8
Les calamités sont de deux ordres : le malheur qui nous atteint et le coup de chance qui arrive aux autres.
Ambrose Bierce
Maÿcentres : Ambassade de Saphir-Plume
Rafale poussa doucement la porte des appartements de Tiyana. Il sourit en pensant qu’Accalmie avait peut-être trouvé un moyen de le chasser de ses appartements. Pour une fois, Plumeau s’était montrée douée pour arranger cet espace mais il avait préféré rester dans les appartements de Taegaïan afin d’avoir un œil sur Accalmie. Quand il saurait qu’il s’est installé une chambre dans les appartements de Tiyana pour se rapprocher de Chance, il serait furieux. Et quand il saurait qu’il a aussi gardé celle des appartements de Taegaïan pour le surveiller, il sera complètement fou. Cette perspective l’amusa énormément. Dire qu’il avait failli rentrer sur Plume ! Il ne se sentait plus indispensable ici et son enfant devait grandir, il avait hâte de le voir.
Rafale poussa plus fort la porte et entra dans la pièce. Chance était là. Assise par terre les jambes revenues contre elle, elle regardait par la fenêtre comme perdue dans un autre monde. Elle aurait été mieux dans des appartements donnant sur le patio. Tous ce qui était différent du monde dans lequel elle avait vécu avait tendance à la remettre dans cet état de sauvagerie.
« Chance ? »
Elle ne réagit pas. Rafale répéta plus fort « Chance ? »
Elle se décida à tourner la tête vers lui mais sans le regarder. Elle avait des yeux extraordinaires. A la fois marron et doré un peu de rouge sombre aussi et une toute petite pointe de vert qui s’y mélangeait.
« Je crois que je ne me suis pas toujours appelée ainsi ? »
Rafale s’approcha. Quelques souvenirs émergeaient de son passé. C’était bien. jusque là, il avait été impossible de lui faire sortir la moindre chose cohérente.
« Comment t’appelais-tu ? »
Elle réfléchit intensément comme s’il s’agissait d’effectuer une opération compliquée. « Aube » dit-elle « oui c’est ça »
Rafale se rapprocha. C’était un nom de Tiyana. C’était possible. « D’accord Aube, pouvons-nous parler tous les deux ? »
Elle secoua la tête « Non, c’est Chance maintenant. Aube, ça n’a pas duré assez longtemps. Chance c’est bien. C’est Onirique qui m’a appelé ainsi. Il disait que j’étais sa chance. Il n’avait pas beaucoup d’amis »
Bien, on avançait. C’était bien la conclusion à laquelle il était arrivé en décortiquant les histoires d’Accalmie comme quoi elle existait depuis longtemps mais que son corps avait été façonné par Substance et que, d’un autre coté, Grésil lui avait dit qu’Onirique avait perdu une amie. Il ne devait pas la brusquer. Mais, il devait profiter qu’elle soit dans de si bonne disposition avant qu’Accalmie n’arrive et ne joue les protecteurs en pestant comme quoi elle devait se reposer et qu’il ne fallait pas la déranger. Il essaya de raccrocher ses informations avec les propos incohérents qu’on lui avait transmis d’Emma. Il ragea encore en repensant que si Pluie n’avait pas fait son petit scandale avec Emma, ils en sauraient peut-être plus à l’heure actuelle.
Il hasarda son hypothèse « Onirique et toi vous étiez Annunaki ?
« Chance se décida à le fixer de ses yeux si étranges « non, nous n’étions pas assez fort. La pierre nous a pris tout entier, nous n’avons pas pu la contrôler. »
Rafale commençait à saisir « Tu veux dire que tous les deux, à des époques différentes, vous avez réveillé la pierre ? »
Chance acquiesça. C’était encore plus fort que tout ce qu’il avait imaginé. Merveilleux aussi. Dans un sens, cela voulait dire que son père n’était pas mort. Pas vraiment. Il aurait voulu lui poser des dizaines de questions et se força à se retenir. Il ne voulait pas qu’elle retombe dans ce mutisme qu’elle affectionnait dès qu’elle prenait peur.
« C’était il y a combien de temps ? Quand as-tu réveillé la pierre ?
- Je ne sais pas. J’ignore quand on est. Je me rappelle qu’on était heureux et en paix. Les pierres s’étaient endormies plusieurs générations avant ma naissance. Sans doute car plus personne n’était en mesure de les guider. Sans doute est-ce là qu’Onirique s’est trouvé libéré mais j’ignorais tout de cela à l’époque. Puis, il y a eu une guerre. Je ne m’en souviens même plus la raison. Un jour les grands vaisseaux de conquête sont apparus dans le ciel et ils ont tout détruit. Un de mes fils est mort et ma mère aussi. Je voulais qu’on réveille la pierre, je voulais me venger mais l’assemblée m’a refusé ce droit disant que c’était trop dangereux. Non, nous étions deux. Il y avait Revanche aussi. Il était furieux. Il s’est emparé d’une pierre, celle d’Eshdarii mais ses enfants n’ont pas pu la contrôler, ils ont tout détruit et moi, j’ai pris la pierre d’Anngaal. Je n’en avais pas le droit mais je n’avais pas le choix. Revanche avait détruit Conquête. Je ne me rappelle de rien ensuite. »
Les guerres de Conquêtes songea Rafale, 500 ans plus tôt, ça correspondait avec l’histoire de Tiyana. Il y avait effectivement eu deux pierres et l’une d’elle avait détruit la planète Conquête. L’histoire disait qu’elle avait été détruite durant le pacte de désarmement. Il restait une deuxième pierre réveillée pour tempérer la première puis laissée à l’abandon avec la charge de veiller sur Tiyana et en l’abandonnant, elle avait libéré l’esprit de Chance. Tout cela était si incroyable que Rafale avait du mal à l’accepter. « Et Onirique » continua-t-il « quel est son histoire ?
« Onirique ? Il est bien plus vieux que moi. Il a vécu sur Terre. Je ne sais pas tout de lui. C’était différent à l’époque. Ils vivaient sous la coupe des Annunaki et des Néfilms. »
Miracle, les Néfilms, les voilà enfin. Rafale laissa Chance parler à son rythme, réfléchissant entre ses phrases.
« Onirique disait que les Néfilms aimaient à créer des civilisations mais quand elles devenaient trop puissantes, ils les détruisaient. Ils avaient peur. Surtout Vérité »
Elle s’arrêta et Rafale sentit la crainte remonter en elle. Il s’approcha et lui posa la main sur l’épaule « tu ne risques rien ici »
Elle acquiesça sans en être persuadée « Vérité » reprit-elle « craignait les Annunaki. Vérité n’a de contrôle que sur l’esprit et encore, les esprits faibles mais les Annunaki avaient le pouvoir sur les choses et les hommes alors il a voulu les détruire. Il a insufflé des croyances aux peuples afin de se rebeller contre leurs protecteurs.
« Mais Onirique n’était pas Annunaki ?
- Non, il appartenait à une caste inférieure qu’ils appelaient Igigi qui semble être nos ancêtres. Il était sous les ordres de l’Annunaki Anngaal. Ces Néfilims Annunaki étaient bien plus puissants que nous. Ils avaient la force de contrôler les grosses pierres sans se perdrent dedans. le peuple s’est rebellé d’abord contre les Igigis qui étaient les moins puissants et les Néfilms ont ordonné aux Annunaki de ne pas intervenir. Seulement, deux d’entres eux ont refusé de se soumettre à leurs maîtres Néfilims : C’était l’Annnunaki Anngaal et l’Annunaki Eshdarii. Ils ont monté une rebellion à l’aide du Néfilim Substance qui lui aussi refusait de détruire le monde. J’ignore les détails. Je sais qu’Anngaal s’est fait tuée, qu’Onirique a repris sa pierre abandonnée mais qu’il n’était pas assez puissant et que comme moi, il s’est retrouvé emprisonné dedans. Je crois que Vérité a gagné et qu’il a contraint Substance à tout recouvrir par les eaux mais il s’est servi d’un déluge comme diversion pour envoyer quelques rescapés dans l’espace et dans le temps.
« Dans l’espace et le temps ? »
Oui, il a ordonné à Espace d’emmener les rescapés sur Saphir. Il y avait Eshdarii parmi eux et le fils d’Onirique qui pouvait commander la pierre. Mais une fille n’est jamais arrivée. Elle s’appelait Maltaa. Onirique dit que Sampiternelle l’avait gardée dans le temps pour la relâcher il y a peut être une cinquantaine d’année sur Terre. Elle était enceinte. Je le sais car Onirique couve ses descendants comme si c’était ses propres enfants. Il ne peut pas faire beaucoup. Il leur donne de jolis rêves. Enki Substance veille sur eux aussi »
C’était un peu trop, même pour Rafale. « Et donc, Marcus ou plutot Enki Substance t’a renvoyer ici. Pourquoi ? »
Elle repartit dans une grande réflexion. Ses souvenirs avaient du mal à surgir. Elle commença à s’affoler. Rafale crut qu’elle allait repartir dans son silence mais au contraire elle parla plus vite « Non, il s’est passé quelque chose. Substance était là. Il me parlait. Je savais qu’il ne me voulait pas de mal mais j’avais peur. Il est Néfilm. Je me suis cachée. Et je l’ai vu arriver. Plaisir. Elle aussi à le pouvoir d’interagir dans le monde matériel. Elle a séduite Substance pour s’approprier son pouvoir. Elle est méchante. Je ne sais pas ce qu’ils se sont dit. Ils parlaient dans leur langue. D’abords, elle avait son air de séductrice mais elle a commencé à se mettre en colère.
« Rafale évalua de suite les conséquences. Donc, ils savent que tu es ici ?
- Non » dit-elle
- Mais Espace, c’est lui qui te permet de voyager instantanément d’un point à un autre ?
- Oui.
- Et il est sous les ordres des Néfilms ?
- Oui, non. De la triade Origine, Vérité et Substance et aussi de quelques autres tels que Plaisir
- Et il sait que tu es ici !
- Non, il m’a donné une partie de son pouvoir il y a bien longtemps mais j’ai raté. Car avant, il me suffisait de penser là ou je voulais être mais avec un corps, c’est difficile, j’ai atterri trop haut et je suis tombé. Ca fait mal. »
Comme si c’était ça le plus important. Chance paraissait peu à peu reprendre la mesure de la situation au fur et à mesure que la mémoire lui revenait « Je ne sais pas ce qui est arrivé. J’ai peur qu’il ait pris Onirique et peut-être aussi s’en prendront-il à Espace de m’avoir donné son pouvoir et Substance ! Ils veulent le récupérer. Vérité à le pouvoir sur l’esprit, Origine sur la vie mais seul Substance peut réellement contrôler la matière.
- Et Ninhoursha !
- Non, pas vraiment. Je crois que Ninhoursha était comme moi. En tout cas, elle n’est pas d’origine Néfilim mais à force de les séduire, elle a réussi à acquérir une partie de leurs pouvoirs et se déclare l’une d’elles. J’ai peur, j’ai peur pour Onirique et Espace. J’ignore de quoi ils sont capables sur eux. Substance, il m’a enfermé dans ce corps. Il croyait me faire plaisir. Dans un sens, c’est vrai que j’en avais envie. Il voulait que je vous dise cela. Que je vous aide. Lui, il craignait d’être surveillé, il en disait le moins possible il évitait même d’y penser il m’a donné un corps pour me cacher dedans mais du coup je n’arrive pas à joindre Onirique. Mon esprit est enfermé dans ce corps et lui ignore où me chercher »
Elle se mit à trembler reprenant son air de petit animal apeuré. Rafale la prit dans ses bras et elle se laissa aller contre son épaule continuant à trembler en reniflant. Quelqu’un frappa à la porte. Rafale ne répondit pas. Elle avait besoin de calme. Il en avait trop demandé. Elle commençait à trembler plus doucement. La porte s’ouvrit sur Accalmie. Il s’arrêta net. Rafale lui fit signe de se taire et de s’en aller. Il dégageait une fureur contenue qui ne serait sûrement pas du goût de Chance dans son état actuel. La jeune fille se blottit plus étroitement contre sa poitrine sans doute en réponse à ses sentiments désagréables.
« Lâche-là. »
Rafale fut si surpris de la force avec laquelle Accalmie avait dit ses mots qu’il s’éloigna presque.
« Je t’ai dit d’ôter tes sales pattes de là »
En hurlant ses mots, il tira violemment Chance par le bras « je t’interdit de la toucher » dit-il encore tandis que Chance retombait dans ses craintes.
« Accalmie calme-toi ! » ordonna Rafale s’inquiétant sérieusement de l’état de Chance. Cette dernière fit un pas pour s’éloigner d’Accalmie. Il voulut la rattraper mais elle se mit à courir vers le mur et disparut avant de l’atteindre.
Rafale hésitait à la fois déçu et inquiet de voir Chance dans cet état mais surtout furieux contre Accalmie. Ses propos non seulement incohérent mais surtout très irrévérencieux méritaient une remise en place exemplaire
« Qu’est ce qui te prend encore ? »
Accalmie fixait toujours le mur ou Chance avait disparu. « Ne la touche pas, jamais. Chance est pour moi »
C’était encore une des ses élucubrations de son cerveau amoureux irrationnel ça. Rafale avait compris dès qu’il avait aperçu Chance que c’était cette fille qui obnubilait Accalmie. Il en avait été rassuré. Qu’Accalmie cherche une relation avec une Adarii plutôt qu’avec une de ses filles de Vengeance et des Maycentres était enfin quelque chose de normal chez lui. Il pouvait être si bizarre parfois. Rafale commençait à comprendre. « Tu n’imaginais pas coincer cette pauvre fille dans une relation exclusive comme le font les Terriens ?»
Il ne répondit pas, mais c’était évident. Ce qu’il pouvait être bête parfois. Il se prit d’un rire nerveux devant le grotesque de la situation. « Elle se sent déjà emprisonnée dans un corps et tu veux la séquestrer un peu plus » C’était pathétique, il ne pouvait rire de cela, il devrait en pleurer même.
***
« Aurais-je entendu la toute petite voix de Chance qui s’assortit si bien avec cette atmosphère d’inquiétude qui la caractérise si joliment ? »
- Les hommes, tous les mêmes » dit Pluie à Jade. « Accalmie l’a ramené hier soir.
- Où se cachait-elle ?
- Dans les basses villes mais elle n’est pas restée cachée longtemps. Elle a vite été reconnue. Elle s’est retrouvée adulée par ces primitifs. Elle était si terrifiée qu’Accalmie n’a eu aucun mal à la retrouver.
- Ca va mieux alors.
- Je suppose, sauf qu’Accalmie continue ses comportements grotesques. Avant de partir, il m’a supplié de garder un œil sur elle et de tout faire pour que Rafale ne s’en approche pas.
- Et tu as accepté ?
- Oui. Matinée arrive tout à l’heure, les votes approchent, Tempête est de retour, je ne tenais pas à avoir en plus Accalmie sur le dos.
Et Rafale en dit quoi ?
Je ne sais pas, demande lui, il est dans le salon de Maniya avec Tempête et Chance. »
Evidement, Jade imaginait mal Pluie jouer les protectrices pour garder Chance aussi jalousement. Pour une fois, il la comprenait, Accalmie pouvait avoir un comportement réellement bizarre quand il s’y mettait. En fait, Chance, malgré l’extravagance de son histoire, elle était encore plus normale que lui. Il frappa et la douce voix mélodieuse de Tempête lui répondit. Voila une voix qui lui avait manqué. Il entra, rempli d’allégresse. Accalmie pouvait se pourrir la vie avec ses sentiments d’appropriation hyper développés, il lui laissait volontiers la jolie Chance, il y avait plus intéressant à son goût qu’une petite pleurnicheuse. « Belle Tempête, t’ai-je déjà dit à quel point tu étais resplendissante ?
- Pas depuis un bon moment » répondit-elle. « Ca m’aurait presque manqué. »
Jade entra dans la pièce sans lâcher des yeux le laçage ouvert du décolleté de Tempête. Elle portait une mini robe de cuir qui devait sans doute venir de
Tempête prit un air de connivence et se mordilla la lèvre dans un mouvement sensuel. Elle s’approcha encore l’enivrant de son parfum de vanille et lui frôla le cou lui donnant des frissons de plaisir avant de remonter doucement vers son oreille qu’elle effleura de ses lèvres en parlant d’une voix langoureuse. « Je suis venue pour Matinée »
Jade se recula avec un air agonisant. Elle pouvait être cruelle. En plus, ça la faisait rire. « Tu n’as pas de cœur. Je croyais que tu ne pouvais pas te passer de moi et que tu avais laissé Thibault, Sentiment et Revanche en famille pour venir me retrouver
- En effet et pourtant, le spectacle valait qu’on s’y attarde. Tu aurais vu Thibault bafouiller devant son fils. C’était mignon tout plein. Par contre avec Sentiment, j’ai cru qu’ils allaient se sauter à la gorge. »
Elle se mordilla la lèvre d’un air coupable « du moins c’est la version officielle.
Jade s’approcha d’avantage autant pour être près d’elle que parce qu’il sentait qu’il y avait là des secrets palpitants. « Et la version officieuse ? »
Tempête hésita. Regarda la porte et invita Ambre à entrer. Elle lui parla quelques minutes de banalités lui répétant ce qu’elle venait de lui dire et ce dernier se déplaça vers Chance. Tempête en profita pour parler à voix basse à Jade qui, ravi d’être choisi pour confident, porta la plus grande attention à ses révélations.
« Ecoute, toi et moi, nous sommes pareils. Je veux dire, nous ne sommes pas du genre à nous prendre la tête et enfin, s’amuser de temps en temps, ne prête pas à conséquence »
Jade Accepta. Il trouvait en effet que tous ici étaient bien trop sérieux.
« Voila, il se trouve que j’ai peut-être fait un peu plus que ce dont j’ai parlé à Pluie ou Matinée »
Jade accepta et ne put s’empêcher de sourire. Il soupçonnait quelque chose d’intéressant. Tempête jeta un œil à Rafale accaparé par Chance et poursuivit. « Avec Thibault, nous avons disons… On s’est fait un peu remarquer.
- C'est-à-dire ?
- C'est-à-dire que la Terre entière nous connaît.
- Tu veux dire qu’elle connaît l’existence de Plume ?
- Celle de Plume, de Saphir, la mienne, et comme le légat de la confédération n’a pas apprécié qu’on se mette en avant, il en a profité pour ajouté à leurs connaissances les Adarii en général et leurs spécificités. Du coup ça a fait mauvais effet et afin de contrebalancer j’ai lancé vers les médias les rumeurs d’une histoire d’amour entre Thibault et moi afin de faire genre bonne entente entre les peuples. » Elle s’était tue le regardant comme si elle cherchait un soutien pour quand elle avouerait ça à Maître Matinée. C’était sans doute le cas. Après réflexion il aurait préféré ne rien savoir « tu es malade !»
Elle lui répliqua de parler moins fort, jeta un coup d’œil à Ambre et Chance qui parlaient toujours. Rafale était sorti. C’était déjà ça. Tempête reprit gardant son petit air coupable « la bonne nouvelle, c’est que Mike ne peut plus nous faire de chantage sur ce qu’il pourrait révéler.
- Formidable » dit Jade avec ironie. Il commençait à comprendre pourquoi Pluie pouffait sans arrêt disant que Tempête sur Terre ne pouvait être qu’une catastrophe.
« Allez, ne prend pas cet air offusqué. A ma place tu aurais fait pareil et puis il était temps qu’on prenne contact avec la Terre avant que la confédération nous démolisse et puis, c’était marrant.
- Et au moins, avez-vous eu des pistes pour Ninhoursha ?
- Non, rien mais Rafale a appris qu’elle avait quitté la Terre et qu’elle avait été vue sur Vengeance par Chance alors, j’ai pensé que je n’avais plus rien à faire là-bas et je suis rentrée. »
Jade lui fit remarquer qu’ils avaient eu cette information il y a deux jours et vu les trois jours de voyage, elle avait dû partir avant de le savoir.
Elle avoua que c’était devenu invivable là-bas. Qu’être le centre d’intérêt, c’était marrant un peu mais là, c’était trop. Qu’il y avait des journalistes partout, qu’elle était harcelée de questions et qu’elle n’en pouvait plus.
« Et Sentiment ? »
Tempête se mordilla encore les lèvres. Elle n’avait pas encore tout dit « Encore un petit soucis, mais si petit qu’on va peut-être attendre un peu avant de le révéler. Revanche a décidé de rester avec son père. Du coup, Thibault est parti avec lui. Evidemment Sentiment furieuse le poursuit. »
Jade se demandait jusqu’où cette histoire pouvait aller. « Et tu les as abandonnés ! Tu aurais dû aider Sentiment à retrouver Revanche !
- Comment veux-tu ? Je suis traquée par les journalistes. Seul Sentiment peut rester discrète et encore.
- Mais Thibault est plus puissant qu’elle.
- Et que moi aussi alors je ne vois pas l’utilité de lui courir après. En plus si Revanche veut rester un peu, ma foi c’est son droit.
- C’est dangereux !
- Thibault est bien placé pour le défendre, mieux que nous.
- Sauf si Ninhoursha lui tombe dessus »
Tempête avait repris son petit air de gamine qui se repentait d’une bêtise. Elle pouvait oui.
« Tu ne me dénonceras pas n’est ce pas ?
- Parce que tu crois que ça passera inaperçu ?
- Non, bien sur, j’en parlerais à Matinée quand il sera là. Je préfère l’avoir en face de moi. Après quelques câlins ça passe mieux.
- Fais moi quelques câlins alors et ça passera mieux. »
Tempête se fâcha « c’est toi qui voulait savoir. Allez, je compte sur toi pour me soutenir. »
Elle lui avait fait son plus beau sourire. Jade hésita. Au fond, le comportement de Tempête était plutôt amusant. « Je ne te dénonce pas mais je ne veux pas me mettre Maître Matinée à dos à cause de toi ».
Le visage de Tempête s’illumina et elle lui fit un bisou sur la joue. Jade était en train de se faire avoir, c’était sur. Elle allait le mener par le bout du nez cette fille.
« Si nous partions tous les deux faire une balade sous les étoiles et conquérir ce monde qui s’offre à nous ? » dit Jade plus fort comme si pendant tout ce temps, ils n’avaient fait que badiner.
Rafale ouvrit la porte à la volée. Personne ne va nul part. « Maître Matinée ne va plus tarder, je ne veux aucun nouveau scandale. »
Il pouvait être agaçant parfois « bien Annunaki »
***
Chance émit presque un petit rire toujours pelotonné dans un coin du salon.
La présence de la vive et pétillante Tempête lui réussissait. D’ailleurs, Rafale reconnaissait dans les maquillages de Chance les entrelacements de fleurs nacrées que Tempête dessinait souvent sur ses jambes. Sans doute les filles avaient-elles passé des heures en bas à se pomponner. Ils auraient dû penser à cela plus tôt pour mettre Chance à l’aise. Tempête pensait toujours à tout. Elle savait comment manier les gens et Chance semblait déjà être devenue son amie. Tempête faisait ses mines ridicules devant Jade qui prenait plaisir à se ridiculiser. Elle passa un doigt sur ses lèvres très doucement et y posa un baiser qu’elle fit mine de lui envoyer en soufflant dessus. « Je devrais te séquestrer. Je vais aller demander des conseils à Accalmie là-dessus. »
Jade n’aurait pas dû dire ça. Chance avait perdu son sourire reprenant son air morose. Il en avait ajouté en voyant que ses discours amusaient Chance mais il avait été trop loin. « Je suis désolé »dit-il sans trop savoir pourquoi ni à qui il disait cela.
Personne ne dit rien. Tempête changea de sujet en parlant de quelques anecdotes qui lui été arrivées sur Terre. Ses petits coups d’éclat firent légèrement frémir Rafale mais l’ambiance était retombée. Un large sourire fendit d’un coup le visage de tempête faisant pétiller ses yeux couleur d’ambre. « Matinée arrive » dit-elle.
Accalmie sentait le grotesque de la situation peser de plus en plus lourd sur ses épaules. Il était ambassadeur d’une planète entière sur laquelle il n’avait jamais mis les pieds, se présentant pour accueillir celui qui avait la plus grande autorité sur le monde de Plume et aussi celui de Saphir, qui se trouvait être aussi son demi-frère et qu’il n’avait jamais vu. Tout cela n’était qu’une gigantesque farce pensa-t-il. Et comment était-il censé se comporter devant les gens ? Cyril était discrètement apparu à ses cotés. Monsieur avait daigné faire semblant de jouer son rôle. Evidement, s’il s’agissait du Maître Adarii, il ferait un effort, obnubilé par l’idée que c’était les seuls à pouvoir aider Cashir. Il y avait aussi Dyasella et les autres candidats qui venaient se montrer. Dya brillait par son absence. La Syhy Lytyl, de la première province de Vengeance et mère de Dyasella était là, ainsi que le président de la deuxième province et les ambassadeurs des autres états. Jack Gentry aussi qui, comme à son habitude quand il n’arrivait pas à l’éviter, lui jetait ce regard qu’il avait finit par traduire par « il faut que je te parle » Comme à son habitude, il l’ignora. Il aperçut aussi au coté de Jack un individu qu’il ne connaissait pas encore. Sans doute Mitches, le représentant de
Il fut soulagé pour une fois de voir les Adarii arriver. Tempête était là. Il avait été prévenu de son arrivée par des plaintes concernant le non respect des procédures d’approche de la plate forme d’atterrissage de la colline mais il n’avait pas encore eu l’occasion de la voir. Dès qu’il l’aperçut, il sut qu’elle lui poserait des problèmes. On lui avait déjà fait comprendre très poliment qu’il serait convenable que certains fassent des efforts pour respecter certaines coutumes locales. Ce genre de remarque était souvent lié à la garde robe de Pluie. Mais Tempête la dépassait largement, surtout vu le froid. Sa cape restait ouverte au vent sur une toute petite robe en cuir noir. Ses jambes nues étaient rehaussées de maquillages brillants, un grand décolleté maquillé lui aussi et des bottes noires. Chance était à ses cotés Elle semblait ravie et cela lui fit chaud au cœur. Rafale était là aussi. Bien trop près de Chance. Avec sa longue cape noire, il avait un air fier et sur de lui qui lui déplut profondément. Puis venait Jade, suivi de Ambre et Pluie le tenant par la main. Petit détail qui lui poserait des problèmes aussi. Donc, ils étaient capables de se déplacer. Quand lui leur demandait quelque chose, c’était quasiment impossible de les faire se bouger.
Le vaisseau avait atterri. Un grand vaisseau noir avec un sigle de dragon doré assorti à la cape de Rafale et au tatouage de Chance. Il ne s’y connaissait pas encore beaucoup mais il songea que c’était loin de l’image de planète primitive qui traînait encore de Plume et Saphir. Il en ressentit une certaine fierté même si au fond il ne faisait pas partie de ces civilisations. Le sas s’était ouvert. Un homme en sortit, avec le même manteau que Rafale, noir avec le sigle de Tiyana sur un côté. Evidemment, il était jeune. Il s’en doutait. Il était le petit frère de Pluie qui elle-même devait avoir moins de trente ans selon les normes de la Terre. Il sentit encore l’ombre d’un concurrent qui risquait de trouver Chance à son goût. Il descendit suivi d’une jeune femme qui n’avait rien à envier à Chance par sa beauté.
« Qui est-ce ? » Demanda Accalmie à Jade qui l’avait rejoins à ses cotés. Ce dernier sourit. « Elle s’appelle Fragile. Elle vit à Tiyana, c’est une des favorites de Maître Matinée »
Accalmie avait du mal à regarder ailleurs. Elle avait quelque chose qu’il avait du mal à définir. Sans doute par sa peau très claire. Encore plus que celle de Chance ou son aspect …fragile en effet. Elle tenait un petit garçon par la main.
« C’est leur fils ? » souffla Accalmie à Jade. Il se sentait de plus en plus stupide de ne rien savoir.
« C’est celui de Matinée. Il s’appelle Avenir.
- Mais ce n’est pas celui de Fragile ?
- Non, c’est celui de… » Mais Jade n’eut pas le temps d’en dire plus. Le petit s’était décroché des mains de Fragile pour courir à toute vitesse sur la piste d’atterrissage. Tempête s’avança vers lui et l’attrapa dans ses bras en riant.
« Celui de Tempête » finit Jade.
Accalmie enregistrait les informations. Les généalogies ne devaient pas être commodes ainsi. Il se sentit rassuré concernant le Maître Matinée qui s’avançaient les doigts de Fragile enlacés dans les siens. S’il était venu avec une de ses maîtresses et en avait une deuxième sur place. Il laisserait sans doute Chance tranquille. Il trouva tout de même très malsain que les deux filles se retrouvent ensemble mais la situation ne paraissait pas les gêner. Tempête avait continué sur sa lancée et s’était quasiment jetée au cou de Matinée pour le prendre dans un fougueux baiser qui choqua une bonne partie du monde assemblé lui compris et dont il ne doutait pas avoir des remarques pendant un certain temps. Il devrait expliquer à Tempête les coutumes des Maÿcentres. Matinée continua vers Pluie qu’il attrapa par la taille en riant l’effleurant d’un baiser que lui savait fraternel mais qui ne fit pas non plus l’unanimité des personnes présentes. Dyasella et d’autres personnalités s’étaient approchées pour le saluer, il y prêta peu d’attention se contentant d’accepter distraitement leur discours de bienvenu, s’attardant plus sur l’accueil de Rafale qui lui présentait une Chance rougissante en la tripotant de ses sales pattes. Un des plus éminents conseillers se proposa de lui donner le programme des prochains jours. Il se tourna vers Tempête qui sans doute lui traduisit ses mots par télépathie et en effet Tempête répliqua dans la langue des Maÿcentres que le Maître Matinée n’avait aucune envie qu’on le dérange maintenant et qu’il n’avait qu’à voir ça avec son ambassadeur. Sur ce, il continua sa route, bientôt suivi par les autres Adarii. Accalmie comprit mieux pourquoi son poste, pourtant très élevé, était dénigré par les Adarii. Il avait l’impression qu’on venait de le traiter comme le dernier des domestiques. A peine Maître Matinée parti, Cyril s’éclipsa discrètement, sans qu’il puisse le retenir sollicité par ses histoires de programmes et autres futilités administratives. Il accueillit sans un mot Jack Gentry qui venait vers lui, se contentant d’accepter froidement ses salutations forcées et se força à porter attention à Mitches mais il ne réussit pas à s’excuser d’avoir manqué son arrivée, se contentant de remarquer froidement qu’il serait bien de le voir en privé. Dyasella arriva vers lui. Il avait soudain envie de se retrouver quelques mois plus tôt. De pouvoir se faire inviter chez elle voir y rester toute la nuit. Non, ce n’était pas vrai. C’était Chance qu’il voulait et s’il ne se dépêchait pas, il la retrouverait dans les bras de Rafale. Cette image était insupportable.
Il dit quelques mots à Dyasella tentant de la rassurer car elle s’était sentie dénigrée par le Maître de Tiyana. Il n’osa pas lui dire qu’il avait eu le même sentiment. Il rentra seul, retrouva ses appartements vides et pour une fois que son salon n’était pas envahi, plutôt que de s’en réjouir, il se sentit encore plus seul. Il regarda le mur de sa chambre. Derrière, c’était les appartements de Tiyana. Il colla son oreille comme s’il pouvait entendre quoi que se soit. Là derrière, devait se retrouver Rafale, Chance et Matinée. Cette idée lui faisait horreur. Il sentit plus qu’il n’entendit la présence de Chance à sa porte et quand elle ouvrit, pris dans l’impulsion du moment, il l’embrassa passionnément. Il aimait cette fille plus que tout au monde. Elle se laissa faire et répondit même à son baiser puis s’écarta, hésitant entre sourire et inquiétude. Accalmie s’en voulait d’être si passionné. Il devait se mettre en tête qu’elle ne lui appartenait pas et qu’elle ne lui appartiendrait jamais. Elle le regardait pleine d’incompréhension. Il devait lui expliquer, au moins lui parler. Lui dire ce qu’il ressentait. Elle devait le sentir mais ce n’était pas suffisant. « Ils sont en bas » se contenta-t-elle de dire. Accalmie comprit que, malgré son désir de rester avec Chance, il devrait les rejoindre et que la soirée risquait d’être dure. Il retint Chance qui partait déjà « Tu resteras avec moi après ? »
Elle revint vers lui et l’embrassa à son tour « oui » dit-elle.
Accalmie se sentit soulagé et descendit tenant fermement la main de Chance en essayant de se persuader qu’il n’agissait pas ainsi juste pour mettre en avant qu’elle était avec lui et pas avec un autre.
Le salon embaumait : mélange fruité et épicés que dégageait souvent la cuisine de la villa. Ambre était étendu sur un sofa pas loin de l’endormissement, Jade jouait à quatre pattes suivant les directives d’un jeu lancé par le petit Avenir, sans doute dans l’espoir de séduire Tempête qui riait de leur facéties. Rafale le regarda entrer puis se détourna s’attardant sur Pluie qui était d’une humeur massacrante, comme à son habitude. Maître Matinée trônait au milieu de ce beau monde, sans aucun apparat, assis sur le tapis devant la table basse, Fragile à ses cotés, se moquant allégrement de sa sœur. Accalmie se détendit légèrement. Les histoires du protocole des Maÿcentres étaient épouvantables. Il craignait de retrouver les mêmes difficultés ici en recevant le Maître des domaines de Saphir et des Territoires de Plume. Jade avait eu raison quand il lui avait dit de ne pas s’en faire, qu’il n’y avait que les mondes extérieurs pour faire de telles démonstrations inutiles « Le jour où j’écouterais Pluie, sera aussi le jour où l’univers s’écroulera. » Accalmie sourit. Un jour, il oserait parler à Pluie ainsi. Elle le méritait. Elle ne se laissa pas faire. Le contraire l’aurait étonné
« Je pense au contraire que…
- Non, je ne veux rien savoir. » Le ton de Matinée était catégorique
« Bien Maître » dit Pluie dans un grognement. Au moins, Accalmie constata qu’ils seraient tous logés à la même enseigne et ça faisait du bien de voir Pluie remise à sa place. Matinée leva la tête tandis qu’il entrait dans la pièce.
« Maître Matinée vous honorez cette villa de votre visite » dit-il en bon maître de maison comme Jade le lui avait enseigné.
Maître Matinée sourit et cela lui donna un air plus abordable. « Voila donc le gérant de ce petit monde. Viens t’asseoir à coté de moi et explique-moi où tu en es ici. J’en ai assez des élucubrations de ta sœur. »
Pluie maugréa quelques mots comme quoi un jour elle se vengerait et Matinée rit de plus belle, nullement inquiet.
Au fond, cette visite ne serait peut-être pas si désagréable. Il s’avança pour s’asseoir à coté de Matinée rechignant à lâcher la main de Chance.
« Pluie me dit que ces élections ne nous servent à rien. D’après elle, de toute façon, quelque soit le candidat, les trois ont donné leur accord tacite pour éviter de nous porter tort. »
Rafale confirma. De toute façon, il était toujours contre lui et se complaisait dans son régime dictatorial. De lui, rien ne l’étonnait. Matinée résuma l’avis de Rafale comme quoi il se méfiait de Dyasella. Et celui de Pluie : on ne pouvait faire confiance à Dyasella et il fallait mieux quelqu’un de plus malléable.
Accalmie se tourna légèrement vers Pluie. La garce pensa-t-il. Au fond, elle, ça l’arrangerait bien qu’un des deux autres candidats soit élu. Elle détestait la Terre pour une raison qu’Accalmie ne cernait pas encore. Si elle pouvait élire un des candidats, juste pour qu’il démolisse la Terre, elle n’hésiterait pas. Il préféra n’en rien dire devant Matinée. S’il n’hésitait pas à la taquiner, il n’accepterait sans doute pas que d’autres en face autant. Il se prépara à défendre son point de vue.
« Je ne suis pas d’accord avec ce principe. c’est trop simpliste.
- Tu oses dire que j’ai des raisonnements simplistes ! »
Evidemment, si Pluie ne pouvait lâcher sa hargne sur Matinée, elle passerait ses nerfs sur lui.
« Je passe beaucoup de temps à peser les différents point de vue. J’assiste à toutes les réunions. Je ne pense pas en effet qu’ils y aient des risques à court terme avec les deux autres candidats mais la Syhy Lytil est la seule à proposer certains avantages non négligeables.
- Qu’en sais-tu ? Tu ignores tout de nos besoins. Et le seul besoin qu’on ait, c’est d’avoir la paix. » Pluie ne lâcherait pas le morceau si facilement et Rafale prenait son parti
« C’est vrai qu’on ne me donne pas beaucoup de détails sur les besoins de Plume et Saphir mais le peu que j’ai vu de votre flotte doit déjà consommer un paquet de carburant. Je sais aussi par Jade que vos piles solaires ont besoin de fils conducteurs et que ce sont des éléments rares chez vous.
- Faux » s’exclama Pluie « Le territoire d’Incarada a du gaz et du métal.
- Faux » continua Ambre semblant sortir de sa léthargie sans pour autant ouvrir les yeux. « Nous avons de quoi fabriquer du carburant pour nous. Sûrement pas pour tout Saphir et Plume. » Pluie dut sans doute l’invectiver par télépathie car après un moment de silence, il se redressa et se tourna vers elle « désolé mais c’est vrai ».
Matinée n’avait rien dit se contentant d’observer les personnes présentes comme on le ferait d’une partie d’échec. L’animosité commençait à monter entre Ambre et Pluie même s’ils ne parlaient pas et il se décida à intervenir : « nous savons tous ici que Pluie est encore sous le choc de sa dispute avec Emma et que si elle pouvait trouver un moyen de faire exploser la Terre avec Emma et Thibault dedans, elle ne s’en priverait pas. Aussi, nous allons la laisser à ses fantasmes destructeurs afin d’avancer. »
Formidable, Accalmie n’aurait pas besoin d’évoquer les lubies de Pluie, Matinée était au courant. Un jour, il devrait trouver le moyen d’apprendre ce que Pluie avait contre la Terre. Une telle haine ne pouvait se développer sans raison.
« Alors, que nous propose Dyasella ? »
Accalmie s’étonna d’entendre Maître Matinée parler de la Syhy Lytil avec une telle familiarité et s’étonna aussi qu’il lui demande son avis. Il sortit de ses questionnements concernant la dispute dont parlait Matinée au sujet de Pluie. Il n’avait pas été tenu informé. De toute façon on ne lui disait rien de leurs affaires sur Terre.
« Matinée, tu arrêtes avec tes insinuations
- Pluie, ne me parles pas comme ça ! »
Pluie se leva furieuse et fit mine de partir.
« Et tu restes ici » précisa Matinée.
Elle se laissa tomber sur un fauteuil un peu à l’écart en soupirant tandis qu’Accalmie rêvait de posséder une telle autorité.
« Je t’ai posé une question. Que propose exactement la Syhy ? »
Accalmie détailla les avantages en nature pour ceux qui résideront à la villa et les facilités pour le passage des plates-formes et surtout le statut d’indépendance tout en gardant une reconnaissance et un pacte de non intervention pour eux ainsi que certains mondes excentrés et le deuxième satellite
Matinée interrogea les autres du regard. « C’est honnête » dit Ambre « Nous pourrions garder notre indépendance tout en ayant une présence ici et des échanges facilités avec les planètes excentrés proches de chez nous. » Jade acquiesça. Mais Ambre reprit « de là à s’immiscer dans des procédures de votes, je ne suis pas sûr ? »
Entre s’engager dans les votes et pourrir sa candidature, il y a un large fossé. Matinée se tourna expressément vers Rafale en disant ses derniers mots.
Accalmie était aux anges. Il commençait à espérer se trouver un allié dans la personne la plus puissante de leur petit empire.
Tempête était sortie pour coucher son fils. Fragile et Chance restèrent à l’écart de la conversation. Rafale rechigna comme quoi il avait déjà négocié certaines ouvertures avec les représentants des plates formes et du carburant directement avec certaines planètes d’extraction, ce à quoi Accalmie répliqua que le président pouvait y apposer son veto. Rafale voulu protester mais se retint laissant au coin des lèvres un sourire qui ne plut pas à Accalmie. Il gardait des cartes secrètes dans sa manche celui-là.
Pluie se permit d’ajouter que, de toutes façon, le peuple était en admiration devant Dyasella et qu’elle serait élue avec ou sans leur soutien. « Sans doute mais si Plume et Saphir ne la soutiennent pas, elle sera en droit de revenir sur les privilèges qu’elle vous accorde.
- Vous ?
Accalmie se porta sur Matinée » il n’avait pas compris ce qu’il venait de dire. Il répéta « tu as dit les privilèges qu’ils vous accordent et non qu’ils nous accordent. Tu ne te considères pas des nôtres ?
- Soyons sérieux, je ne suis ici que pour jouer les pions et je ne doute pas que vous me mettiez à la même enseigne que n’importe quels hommes des Maÿcentres dans ce que vous nommez les intrus »
Matinée sourit mais ne démentit pas. Rafale se décida à mettre son grain de sel. « Je ne suis pas pour l’idée de faire voter le peuple. C’est dangereux. Encore s’il s’agissait de voter pour Accalmie comme c’était prévu au départ en cas de candidature conjointe, ce serait compréhensible mais pour cette femme. » Il avait mis tout l’écœurement possible dans ses paroles.
Matinée haussa les épaules. Tout est une question de présentation. Nous pouvons leur demander de soutenir la présence d’Accalmie en votant pour la Syhy. Ambre approuva. Il faut aussi savoir le pourcentage de voix nécessaire pour l’obliger à tenir ses engagements. Il est possible qu’il soit suffisant de ne faire voter que les marchands des domaines, les maîtres artisans et les représentants du peuple.
Matinée approuva. « Peut-on se contenter des représentants du peuple ? »
Accalmie n’appréciait pas du tout cette façon de faire « le but d’un vote est de donner des informations à un peuple et ensuite, c’est à eux de choisir. A tout le monde ».
Ambre pouffa. Jade dénia et Matinée sembla y réfléchir. « Non, n’exagérons pas. Qu’ils votent d’accord. Mais c’est nous qui décidons. » reprit-il
« Ca ne passera pas.
Jade était plus optimiste « si, ça peut passer. Maître Matinée a raison, le tout est de présenter les choses correctement.
- Je persiste à penser que c’est une mauvaise idée. Le peuple a bien d’autres changements à digérer pour l’instant.
Matinée s’intéressa à Rafale qui avait sorti ça. « Tu fais allusion à un fougueux baiser public entre Eclaircie et Réalité ? C’est de ta faute ça. Nous t’avions prévenu du tempérament d’Eclaircie. Tu as voulu jouer avec le feu, tu en paies les conséquences » Rafale se renfrogna d’avantage mais Matinée reprit plus doucement. « Rafale, tu fais preuve d’un talent exemplaire mais tu devrais faire un peu plus confiance à ton peuple. Je te l’ai déjà dit ».
Il reprit plus durement. « Point suivant : Organisation ici même. Accalmie gère les mondes extérieurs, ça, j’ai compris. Mais les autres ? A quoi servez-vous ? »
Tous se regardèrent surpris. Matinée insista. « Rafale, que je sache le secteur est sécurisé. Tu pourrais repartir avec moi après les votes ?
- Il reste le problème des Néfilms. Je ne désespère pas d’avoir des résultats avec Thibault, sur Terre. »
Matinée n’était pas convaincu. « S’il se passe quelque chose sur Terre. Combien de temps faut-il pour se rendre là-bas ?
- Trois jours. Un peu moins d’une journée avec le jet.
- Et venant de Saphir ?
- Quatre jours.
- Différence peu significative face à un peuple pouvant se déplacer instantanément. Tu rentreras à Tiyana avec moi. S’il y a une menace quelconque, c’est là-bas que tu dois être. Toi sur Saphir et Grésil sur Plume. »
Rafale accepta à contre coeur
Voila la meilleure nouvelle qu’Accalmie puisse rêver. Il s’éloigna légèrement de Chance afin qu’elle ne perçoive pas la satisfaction qu’il éprouvait à l’idée de se débarrasser de l’Annunaki. Tempête revenait. Matinée en profita pour lui poser la même question : « Mais je suis là pour vous » dit-elle lui envoyant un baiser. Elle continua à s’exprimer dans un langage qu’il ne pouvait entendre avec un sourire entendu et Matinée parut prendre son discours silencieux en grande considération. « Ca me va » dit-il « et ensuite, tu rentres avec moi ? »
Accalmie nota qu’elle avait droit à une question et non un ordre. Elle fit une petite moue enfantine « non, je voudrais retourner sur Terre » dit-elle.
« Pourquoi ? »
Les yeux de Tempête se mirent à pétiller et elle se lança dans un monologue ininterrompu dans lequel Accalmie vit émerger diverses considérations archéologiques, le nom de plusieurs sites dont Thibault lui avait parlé Et des légendes et mythes passés de mode depuis longtemps. Elle devait bien s’entendre avec Thibault celle-là. Aussi timbrés que lui. Elle finit en lançant un regard suppliant à Matinée. « Fais ce que tu veux » conclut ce dernier. Jade prit un coussin et s’en couvrit la tête comme s’il ne voulait pas en entendre d’avantage et ne vit pas Tempête lui faire un clin d’œil. Le coussin s’éleva dans les airs et Jade surprit reprit une posture plus correcte et se tourna vers Matinée « Rafale m’a chargé de surveiller Accalmie » dit-il très vite sans se soucier que la personne dont il parlait se trouvait dans la pièce.
« Et concrètement ça consiste en quoi ? » demanda Matinée.
« Pas grand-chose, je n’ai pas à me plaindre de lui et de toute façon je ne peux pas le suivre dans les réunions du conseil. Je me contente des rumeurs et de voir comment il gère la villa »
Accalmie se serait bien offusqué à l’entendre parler ainsi devant lui mais d’un autre coté au moins il jouait franc jeu et l’idée qu’il pourrait parler de ça derrière son dos le dérangeait encore plus
« Donc tu ne sers à rien » conclut Matinée.
- Je ne dirais pas ça.
- Je sais, tu sers à pirater leurs systèmes d’énergie pour te l’approprier à des fins personnelles. Tu rentreras aussi en même temps que moi. Il en vint à Ambre. « Non je ne fais rien d’utile » dit-il avant même qu’il ne pose la question. Matinée se tourna enfin vers Chance. Accalmie l’attira à lui. Il s’était bien amusé de les voir tous remis à leur place et imaginait l’avenir avec des perspectives de plus en plus agréable mais il n’avait pas imaginé qu’on puisse lui enlever Chance. Elle ne répondit pas. Une autre petite voix s’éleva. Une qu’Accalmie n’avait pas encore entendu, celle de Fragile installée au creux des bras de Matinée. « Ca ne me parait pas opportun de laisser Accalmie seul.
- Tu te méfies de lui ? » Dit Rafale.
« Bien sur, comme tous ici. Mais ce n’est pas la seule raison. Accalmie doit gérer les mondes extérieurs mais c’est une tache gigantesque. Au moindre problème, j’imagine mal ce qu’il pourrait faire seul et il ne peut contacter personne.
- J’admets. Que proposes-tu ?
- Je peux rester » dit Jade.
« N’y pense même pas. Tes recherches ne vont nous apporter que des ennuis »
Matinée réfléchissait. Non, c’était Fragile qui lui parlait. Il finit par lui dire. « Tu es sure de toi ? » Elle haussa les épaules « Il faut quelqu’un qui puisse surveiller la villa, ce serait bien aussi d’avoir une personne de plus au conseil. Qui parle leur langue, ça va de soi mais capable de respecter un minimum leurs coutumes. Du moins temporairement et en apparence. Pouvant éventuellement faire des recherches sur les Néfilms et liée à vous pour que vous puissiez avoir les nouvelles le plus vite possible » Elle continua mais uniquement pour Matinée
Il finit par se laisser convaincre. « Accalmie tu resteras avec Fragile. Demain, tu la présenteras au conseil comme ambassadeur de Saphir. » Il reprit pour Fragile « mais je voulais que tu t’occupes de Chance.
- Chance n’a qu’à rester ici » dit Fragile en souriant. « si ça ne te dérange pas »
Accalmie aurait voulu qu’elle dise qu’elle voulait rester, qu’elle ne voulait pas le quitter, jamais mais elle ne répondit pas se contentant d’un bref signe de tête pouvant autant dire oui que ça n’a pas d’importance.
« Il reste ma chère sœur » reprit Matinée comme si la question de Chance était réglée. « Elle, je sais ce qu’elle fait ici. Elle est là car elle est sous la responsabilité du Maître Glace et du Maître Matinée. Et que, l’un comme l’autre, en tant que faibles frères aimant, nous la laissons bien trop libre de faire n’importe quoi.
- Matinée tu la fermes » cracha cette dernière.
« Pluie, toi aussi bien sur, tu rentres avec moi. Je ne peux pas me passer de toi » précisa-t-il avec ironie
Tempête se décida à se lever et s’étirer tandis que Pluie recommençait à râler. Elle regarda Tempête avec insistance, hésita, se tourna vers Matinée puis à nouveau vers Tempête qui s’affola sans raison et renonça à ce qu’elle voulait dire tandis que Tempête se calmait et lançait un air entendu à Matinée qui se leva à sa suite. « Suffit pour ce soir » dit-il en lui prenant la main laissant Pluie se plaindre toute seule. Fragile se leva à son tour et Accalmie se demanda si Matinée dormait avec les deux à la fois et se dégoûta lui –même à y penser avec un sentiment d’envie mais Rafale retint Fragile par le bras. Elle hésita. Matinée lui dit oui de la tête et disparut avec Tempête. Rafale ne lâcha pas la main de Fragile et jeta un regard si noir à Accalmie qu’il préféra sortir avec Chance tandis que les autres sortaient à leurs tours.
***
Rafale soupira d’aise quand le salon fut enfin calme et se laissa tomber sur le tapis. Il se tourna vers Fragile qui s’était rassise dans le sofa et entoura sa taille de ses bras avant de poser son front sur ses genoux. Cette soirée avait usé ses dernières forces. Fragile passait ses mains dans ses cheveux lui massant doucement les tempes et il se laissa aller fermant les yeux. Il était épuisé. Il n’avait connu aucune fille depuis la disparition de Mutine. Les autres avaient au moins quelqu’un qui pensaient à eux, quelqu’un avec qui communiquer même sans relation physique mais lui était seul. Mutine avait toujours été la seule. Elle comblait tous ses désirs, toutes ses passions et jamais il n’avait eu l’envie de chercher autre chose. Ni le temps d’ailleurs. Le vide n’en était que plus terrible. Il avait bien Grésil ou Eclaircie mais ce n’était pas pareil. Il donnait tous son temps à son travail. Tout cela pour se faire éconduire par Matinée. A croire qu’il faisait plus confiance en ce frère qu’il ne connaissait même pas, venu de nulle part et qui n’éprouvait aucun sentiment envers Plume ou Saphir. Lui, s’était sacrifié pour venir ici, pour surveiller la bonne marche des opérations. Il avait même renoncé à mener lui-même sa vengeance sur Terre. Son fils grandissait loin de lui. Il se sentit soudain inutile.
« Que t’arrive-t-il Rafale ? » La voix de Fragile était comme un murmure, si bas qu’il n’aurait pu l’entendre s’ils n’avaient pas été si proche.
Il resserra son étreinte « Accalmie, je ne supporte pas sa façon d’agir. Je ne le laisserais pas faire. »
Fragile ne lui répondit pas. Pour autant, elle ne lui cachait rien la laissant juger ses pensées. Elle aussi se méfiait mais elle pensait qu’il fallait façonner Accalmie, non le rejeter.
Fragile était son amie. C’était aussi la favorite de Matinée et il avait un certain respect pour elle. Jamais il ne s’était approché d’elle. Il l’avait toujours considéré comme étant presque d’une autre génération alors qu’elle était à peine plus âgée que lui. Il resserra son étreinte et elle se laissa faire comprenant que c’est ce dont il avait besoin.