur un épais tapis de laine presque blanc dans un nouveau salon clair avec d’épaisses tentures et coussins de la même teinte. Lui aussi était habillé de teinte claire. Il avait quitté ses habits d’apparats et ne portait qu’un simple pantalon de cuirs beige et une tunique de coton dont les cordons étaient agrémentés de diamants.

Il a regardé sa domestique, a plissé des yeux et lui a presque crié que son avis ne le concernait pas alors qu’elle n’avait pas ouvert la bouche et a ajouté qu’elle ferait mieux d’aller faire profiter sa mauvaise humeur à quelqu’un d’autre puis, il m’a dit de m’asseoir et de me servir. J’étais déjà terrifié et sa violence aurait dû me faire partir en courant pourtant, je me suis assise.

Sur la table étaient disposés les plats les plus raffinés qu’on puisse imaginer. Malheureusement, rien ne pouvait passer. Il est resté sans rien dire à m’observer.

Sans doute ne me suis-je jamais trouvé plus mal qu’à ce moment-là obnubilé par l’idée qu’il pouvait discerner la moindre de mes émotions. Pourtant, à aucun moment je n’ai eu l’idée de m’enfuir. Au contraire, je me suis approchée. J’ai fini par me dire que s’il savait pourquoi j’étais venue, c’était ridicule de le nier. Je me suis approchée et je lui ai effleuré le cou d’un doigt. Je lui ai demandé s’il pouvait lire mes pensées avec un contact si léger. Il a ri et m’a dit qu’il n’avait pas besoin de ça pour savoir ce dont j’avais envie. Je me suis sentie devenir plus rouge que jamais. J’ai voulu trouver quelque chose à dire mais je n’en ai pas eu le temps, il a passé son bras derrière ma tête et m’a attiré à lui et je l’ai embrassé. C’était mon premier baiser. C’était le jour de mes 15 ans, c’était un homme avec qui je ne pourrais jamais m’unir et ma seule présence dans cette maison aurait suffit à scandaliser toute la bonne société de Vengeance mais, à partir de ce moment-là, je me suis sentie comblée dès que je passais les portes de la villa. Je connaissais les heures où il était seul. Les filles s’absentaient dans la journée et lui alternait au conseil avec Pluie. Dès qu’elle partait, je savais que je le trouverais seul.

Tu dois penser sans doute que je n’étais que le joujou d’Orage. Et c’était peut-être le cas. Mais je me plais à penser qu’il a sacrifié autant que moi dans cette relation. Je lui ai laissé mon âme et lui m’a laissé un grand secret. Il m’a fait découvrir que les Adarii ne sont au fond que des êtres humains comme nous le sommes tous. Souvent, j’avais l’impression qu’on était juste deux gamins cherchant quelques réconforts perdus dans un monde trop rigide. J’avais 15 ans, il en avait 20, que peut-on savoir à cet age ? Orage réalisait tous mes fantasmes sans même que j’ai besoin de lui demander. Avec lui, j’ai connu plus de plaisir qu’aucun homme ne pourra jamais me donner. Il s’amusait de mon ignorance et me guidait. Je pense qu’il avait un certain amusement à se retrouver avec quelqu’un ne pouvant cerner ses désirs. Il savait tout de moi, et je ne savais rien de lui et ça lui plaisait.

Plumeau, leur domestique a essayé de m’ouvrir les yeux mais je ne l’ai pas écoutée. Une fois, je suis arrivée mais la villa était vide. Plumeau m’a dit qu’Orage ne devrait pas tarder. Je lui ai demandé l’autorisation de l’attendre. Elle m’a dit que dans ce cas, je pouvais la suivre dans la cuisine. Qu’elle avait du travail à faire mais qu’elle ne voulait pas laisser une fille des Maÿcentres traîner partout. Je lui ai dit que j’étais de Vengeance, elle m’a répliqué que c’était pareil. Je lui ai demandé si elle était bien consciente de l’identité de la personne qu’elle avait en face d’elle. Elle m’a dit qu’elle savait que j’étais Syhy mais vu le temps que je passais ici. Je devrais peut-être cesser mes grands airs car pour Plume, je serais d’un statut plus proche du sien que de celui d’Orage.

Je lui ai demandé pourquoi elle me détestait ainsi.

Elle m’a dit qu’elle ne me détestait pas et je pense qu’elle était sincère. “Je trouve ce que vous faites est contre nature mais je ne vous déteste pas m’a-t-elle dit. A la rigueur, je vous plaints”.

Je me suis fâchée, je lui ai fait remarquer qu’on devrait être deux pour ce genre de chose et qu’Orage serait sûrement mécontent d’apprendre la façon dont elle jugeait ses actes.

Elle en a laissé tomber le plat qu’elle tenait de surprise. “Jamais, je ne me permettrais du juger les actes de l’ Adarii Orage. Ce sont uniquement les vôtres qui m’offensent

Tu vois, je cerne bien les difficultés que tu peux avoir avec tes compatriotes. Si avec ton ami de Plume, tu as le malheur de dire le moindre mal des Adarii, il doit en effet en ressortir de belles scènes de ménage. J’avais toujours cru Plumeau contre moi et je me braquais contre tout ce qu’elle me disait mais en fait, elle faisait tout pour m’aider.

Je suppose que c’est à ce moment qu’elle s’est rendue compte de l’étendue de mon ignorance. Elle m’a demandé de m’asseoir. Elle m’a dit qu’il y avait deux sortes de fantasmes. Ceux qu’on ne devait pas réaliser sous peine d’une grande déception et ceux qu’on ne devait pas réaliser car le prix à payer était trop élevé. Les Adarii font partie du deuxième groupe m’a-t-elle dit. Oui, ce genre de chose arrive aussi chez nous même si nous préférons ne pas en parler. C’est mal. Ils vous consument d’une passion brûlante et ne donnent rien en échange. Ce n’est pas leur faute, ils sont ainsi. Le vrai bonheur disait Plumeau, c’est l’amour partagé. L’Adarii Orage ne vous aimera jamais. Passerez-vous votre vie entière à ramper derrière lui, incapable de vous satisfaire de quelqu’un qui vous aime ? Je ne l’ai pas écoutée. J’étais consciente qu’Orage n’était pas amoureux de moi, mais au fond, je croyais qu’il n’était qu’un fantasme.

La vérité m’est apparue quelques jours plus tard. Je suis arrivée à la villa et Plumeau m’a dit que je ne pouvais pas rester. Je lui ai demandé quand Orage serait là, sous entendu seul. Elle m’a dit qu’il était là mais qu’il n’avait pas envie de me voir.

Je me suis décomposée. J’avais envie de crier, de hurler, il ne pouvait pas me chasser ainsi. Mais je suis restée muette et paralysée.

Plumeau a dû comprendre mon malheur car elle s’est reprise comme on parlerait à une enfant. « Je pense » m’a-t-elle dit « que ça n’a pas la même signification que pour vous. Ca veut juste dire qu’aujourd’hui, il n’a pas envie de vous voir aujourd’hui, mais vous pouvez essayer de revenir demain »

Je suis repartie avec la ferme intention de ne jamais revenir. Pourtant, le lendemain, j’étais de retour. Je m’étais faite avoir. J’étais tombée amoureuse d’Orage et plus jamais je ne pourrais m’en passer. Plumeau m’avait averti de la souffrance que j’allais endurer et elle avait raison.

Je compris assez vite qu’en général, il refusait de me voir quand il avait des soucis car dans leur culture on ne peut partager les émotions négatives. Petit a petit, il a découvert l’intérêt de quelqu’un comme moi qui n’était pas gênée par sa mauvaise humeur et qui pouvait lui changer les idées. Une sorte d’amitié s’est tissée entre lui et moi. Il me questionnait sur des éléments dont je ne lui avais jamais parlé. Il s’intéressait à tout et on riait ensemble comme des enfants qu’on était. Mais moi, j’aurais donnée ma vie pour lui. »

Dyasella se remémorait son histoire avec nostalgie. Elle n’aurait su décrire les sentiments qu’elle ressentait après tout ce temps. Un manque sans doute.

« Et malgré votre relation avec Orage, vous vous êtes fiancé à Ryun ? »

- Oui. Malgré ou à cause de. Un jour ma mère est venue me trouver folle de joie. Elle m’a dit que le président avait discuté d’une alliance potentielle avec Ryun. J’étais désespérée et je suis allée trouver Orage. J’espérais, je ne sais pas, qu’il m’enlève dans ses bras, qu’il défie Vengeance, les Maÿcentres, Plume, l’univers entier pour moi mais Il m’a juste encouragé à suivre Ryun.

Je savais qu’il avait raison mais je ne pouvais m’y résoudre. Je pense que ce qui m’a vraiment décidé, c’est quand j’ai croisé une autre de ses Maîtresses en sortant.

Ce n’était même pas le fait qu’il puisse embrasser une autre femme qui m’a brisé le cœur. Je savais bien que je n’étais pas la seule même si nous n’évoquions pas le sujet. Non, ce qui m’a fait du mal, c’était de voir cette fille à l’aise avec lui, alors qu’il m’impressionnait tant. Elle, était comme lui et moi, j’étais différente. Elle, il ne la regardait pas comme moi. Il ne jouait pas avec elle. Il l’aimait ».

Dyasella s’était tue. Elle regardait la jeune Réalité. Sa tasse de thé maintenant froide toujours dans ses mains.

« Veux-tu que je t’en serve un autre chaud » dit-elle désignant la tasse. Réalité parut se reprendre mais se contenta de poser la tasse sur la table et s’approcha de Dyasella. « Je suis désolée » lui dit-elle soudain la prenant dans ses bras.

Dyasella se raidit prise de court mais bien vite se laissa aller à ce contact. Nombreux étaient ceux qui cherchaient la compagnie de la Syhy mais, il avait fallu une étrangère pour qu’elle puisse enfin se confier et trouver une amie qui pouvait la comprendre. Ses larmes embuèrent ses yeux, si elle ne se reprenait pas, elle éclaterait en sanglot. Elle s’écarta légèrement et se détourna portant ses yeux sur le jardin pour qu’elle ne la vit pas pleurer. Tu comprends maintenant pourquoi je ne peux rien faire pour vous ? Quand Umia est venu me voir, je me suis pris à rêver de son projet mais c’est au dessus de mes forces.

- Si on arrivait à aller sur Plume, tu pourrais le retrouver ?

- Retrouver quoi ? Un homme qui ne m’aime pas ?

Tu sais, après ce jour, je ne suis plus allée à la villa. J’ai fait la parfaite petite jeune fille de Vengeance, j’ai fait des mines devant les avances de Ryun, je me suis exercée à prendre l’air offusquée pour tout en n’importe quoi. J’avais l’impression d’être morte sans avoir le soulagement de la mort. Et puis, il y a eu cette réception à l’ambassade de Plume. Je ne voulais pas y aller mais mon père m’a forcé. On ne refuse pas une invitation des Adarii. Si il avait su ! J’y suis allée, au bras de Ryun. C’était notre première soirée où nous devions nous montrer ensemble officiellement. Nous sommes entrés dans la grande salle de réception. Elle était comble mais pour moi, elle aurait tout aussi pu être vide, je ne voyais qu’Orage. Je ne l’avais pas vu depuis trois mois, il était plus beau que jamais. Il dansait enserrant une des filles Adarii. Ils tournaient ensemble en riant, les bras de cette fille autour de son cou tandis qu’il le regardait comme jamais il ne m’avait regardé. Ils s’embrassaient tout en dansant, ils riaient sans prêter la moindre attention à ceux qui se détournaient gênés par leur comportement et j’ai craqué. J’ai voulu m’enfuir. Ryun m’a rattrapé, m’a pris dans ses bras. Il était d’une telle douceur, d’une telle tendresse et j’étais si mal, je me suis confiée à lui, je lui ai tout raconté. Il est devenu plus furieux que jamais, il est reparti dans la salle est a quasiment défié Orage. Il n’a pas pu faire grand chose l’abruti, il a hurlé qu’il m’avait déshonoré, il n’a pas pu aller plus loin, il s’est retrouvé paralysé et incapable d’émettre le moindre son. On ne s’attaque pas aux sorciers Adarii. Mais c’était déjà de trop. Le président Eysky, furieux, a mis tout le monde dehors. Il s’en est suivi une dispute terrible mais je m’en souviens à peine, j’étais si perdue que je n’ai rien compris. Je me rappelle que dès qu’ils ont libéré Ryun de leur emprise, il s’est remis à vociférer et Pluie l’a frappé. Je sais qu’Orage est parti dans une autre pièce avec le président. Je sais que mon père a haussé la voix contre les filles Adarii mais il n’a pas pu aller loin et puis on m’a entraînée et je suis partie. Ma mère m’a demandé ce qu’il s’était passé et comme une automate, je lui ai tout dit. Elle a fait demi-tour, furieuse, et est retournée vers la maison. Mon père me tenait mais je me suis libérée et j’ai couru derrière elle. Elle a retrouvé Orage et s’en est prise à lui mais elle ne pouvait rien faire et ses injures n’ont pas eu l’air de lui faire plus d’effet qu’un souffle d’air. Il l’a menacé de m’emmener sur Plume avec lui si elle ne se calmait pas et là, je pense que si j’avais été capable de parler, j’aurais suppliée Orage de le faire quelqu’en soit les conséquences.

Mais ma mère m’a traînée jusqu’à la maison. Elle m’a interdit de sortir pendant un an. Je suis restée cloîtrée chez moi. Je n’ai pas pu revoir Orage. Je sais qu’il est parti un peu plus tard quand Synshy a pris le pouvoir.

Ensuite, j’ai compris que si je voulais survivre, il fallait que je donne l’image d’une parfaite petite gourde de Vengeance.

- Tu as très bien réussi ».

Dyasella éclata d’un rire nerveux et s’essuya les joues encore humides.

« Merci » dit-elle

« Merci de quoi, de t’insulter ?

- Non, merci de m’avoir écouté, merci de ne pas m’avoir jugée. Je crois que J’avais besoin d’une amie.

- Je ne pense pas que tu doives me remercier pour cela. Elle est jolie ton histoire. Triste mais jolie. Après, si tu tiens à me remercier, tu sais ce que je désire.

- Tu veux Plume je sais. Mais j’y ai renoncé depuis si longtemps, je ne veux plus avoir à faire avec eux.

- Je dois y aller, Marcus doit se demander où je suis.

- Ho, je suis désolée » dit Dyasella se rendant compte soudain que la nuit était tombée. « Veux-tu que je l’appelle pour t’excuser.

- Ce n’est pas la peine, il reste tard dans son atelier et plus, il a fait ôter les systèmes de communication de la maison. Il paraît que ça lui coupe l’inspiration. De toute façon, il n’y a pas grand chose à faire chez lui. Sa maison est bien plus petite que celle que j’avais sur Plume.

Dyasella sourit. C’est la plus grande villa de la colline dit-elle à Réalité en l’accompagnant à la porte.

« Pour moi, elle a paru petite dit-elle encore mais Dyasella n’écoutait plus. La deuxième plus grande maison pensait-elle. Se reprenant, elle dit tout haut à Réalité qui s’éloignait déjà. J’ai peut-être une idée pour toi. Il faut que je réfléchisse.

Mais Réalité était déjà trop loin, happée par la nuit. Dyasella hésita à la rattraper mais le froid la fit renoncer. Il commençait à neiger et surtout, elle n’était pas sûre d’être prête.


Saphir : Domaine de Tiyana


« Il faut y réfléchir » dit Maître Matinée à Rafale. Ce dernier fit un léger signe de tête puis reprit : « A-t-on des nouvelles des informateurs qui sont partis en Cashir ?

- Oui. Il y a des hommes des mondes extérieurs qui s’y sont installés en effet. On ne peut pas parler de troupes armées. Pour la plupart, ils font du commerce, mais à outrance. Ils les obligent à produire de façon trop rapide vu leurs moyens. Outre certains articles de luxe, ils se servent de Cashir comme un réservoir à grain. Les terres sont fertiles et ils font des cultures intensives au risque d’affaiblir les sols. Comme ils ont peu de moyens, afin d’imposer le rythme, ils travaillent jusqu’à épuisement et sont trop faibles pour se rebeller. Je crois qu’ils sont tenus par chantages. Soit ils produisent ce qu’ils veulent soit ils le prendront eux même en détruisant tout sur leur passage.

- Les avoir si près est mauvais pour nous.

- Aïe, tu me fais mal. »

Rafale et Matinée se tournèrent un instant vers Grésil qui se faisait tresser les cheveux par Fragile dans un coin du salon et reprirent leurs conversations. « Ce ne serait pas évident de les chasser. Il est plus facile de se débarrasser d’une armée en colère que de quelques entrepreneurs disséminés sur un continent.

- A voir. Les entrepreneurs de la confédérations tiennent plus du contrebandier que du commerçant. Il faudrait étudier leur organisation, savoir qui commande.

- Ne serait-il pas envisageable de déclarer simplement Cashir sous protection Adarii ? Ca peut suffire à les dissuader.

- Ca voudrait dire demander à Cashir de nous prêter allégeance. Je ne suis pas certain qu’ils soient prêts pour ça. Peut-être plus tard quand ils seront encore plus affaiblis. Les forcer ne peut nous emmener que des dissensions ».

Grésil retint un nouveau cri tandis que Fragile lui tirait encore les cheveux. Elle tenta de détourner l’attention de ce calvaire en regardant dehors : la baie vitrée était ouverte sur un patio. Depuis quelques jours, le temps s’était réchauffé. Une brise légère lui apporta un parfum subtil d’acacia. Les arbres s’étaient couverts de fleurs blanches. Il faudrait qu’elle aille demander à l’intendance qu’on lui fasse des beignets avec les fleurs d’acacia. Elle les adorait. Peut-être même pourrait-elle aller couper des fleurs elle-même.

« Où alors, nous créons un statut à part pour Cashir.

-. Les hommes du peuple font beaucoup pour nous. Ils ne comprendraient pas pourquoi en retour nous allons nous battre pour quelques arrogants qui n’en font qu’à leur tête.

- Si le peuple nous respecte ce n’est pas tant pour la protection que nous assurons. Plutôt pour notre politique et pour les cités. Pour la justice aussi. Et il s’agit de sécurité interne. Cela dit, tu as raison sur un point. Si nous débarrassons Cashir des mondes extérieurs, il ne faut pas le faire pour rien. … »

Elle pourrait peut-être aller jusqu’au plaines, elles doivent être couvertes de fleurs des champ. Elle ferait des bouquets avec ces petites clochettes mauves si jolies. Si Chiffre et Coton étaient là, ils l’accompagneraient mais ici, elle n’avait pas d’amis. Elle s’ennuyait à mourir.

« Qu’est-ce que cette petite province pourrait apporter aux domaines de Saphir, on dit qu’ils ne connaissent même pas le verre. »

Grésil se tourna vers Ombre. Celle-là, rien qu’à entendre sa voix, elle l’exaspérait. Ombre la toisa un instant et fronça les sourcils puis se désintéressa de sa personne pour écouter la réponse de Matinée.

« Du verre non, mais ils ont du bois. Pour Plume, c’est intéressant. A part les forêts d’Arkae, leurs territoires ne sont pas riches en bois. Les eucalyptus de Taegaïan et le pin d’Azlan suffisent à peine pour les habitations et ne se renouvellent pas assez vite.

- Les bateaux » Coupa Rafale.

- Oui, j’y pensais aussi. Ce sont de vraies merveilles.

- Pour aller où ? » Reprit Ombre.

Fragile pris enfin la parole, sa voix flûtée tinta désagréablement aux oreilles de Grésil. « De grandes embarcations fluviales seraient agréables pour commercer entre nos domaines. Bien sur, il faudrait aménager les voies navigables, les travaux seraient importants mais c’est faisable et à long terme ce ne peut que s’avérer rentable.

- Et comment comptes-tu emmener de telles navires jusqu’à Saphir ? » Reprit Ombre ironique.

Grésil soupira discrètement. Elle pourrait demander à Eclaircie de l’accompagner. Il était venu avec ceux de Taïla et Mutine. Heureusement, celle-là n’était pas là aujourd’hui. Ce ne serait sûrement pas à elle qu’elle demanderait de l’accompagner. Quand Rafale était plongé dans ce genre de conversation avec Matinée, ça pouvait durer des heures. Ce n’était pas la peine de lui demander. Non, Eclaircie peut-être. Il était vieux, il avait presque dix-huit ans mais il était gentil et puis au moins, il ne passait pas son temps à lui dire ce qu’elle devait faire. C’était plutôt le contraire, il lui avait appris un tas de bêtises.

Comme si le simple fait d’y avoir pensé pouvait suffire, la porte s’ouvrit sur Eclaircie. Il entra dans le salon et s’assit autour de la table basse avec Matinée, Rafale et Ombre.

« Nous parlions des navires de Cashir. Penses-tu que des vaisseaux de ce style puisse intéresser Taegaïan ou les autres territoires de Plume ?

- Vous envisagez de chasser les mondes extérieurs de Cashir si je comprends bien.

- Pour l’instant » reprit Matinée, « nous n’envisageons rien. Je te demande si ces navires pourraient avoir un intérêt.

- Dans les montagnes, sûrement pas mais à Taegaïan, nous saurions quoi en faire. Les Iles d’Amaerua en seraient ravies pour la pêche en haute mer. Pour les forêts d’Arkae aussi. Afin d’acheminer le bois vers Taegaïan ou les îles voire même jusqu’à Incarada en aménageant le delta.

- Mais pour en revenir à Saphir » reprit Ombre. « Comment veux-tu faire venir des Bateaux ?

- Je pensais plutôt à faire venir des artisans capable de les fabriquer.

- Ombre, tu peux me faire passer le plat de fraise » demanda Grésil.

- Tu n’as qu’à le faire venir toi-même puisque tu es si forte.

- On dirait deux enfants à vous chamailler ainsi » reprit Fragile.

Grésil attrapa le plat qui arrivait à sa portée tout en fusillant Ombre du regard.

« Oui, des artisans, pourquoi pas. En plus, ils pourraient nous enseigner leurs techniques.

- Mais je ne n’imaginais pas le bois de Cashir uniquement pour les bateaux. Le papier aussi. Ils font du papier de très bonne qualité. Il devrait y avoir moyen de faire passer les techniques de fabrication dans la transaction.

- Eclaircie » reprit Grésil « tu voudrais venir avec moi jusqu’aux plaines pour cueillir des fleurs ?

- Eclaircie a autre chose à faire que cueillir des fleurs pour l’instant » reprit Matinée l’air fâché. « Et toi aussi tu ferais bien de t’intéresser un peu plus à ce qui se dit ici. Tu es venu pour apprendre et c’est en écoutant qu’on apprend. »

Grésil soupira. Encore une journée qui s’annonçait ennuyeuse à mourir. Elle était venue pour faire des choses palpitantes, découvrir des pouvoirs et des magies, se battre contre des envahisseurs et rendre Arc en ciel envieuse mais sûrement pas pour écouter de longues discussions compliquées. Elle devait être la puissante Grésil mais pas se faire tirer les cheveux. Matinée avait dit qu’elle apprendrait les secrets de Tiyana. Elle avait tout imaginé, mais sûrement pas que cela la cantonnait à écouter les sempiternels ronrons de leurs ennuyeuses discussions politiques.

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