lundi 17 décembre 2007

AP : 3. Rafale : Chapitre 8

8

"La vie est un conte de fée qui perd ses pouvoirs magiques lorsque nous grandissons."

[Robert Lalonde]
Le diable en personne

Plume : Taegaïan

Grésil écarta la tenture le plus doucement possible et retint son souffle. De là, elle avait la vue sur toute la salle des doléances. A quelques pas devant elle siégeait son Oncle Glace. Elle se trouvait derrière lui, mais sa présence n’était sûrement pas passée inaperçue pour lui. De toute façon, elle avait le droit d’être là. Son oncle l’encourageait même à venir assister aux audiences. C’était un calvaire mais maintenant, elle était si heureuse d’être de retour chez elle que tout n’était qu’émerveillement, même rester debout derrière Maître Glace à écouter des gens pleurnicher. Et surtout, elle n’était pas là pour cela. Elle s’avança le plus discrètement possible et se plaça derrière son oncle en prenant soin de rester dans l’ombre d’une colonne. Il y avait du monde dans la grande salle, mais pas plus que d’habitude. Un représentant de Maé expliquait un souci de digue fragilisée par la tempête du mois dernier. Elle perdit vite le fil de son discours scrutant des yeux les visages présents. Elle sourit enfin en reconnaissant celui qu’elle cherchait. Elle lui fit un discret signe de la main mais, vu la distance, il ne l’aperçut pas. Pourtant, elle, elle ne voyait plus que lui. Il avait changé mais il était toujours aussi beau. Non, beaucoup plus. Et grand. Qu’est-ce qu’elle avait pu être déçue à son arrivée d’apprendre que Chiffre n’était pas là. Bien sur, elle avait retrouvé Coton avec beaucoup de plaisir mais elle ne l’avait pas vu beaucoup. Il travaillait avec son père maintenant. Et puis, après plusieurs jours qui lui avaient paru interminables, elle avait appris par hasard le retour du marchand Mangue et de son fils. Elle s’était précipitée et Plumeau l’avait attrapée par le col de sa tunique. « Il est hors de question que vous repreniez vos manières de sauvageonne » Grésil. « Vous n’avez pas à courir derrière les garçons.

- Mais c’est Chiffre

- Raison de plus. Laissez-lui quelques jours de repos et ensuite vous pourrez le convoquer. En plus, il doit venir prêter allégeance à Maître Glace. Il y a sûrement beaucoup de membres de sa famille et de ses amis qui seront venu pour l’occasion et devra les recevoir ». Plumeau ne veut pas que j’aille lui parler mais elle ne peux pas m’interdire de le voir s’il prête allégeance à Oncle Glace avait-elle pensé. L’autre avec ses histoires de digue s’éloignait en reculant.

Le marchand des domaines, Mangue s’avança à son tour son fils sur les talons.

Le jeune Chiffre sentait son cœur battre à tout rompre. La grande salle des doléances et tout ce monde tourné vers lui, c’était autrement plus impressionnant que le salon d’accueil ou même le grand salon de réception. A chaque pas qu’il faisait sur les grandes dalles de marbre blanc, il ne pouvait s’empêcher de s’imaginer trébuchant devant l’assemblée. Toute sa famille était venue. Un faux pas, et se serait le comble du déshonneur. Son père resserra légèrement son étreinte contre son bras. Il comprit le sens de ce geste qu’il lui faisait souvent. Tiens-toi bien voulait-il dire. Tiens-toi bien et fais-moi honneur. Combien de fois par jour lui ressassait-il ses mots. Il prit une grande inspiration et releva la tête tentant d’ignorer ses jambes qui vacillaient. Il regarda d’abord autour de lui. Il aperçut sa sœur et deux de ses frères ainsi que quelques connaissances puis tourna enfin les yeux vers l’estrade qui se rapprochait un peu plus à chaque pas. Maître Glace était assis dans un immense fauteuil de pierre. Derrière lui, il aperçut une ombre familière. Non, ce ne pouvait être elle pensa-t-il, elle était à Tiyana. Son cœur fit un bon dans sa poitrine en reconnaissant son amie. Elle était revenue. Elle avait changé mais elle était magnifique. Toutes les Adarii étaient jolies mais elle, encore plus. Elle avait tressé ses longs cheveux noirs et le fixait de ses grands yeux bleus, souriant soudain d’une mine réjouie. Son courage était revenu. Il inspira encore une fois et leva les yeux vers Maître Glace. Quand il le regardait, il avait l’impression qu’il allait tomber. Comme quand il se penchait pour regarder les vagues du haut de la falaise surplombant la cité. Le vide l’attirait et le révulsait à la fois. Maître Glace aussi l’attirait mais qu’est-ce qu’il pouvait lui faire peur. Il tenta de relativiser. Les autres Adarii aussi lui faisaient le même effet mais Maître Glace le plus impressionnant. Enfin, après Maître Blizzard de Maniya. Son père, Mangue, resserra encore sa prise. Chiffre sortit de ses réflexions et se rendit compte qu’il était arrivé au bas de l’estrade. Il rougit de sa distraction. Inspira encore profondément, salua Maître Glace puis, relevant la tête, se força à le regarder dignement maîtrisant le vertige qui montait en lui. Il entendit son père à ses cotés dire les formules d’usage qu’ils avaient répété ensemble.

« Maître Glace, protecteur de Taegaïan, Mangue, marchand des domaines et représentant de Taegaïan vous présente aujourd’hui officiellement son fils Chiffre.

Maître Glace se tourna subtilement vers lui et leurs yeux se croisèrent renforçant encore son malaise. Je n’ai aucune raison d’avoir peur se dit-il pour se rassurer. Il a les mêmes yeux que Grésil. Grésil, ne fait pas peur. Il avait envie de chercher la petite fille du regard. Il savait qu’elle était à peine plus loin, à la limite de son champ de vision mais ce n’était pas elle qu’il fallait regarder pour l’instant.

« Pourquoi es-tu ici aujourd’hui Chiffre, fils de Mangue Marchand des domaines ? »

Les mots tant de fois répétés sortirent de la bouche du garçons bien trop récités à son goût : « Moi, Chiffre, je souhaite être attaché aux terres de Taegaïan dans lesquels je suis né et j’ai grandi.

- Acceptes-tu de vivre sous les lois de ses terres, de les accepter et de t’y soumettre ?

- Oui, je l’accepte. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour servir Taegaïan, les autres territoires de Plume et de Saphir et le peuple Adarii qui les protège. »

Il resta un instant ne sachant plus que dire. Il avait tant de fois répété mais toutes ses formules apprises par cœur, ils ne les retenaient jamais. Il chercha encore ses mots. Enfin, pas ses mots, les mots que son père lui avait appris mais il avait tout oublié. Un jour, sa mère lui avait dit qu’il ne fallait pas parler avec sa tête mais avec son cœur. Il décida de suivre son conseil. Il arrêta de chercher ses mots dans sa mémoire, pensa à Grésil et se sentit mieux.

« C’est vrai » continua-t-il, « je ferais tout ce que vous voudrez, je serais loyal, et travailleur aussi. Et puis, je vous ferais honneur. A vous et à tous les vôtres parce que je sais tout ce que vous faites pour nous. Je sais aussi que sans vous, et les vôtres nous serions aux mains des mondes extérieurs et … » Son regard glissa et tomba sur Grésil et il se sentit rougir. Il ne savait plus quoi dire. Il sentait les regards de l’assemblée posée sur lui, et encore plus pénétrant, celui de Maître Glace et les beaux yeux de Grésil. Il se força à regarder à nouveau ce dernier. Il était toujours impressionnant, il semblait réfléchir intensément mais dans son visage figé, il crut voir percer l’ombre d’un sourire et du coup son propre visage s’illumina.

« Chiffre fils de Mangue » dit-il enfin. « Tu seras maintenant Chiffre, fils de Taegaïan. »

Chiffre souffla profondément. Maître Glace tendit la main.

Chiffre sentit que son cœur était prêt à exploser dans sa poitrine. Il avait envie de fuir en courant mais se força à avancer monta une a une les marches de l’estrade pour se retrouver à la hauteur de son Maître. Il ne put s’empêcher d’essuyer sa main contre sa tunique de cérémonie puis d’un geste assuré et confiant, serra la main tendue avant de s’incliner à nouveau et de redescendre les marches à reculons sa peur de tomber revenant subitement à la surface.

Voila, c’était fini. Il était presque déçu. Ce serait sans doute la seule fois de sa vie qu’il aurait un contact physique avec un Adarii. Il s’était imaginé qu’il se serait passé quelque chose, il ne savait pas quoi mais quelque chose. Mais non. La main du Maître Glace était comme celle de n’importe qui.

Il commença à faire demi-tour mais maître Glace le rappela.

« Chiffre » dit-il n’as-tu pas une requête à me faire ?

Le jeune Chiffre s’arrêta, un peu perdu. Cette question ne faisait pas partie de la cérémonie. De quoi voulait-il parler ? Chiffre supposait qu’il avait du lire dans ses pensées ce qu’il désirait. Depuis plus d’un an, il suppliait son père d’en parler à maître Glace mais ce dernier se contentait de lui dire qu’il était trop jeune. De toute façon il ne voyait pas d’autres requêtes :

Il inspira encore un coup et se lança : « Mon seul désir et de servir Taegaïan.

- Comment souhaites tu le servir ?

- Je voudrais pouvoir devenir Marchand des domaines comme mon père.

- Penses-tu pouvoir nous faire honneur ?

- Je ferais le mieux que je peux ».

Chiffre rougit se rendant compte de sa tournure de phrase pitoyable. Mais Maître Glace souriait. « Un jour, tu feras un bon Marchand des domaines. Chiffre de Taegaïan apprenti du marchand Safran.

- C’est vrai ! Je peux être l’apprenti du marchand Safran ? » s’exclama-t-il. Il n’en revenait pas, Safran était un des marchands les plus réputé avec son père. En principe, les garçons de son age commençaient à travailler avec des commerçants et une fois qu’il connaissait le métier seulement il pouvait espérer passer apprentis dans la haute société marchande et encore, bien peu y était admis.

« Je sais pas quoi dire » dit-il

« Alors ne dis rien mais fais-moi honneur.

- Ho oui, comptez sur moi. » Son regard dévia soudain attiré par du mouvement à la limite de son champ de vision. Tout en reculant, il tentait d’apercevoir Grésil qui lui faisait signe remuant les lèvres pour lui faire comprendre quelque chose.

« Rejoins-moi » crut-il comprendre tandis que Maître Glace se retournait. Les deux enfants devinrent rouge de confusion et Chiffre franchit les derniers mètres de plus en plus vite courant presque pour franchir la sortie.


Maïcentres : Basses villes

Le cercle qui avant entourait Umia s’était déplacé autour de Dyasella.

Nous ne pouvons rien faire, nous n’avons accès à rien. Nous ne pouvons pas monter sur la colline du conseil. Et encore moins avoir accès à plume. Nous sommes coincés.

- Vous allez me faire pleurer. Moi j’irais.

Comment comptes-tu à toi seule chasser Synshy de la villa.

- Moi, mais j’en suis incapable, c’est sur Plume que j’irai.

- Les frontières de Plume sont bloquées, les patrouilles permanentes. Comment imaginez-vous les convaincre ?

- La Syhy Lytyl n’a de compte à rendre à personne. Elle a ses propres vaisseaux et les utilisent comme elle l’entend.

- Miroir et Crayon aussi ont une navette et ils se sont fait gentiment éconduire.

- Oserais-tu insinuer qu'on pourrait m'éconduire ?

Dyasella fixait Cannelle les bras croisé devant elle.

A sa plus grande stupéfaction Umia vit Cannelle reculer. Je n'ai pas dit ça, je pense juste.

Arrête de penser, agis s'exclama-t-elle.


Plume : Taegaïan

Grésil retrouva son ami sur l’esplanade devant la villa. Elle ne l’avait jamais vu si heureux. Il était entouré par une multitude d’amis. Que des personnes qu’elle ne connaissait pas. Des jeunes de son age lui frappaient dans les mains. Elle aurait voulu se joindre à eux, sauter dans les bras de son ami qu’elle n’avait pas vu depuis si longtemps et rire avec eux, mais ce n’était pas le moment d’aller lui parler. Il était occupé et ce n’était pas gentil de les déranger. Ca risquait de les mettre mal à l’aise. Mais, elle avait tant envie de le voir. Elle s’avança résolument et s’arrêta imaginant encore le discours que lui ferait son oncle sur la façon de se tenir. Elle intercepta un domestique et lui demanda de dire au jeune garçon qu’elle désirait le recevoir dans le salon d’accueil. Ainsi, elle éviterait déjà les soupirs désespérés de sa gouvernante.

Chiffre arriva cinq minutes plus tard tout sourire

« Tu m’as manquée ». S’exclama-t-elle.

« Moi aussi vous m’avez manqué. Je ne savais pas que vous étiez rentrés. J’ai été surpris, une belle surprise ».

Grésil se sentit gênée d’un coup, elle ne savait plus quoi dire. Avant, ils avaient toujours quelques choses à se dire et, même si parfois ils restaient silencieux, observant les reflets d’un étang ou sommeillant sous un arbre, il n’y avait jamais eu la moindre gêne entre eux. Elle se sentait bête, comme si la distance entre eux subsistait encore.

« Tu as accompagné les marchands en Azlan ? » finit-elle par dire

« Oui, et nous sommes revenus par les forêts d’Arkae. Nous avons ramené une cargaison de bois précieux. »

Les yeux de Grésil s’illuminèrent et toute crainte s’évanouit devant les yeux pétillant de son ami : « raconte ! »

- Je ne sais pas quoi dire. J’ai vu pleins de trucs. On est passé par les cascades sur le pont du territoire Azlan. C’est gigantesque. Et j’ai vu des arbres encore plus haut que la villa. Presque jusqu’au ciel. » Ils retombèrent dans un silence un peu lourd.

« Je le pensais pour de vrai ». S’exclama soudain Chiffre. « Enfin, vous le savez ou Maître Glace te le confirmera. Mais vous savez ce que je veux dire c’est que je le pensais plus fort que les autres. Enfin les autres devaient le penser fort aussi mais moi, je me disais que je voulais être comme les chevaliers dans les livres que vous m’avez montrés. Ceux qui sont pleins d’honneur parce que le serment que j’ai fait aujourd’hui, il est comme celui qu’on a fait il y a longtemps ». Tout en disant cela Chiffre tendit le poing et Grésil fit de même « Amis pour toujours » dirent-ils ensemble.

« Que c’est mignon tout ça. »

Chiffre sursauta et blêmit tandis que Grésil se contenta de se retourner vers l’entrée du salon. « Eclaircie ! Tu nous as fait peur » dit-elle.

« Adarii Eclaircie, Chiffre de Taegaïan est à votre service » dit le petit en s’inclinant avant de lever les yeux vers le jeune homme qui était entré dans le salon d’accueil.

« Pas juste Chiffre répondit ce dernier mais apprenti marchand Chiffre. J’ai appris ta promotion » ajouta-t-il en s’asseyant dans un fauteuil, « c’est un grand honneur que Maître Glace t’a fait là.

- Oui, et j’en serais digne » répondit-il fièrement.

« Je n’en doute pas. » grommela Eclaircie « Tu vas partir souvent.

- Oui, mais je suivais déjà mon père parfois. Quand nous étions bébés, mes parents nous emmenaient partout. Maintenant un peu moins, car je devais suivre l’apprentissage. »

Eclaircie sembla réfléchir et passa sa main dans ses cheveux clairs. « Hé bien, bon courage, jeune chiffre. Je pense que tu devrais rejoindre ta famille. De nombreuses personnes doivent t’attendre, Grésil ne devrait pas te retenir ainsi.

- Ca ne me dérange pas » répliqua le jeune Chiffre en se dirigeant vers la sortie. « Je suis à son service. Je suis là pour servir les Adarii et protéger leurs enfants.

- C’est cela oui » murmura Eclaircie tandis que le petit courrait déjà dans le hall d’entrée.

Eclaircie le suivit des yeux puis en revint à Grésil. « Jolie promotion qui est faite à ton ami.

« Il le mérite répondit-elle exaltée. « Il fera un très bon marchand des domaines et je suis sûre qu’on pourra tous être fiers de lui.

- Mais oui. Et il va parcourir le monde au lieu de rester ici à s’occuper de toi. Un coup de maître de la part de Glace.

- Que veux-tu dire ?

- Rien, rien.

- Il l’a nommé apprenti car c’est quelqu’un de bien, d’intelligent et de dévoué. Pourquoi voudrait-il l’éloigner de moi ?

- Peut-être justement à cause de tout cela ». Eclaircie se leva et se dirigea vers le patio « Que la journée te soit agréable Grésil, fille de Pluie et Orage.


Plume Taegaïan

« Comment ça disparu ? »

Les colères de Matinée étaient rares mais quand elles éclataient, une chose que Rafale avait vite appris c’est qu’il n’avait pas intérêt à intervenir. Il laissa donc le représentant du peuple balbutier quelques excuses aussi pitoyables qu’inutiles,

« Je veux savoir où et quand » Hurla Matinée au pauvre bougre qui se recroquevilla en tremblant tandis que Matinée reprenait encore plus fort : « Tout de suite »

Rafale suivit du regard l’homme qui fila comme si il avait le feu aux trousses.

« Incapable » murmurait encore Matinée entre ses dents, « tous des bons à rien, je vais m’en occuper moi-même de cette provinces, ils nous ont tourné en bourrique, tout cela était prémédité, j’en mettrais ma main au feu.

- Voyons, ils se contentent de faire ce qu’on leur demande. Ses espions avaient pour mission d’étudier l’implantation des Maÿcentres en Cashir et les dégâts qu'ils ont engendrés. Jamais personne ne leur a demandé de surveiller Cyril.

- Et résultat, cette fouine se balade on ne sait où, prêt à récupérer des documents qui nous reviennent de droit.

- Je pense plutôt qu’il s’est contenté d’aller chercher sa fille. Il a dû magouiller avec quelques marchands des Maÿcentres. Son peuple se meurt et sa fille a disparu. J’imagine mal qu’il ait choisi ce moment pour jouer les archéologues

- A sa place, c’est tout à fait le moment que je choisirais pour chercher des documents qui pourraient m’aider à me débarrasser de certains parasites. Et dire qu’à l’entendre il était presque soumis à l’esclavage.

- Oui, mais un esclave, rusé et possédant une fortune en marchandises qu’affectionnent les mondes extérieurs. Il était évident qu’il n’attendrait pas indéfiniment qu’on le soutienne. Dès qu’il a pu soudoyer un marchand, il est parti. Je soutiens qu’il a dû se rendre sur les Maïcentres.

- Et il avait aussi le code contenant l’emplacement des documents à la base de notre histoire. »

Rafale ne répondit pas. Il l’avait déjà fait plusieurs fois. D’abord, il imaginait mal que Cyril ait pu déchiffrer le code, ensuite, il aurait fallu qu’il fasse le rapport entre les coordonnées et la Terre et enfin, il n’avait aucune raison de s’intéresser à quelques vieux parchemins sans le moindre intérêt pour ses affaires. Ce qui inquiétait Matinée était la façon dont les Adarii avaient quitté la Terre. Il imaginait trouver une façon de se déplacer dans l’espace mais il semblait plus probable qu’ils aient juste gardés des vaisseaux comme ceux utilisés par les colons de Conquêtes ou de Vengeance. Après tout, les anciennes civilisations Terriennes découvertes par Tempêtes paraissaient très puissantes. Elle avait fini par conclure de ses recherches que les ancêtres de Vengeance étaient les maîtres de l’hémisphère nord de la Terre et qu’ils possédaient une puissance technique au moins égale à celle de l'actuelle Vengeance tandis que les Adarii devaient s’être appropriés le sud. Mais les deux puissances avaient disparu, sans doute à force de conflits perpétuels. Les sept Cités d’Atlantide, capitale du nord s’étaient abîmées dans les flots, obligeant les survivants à fuir vers la planète Conquête il y avait 15 000 ans de cela et 3000 ans plus tard, le continent Mu, capitale des terres du sud était englouti à son tour à la suite d’un gigantesque cataclysme, sans doute dû à la proximité d’un corps céleste dont l’attraction aurait fait dévier les pôles de la Terre. Ca paraissait cohérent. Des deux millénaires suivants, on ne savait rien mais, les Adarii semblent survivre puisqu’ils colonisent Saphir, il y a environ 8000 ans. Comment avaient-ils survécu ? Comment avaient-il pu ensuite atteindre Saphir ? Ce trou dans l’histoire obnubilait Matinée depuis qu’il avait découvert l’histoire de cette si étrange Réalité qui aurait fait partie des premiers colonisateurs de Saphir. Il imaginait que les écrits laissés sur Terre dont elle parlait révèleraient non seulement l’histoire mais aussi le secret de telles puissances. Rafale était sceptique. En plus, il était peu probable que des écrits aient pu se conserver tout ce temps. Et, les écrits de Réalité étaient si nébuleux qu’il n’en avait pas compris le dixième. Si Le journal d’Onirique dont elle parlait était si confus, il ne leur servirait à rien d'autres qu'à satisfaire la curiosité naturelle de Tempête ou de Fragile.

Une porte claqua et Rafale sursauta. Matinée était parti. Tant mieux, sa mauvaise humeur et sa tension devenaient vraiment pénible. Rafale s’approcha du balcon. Grésil se baignait dans la piscine du patio avec Eclaircie. Elle riait. Elle était plus heureuse ici. Il avait eu raison d’insister pour qu’on la ramène à Taegaïan pour quelques temps. Chiffre n'était pas là. Eclaircie avait dû réussir à intercepté Grésil avant qu'elle ne s'accapare le jeune garçon. Maître Glace n’avait pas encore réussi à s’en débarrasser de celui-là. Ca crevait les yeux que le jeune Chiffre avait plus que du respect envers Grésil et elle aussi avaient certains sentiments que la distance n’avait pas amoindris. Envoyé le gosse en apprentissage n’était en effet pas une mauvaise idée, ça lui ouvrirait de nouveaux horizons. Mais au moins, avec lui, Grésil sortirait peut-être de son petit monde de rêve dans lequel elle avait tendance à s’isoler à Tiyana. Ca lui faisait du bien d’avoir des vrais amis et non plus des amis imaginaires. C’est vrai, il n’avait pas fait le rapprochement entre l’Onirique dont parlait Réalité et l’ami imaginaire de Grésil à qui elle avait donné le même nom.

Ce pourrait-il qu’il s’agisse d’autres choses que d’une simple coïncidence ? Grésil y croyait. Rafale sourit, il devenait aussi irréaliste que Matinée. Il s’agissait juste d’un hasard. Grésil avait eu accès à ce livre mais n’avait pas pu en saisir le code. Elle avait appelé son soi disant ami ainsi parce que, tout au fond d’elle, elle savait que ce n’était qu’un rêve, qu’il n’existait pas vraiment.

Terre : Nouveau Mexique

La douleur comme une pioche qui frappe encore et encore sur sa tête. Non, une perceuse qui lui vrille le cerveau et…Plus rien. Plus de bruit, plus de souffrance, plus d’image. Le vide, le néant. Gris à perte de vue. Gris et vert. Un ciel gris et de l’herbe verte. Des fleurs maintenant. Beaucoup de fleurs. Diverses subtilités dans le gris du ciel. Des nuages. Hé merde pensa Thibault. Comme si je n’avais pas passé l’age de ses conneries. Il y avait un arbre. Loin. Trop loin. Thibault s’assit dans l’herbe et se contenta d’attendre. Une ombre sur l’herbe devant lui. Un homme. Thibault ne releva pas la tête préférant observer l’ombre que l’homme lui-même. « Juste un truc » dit-il « vu l’épaisseur de la couche nuageuse, l’ombre ainsi, ce n’est pas possible.

- Depuis quand devrais-je prendre en compte la réalité ? »

- Tout ce qui n’est pas régi par les lois de la physique me rend malade. L’ombre avait disparu mais Onirique était resté Planté au milieu d’un parterre de fleur comme à son habitude. . « Ici, tu ne seras malade que si je le décide. »

A ces mots Thibault recommença à se sentir mal, nausées, migraine.

« Arrête ça ou je vomis dans ta prairie.

- Je t’avais dit de ne pas le faire. »

Thibault se mit debout pour être à sa hauteur. Il fut tout de même obligé de lever la tête. Ses douleurs avaient été évacuées, c'était déjà un bon point.

« Oui, et tu me connais assez pour savoir que je fais toujours ce qu’on me dit de ne pas faire. Alors tu diras à Substance que j’ai trouvé ton journal et…

- Je ne peux pas contacter Substance. Ce serait trop dangereux et pour moi et pour lui.

- Prends moi pour un con. Je sais que tu m’espionnes pour lui.

- Je ne t’espionne pas, je veille sur toi. C’est différent. Et pas pour lui.

- Pour qui alors ?

Je n’ai pas l’autorisation de te le révéler mais j’ai découvert quelque chose. Par Chance.

- Par chance ou par Chance

- Un peu des deux. Il faut que tu ailles là où tu as découvert mon journal. Tu verras quelqu’un… »

Les nausées reprirent, la tête de Thibault se mit à tourner et il régurgita un flot de minuscules fleurs blanches. Onirique le regardait avec pitié et de nouveau la douleur s’estompa. Thibault avait horreur de la pitié, il détestait aussi qu’on l’aide.

« Cette pierre a été façonnée pour les Adarii, elle te résiste.

- Tu me l’as déjà dit, et je ne suis qu’au pauvre mec trop faible. Je vais crever ?

- Trop faible ! » Onirique se mit à rire. Non, bien sur que non, tu as suffisamment de sangs Adarii pour t’y accorder. Si ton corps résiste, ce n’est pas parce que tu es trop faible, c’est parce que tu es trop fort. Il y a plus de musiques en toi que de parfums

« Ho Putain »,

Le choc réveilla Thibault qui se raccrocha à son lit, entraînant avec lui une bouteille d’alcool qui explosa sur le carrelage, envoyant des éclats de verres jusqu’à la porte. Heureusement qu’elle était vide.

Thibault se hissa pour remonter sur son lit et s’affala sur le matelas, prit l’oreiller et le plaqua contre sa tête comme si ça pouvait soulager sa migraine. Au fond, si la bouteille avait été pleine, j’aurais peut-être moins mal à la tête pensa-t-il Il ne se rappelait plus ce qu’il s’était passé. Il avait pris une bonne cuite comme il ne l’avait plus fait depuis bien dix ans, ça c’était sur. Il fit glisser l’oreiller regardant autour de lui la chambre qui tanguait dangereusement. « Je suis chez moi. »

Voilà qui était surprenant, il avait quitté les Etats-Unis depuis au moins un an. Une excuse débile qu’il avait donné à ses employeurs extraterrestres sur l’importance d’augmenter les contacts avec l’Europe en général et la France en particulier puis le Moyen orient. Il en avait élaboré tout un dossier. Des pages de chiffres et de références qui lui-même ne saisissaient pas mais ils avaient marché, Ils gobaient n’importe quelle foutaise. Le légat Vygosi, un esprit faible, l’avait envoyé là-bas et il en avait profité pour vaquer à ses petits soucis personnels tout en leur envoyant quelques emails de temps en temps énumérant l'avancée de sa mission fictive. Il avait vu Hélène qui avait troqué ses robes de cuirs pour des petits tailleurs avec foulards assortis, puis il avait découvert Accalmie. Le souvenir d’Accalmie le fit émerger quelque peu de sa torpeur. Sale gosse. Il pensait qu’il l’aiderait à retrouver les pierres Annunaki dont Onirique parlait dans son journal mais il avait filé avant. Puis, il avait été voir Marcus Substance. Pourquoi ? Ha oui, pour le prévenir au sujet d’Accalmie mais il était absent. Il avait vu Nana, la bonne. Elle lui avait dit des choses étranges mais inutiles au sujet d'une certaine Maltaa et il avait décidé de tenter le tout pour le tout avec la pierre qu’il avait dénichée avec les écris d’Onirique. Il savait qu’il ne devait pas la porter. Dès qu’il l’approchait de lui, il sentait qu’il devait s’éloigner mais il avait été outre et s’était forcé à la garder contre lui. Il en avait senti comme une répugnance de plus en plus forte mais il n’était pas le style à se faire jeter par un vulgaire caillou. Thibault se releva d’un bon dans son lit, sa tête tournait mais il n’en tient pas compte. En tremblant il avança son bras devant lui. La petite pierre noire brillait à son poignet. Non, elle ne brillait pas, elle aspirait la lumière. Et puis, ça n’avait pas d’importance, elle était là, et il était vivant.

Il riait encore en prenant le téléphone qui sonnait depuis un bon moment.

« Monsieur Malta, c’est Joe.

- Oui, je t’écoute.

- Où étiez-vous, ça fait trois jours qu’on essaie de vous joindre.

- Où je passe mes journées et mes nuits et avec qui ne te regarde sûrement pas. Sors tes infos et je sortirai peut-être mon fric.

- Le conseiller Vygosi est furieux, il paraît qu’il vous a mandé de revenir il y a plus d’une semaine. »

Thibault ne s’en souvenait plus, sans doute l’avait-il su. C’était peut-être pour cela, qu’il était rentré aux USA mais il avait beau se concentrer, il semblait qu’il ait un trou de mémoire.

- On est le combien Joe ?

- Le 25.

Ca ne l’avançait pas beaucoup. La dernière date dont il se souvenait précisément c’était qu’il avait pris l’avion le 15 pour aller chez Marcus en Crête. A moins que ce ne soit le 5. Il y avait un cinq, c’était sur. Il n’était pas resté longtemps, ce devait être le quinze. Ca faisait dix jours. Dix jours dont il ne se rappelait rien. A moins que ce soit le vingt qu’il ait été voir Marcus ? Merde, il n’allait pas bien lui.

« Ca va pas monsieur Malta ? »

La petite fouine de Joe. Ca il s’en souvenait. Il faisait du nettoyage sur la base des Maÿcentres. Il s’était rendu compte, tout à fait par hasard, qu’il avait tendance à entendre beaucoup de choses. Les gens ne se méfient jamais du mec qui nettoie. Ils ont tort. Et puis il avait accès à pas mal d’endroits pour son boulot et il était bien mal payé. Thibault avait réglé cette injustice et en échange, il laissait traîner ses oreilles en même temps que sa serpillière à certains endroits sur commande. Il avait fait du bon boulot pendant son absence. Il était mieux renseigné par Joe que par ses employeurs.

« Oui, ça va Joe. J’ai été un peu malade. Enfin, je crois. Mais ça va mieux, j’arrive, le temps que tu nettoies mon bureau et je suis là.

- C’est que je ne peux pas nettoyer grand-chose, je suis viré.

- Viré ? Pourquoi ?

- Ben chais pas c’qui m’a pris, j’ai laissé entrer un mec vers les plate-forme d’atterrissage. Y en a qui disent qu’il aurait volé un vaisseau en forçant le pilote à décoller. Je crois que c’est des conneries, parce qu’un vaisseau ça se vole pas comme ça. Mais c’est vrai que je l’ai laissé passer, je sais même pas pourquoi. Sur le moment, j’ai cru qu’il avait droit.

- Putain. A quoi il ressemblait ton mec ?

- En fait, c’était même pas un mec, juste un gosse. Sans doute un ado qui voulait voir les vaisseaux de près.

- Putain Joe, réponds à la question, il ressemblait à quoi ?

- Très grand, comme vous. Cheveux noir, assez typé du sud. Mexicain peut-être mais avec des yeux clairs. Genre que si j’étais comme lui, ce serait plus facile avec les nanas parce que…

- Quand ?

- Il y a trois jours mais… »

Thibault avait raccroché. Il en savait suffisamment et la voix nasillarde de débile de Joe accentuait son mal de crâne. « Le con » souffla-t-il.

Mike ?

Thibault, que t’est-il arrivé ? Où es-tu ?

L’oiseau s’est envolé.

AP : 3. Rafale : Chapitre 7

7

"Quoi que tu rêves d’entreprendre, commence-le. L’audace a du génie, du pouvoir, de la magie."

[Goethe

Terre : Nouveau mexique

Toujours ces gens qui passaient, différents mais semblables. Tous, ils allaient quelques part, ils avaient un but et lui non. Accalmie tira les rideaux de sa chambre. Il préférait rester seul. Il pouvait tout avoir, il ne comprenait pas pourquoi il était si mélancolique. Quelques semaines plus tôt, il ne vivait que de fêtes et de filles mais maintenant, rien que l’idée de sortir l’épuisait. La solitude était pesante. Et puis, il devait rester concentrer au cas où elle tenterait de le joindre. C’était comme une drogue. Comme une ouverture sur un autre monde, comme toucher du doigt une autre réalité. Proche mais en même temps inaccessible. Comment cette fille avait-elle réussi à lui parler ? D’où venait-elle ?

Elle n’était plus revenue. Mais il sentait qu’il avait besoin d’elle. Ou du moins il avait besoin de quelque chose qu’elle pourrait lui donner.

« Accalmie ».

Accalmie sentit son excitation remonter en sentant en lui le parfum de groseille de la petite. Il désespérait qu’elle le retrouve. Il sentit aussi son excitation et sa joie.

« Je vais rentrer chez moi

- Quoi ? » Accalmie ne s’était pas attendu à ça.

« Rafale a dit à Matinée que j’en avais appris suffisamment pour l’instant et que je devais attendre d’acquérir plus de maturité pour la suite. Il dit que mon lien est assez fort pour supporter la distance. En plus, ils veulent envoyer des délégués en Cashir pour faire des bateaux alors, je vais partir avec eux et Tempête et Matinée et ils vont me ramener chez moi et je retrouverais mes amis. Pourquoi t’es triste ? » Ajouta-t-elle soudain.

« Je ne suis pas triste mais je... Comment lui expliquer que, depuis qu’elle l’avait contacté, il vivait cloîtré, perpétuellement à l’écoute afin de lui parler, qu’il espérait qu’elle vienne le chercher et qu’il se sentait trahi.

Mais il n’avait rien besoin de lui dire, elle le savait déjà.

- J’ai parlé de toi à Maître Matinée, il dit qu’il ne veut pas aller sur Terre. Je pense qu’il croit que je t’ai inventé. Je t’ai dit que Tempête m’a dit qu’elle m’apprendrait à piloter le gros vaisseau ?

- Mais je suis réel.

- Je sais oui. J’en parlerais à ma mère. Elle a été sur Terre, il y a longtemps, je suis sûre qu’elle me croira.

- Et quand tu seras chez toi, tu pourras encore venir me trouver ?

- J’avais pas pensé à ça. Rafale dit que c’est possible, que tout ce que je fais ici, je peux le faire partout en visualisant mentalement. J’ai pas vraiment compris mais j’essayerais.

- Et si tu n’y arrives pas ?

- J’essayerais je te dis. »

Elle avait disparu comme elle était venue laissant Accalmie seul dans sa chambre. Son désespoir augmenta soudain. Il avait mis tous ses espoirs entre les mains de cette gamine et elle le lâchait comme on se débarrasserait d’un vieux jouet. Qu’allait-il faire maintenant ? Sa tristesse se mua peu à peu en colère, ça faisait des semaines qu’il restait enfermé ici à attendre d’hypothétiques nouvelles d’une petite fille. Et pourquoi ? Juste pour satisfaire sa curiosité en fait. Non, pour se faire connaître plutôt. Il avait commencé par s’inquiéter quand Thibault avait émis l’hypothèse que les Maÿcentres aient pu s’emparer du monde d’où venait son père. Il s’était senti concerné et avait été prêt à tout pour aider ce peuple qu’il ne connaissait pas mais maintenant, c’était fini, ils avaient l’air de très bien se porter sans lui. Cependant, il ne les laisserait pas croire qu’il n’était qu’une fabulation d’une petite fille. Tout le monde devait savoir qu’il existe.

Maÿcentres : Basses villes

« Ce n’est pas une motivation suffisante, nous n’avons pas plus d’importance à leurs yeux qu’un insecte pour un Terrien.

- Parle pour toi Umia.

- Mais vous aussi bon sang. Vous avez choisi de quitter leurs terres, C’est comme si vous étiez en campagnes libre ici. Quelle est la base de l’allégeance aux Adarii ?

Ils vous acceptent sur leur terre et vous assurent protection et justice et en échange, vous devez de les servir, leur obéir, et leur proposer vos plus beaux produits et ne pas leur poser de questions. Quelque chose comme ça non ?

- C’est un peu plus complexe, c’est…

- Les détails m’importe peu, le fait est que, si vous quittez leur terre, vous quittez aussi leur protection et leur pseudo justice.

- Ce n’est pas leurs terres.

- La terre n’appartient à personne, ils ne sont que gestionnaires et les protecteurs, je sais.

Je veux bien croire qu’ils vous aidaient un peu ici histoire d’avoir une petite organisation secrète sous la main mais vous ne me ferez pas croire qu’ils seraient prêts à une révolution pour vous. Dans le meilleur des cas, on peut imaginer qu’ils trouvent un moyen de vous ramener mais ils n’iront pas plus loin. »

Dyasella en avait suffisamment entendu. Tant d’ignorance l’exaspérait. Elle franchit les derniers mètres jusqu’à la salle.

« Alors c’est à ça que servent vos petites réunions ! » parler pour ne rien dire et vous plaindre de votre sort. Pour la plupart, vous avez quitté Plume depuis si longtemps que la seule chose que vous vous souvenez encore de votre planète d’origine, ce sont les jupes de vos mères. »

Cannelle désigna Dyasella du menton et se tourna vers Umia. « C’est quoi ça ?

Ce dernier n’eut pas le temps de répondre, Dyasella ne lui en laissa pas le temps. « Dyasella Lytïl Syhy de la première province continent de Vengeance. » Dit-elle en croisant les bras

« C’est censé nous impressionner ? » reprit Cannelle.

« Ca devrait oui. Mais je suppose que vous avez plus de respect pour votre serment d’allégeance que vous avez trahi en vous expatriant. Vous n’êtes pas sur Plume ici, vous devez le respect à l’autorité en place.

- Nous n’avons rien trahi et on ne se soumettra pas aux mensonges de Synshy.

- Pour autant, vous n’avez rien fait pour démentir ses propos.

- Qu’est ce que tu fous là Syhy ? C’est Umia qui invite n’importe qui chez moi ?

- Non.

- En effet, je n’ai pas besoin de lui pour savoir ce qu’il se trame ici.

- Et maintenant, tu comptes qu’on te laisse sortir d’ici tranquillement pour que t’ailles révéler notre existence sur la colline ? »

Dyasella s’avança et s’assit dans un sofa avant de reprendre. Et qu’est-ce que j’irai leur dire ? Qu’il y a une bande de bons à rien qui fomentent le soir, rêvant de retrouver les Adarii, histoire de passer leur temps en s’imbibant d‘alcool de rose de contrebande ? Tous ce qu’ils pourraient faire, c’est vous rire au nez.

- Dehors Syhy » s’exclama Miroir.

- Non, c’est trop dangereux de la laisser s’en aller.

- C’est ça, cherchez ce que vous allez pouvoir faire de moi, puisque vous aimez réfléchir inutilement. Au moins, Umia a raison, ce n’est pas vos insignifiantes personnes qui pourraient faire bouger qui que ce soit. Vous avez voulu faire les fiers en venant ici, vous vous pensiez capable d’affronter les mondes extérieurs comme vous dites, hé bien assumez maintenant. Après, si vous voulez retrouver vos protecteurs, mettez de cotés votre égo, demandez-vous vraiment ce qui peut les faire bouger et n’imaginez pas que c’est vous ? Si ce n’est pas des hommes, c’est que c’est autre chose.

- Ha oui, et quoi ?

- Minables » souffla-t-elle. « Vous n’avez vraiment aucune idée de ce qui se passe en haut » dit-elle dans un sourire.

« T’es là pour jouer aux devinettes ?

- Le palais présidentiel.

- C’est quoi ça ? » Demanda Cannelle ?

- C’est quoi ça » reprit Dyasella. « Mais la nouvelle demeure de Synshy bien sur, là où il organise de grandes réceptions pour montrer sa magnificence à tout le grattin pendant qu’il laisse crever les basses villes.

- Si, j’ai entendu parler » dit Umia. « Synshy a paraît-il récupéré l’ambassade de Plume pour en faire ses quartiers personnels.

- Et c’est tout l’effet que ça te fait ?

- C’est une honte » s’indigna Miroir tandis que Cannelle restait bouche bé comme hypnotisé. « Comment a-t-il osé ! Il faut faire quelque chose, le virer de là.

- Il faut juste trouver le moyen de prévenir les Adarii, si ils en ont le pouvoir, je ne leur donne pas une semaine avant qu’ils viennent récupérer leur villa et démolir Synshy.

- Ils ne vont pas lancer une révolution juste pour une maison.

- Sy Umia, votre ignorance fait pitié. Ils nous interdisaient l’accès à leur planète entière pour éviter qu’on souille de nos pieds impurs, les dalles de leurs jolies cités de pierre. Rien que l’idée qu’on puisse poser nos doigts sales sur leurs murs pourrait les mettre dans une rage folle. Ils ont une sorte de lien avec ce qu’ils bâtissent. Déjà ici, c’était le calvaire pour eux d’être obligé de recevoir à l’ambassade. Avoir tous ces gens, emplis de convoitise, souillant leurs salons de leurs émotions impures. Rare étaient ceux ayant pu avoir accès à la villa, et parmi eux, bien peu ont franchi les limites du salon d’accueil ou de celui de réception. Seul Eysky avait l’honneur d’être reçu dans un des salons des appartements privés. » Et moi aussi, mais elle se retint de le dire à voix haute. « Je suis sûre que même sur Plume l’accès aux villas doit être réservé à quelques privilégiés.

- Pas vraiment, mais c’est totalement inadmissible. On ne rentre pas dans une villa Adarii ainsi, il y a des règles et Synshy…

- C’est quoi les règles ? Pas d’émotions négatives, quelque chose dans le genre.

- C’est un peu plus complexe mais...

- Mais c’est ça. Comme s’ils craignaient que leurs murs perçoivent les émotions. Leurs capacités empathiques les détruiront. Et en attendant, cette villa est emplie de cupidités, de jalousies, d’envies, et pleins d’autres traits propres aux hommes d’ici. Allez, dites leurs que Synshy infeste leur villa de sa haine envers eux et arrêtez de jacassez inutilement

Terre : Crête

Thibault était en nage et il n’était qu’à mi chemin. Ses excursions dans le désert étaient encore moins pires que l’escalade de ce sentier de chèvres. Des rocs escarpés, des plantes piquantes, et une villa de rêve comme un cadeau au sommet. 500 mètres carrés de luxe et de raffinement, aucune faute de goût et tout ça inaccessible, ou presque. Quel gâchis ! Il souffla un coup et se remit en route. Ce vieux bonhomme pourrait se décider à construire une route décente, accessible pour les voitures ou au moins, qu’il se fasse brancher le téléphone. Quelle excuse lui avait-il donné pour ça ? Ha oui, que les lignes téléphoniques ne passaient pas jusque là. Tu n’as jamais entendu parler du satellite pauv tache. Il ne lui avait pas dit ça. Il l’avait pensé très fort mais ne lui avait pas dit. Avec n’importe qui d’autre il ne se serait pas privé, même ses parents. Surtout ses parents. Mais le vieux Substance, il l’aimait bien. Il avait un peu de mal avec ses excentricités, mais il avait un certain respect pour lui. Thibault aperçut à l’angle de son champ de vision, la cascade de la piscine à débordement. Ca lui redonna du courage. Encore quelque pas et il atteint le bassin le plus bas. Il enjamba trois par trois les marches longeant les deux bassins. Il était épuisé mais il était pressé d’en finir, plus il allait vite plus ce serait dur mais plus se serait court aussi. Il dédaigna la porte d’entrée afin d’éviter un escalier supplémentaire et longea la terrasse en teck, écrasant le nez contre chaque baie vitrée dans l’espoir de voir à travers les voiles de lin, une hypothétique activité à l’intérieur.

Il recula de plusieurs mètres, perdant presque l’équilibre quand une des portes s’ouvrit jusque devant lui.

« Tu espionnes sale petit vaurien ? »

Thibault secoua la tête et attendit que son cœur se calme. Lui foutre une trouille pareil après l’effort de la montée, c’était un coup à lui donner une crise cardiaque et il aurait le temps de crever dix fois avant qu’on vienne le secourir ici. Il finit par regarder la vieille femme en face de lui. Des joues rebondies sur un corps encore mince qui s’amollissait avec l’age. Malgré le ton dur dans sa voix, elle souriait et finit par ouvrir les bras.

Thibault sourit à son tour et s’avança pour l’embrasser sur les deux joues. « Ma Nana, tu rajeunis à chaque fois que je te vois » mentit-il avec le sourire, un peu désolé de voir les sillons plus profonds creusant ses joues.

« Dans ce cas, tu devrais venir plus souvent. Pourquoi es-tu là ?

- Pour te faire un bisou »

La vieille dame plissa des yeux. Thibault la connaissait suffisamment pour l’interpréter. Ca voulait dire, attention gamin, je t’ai à l’œil, quoi que tu mijotes, je sais que ce sont des bêtises. Pas dupe la vieille. Il avait passé plusieurs vacances d'été avec Marcus et la plupart de ses week end étant enfant. Il avait de bons souvenirs de sa maison de Provence, plus rustique que celle là mais un paradis pour un petit garçon. Et la vieille servante avait sans doute encore de bons souvenirs des bêtises qu'il avait pu faire là-bas. Malheureusement, elle était loin d'être sénile.

« Pourquoi es-tu là ? » répéta-t-elle

Thibault leva un coude, reniflant la sueur qui avait débordé de sa chemise. « Je suis venu me laver dans ta piscine.

- D’abord chenapan, tu vas te tenir correctement, ensuite, tu me donneras la raison de ta visite car, par expérience, je sais que tu ne fais jamais le chemin pour faire une visite de courtoisie même si tu devrais. Après, si tu veux te baigner, tu prends une douche d’abord et tu vas dans la piscine intérieure car celle extérieur n’est pas chauffée et je ne veux pas que tu attrapes mal. Je sais à quel point tu es fragile. Enfin, ce n’est pas ma piscine, c’est celle de maître Substance.

- Voyons Nana, c’est comme si tu faisais partie de cette maison, ça fait combien de temps que tu es au service du vieux Marcus ? Quarante ans ?

- Un peu plus.

- Tout ce temps à le suivre dans des endroits de plus en plus paumés. Si ce n'est pas du gâchis ça. Tu sais quoi, je pourrais t’amener avec moi. On se ferait des petites vacances comme deux amoureux ou plutôt comme une mamy et son petit fils. Je te ferais visiter un peu quelques villes, et puis je te raccompagnerais ou alors je te laisserais remonter toute seule. Ce chemin est épouvantable, il faut faire quelque chose.

- Très peu pour moi, je suis bien ici.

- Je me doute que tu es bien ici » dit Thibault en entrant dans le vaste salon s’écrasant dans un canapé d’aspect contemporain mais très confortable « mais les gens ne te manquent pas ?

- Pas le moins du monde.

- C’est pour ça que tu n’as pas répondu aux dizaines de messages que j’ai envoyé sur ton portable ?

- Ho tu sais, moi, le téléphone. C’était un gentil cadeau mais je l’ai perdu depuis longtemps. »

Putain, et dire qu’il payait encore le forfait tous les mois pour elle. Thibault se décida à se taire, observant la vieille domestique qui s’était attelée à faire du thé. Du thé vert, car le noir a tendance à faire mal à l’estomac aux petits êtres délicats comme il pouvait l’être expliquait-elle. Thibault n’écoutait pas. Il connaissait ses manies alimentaires par cœur. La montée lui avait ouvert l’appétit et il était prêt à avaler n’importe quoi même ses infâmes pâtes de soja qui devaient le maintenir en forme. Il observait la cicatrice qui zébrait sa joue. Elle commençait à disparaître dans les rides. Quand il lui avait posé la question, elle lui avait raconté qu’elle s’était faite agressée dans son jeune temps et que depuis, elle craignait le monde. Cette explication lui avait suffi en son temps mais aujourd’hui, il avait besoin de savoir plus, il avait l’impression qu’on lui cachait des choses. En tout cas, au sujet de Marcus, il en était certain.

Thibault leva la tête. Nana le regardait d’un air interrogateur. « Qu’est-ce que tu as dit ?

- Ha la la, toujours à rêvasser. Je te demandais juste ce que tu devenais.

- J’ai pas mal bourlingué. Des affaires qui marchent bien, d’autres moins et puis Marcus m’avait donné quelques pistes de recherche. C’est à ce sujet que je suis venu. Il n’est pas là ? » Thibault regarda autour de lui comme si le maître des lieux pouvait se cacher derrière un des fauteuils.

Nana secoua la tête. « Ca fait un bon moment que je ne l’ai plus vu, bien cinq ans ».

Thibault se rapprocha sur le bord de son siège. Qu’est-ce que tu veux dire ? Il n’a pas disparu tout de même ?

Mais non, il reviendra. Si tu as un message, je lui donnerais à son retour.

Attends Nana, tu me dis que Marcus est parti depuis cinq ans et ça ne t’inquiète pas ? Il lui est peut-être arrivé quelque chose. Où est-il parti ?

Je n’en sais rien mais ne t’en fais donc pas. Ce n’est pas la première fois qu’il disparaît ainsi. Il reviendra.

- Et tu n’a aucun numéro où le joindre je suppose ?

- Tu connais Maître Substance, il n’aime pas le téléphone.

- C’est ça oui, ni Internet, ni aucune technologie de communication et il attend que les clients grimpent ici pour leur livrer ses sculptures qu'ils pourront porter sur leur dos. Et la parabole qui traîne sur le toit c’est pour curer les nuages ? Prends-moi pour un con Nana.

- Je n’ai pas dit qu’il n’avait pas le téléphone, juste qu’il n’aimait pas ça. Et ne parle pas ainsi, ce n’est pas digne de quelqu’un tel que toi.

- Je ne veux rien savoir, je ne suis pas là pour me faire embobiner par ses conneries. J’ai appris que c’était lui qui avait payé mes études.

- Et c’est par reconnaissance que tu te montres si grossier ?

- Non Nana, je suis en colère c’est tout. J’ai toujours cru que la seule chose que daignait faire ma mère pour moi, c’était payer cette putain d’école mais en fait, même ça, elle ne le faisait pas.

- Tu es dur avec elle, elle avait des soucis, la mort de ton père l’avait mise dans une situation difficile.

- Hou hou, la Terre appelle le monde des rêves, Nana m’entends-tu ? Redescend dans le monde réel, ma mère n’avait et n'a toujours aucun souci. Quand je suis entré dans cette école, elle était déjà remariée, elle avait un bon job, mon beau-père aussi et excuse-moi de t’apprendre ça, mais tous les parents de mes petits camarades n’avaient pas le fric de Marcus Substance et ils s’en sortaient très bien. Juste que c'est une belle radine qui n'en avait rien à foutre de moi.

- L’argent n’est pas le seul souci dans la vie, je pense que c’était dur pour elle, tu ressembles tant à ton père.

- Les violons maintenant. On arrête avant la phase suivante où tu me sors la morale à la Nana.

- La morale ! Je pourrais te la faire, il serait tant que tu adoptes un autre ton avec moi.

- Excuse-moi Nana, je suis énervé, je ne le pensais pas. Tu sais que je t’adore. D’ailleurs ça me fait mal de te savoir ici toute seule. Au fond, tu vis de quoi ?

- Des dernières œuvres de maître Substance.

- Oui bien sur, le génial sculpteur dont personne n’a jamais entendu parler.

- C’est parce qu’il utilise de nombreux pseudo.

- Pour tromper le fisc.

- Thibault, cesse d’imaginer le mal partout.

- Pour se cacher alors, de qui ? De son frère Vérité ? »

Nana se tut et Thibault comprit qu’il avait vu juste. « J’ai appris pas mal de trucs ces derniers temps. Oui, quelqu’un a craché le morceau. Tu ne me demandes pas qui ? »

Elle haussa les épaules. « Onirique »

Gagné. Je me doutais que tu étais au courant de son existence. C’est un espion de Substance, évidemment.

- Non.

- C’est ça oui. Seul Substance pourrait me l’avoir envoyé. Tu peux lui transmettre un message quand il se décidera à revenir ?

- Bien sur.

- Ok. Tu lui diras que j’ai bien trouvé les documents qu’il ne voulait pas que je retrouve. Précise-lui qui ce n’était pas une mince affaire et que ça m’a pris plusieurs années. Dis-lui aussi que ce n’est qu’une sale ordure que de m’avoir obligé à cramer au fin fond du désert et me faire rôtir les méninges sur un récit qu’il aurait été correct de me raconter devant un verre et un bon feu et finis en lui précisant que ça ne répond pas à ma question. Tu retiendras ?

- Oui, je pense que je retiendrais mais j’utiliserai sans doute un vocabulaire plus adéquat.

- Si ça soulage ta conscience, rien à branler.

- Si je puis me permettre, je ne suis pas d’accord avec le dernier point.

- Quoi ?

- Ta question n’était-elle pas : D’où je viens ?

- Je vois que tu es renseignée.

- Un peu oui. Si je te dis qu’il y a une cinquantaine d’année, une pauvre femme a été découverte. Elle était enceinte, complètement paumée, errant dans une ruelle de Bagdad. Elle mit au monde un garçon et une fille. Elle parlait une langue que nul ne comprenait, ne savait ni lire ni écrire, ni même utiliser les sanitaires. Elle fut internée. Le médecin qui la suivait lui donna le nom de Maltaa sans savoir s’il s’agissait de son nom ou son prénom. Quand ses enfants vinrent au monde, on leur donna ce nom aussi. Ibtissam et Shamal Malta. Ca comble la partie manquante ? »

Thibault tenta de digérer l'information. Il n'avait jamais eu l'occasion de connaître sa grand-mère Ibtissam qui avait eu la mauvaise idée de se suicider à la naissance de son père. Pardon pas un suicide mais un tragique accident. Le genre où on passe par la fenêtre. Mais Marcus n'appelait jamais les choses par leur nom. Il se plaisait à raconter qu'il avait été le meilleur ami de sa grand-mère et le saturait d'anecdotes sans intérêt. Alors il descendait d’une malade mentale. Thibault ouvrit plusieurs fois la bouche avant de reprendre « Sampiternelle ? »

Nana ne répondit pas. Le contraire l’aurait étonné « Tu diras aussi à Marcus que je n’ai pas trouvé que des vieux parchemins et que je vais faire une grosse bêtise. Ha, j’oubliais. J’ai croisé un gamin d’Espoir qui traîne dans le coin. Il a quinze ans et s’appelle Accalmie. Mais je suppose qu’il le sait déjà.

AP : 3. Rafale : Chapitre 6

6

"L’univers est plein de choses magiques qui attendent patiemment que nous soyons assez intelligents pour les percevoir."

[Eden Philpotts]

Terre : nouveau mexique

Je peux m’asseoir ?

Des cheveux si laqués qu’on aurait dit du plastique, les pommettes trop fardées, la bouche rouge sang et les yeux noirs. Prostitué catalogua aisément Accalmie. Il lui dit de partir mais elle s’assit face à lui, minaudant pour mettre son décolleté en valeur.

« Je n’ai pas de fric » dit-il en buvant une nouvelle gorgée de bière.

Elle lui prit la main, elle ne le croyait pas. Ils lui faisaient tous le coup mais elle savait comment les convaincre. Il retira sa main. Il avait l’habitude de sentir les pensées des autres et ne s’en préoccupait guère. A la rigueur, il en ressentait un sentiment de supériorité non négligeable, mais pas ce soir. Il commanda une nouvelle bière et se remit à boire. La fille n’avait pas bougé. Elle lui faisait quelques compliments, refrain de base du métier comme quoi, pour sa belle gueule, il aurait un prix. Des filles, il pouvait en avoir à la pelle. Il n’allait pas payer pour ça.

Elle commençait à s’impatienter devant son indifférence et se décida à se lever. « Toi, tu es un gosse de riche, de ces nantis qui ne savent pas ce qu’est la vie, de ces fils à papa. Ca se voit du premier coup d’œil. Prétentieux !

Accalmie finit sa bière d’un trait et ne put retenir un fou rire. « Ca se peut » dit-il « je n’en sais rien ».

La fille se rassit, trop étonnée pour faire autre chose, un peu attirée aussi par ce jeune homme si différent de ses clients habituels.

Le patron du bar arriva et l’attrapa violemment par le bras. « Pas de ça ici » lui dit-il « on est un établissement respectable » Il la poussa violemment vers la sortie, lui arrachant un cri qui fit mal à Accalmie.

« Lâchez là ».

Le tenancier se tourna vers Accalmie. « Cette jeune femme ne vous importunait pas ?

- Mes problèmes, je les règle moi-même. »

Le patron hésita. Accalmie avait horreur de sentir une telle faiblesse. Il finit par se décider « je tiens un établissement respectable, je ne veux pas qu’on pense que je permets le racolage chez moi. »

C’était une horreur ce bar. La table était poisseuse d’alcool des clients précédents, la pièce était sombre mais sûrement pas pour l’ambiance, plusieurs ampoules étaient cassées et n’avaient pas été changées. Il valait sans doute mieux afin de cacher la crasse.

Cette fille est avec moi » dit Accalmie fixant le gérant.

« Mais je…

- Cette fille est avec moi alors sers lui à boire. »

La fille commanda un scotch et Accalmie tendit un billet puis elle recommença à minauder. « Je te prenais pour un de ses gamins qui cherchent à perdre leur virginité sans trop savoir comment faire mais en fait, tu es un mec qui a de la classe. »

Accalmie ébaucha un rictus, sa virginité. Il avait égaré ce genre de truc dans un parc avant même que sa mère commence à lui dire qu’il était trop jeune.

« Tu as entendu le patron. Pas de racolage. Si tu veux te faire du blé, c’est dehors. Tu n’obtiendras rien de moi. »

La fille recula sur sa chaise et fronça les sourcils. « Faut savoir ce que tu veux. Pourquoi m’as-tu demandé de rester ? »

Il n’en savait rien lui-même « Pour faire chier le patron.

- T’es un mec bizarre toi. T’es pas un criminel ou un truc du genre ? »

Accalmie sourit. « Pas encore non ».

La fille réfléchit un moment, souriant, un doigt sur les lèvres. Elle tentait encore de le séduire. Elle baissa les yeux quand il se décida à la regarder mais elle reprit vite son assurance. « J’ai trouvé » dit-elle. « Voila le topo. T’es un fils à papa qui a fait une fugue. Genre super friqué et je pourrais te ramener chez toi et gagner un paquet.

- Tu peux toujours rêver.

- Mais t’as bien fait une fugue ? »

Accalmie haussa les épaules « Qu’appelles-tu une fugue ? »

La fille hésita. Elle pensait qu’il se fichait d’elle. « C’est quand on part de chez soi.

- Alors, sans doute que j’ai fait ça. Sauf que je ne sais pas où c’est chez moi. »

La fille commençait à le prendre pour un dingue. Accalmie s’amusait. L’ivresse aidant, il se complaisait de l’inquiétude de cette pauvre fille qui n’arrivait pas à se détacher de lui. Il pourrait en faire ce qu’il voudrait sans forcer. Elle était fascinée. Il se leva, posa encore quelques billets sur la table et quitta le bar. L’air nocturne était encore chaud. Le quartier sentait fort. Mélange de gaz carbonique et de relents d’alcools et de sueurs et d’urines. A moins que ce ne soit sa propre odeur. Il sortit de sa poche un vieux bonbon au gingembre et le suça pour changer d’odeur. Il aimait l’odeur du gingembre. Plus jeune ses camarades se foutaient de sa gueule à cause de ses goûts peu communs. Trop fort. Après ils avaient cessé de la ramener. Il ne l’aurait plus permis. Il regarda le ciel. Aucune étoile n’était visible. La lumière des enseignes du centre ville était trop forte. Il continua à marcher. Il sentit la présence de la fille à ses côtés qui se frotta contre lui. Elle espérait le convaincre de faire affaire avec lui. Il était tard et les clients potentiels restant seraient bourrés. Un homme qui avait trop bu risquait de devenir violent. Elle s’était déjà fait battre par ses clients, maintenant elle se méfiait. Il y avait autre chose aussi. Ce n’était qu’une pauvre fille romantique qui avait repéré un mec qui lui plaisait. Il était différent et c’est ce qu’elle voulait. Quelque chose de différent.

Accalmie s’arrêta, mit la main au portefeuille et lui tendit quelques billets. Elle sourit, d’un sourire artificiel, puis reprit ses manières de professionnelles, lui passant les mains autour du cou. « J’ai un petit studio pas loin, je vais bien m’occuper de toi »

Il lui décrocha les mains. « J’’ai payé ta soirée, j’en fais ce que je veux. Et je n’ai pas envie de baiser. Tire toi ».

Il reprit sa route. Elle le rattrapa. « Tu te la joues genre Pretty woman ?

- Dans Pretty woman, il se tape la fille et reste avec elle. Ca ne m’intéresse pas. Ni l’un, ni l’autre ».

Il laissa la fille derrière lui. Elle était vexée. Tans pis pour elle. Il continua à avancer. Un peu avant l’aube, il était derrière les grilles de l’astroport. Il ne distinguait rien. Même de jour, on ne voyait que des arbres. Souvent il venait là. Une fois, il avait vu un vaisseau décoller. Ca lui avait fait mal au cœur sans savoir pourquoi. Un jour il partirait. Il ne savait quand, ni comment, ni pourquoi ni pour où. Il partirait c’est tout.


Saphir : Tiyana

Grésil entra à pas de loup. Une espionne ne faisait pas plus de bruit qu’un souffle d’air. Un rapide coup d’œil, la pièce était vide. Elle souffla de soulagement et s’essuya le front. Elle avait beaucoup couru. Elle revenait d’une de ses cachettes secrètes, un trou dans la roche, dissimulé par les buissons mais elle n’avait pas réussi. Peut-être une certaine proximité l’aiderait. Elle entra dans le salon. La pierre noire, sur son socle, semblait la regarder. Elle savait que ce n’était pas vrai. Pas plus que les monstres dissimulés dans le dressing. Pour autant, elle vérifiait toujours avant d’aller dormir qu’aucun monstre ne se cachaient derrières les tentures. Elle s’approcha, comme une petite souris, et se laissa tomber dans le sofa. Après encore un coup d’œil, afin d’être sure qu’elle était seule, elle se mit à parler la pierre. Ca aussi, c’était une manie que sans doute beaucoup jugerait stupide mais, elle n’avait pas d’ami, alors elle parlait à ce qu’elle pouvait.

« J’ai essayé de refaire le truc que m’a fait faire Rafale pour trouver l’appel qui sent bizarre et qui est tout seul, mais je n’ai pas réussi. Je parle doucement » ajouta-t-elle en chuchotant « parce que personne ne doit savoir que j’essaie de faire ça. Sinon, on va me poser pleins de questions, comme à une petite fille. » Elle se tut, restant à contempler les petites étoiles se mouvant dans la pierre. Elle se prit à les compter. Comme ça pour passer le temps. « Un, deux, trois… quinze, seize,… trente, trente et un, » comment pouvait-il en avoir tellement ? On aurait dit que, plus elle les comptait, plus il y en avait. Ce pourrait être des gens, ou des animaux ? Ils se multipliaient encore. « Quarante deux, quarante trois. » Ils grossissaient, elle imaginait des formes d’animaux, et des endroits, elle voyait pleins d’endroits différents, partout et à la fois. « Cinquante cinq, cinquante six. » Il y a avait des gens partout, qui pensaient pleins de truc et elle pouvait tout voir, elle était partout. Elle se sentait se disperser et commença à paniquer. Non, Rafale a dit que ce n’était qu’une illusion et qu’en vrai, je n’étais pas cassée. Trouver celui qui sent bizarre.

Il y avait maintenant des milliards de petits points et pleins de parfums différents, de la musique aussi, très légère, comme un fond sonore, pas agréable du tout. Elle s’en éloigna. Pas y faire attention, se répéta-t-elle suivant toujours ce que lui avait dit son frère, visualiser ce qu’on cherche.


Terre : Nouveau Mexique

Accalmie traînait entre la veille et le sommeil. Il se levait de plus en plus tard et se couchait de plus en plus tôt, mais que ferait-il d’autre ? Il avait de grands projets mais pas la possibilité ou le courage de les mettre en pratique. Il songeait de plus en plus souvent à rentrer chez lui, reprendre sa petite vie. Seule sa fierté l’en empêchait. Sa fierté et aussi autre chose. Il ne savait pas où était chez lui. Il n’avait pas de chez lui et n’avait pas de vie normale. Il fallait se lever, bouger, et il n’en avait pas le courage. Encore cinq minutes et je me lève pensait-il au moment où il l’entendit.

« Je t’ai trouvé » c’était un cri de victoire sans un son. Par réflexe, il regarda autour de lui la chambre déserte puis, évita le moindre mouvement, arrêtant même sa respiration concentré pour écouter le moindre bruissement. Rien. Il finit par conclure que ce n’était que son imagination et se décida à se lever.

« Pas te perdre, Rafale a dit prendre des repères mais il n’y a pas de repère. Tout bouge et je ne peux pas suivre. Tu es là ?

- Je suis là. Les mots firent un drôle d’effet dans la pièce silencieuse.

- Tu n’es pas là ? »

L’appel ne venait pas de l’extérieur, ce n’était pas des mots ou en tout cas pas dans une langue qu’il connaissait, c’était plutôt une connaissance directe. Une connaissance, une sensation et une odeur de groseille. Accalmie se concentra comme Thibault lui avait appris pour rendre ses pensées le plus limpide possible.

« Je suis là. Tu es le petit papillon de l’autre jour ?

- Papillon ? Non, je suis Grésil.

Un petit souffle d’air froid et piquant le traversa et s’estompa si vite qu’il pensa l’avoir perdu.

Il se concentra d’avantage mais il n’y avait plus personne. Il essaya de se remémorer la sensation qui l’avait traversé. Thibault disait qu’il associait Mike à une musique, il n’y avait pas de musique par contre « La groseille, j’ai senti la groseille ». Il se concentra sur ce parfum.

« Qui tu es ? » sentit-il

Il failli rompre le contact d’excitation mais se reprit.

« Je m’appelle Accalmie.

- Accalmie ? C’est un nom de chez moi.

- Je… » Il ne put répondre, une angoisse l’envahit soudain. « Mon frère ! Si Rafale sait ce que je fais, il va me gronder. Il dit que je suis trop petite. »

Le parfum disparut et Accalmie se retrouva seul. Plus seul qu’il ne l’avait jamais été.

Saphir : Tiyana


J’ai fini la transcription. C’était bien un code.

Maître Matinée se tourna vers la jeune femme, attendant la suite. « Je t’écoute Fragile »

Les petites poésies, dans le journal de Réalité, n’avaient aucun sens. C’est surprenant. Il s’agissait de la reproduction d’un texte écrit de la main d’une certaine Réalité qui aurait fait partie des premiers colons de Saphir ». Le jeune femme tendit quelques feuilles et Rafale se précipita auprès de Matinée pour lire en même temps que lui tandis que Fragile continuait ses commentaires : « Elle explique comment les Dieux les ont transporté sur Saphir comment, en voyant le fleuve si bleu, un certain Shamal, nouveau maître de la pierre Anunnaki avait décidé d’appeler ce monde Saphir et comment elle avait décidé de nommer la première cité : Tiwanaku en souvenir de la dernière cité de l’ancienne puissance. Elle dit que, vingt ans plus tard, un vaisseau est apparu transportant les réfugiés de la fin du monde pour qui le voyage n’avait pas paru durer plus d’une journée et qui n’avaient pas vieilli. Elle parle d’un autre Dieu nommés Enki Substance, d’une race Anunnaki détruite, d’une certaine Anngaal qui serait morte pour leur cause et Eshdarii qui aurait mystérieusement rendu l’âme peu de temps après leur arrivé ce qui paraissait l’étonner car elle semblait les croire immortel. Elle parle aussi d’une race Igigi qui, en leur mémoire auraient associé leur nom et serait devenus le peuple d’Anndarii, d’un autre vaisseau perdu venant de Conquête, ainsi que d’une femme nommée Maltaa, prisonnière du temps.».

Rafale s’extirpa de sa lecture : « Tu penses qu’il s’agit d’une sorte d’allégorie ?

- Je l’ai cru mais ça m’a l’air sérieux, même si ça parait sans queue ni tête. L’autre Réalité, l’acolyte qui a écrit le journal dit qu’il s’agit, du souvenir des anciens. Que ses parents l’ont appelée Réalité car elle était celle qui détenait ce secret et qu’elle invitait ceux qui le découvriraient à appeler aussi leur enfant du même nom. Je pense qu’une partie de l’histoire manque mais qu’il existerait des écrits qui seraient restés sur leur monde d’origine. Il y a aussi des coordonnées afin de les retrouver.

- Tu as retrouvé le point d’origine des coordonnées ?

- Oui et non

- Oui ou non ?

- Si on les associe à Saphir, il s’agit d’un point situé dans l’océan supérieur.

- Une île ?

- Non, mais l’histoire parle d’une colonisation de Saphir donc le point d’origine devrait être en dehors de Saphir. Les recherches actuelles, celles de Tempêtes en particulier, estiment que la planète d’origine serait la Terre. Je ne connais pas suffisamment le terrain pour savoir à quoi correspondent les coordonnées sur Terre.

- Bon, trouve des cartes, cherche-moi ça, débrouille-toi. Il faut retrouver ses textes et plus important, il faut que personne ne mette son nez là-dedans avant nous.

- Ces documents ont disparu depuis huit mille ans. Même s’ils existent encore, ce dont je doute fort, je vois mal que quelqu’un tombe malencontreusement dessus maintenant, soit capables de les déchiffrer et en plus les prenne au sérieux.

- Je me demandais…

- Oui Rafale ?

- Vous souvenez-vous de cet érudit de Cashir qui voulait qu’on retrouve sa fille ?

- Cyril oui et alors.

- C’est bien chez lui qu’on a trouvé ce journal ?

- En effet, oui

- Il s’agit peut-être d’une simple coïncidence mais sa fille, celle qui a disparu et qu’il voulait qu’on retrouve, ne s’appelait-elle pas aussi Réalité ? »

Matinée tapa violement du poing sur la table, « cette sale fouine va avoir affaire à moi. Fragile, demande qu’on prépare mon vaisseau puis trouve moi ses coordonnées en vitesse.

- Que voulez-vous qu’il trouve en Cashir ? Il a juste dû appeler sa petite ainsi pour lui donner le nom de celle qui a écrit le journal. Il n’a sans doute pas déchiffré le code et encore moins les coordonnés. En plus, Pluie s’est déjà occupé de lui.

- Et bien je m’occuperais de lui aussi, il ne m’inspire pas confiance. Ni lui ni cette tête de linotte de Pluie