mercredi 5 décembre 2007

AP : 2. Rêves d'enfants : Chapitre 4



"Les quatre âges de l'hommes sont : la petite enfance, l'enfance, l'adolescence, l'obsolescence."

[Art Linkletter]


Terre

« Tout le monde dehors » hurla Mike.

Alors c’était vrai ! Quand la concierge de l’immeuble l’avait appelé en pleine nuit, il n’avait pas les idées claires et il s’était contenté de dire : « j’arrive ». Il aurait sans doute du lui dire de s’en occuper ou d’appeler la police. Pourquoi ne l’avait-il pas fait ? Il n’avait pas été inquiet sur le moment. Il avait d’autres sujets de préoccupation que les frasques de Thibault. Son fils qui avait disparu. Hélène qui en devenait folle et il devait se l’avouer, lui aussi était inquiet. Au début, il avait pris ça pour un caprice d’adolescent, il pensait qu’il était parti un jour ou deux chez un copain mais ça faisait une semaine déjà et pas de nouvelle. Pourquoi avait-il fallu qu’il prenne en plus la voiture en pleine nuit jusqu’à Monte-Carlo ? Et puis, il avait tenté de contacter Thibault et l’avait trouvé tranquillement endormi. Mais alors qui ? s’était-il demandé en enfonçant le pied sur l’accélérateur.

Il avait garé sa voiture dans le sous-sol de l’immeuble puis avait pris l’ascenseur sans passer par la conciergerie. Il n’aurait su quoi dire. La porte de l’appartement était fermée et personne n’aurait pu entendre frapper vu l’intensité de la musique qui traversait les murs. De toute façon, il avait la clé.

Il était resté un instant les yeux écarquillés, bouche bée devant le spectacle apocalyptique qui s’offrait à lui. Le bar était recouvert de bouteilles, la musique techno l’assourdissait, le grand loft était envahi par une bande d’adolescents déchaînés, dansant et hurlant. Personne n’avait fait attention à lui quand il était entré. Il avait contourné un canapé dans lequel un couple s’enlaçait d’une façon provocante tandis qu’un autre les prenait en photo et avait fini par trouver la prise de la chaîne hi fi et l’avait presque arrachée de rage avant de hurler encore : « tout le monde dehors, j’ai dit. »

On aurait pu croire que le temps s’était arrêté. Tout le monde s’était figé puis d’abord doucement puis de plus en plus vite, la pièce s’était vidée.

Au fur et a mesure que le salon se dégageait Mike ne pouvait s’empêcher presque par réflexe de faire un état des lieux. De nombreux verres en plastiques étaient écrasés par terre, les ramasser ne poserait pas de problème. Le plancher était parsemé de miettes issues sans doute de biscuits, chips et autres amuse gueule. Quelques boissons renversées aussi. Il faudrait nettoyer ça vite avant que l’humidité ne pénètre dans le bois et dans tous les cas, il faudra recommencer à cirer et aussi passer un peu de laine d’acier mais ce ne serait peut-être pas nécessaire de tout poncer. Il fit la grimace en voyant quelques grosses taches de jus d’orange sur le tapis clair et leva les yeux sur son fils maintenant seul, affalé tranquillement sur un canapé, une bière à la main, dévisageant son père d’un sourire narquois.

La colère de Mike se fit plus intense. Dans un dernier moment de lucidité il se dit qu’il avait bien fait d’inciter sa femme à rester couchée. Si elle était venue, tout ce qu’elle aurait fait, c’est se jeter dans les bras de son fils et l’embrasser. Mais Mike sûrement pas. Cet appartement avait une immense valeur à ses yeux. Une valeur sentimentale bien plus encore que financière. Il ne pouvait admettre qu’on le saccage ainsi.

« Qu’est-ce qui te prend Lull, tu disparais sans une explication, tu ne réponds pas à nos appels et maintenant, ça ? C’est quoi cette fête de dépravés et regarde autour de toi, tout est saccagé. Je peux t’assurer que tout ton argent de poche va y passer pour réparer les dégâts. Tu vas rentrer de suite à la maison. A partir de maintenant, plus de sortie, plus de jeux vidéo, plus rien. »

Lull ne répondait pas se contentant de boire une gorgée de bière au goulot sans faire mine de se lever.

« C’est la concierge qui t’a prévenu ?

- Evidemment, l’immeuble entier s’est plaint et tu as de la chance qu’elle n’ait pas appelé la police.

- Oui, je lui ai dit d’appeler le proprio et par le plus grand des hasards voila pas que c’est mon père qui se retrouve propriétaire d’un loft gigantesque à Monte-Carlo. Bizarre non ? »

La colère de Mike s’arrêta d’un coup laissant place à de l’incrédulité puis de la crainte. Aveuglé par sa rage, il avait oublié de se demander comment Lull avait eu vent de cet appartement. La réponse était évidente. « Thibault » maugréa-t-il pour lui même. Qu’est ce qu’il lui avait dit exactement ? Une grosse boule dans la gorge empêchait Mike de sortir le moindre mot tandis que son fils le toisait toujours, buvant sa bière tranquillement.

Il écarta soudain les doigts qui enserraient sa bouteille maintenant vidée mais elle resta suspendue dans les airs quelques instant avant de se reposer un peu plus loin sur la table basse. Lull n’avait pas bougé.

Mike n’était pas étonné. Il s’en doutait. Il se plaisait à dire avec Hélène qu’il n’y avait pas de crainte à avoir de ce coté, que ce se serait déclaré plus tôt mais ces belles paroles ne servaient qu’à dissimuler son inquiétude. Depuis combien de temps se voilait-il la face à refuser de voir se qui crevait les yeux. Hélène disait que même s’il ne disait rien, elle le saurait, qu’il serait inquiet, qu’il aurait peur.

Ben tiens, ce n’était sûrement pas le style de Lull. Au contraire. Il avait dû calculer tous les intérêts que ça pouvait représenter et sa déduction avait dû le réjouir. Lull le coupa de ses pensées

« Comment as-tu eu cet appart ?

- Qu’est-ce que Thibault t a dit ?

- Pas assez à mon goût ».

Mike éclata de rire nerveusement.

Bien sur, il avait dû distiller l’information à sa convenance dans l’espoir que Lull le suive comme un petit chien suivrait quelques croquettes. Mais Lull, ça ne lui avait pas suffit alors, il était allé cherché l’info à la source. Ou plutôt, il avait attiré la source jusqu’à lui.

Mike se sentait piégé. Il était dangereux ce gosse. Son père le lui ressassait sans cesse. Il aurait dû parler il y a longtemps. Pourquoi ne l’avait-il pas fait ? Maintenant, il payait cher son manque de courage.

Il attrapa une bière sur le bar au passage, la décapsula et s’assit dans le canapé face à Lull. « Que veux-tu savoir ?

- Tout. »

Mike tenta de plaisanter afin de détendre l’atmosphère « Tout ? Ca fait beaucoup, personne ne sait tout. »

Il n’avait jamais eu beaucoup d’humour. Lull n’avait pas ébauché un sourire. Il continuait à le regarder. Mike crut se retrouver face à Espoir, qu’est-ce qu’il pouvait lui ressembler. Il ne s’en était pas rendu compte avant aujourd’hui. Il se leva et après quelques pas, il attrapa un petit cadre photo sur l’étagère.

Lull l’avait déjà vu. Elle avait été prise ici même Il avait reconnu les trois personnes souriant à l’objectif. Il y avait Thibault assis en tailleur sur le tapis, il n’avait pas l’air beaucoup plus âgé que lui sur cette photo. Il se pointait lui-même du doigt et paraissait prêt à tomber tandis que la main de Mike assis sur le canapé derrière lui, lui écrasait la tête en riant. Plus sagement assise à ses côtés, Hélène fixait l’objectif d’un air qu’elle réservait souvent à Mike quand il la prenait dans ses bras.

Mike regardait le cadre comme s’il le voyait pour la première fois. Il s’assit auprès de son fils. « Il manque quelqu’un sur cette photo. »

Tout en disant cela, il détacha les petites accroches du cadre et l’ouvrit révélant une deuxième photo.

Elle avait dû être prise sur la digue avec la mer en fond. Lull reconnut aisément sa mère plus jeune ainsi que son père et Thibault, un homme était avec eux, qui devait avoir l’age de son père aujourd’hui. Il portait un costume clair sur une chemise ouverte, il souriait lui aussi, d’un sourire un peu crispé, ses yeux cachés derrière une fine paire de lunettes de soleil noire.

Lull regarda distraitement et la rendit à Mike.

« Qui est-ce ?

- C’est celui qui m’a sorti de la drogue. C’était après la mort de ma mère et ma sœur. J’étais dans un sale état quand je l’ai rencontré. Il m’a amené en France et m’a obligé à me sevrer. Ce fut une période très dure mais je lui en serais toujours reconnaissant. Sans lui, je ne sais pas où je serais. Sans doute à crever au fond d’un caniveau.

- Très émouvant » reprit Lull sans en croire un mot. « Qu’est ce que tu veux que ça me foute ? »

Mike continua sans se préoccuper de l’attitude rebelle de son fils : « Il s’occupait de diverses projets. Entre autres certaines études sur les capacités psychiques que posséderaient certaines personnes. »

Le regard de Lull s’alluma. Il ne dit rien mais écouta plus attentivement.

« Je ne sais pas. Comment il choisissait ses sujets mais il m’a demandé de participer et j’ai accepté.

J’ai vécu trois ans ici. C’est lui qui m’a offert cet appartement. J’avais dix-huit ans, Il y avait Hélène et Thibault nous a rejoint peu après. Il avait seize ans. Nous avions une totale liberté. Des vraies vacances de luxe. Nous vivions au jours le jour sans nous poser de question, profitant de la vie. Cette photo a été prise la dernière fois où nous nous sommes trouvés tous réuni.

Il avait horreur des photos. Je pense que c’est la seule que j’ai de lui.

- Qu’est ce que tu es capable de faire papa ? »

Lull avait dit ça d’un ton neutre sans trahir la moindre émotion.

« Sans doute beaucoup moins de chose que toi. Mais, ce qu’il nous a appris, ce n’était pas pour rien. Ce qu’il voulait, c’est avoir quelques espions bien placés sur certains projets gouvernementaux. Grâce à ses talents, il a réussi à faire infiltrer mon père dans un projet classé top secret. Evidement il ne savait pas comment il s’est retrouvé là mais après, j’ai fait semblant d’avoir appris certaines informations pour l’obliger à me faire rentrer moi aussi. Il n’y avait aucun contact avec l’extérieur pour être sur de garder le secret mais je transmettais certaines informations à Thibault par télépathie. Je n’en suis pas très fier et tu imagines bien pourquoi je ne me vante pas de ce genre de chose. Nous étions jeune à l’époque et bercé par un idéal. Nous ne nous rendions pas compte de la gravité de no s actes » Mike vida sa bière d’un trait les yeux perdus sur la baie vitrée dont la nuit refletait son visage. Il se sentit vieux soudain.

« Tu veux dire qu’avec Thibault, tu peux communiquer à distance ?

- Oui, je peux le faire.

- Dément ! »

Mike ébaucha l’ombre d’un sourire. Que s’imaginait-il ? Qu’il serait horrifié, paniqué ? Il l’espérait. Depuis qu’il avait rejoint Hélène, il l’élevait dans l’idée de lui inculquer une certaine morale.

« Et, je ne sais pas faire ça moi. Tu peux m’apprendre ? »

Mike se leva d’un bond. « Non. C’est hors de question. Tu n’as rien écouté alors ? Ce qu’on faisait, c’est mal.

- Cool papa. Ce n’est pas si terrible. T’as eu une vie vachement sympa en fait.

- Tu sais, si j’ai gardé cet appartement, c’est pour toi. Je le loue trois mois par ans pour payer les frais. Les bénéfices, je les ai mis de coté pour tes études, ton mariage, enfin, ce que tu voudras et puis j’espérais qu’il te revienne un jour »

Il fronça soudain les sourcils et réfléchit quelques instants. « Et moi, là-dedans ?

- Quoi toi ?

- Tu as dit que tu avais 18 ans que tu es arrivé en France et que tu as rencontré Hélène. Ce n’est pas possible, on n’a que seize ans de différence. »

Bien sur, il ne perdait jamais le nord ce gosse « Tu sais, ta mère, dès que je l’ai vu, je suis tombé fou amoureux d’elle. Elle a tant fait pour moi. Mais à l’époque, je n’étais qu’un gosse et elle m’a toujours traité comme tel. Je ne savais même pas qu’elle avait un gamin. Si je suis parti c’est peut-être aussi pour m’éloigner d’elle.

Quand elle m’a appelé il y a sept ans, j’ai tout abandonné et je suis venu vivre avec elle. Nous avons trouvé cette histoire comme quoi j’étais parti ignorant qu’elle était enceinte pour ses parents et au fond, même si je n’y avais pas le beau rôle, c’était pas si mal.

- T’es pas mon père ! » s’exclama Lull.

« Ho si, je suis ton père. Depuis sept ans, je m’occupe de toi, je donnerais ma vie pour toi. Je t’ai toujours considéré comme mon fils.

- Mais c’est pas toi qui m’a conçu.

- Non, ce n’est pas moi

- Qui alors ? » Mais la réponse était évidente. Lull récupéra la photo dévisageant l’homme au centre. Son sourire était légèrement crispé, en effet, il n’avait pas l’air d’apprécier de se faire prendre en photo. Sinon, il était grand et bien fait. Ses cheveux sombres brillaient au soleil.

« Qu’est ce qu’il lui est arrivé ?

- Il est mort, tu avais quatre ans à l’époque.

- Je ne m’en souviens plus.

Hélène m’a dit que ca avait été très dur pour toi. Que tu es resté prostré pendant des semaines en le réclamant et un jour tu as totalement cessé de l’appeler.


"Ce n'était que ça l'âge adulte : l'enfance moins l'espérance"

[Jean-Guy Rens]
La mort du coyote


Maïcentres

« Tu te moques de moi ?

Le gamin désigna la feuille d’aluminium que lui avait tendu Umia. « Rapport 4. Rien de nouveau. Tu crois que Maître Marcus Substance va se contenter de ça ?

- J’ai dit que je démissionnais, il a refusé, s’il n’est pas content de mes services, il peut me renvoyer. »

Les poings du petit se serrèrent et ses yeux n’étaient plus que deux fentes. Il paraissait plus âgés tout d’un coup. Après tout ça faisait quatre ans qu’il venait chercher ses rapports et il ne paraissait pas avoir grandi, il ne lui donnait toujours pas plus de sept ans mais quelque chose dans son regard le détrompa soudain.

« Ca ne se passera pas comme ça » dit-il en faisant demi-tour.

« J’attends de voir ça » murmura Umia dans un rictus

La maladie de l’adolescence est de ne pas savoir ce que l’on veut et de le vouloir cependant à tout prix

[Philippe Sollers]
Le défi

Terre

« Comment as-tu pu me cacher ça ! » Lull s’était levé et s’était mis à hurler d’un coup.

« Calme toi. Tu étais jeune, on voulait t’en parler plus tard et puis, c’est compliqué.

- C’est monstrueux, vous êtes des menteurs maman et toi. Je vous déteste. »

Lull attrapa un sac dans le coin du salon, attrapa les codes du billet d’avion et se dirigea vers la porte.

« Où vas tu ? Reviens ! »

Il se retourna faisant mine d’obéir

« C’est quoi son nom, mon nom » reprit-il d’une toute petite voix.

- Taegaïan. »

Il repartit vers la porte d’un pas assuré

« Lull, reviens.

- Tu n’as pas à me dire ce que je dois faire, tu n’es pas mon père. »

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