dimanche 16 décembre 2007

AP : 3. Rafale : Chapitre 5

Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie.

[Arthur Charles Clarke]



Saphir : Domaine de Tiyana

Mais qu’est-ce qu’elle fait ! Je vais le perdre. Elle pourrait au moins répondre. Rafale s’assit dans le sofa ne sachant plus quoi faire d’autre. Sa colère disparut aussi vite qu’elle était venue. Il ne pouvait pas en demander trop à sa sœur, elle était si jeune. Peut-être n’avait–elle pas perçu son appel ou plus vraisemblablement n’avait-elle pas su y répondre. Elle n’avait réussi à le joindre qu’une seule fois et uniquement poussée par son affolement d’enfant. Il avait tendance à surestimer ses capacités car elle arrivait aisément à faire certains tours hors du commun mais uniquement pour faire des bêtises. Cette idée le fit sourire. Malgré son jeune age, ce n’était pas ses potentiels qui étaient limités, le pouvoir de la pierre agissait autant sur elle que sur lui voire plus, elle avait été la première à être lié à la pierre même avant sa naissance. Ce qui la limitait, c’était sa motivation. Il entendit un bruit dans la pièce à coté, comme une petite souris qui trotte. Une petite souris inquiète pensa-t-il. Elle a dû mal interpréter mon insistance, elle doit croire que je suis fâché contre elle. Rafale eut des remords de s’être emporté. Il se força à sourire et à dissimuler son inquiétude quand sa sœur entra, la tête basse.

« Je vous ai entendu, mais je n’ai pas réussi à vous répondre, je suis désolée.

- Ne fais pas cette mine petite sœur » dit-il en lui effleurant les lèvres d’un baiser, « tu es bien jeune encore. Ca viendra. Et cesse de prendre ce ton avec moi. Après tout, tu es Annunaki toi aussi, nous sommes sur le même pied, tu n’as pas à me parler comme à un supérieur.

- C’est vrai ?

- Bien sur. »

Grésil parut réfléchir et Rafale se força à contenir son impatience.

« Si je suis au même niveau que toi, alors les autres sont inférieurs à moi et devraient me parler de façon cérémonieuse ? »

Elle n’en loupait pas une celle-là pensa Rafale. « N’exagère pas. Un jour sans doute mais pour l’instant, tu es encore une petite fille. »

Grésil réfléchit encore. Rafale regretta de lui avoir fait cette proposition. Il espérait ainsi se rapprocher d’elle. Il avait besoin de cette proximité pour ce qu’il envisageait mais il ne devait pas perturber ses bases, elle était déjà suffisamment effrontée pour qu’il en rajoute. On verra ça plus tard se dit-il. Il s’approcha de sa sœur et la fit asseoir à ses cotés la prenant par les épaules.

« J’ai besoin de toi » dit-il.

Elle le regarda d’un air suspicieux. Elle se méfiait de lui. Et cela depuis l’arrivée de Mutine. Il avait fini par comprendre ce qui la perturbait tant. Elle l’avait toujours vu comme son grand frère mais l’avait considéré comme un enfant, un enfant tout comme elle. Ce devait d’ailleurs être la seule à le considérer comme tel et de le voir avec une fille l’avait projeté à ses yeux dans le monde des grands. Elle vivait cela comme une trahison. Rafale se dit qu’il devrait lui expliquer un jour. Il avait déjà essayé mais il avait renoncé. Grésil vivait dans un autre monde, celui de l’insouciance et c’est ce qu’il aimait en elle. A vivre à ses côtés, il avait l’impression de partager par procuration un peu de cette innocence qu’il n’avait jamais pu avoir.

- Grésil, je voudrais que tu m’aides à trouver quelqu’un.

- Qui ?

- Je ne sais pas. Quelqu’un qui appelle, très loin. Un peu comme s’il était perdu. Quelqu’un qui émet un parfum qui n’existe pas.

- Je crois que je comprends de quoi tu parles.

Rafale sourit, c’était inespéré surtout vu son explication. « Raconte.

- Je ne sais pas mais parfois, je sens des gens. Je ne peux pas leur parler et je ne comprends pas très bien.

- C’est très bien.

- Alors tu vas essayer de chercher avec moi d’accord ?

- Je ne sais pas comment chercher. »

Rafale réfléchit. Il ne voyait pas comment expliquer avec des mots simples. C’est comme quand tu joues à l’espionne et que tu cherches des indices ou que tu grappilles quelques mots pour ensuite chercher la phrase entière. »

Grésil se rétracta d’avantage: « Comment tu sais que je joue à l’espionne ? »

Rafale sourit devant l’innocence de sa sœur. Elle vivait entourée de télépathes et imaginait pouvoir garder ses petits secrets.

« Allez Grésil, tu m’aides et en retour, je t’apprendrais à garder tes pensées pour toi. »

Ce devrait faire une motivation suffisante.

Grésil hocha la tête. « Tu sais aussi pour Onirique ?

- Ton ami imaginaire ? Oui, je sais.

- En fait, c’était l’ami imaginaire de maman. Enfin il se faisait passer comme tel quand elle était petite mais il existe pour de vrai et peut prendre pleins d’apparences différentes mais celle que je préfère c’est le dragon, il dit qu’il est chargé de veiller sur moi. Enfin sur nous mais je n’ai pas compris qui étaient les autres.»

Rafala la coupa. Si elle lui racontait toutes ses élucubrations de petite fille, il n’en sortirait jamais, il savait comme son imagination pouvait être fertile.

« C’est très bien Grésil mais pour l’instant, tu vas laisser Onirique. Ou alors, tu vas faire comme si tu cherchais Onirique.

- Je ne sais pas le chercher. D’abord il ne vient que quand je dors et même si je peux faire ce que je veux dans mes rêves, je ne peux pas lui commander de venir. C’est lui qui décide quand il veut venir. »

Rafale commençait à s’impatienter. Il avait encore ressenti cet appel. Il n’était pas temps que Grésil lui raconte toutes les fabulations issues de ses rêves d’enfants.

« Donne-moi la main Grésil. »

Grésil obtempéra et Rafale sentit plus fort sa méfiance.

« Tu me fais confiance ? » ajouta-t-il

La petite hocha la tête et Rafale comprit qu’elle avait peur mais il n’avait pas le temps de s’en préoccuper.

« Concentre toi et cherche celui qui appelle » dit-il. « Touche la pierre si ça peut t’aider.

- Ca ne fait plus de différence que je la touche ou pas, je la sens pareil. »

C’était une remarque importante, elle avait fini son lien avec la pierre. Rafale le nota mentalement mais n’en tient pas compte. Il y avait plus urgent. Il lui prit l’autre main et, par ce contact, se lia à son esprit et se laissa dériver dans l’infini entraînant Grésil avec lui.


Terre : Nouveau Mexique

Accalmie ouvrit les yeux. Il était seul dans une petite chambre d’hôtel. Il se leva et tituba jusqu’à la salle de bain pour se passer de l’eau sur la figure. Il aurait pu faire un match de hockey comme il faisait si souvent avec Mike, son cœur n’aurait pas battu plus vite. Il avait senti quelque chose, il en était sur. Quelque chose ou quelqu’un. Mais était ce vraiment ça ? Tout avait disparu su soudainement et si vite. Il avait du mal à cerner exactement ce qu’il s’était passé. C’était comme un papillon affolé frappant aveuglement sur une vitre. Sauf que la vitre, c’était lui et que ce n’était pas un papillon. Un appel au secours peut-être. De la terreur mais en même temps il y avait quelque chose d’enfantin. Thibault aurait pu lui dire. Il regretta soudain son départ précipité. Mais non, il ne pouvait faire autrement. Thibault cherchait à l’utiliser. Il ne savait pas pourquoi. Ses cachotteries, ses élucubrations mystiques, et ses obsessions archéologiques lui tapaient sur les nerfs ! Il devrait faire gourou pour une secte. Il décapsula une bière et la porta à ses lèvres. Mike aussi pourrait l’éclairer. Pourquoi ne rentrait-il pas chez lui au fond ? Il était arrivé au nouveau Mexique et avait trouvé un petit hôtel près de la base des Maÿcentres. Rien d’extravagant, il voulait rester discret. Après le faste de Barhein, tout cela lui paraissait miteux. Encore une fois il pensa à rentrer. Il ne savait même pas quoi faire ici. Peut-être pourrait-il se faire embaucher dans la base ? Ce ne devrait pas être difficile. Un petit boulot sans importance. Voir un boulot important. Au fond, les convaincre qu’ils ont besoin de lui ne devrait pas être difficile. Une fois sur place il pourrait plus facilement repérer les lieux et peut-être trouver une idée sur place, improviser. Oui, mais pourquoi ? Il pourrait aller trouver son grand père. Enfin celui qui se faisait passer pour son grand-père, le père de Mike. Après tout, Thibault lui avait dit qu’il avait bossé avec eux. Et il s’empresserait de prévenir Mike. Non, il ne pouvait compter sur personne. Il se coucha sur le lit. « Où es-tu petit papillon ? »


Saphir : Domaine de Tiyana

Grésil tremblait de tous ses membres, recroquevillée sur le sofa du salon. Elle perçut, sans le voir, son frère approcher d’elle et se terra plus loin. Il dit quelque chose et s’approcha encore et elle se mit à hurler, sentit son hésitation et vit avec soulagement qu’il recula. Pourtant son inquiétude redoubla en le voyant quitter le salon. Elle avait peur de se retrouver toute seule et se mit à sangloter, des sanglots hachés, nerveux. Elle ne comprenait pas ce que son frère lui avait fait. Elle lui faisait confiance et puis elle l’avait senti s’approcher, trop prêt, l’envahir, puis elle s’était dispersée, comme cassée en des millions de tous petits morceaux éparpillés partout. Elle en avait encore des frissons et se remit à claquer des dents en tâtant les coussins afin de s’assurer qu’elle était revenue. Tout était calme autour d’elle, comme s’il ne s’était rien passé. Le silence accentua encore ses craintes. Elle regarda autour d’elle se rendant compte qu’elle était tout seule. Où est Rafale ? pensa-t-elle soudain en paniquant. Il était parti, elle s’en souvenait mais elle ne se calma pas pour autant. Elle ne voulait pas rester toute seule, il fallait qu’il revienne.

« Je suis là ».

Grésil se mit à hurler à nouveau. Son frère lui avait déjà parlé ainsi. Il utilisait ce moyen pour lui parler quand il n’était pas là. Elle n’aurait pas dû réagir ainsi, elle devait se calmer. Si elle continuait ainsi, oncle Matinée viendrait et lui poserait pleins de questions désagréables. Elle devait faire comme Eclaircie lui avait appris, faire le vide dans son esprit. Mais elle n’avait plus d’esprit, il était tout cassé.

Elle sentit des bras autour d’elle et se mit à taper des pieds et des mains pour se libérer. Son frère lui parlait à voix basse, il lui disait qu’il était désolé, elle ne l’avait pas entendu entrer. Désolé de quoi ? Elle était complètement perdue.

Saphir : Domaine de Tiyana

Rafale se sentait totalement dépassé, il n’aurait jamais dû faire ça. Entre utiliser l’énergie que lui procurait la pierre ou se fondre dans la pierre elle-même, il y avait un pas que sa sœur n’était pas prête à franchir. Il avait été trop pressé et il en payait les conséquences. Maintenant, ce n’était plus la peine de penser à retrouver cet étrange appel. Il aurait dû prendre son temps, la préparer à ce qu’elle allait vivre. Il était un piètre professeur. En plus, loin de la calmer, il avait aggravé les choses. Elle l’avait appelé sans doute sans même s’en rendre compte, il lui avait répondu par réflexe et il avait senti sa panique s’amplifier encore. Etait-il déjà si vieux qu’il n’était plus capable de se rappeler lui aussi la panique qu’il avait ressenti en fusionnant avec la pierre ? Il était allé la retrouver et l’avait serrée contre lui, tentant de maintenir à l’écart ses petits poings rageurs et la panique qui fusait autour d’elle comme autant de petites épées coupantes. Il essayait de lui envoyer des émotions apaisantes mais elle était si crispée qu’elle le rejetait avec une puissance au moins égale à la sienne. « Je suis désolé » lui répétait-il. « C’est fini maintenant, fini »

A force de la bercer, les tremblements de sa sœur se firent plus discrets jusqu’à disparaître. Quand il se décida à la lâcher, la nuit était tombée. Il était tard. Matinée avait voulu venir mais il lui avait dit de ne rien en faire. Il sentait que ce n’était pas ce dont sa sœur avait besoin. Il lui avait dit qu’ils ne devaient pas être dérangé. Il prit sa sœur dans ses bras et sentit avec soulagement ses bras s’accrocher à son cou et la transporta jusqu’à sa chambre pour la mettre lui-même au lit. Elle n’avait pas dit un mot mais s’était calmée.

- Rafale » dit-elle enfin alors qu’il s’éloignait.

« Je reviens, je vais demander qu’on te monte quelque chose à manger.

- Je n’ai pas faim. Pars pas

- D’accord, je vais rester jusqu'à ce que tu t’endormes.

- Rafale ?

- Oui

- Tu peux regarder derrière la tenture s’il n’y a pas de monstre.

- Il n’y en a pas.

- Regarde »

Il se leva et écarta distraitement la tenture séparant la chambre de l’espace de rangement.

- Il n’y en a pas. De toute façon aucun monstre n’aurait la prétention d’entrer dans la villa Adarii de Tiyana.

- Rafale ?

- Oui.

- Tu m’as dit que si je trouvais celui qui sentait une odeur qui n’existe pas tu m’apprendrais à empêcher les grands de savoir ce que je pense. »

Rafale sourit, au moins elle ne perdait pas le nord elle.

« Bien sur petite sœur et je t’apprendrais quand même, ça n’a pas d’importance que tu n’aies pas pu le trouver.

- Mais je l’ai trouvé !

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