mardi 22 janvier 2008

AP : 6. Chance : Chapitre 2

2

Il ne suffit pas de dire aux gens : bonne chance ! Il faut la leur offrir.

[Daniel Boulanger]

Ambassade de Saphir-Plume


Accalmie avait retrouvé la place qu’il affectionnait le plus. Du plus haut balcon, il grimpait sur le toit. En fin d’après-midi la matière qui le recouvrait, était chaude d’avoir reçu le soleil. Il s’asseyait sur la gouttière en pierre, les pieds dans le vide, appuyé contre la toiture et là, il était bien. Il dominait toutes les habitations aux alentours sauf peut-être celle du maître Substance au sommet de la colline. Désespérément vide. De l’autre coté, il devinait un petit morceau de la villa de Dyasella perdu sous les arbres et très loin, au delà de la falaise, la grisaille du plateau d’un coté et les villes hautes de l’autre. Oui, il pourrait vivre ici, ce n’était pas chez lui mais il s’y sentait bien. Il devrait aller voir Dyasella pensa-t-il. Depuis son retour, le jour des élections, il ne lui avait pas fait le moindre signe. Il la voyait parfois au cours de certaines réunions mais trouvait toujours une excuse pour éviter d’avoir à lui parler. Mais au fond que lui aurait-il dit ? Il ne voulait pas l’influencer. Il était juste là pour la soutenir. C’était une mauvaise excuse, il devait aller la voir. Elle devait savoir qu’il était là. Qu’il la suivrait, lui faire savoir qu’elle pouvait compter sur lui ou juste la féliciter. Il repartit dans une sorte de nostalgie qui le prenait dès qu’il relâchait son attention. Il repensait à une petite sauvageonne nommée Chance. Il pensait aussi au discours de Marcus qui lui disait que le plus important était de ne pas tomber amoureux. Il avait juste oublié de lui dire comment faire. Il était revenu trop tôt. Peut-être que si il avait eu plus de temps, il aurait réussi à l’approcher. Il avait l’impression que sur la fin elle attendait qu’il vienne. Il lui parlait dans la langue de Plume. Marcus disait qu’elle l’avait connu il y a longtemps mais les langues évoluent et il ignorait même si elle comprenait encore le langage oral. Ce n’était pas grave, il lui parlait juste pour la rassurer. Marcus ne lui avait même pas laissé lui dire au revoir, le renvoyant d’un simple geste. Il avait disparu du jour au lendemain qu’avait-elle dû penser ? S’était elle sentie abandonnée ? Sans doute pas. Peut-être même ne l’avait-elle pas remarqué. Il savait que si, qu’il lui manquait. C’était prétentieux d‘avoir de telles pensées mais sans doute le voulait-il si fort qu’il arrivait à se le persuader. Il appuya sa tête contre la chaleur du toit. Le soleil baissait sur l’horizon et le ciel se paraît de mille couleurs. C’était si beau qu’il en aurait pleuré. Il aurait voulu partager ça avec quelqu’un, mais il était seul. Enfin non, pas tout à fait. Jade se hissait sur le toit, grimpant avec autant d’agilité que lui, et s’assit à ses cotés.

« Tu viens me surveiller jusqu’ici ? Tu crois que je peux vous trahir du haut d’un toit ? »

Rafale n’avait pas apprécié qu’il supprime toutes les caméras du complexe du conseil. Il voyait cela comme un acte de trahison ou quelque chose du genre. Parce qu’il imaginait sans doute qu’il allait accepter d’être espionné.

Jade rit « c’est la plus belle crise de paranoïa que tu aies faite depuis longtemps. Tu veux que je t’apprenne à garder tes sentiments pour toi ?

- Si ça te gène tu n’as qu’à partir. Je pensais que c’était ainsi. Si quelqu’un a un problème il doit se débrouiller seul.

- Je suis bien trop curieux pour rester poli. Qui est-ce ? »

Accalmie se décida à se tourner vers Jade. Il avait beau se méfier et garder ses distances avec ceux qui vivaient sous ce toit, il ne pouvait s’empêcher de se sentir proche de Jade. Ils avaient presque le même age. Les mêmes centres d’intérêt aussi. Jade vivait dans un fouillis d’électronique, lui parlait des vaisseaux, de leurs modes de fonctionnement, des batteries qu’il avait élaborées et de la fabrication de nouvelles sortes d’énergie. Il se rendait compte que Plume était loin d’être aussi dépourvue de connaissances technologiques qu’ils voulaient le faire croire.

« Qui est-ce ? » répéta-t-il

« De quoi veux-tu parler ?

- Je ne suis pas naïf, j’ai déjà eu des chagrins d’amour. Tu as peur que je te juge si tu regardes d’un peu trop près les filles d’ici ? J’ai l’habitude des conquêtes d’Eclaircie. Tu ne feras jamais pire que lui. C’est la jolie Syhy qui te met dans cet état ? »

Accalmie s’échauffa sans raison. Il ne comprenait pas pourquoi mais que quelqu’un imagine que Dyasella pourrait le rendre si triste avait quelque chose de choquant. Pourtant c’est vrai qu’elle était jolie. Au moins autant que Chance. Mais c’était différent.

« Non ce n’est pas Dyasella ! »

Jade était vraiment intrigué. Accalmie se promit de ne pas lui en parler, ça ne le regardait pas et il en avait marre qu’on le surveille sans arrêt pourtant, quand il ouvrit la bouche se fut pour dire, « elle s’appelle Chance

- Hoo, la petite Adarii fabriquée par Substance »

Accalmie pensait que seul Rafale était au courant. Ca avait quelque chose de frustrant de savoir que Jade connaisse son existence.

« Je n’ai jamais dit qu’elle était Adarii » Il avait prononcé ces mots brusquement. Jade fit signe de se protéger de cette agressivité « Je disais cela parce qu’elle a un nom Adarii mais après tout, je n’en sais rien, Réalité aussi à un nom Adarii.

Accalmie se calma. Il avait appris que les noms désignant une abstraction ne pouvaient être donné a quelqu’un du peuple. Il n’avait pas fait le parallèle avec Chance. Au fond, il n’en savait rien. Le soleil avait disparut. Il faisait froid soudain et il se plaqua contre le toit qui gardait encore la chaleur du jour

« Elle a quelque chose » dit-il « a la fois semblable et différent. Comme une étincelle dans les yeux. Quelque chose de fort, de profond. Tu sais, je ne vais pas te dire que je ne suis pas attiré par une fille juste parce qu’elle est jolie. Les jolies filles me font toujours rêver »

Jade approuva. Accalmie en fut soulagé. Après ces quelques mois sur les Maÿcentres il commençait à craindre de prononcer de tels blasphèmes à voix hautes sur les Maÿcentres où déjà montrer son visage était à la limite de la provocation mais il avait compris que les mœurs de Plume et Saphir étaient plus laxistes. Plus que sur Terre même. Il continua, pris par un besoin de se confier « elle est si fragile et en même temps, c’est comme si elle cachait une force extraordinaire et que si je pouvais juste la toucher, elle comprendrait mais je ne peux pas car elle a peur et je ne veux pas lui faire peur. Je veux la protéger et elle ne peut pas comprendre. Et en même temps je me dis qu’elle n’a pas besoin de moi tout en étant persuadé du contraire ». Il se sentait soudain stupide d’avoir sorti un discours si incohérent. Jade ne se moquait pas. « J’ai ressenti ça pour une fille un jour ».

- Tempête ? » Accalmie se souvenait que la première fois qu’il avait rencontré Jade, il faisait la cours à celle qui portait ce nom.

Jade nia en riant. « Non, Tempête je l’aurais mais c’est plus un jeu entre nous ou un défi. Un jeu où elle triche en étant partie sur Terre d’ailleurs ». Ajouta-t-il en riant « Moi, je te parle d’une fille avec qui je ne pouvais pas parler sans bafouiller et que j’avais peur de prendre par la main comme si mes pensées risquaient d’être aussi confuses ou pire qu’elle risquait de ne pas les partager. Et j’avais l’air idiot » Jade sourit à ses souvenirs ses yeux se mettant à pétiller. Accalmie sourit avec lui. Il avait l’air si humain dans ces moments.

« Comment ça c’est fini ? »

Jade secoua la tête « ça ne finira jamais. Un amour aussi fort, c’est pour toujours et dès que je la revoie, j’ai encore le cœur qui s’affole et il me faut un bon moment pour parler normalement. Ca la fait rire. Elle ne réagit pas comme moi. Mais elle m’aime aussi. Je pense à elle tous les soirs avant de dormir et elle me rejoint mais ici, le temps est tellement décalé que parfois on a du mal à se trouver des petits moments pour être ensemble et c’est dur. » Le discours de Jade était aussi incohérent que le sien mais Accalmie comprenait. Enfin il en avait l’impression. « Pourquoi restes-tu ici ? Tu pourrais repartir là-bas et la rejoindre.

- Tu l’as dis, je suis chargé de te surveiller. C’es vrai tu sais. Rafale se méfie. Comprends le, tu es différent, indiscipliné. Nous ne te connaissons que depuis peu de temps et tu as détruit les plans de Rafale en faisant élire Dyasella »

Au moins voila qui avait le mérite d’être un discours totalement dépourvu d’hypocrisie.

« Et puis tu t’ennuierais tout seul dans cette grande maison vide » ajouta-t-il.

Il n’était pas sur qu’il s’ennuierait, il aurait bien besoin d’un peu plus de tranquillité ne fut-ce que pour penser à Chance en paix. « Elle n’est pas si vide que ça.

- Rafale, c’est différent et Ambre est trop sérieux. Quant à Sentiment ! Orage la surnommait absence de Sentiment. Depuis, ce surnom s’est répandu. Accalmie évoqua un minuscule sourire. Alors il n’y avait pas qu’avec lui que Sentiment était si froide. Et dire qu’elle avait fait un gosse avec Thibault. Il imaginait très mal Thibault avec une fille telle que Sentiment. Quoique si, il aimait les jolies filles. Par contre il imaginait encore plus mal quelqu’un comme Sentiment avec Thibault. Il sentit son cœur se serrer tandis qu’il pensait encore à Chance perdue toute seule, affolée, ne sachant où aller.

Il perdit son sourire « parfois, elle s’impose à moi avec une telle force que je n’arrive pas à penser à autre chose qu’à elle. Je sais que je ne devrais pas. Je pense que je culpabilise d’être parti alors j’imagine ce qu’elle doit ressentir. Je sais que c’est faux mais je ne peux me débarrasser de ces idées »

Accalmie regarda de nouveau Jade qui n’avait pas fait de commentaire. C’était agréable de pouvoir en parler à quelqu’un. Il fronçait les sourcils il avait dû paraître idiot à sortir de telles sornettes. Jade secoua la tête, se tourna vers lui le pointant du doigt en souriant, ouvrit la bouche mais se retint

« Ne te moque pas, je suis sérieux.

- Tu n’y connais vraiment rien alors ?

- Que veux-tu dire ?

- Tu as commencé à établir un lien avec cette fille et tu ne t’en es même pas rendu compte. »

Marcus aussi avait évoqué cette possibilité de lien. Il n’avait pas fait attention sur le moment. Marcus évoquait tant de chose. « Que veux-tu dire ? » répéta-t-il

« Je veux dire que tu ressens les émotions de cette fille malgré la distance et des brides de pensées. Elle cherche à te joindre par télépathie »

Accalmie passa en revue toutes les possibilités qu’ouvrait une telle découverte en un dixième de seconde avant d’en revenir à la réalité « non, Grésil m’a déjà contacté ainsi et ça n’avait rien à voir.

- Grésil n’est qu’une gosse et n’est même pas encore télépathe, elle se sert d’une magie extérieure pour faire ses tours. Ce que tu décris et tout à fait un début de lien »

Accalmie se retourna brutalement manquant tomber du toit et s’accrocha aux épaules de Jade « qu’est-ce que je dois faire, comment puis-je lui parler ?»

Son intervention était si vive que Jade manqua tomber à son tour et s’accrocha à la corniche « mais rien du tout, sois à l’écoute c’est tout.

- Mais comment puis-je lui parler ? Est-ce qu’elle est vraiment aussi triste et perdue ? Je dois la rassurer

- Tu vas plutôt l’inquiéter à t’exciter de la sorte. Ne cherche pas à la joindre à tout prix ou à l’attendre. D’une façon comme de l’autre ça reviendrait à te centrer sur toi. Vis ta vie, évite de t’inquiéter et sois patient

- Je ne peux pas être patient, elle a besoin de moi.

- Raison de plus. Tu vas commencer par aller voir la Syhy car ça fait partie de tes responsabilités de légat et j’ai comme l’impression que tu te venges sur elle en l’empêchant de t’approcher.

Pavillon des Lytyl-Paktyl

Dyasella n’était pas seule. Il l’entendait parler. Umya se demanda s’il ne ferait pas mieux de ressortir afin d’annoncer son entrée mais après tout, il était officiellement son adjoint. Personne n’avait à contester sa présence chez elle. Il avança encore jusqu’à la véranda. Elle prenait un rafraîchissement. Un deuxième verre était posé sur la table. Umya ne voyait pas encore l’autre protagoniste caché derrière un soutien du mur. Une voix s’éleva en réponse à une banalité et il fut soulagé de la reconnaître comme une voix féminine. Il avança encore un peu et distingua une femme d’une trentaine d’année plutôt jolie bien que trop mince et très hautaine. La Syhy devait sans doute faire des frais à la noblesse. Elle l’aperçut et lui fit signe d’approcher. « Plumeau, je vous présente Sy Thaïs Umya qui vient de récupérer un titre de conseiller. Plumeau était la gouvernante de Grésil et sert maintenant la villa Adarii. »

Umya sortit quelques politesses d’usage s’amusant de s’être autant mépris. La domestique ne se dépara pas pour autant de ses manières distantes et suspicieuses. Il ne c’était peut-être pas tant trompé, gouvernante chez les Aadarii n’était pas loin de constituer l’équivalent d’un titre de noblesse. Elle se leva et Umya lui dit de ne pas se déranger pour lui.

« J’ai à faire » répondit-elle.

Dyasella la reconduisit à la porte puis en revint à Umya, les joues roses de contentement. Elle est venue me prévenir qu’Accalmie souhaitait ma présence. Dyasella était excitée comme un gamine. Accalmie faisait le mort pendant des semaines et le jour où il daignait se rappeler de son existence elle accourait. Ce n’était pas digne d’une future présidente. Umya n’était pas sûr d’apprécier tant d’empressement de sa part devant un jeune homme.

Terre : Canne

Thibault s’accrocha au fauteuil comme à une bouée de sauvetage. A l’entrée Tempête aussi vacillait. A moins que ce ne soit la pièce entière qui bougeait. Tremblement de terre. Il ferma les yeux mais c’était dans sa tête que tout bougeait. Tempête tenait toujours la bouteille de champagne qu’ils avaient entamé au bar de l’hôtel. Elle était presque pleine, pas de quoi être dans un tel état. Enfin si ça avait été la première. Cette réflexion le fit pouffer tel un collégien avant de partir dans un fou rire incontrôlé. Il n’avait jamais supporté l’alcool. Tempête avait attrapé deux coupes. « Je crois que ça suffit sour pe foir …pour ce soir » rectifia-t-il en articulant difficilement.

Tempête se mit à pouffer à son tour « la soirée vient à peine de commencer, tu ne vas pas me dire que tu ne tiens même pas un ou deux verres ? »

Thibault se laissa aller en arrière avant de se redresser, cette position le rendait malade. Il perdit sa bonne humeur. « Avant, dès que je buvais un coup Mike le savait et me le reprochait » à ce souvenir, une vague de colère monta en lui et il tapa du poing sur la table basse « je ne supporte pas qu’il me dise ce que je dois faire » Il se rendit compte de la voix pâteuse avec laquelle il avait dit ça et ça le fit rire. Tempête s’assit à coté de lui. Elle avait beau dire, elle non plus ne marchait pas très droit. Elle remplit les deux coupes, en versa une bonne partie à coté et se mit à rire elle aussi. Thibault se força à reprendre son sérieux et attrapa la coupe tendue vers lui. Le liquide fit quelques vagues, manqua de se renverser et il se concentra davantage pour le tenir droit. Oui, maintenant, il pouvait agir comme il l’entendait. Il n’avait aucune difficulté à tenir Mike à l’écart. Il était plus puissant que lui, plus que Tempête. Il sourit et porta la coupe à ses lèvres mais en renversa la moitié. Après un instant de stupéfaction devant son tee shirt mouillé, il éclata de rire et Tempête fit de même remplissant son verre à nouveau en se rapprochant. Il but encore. Sa tête tournait de plus en plus et il s’écroula dans le fauteuil. Il ne supportait pas de voir le salon tourner autour de lui. Tempête était tout contre lui. Son parfum de vanille l’enivrait. Elle riait mais ce rire si communicatif lui faisait maintenant mal au crâne. Il se retourna vers elle, se forçant à ouvrir les yeux. Elle était belle. Il attrapa une mèche de ses cheveux bouclés et les enroula autour d’un doigt. Elle se remit à rire. La tête de Thibault pulsait de plus en plus fort et il s’écrasa de nouveau contre le dossier du fauteuil. Les sons étaient bizarres, comme étouffés, de plus en plus lointain. Le rire de Tempête s’estompait. Quelqu’un parlait. Il perçut encore le parfum de vanille de Tempête, plus fort. Autre chose aussi plus acre. Du citron peut-être. Tempête parlait, non elle ne parlait pas, elle riait. Elle faisait les deux. Elle parlait à Sentiment. C’était pas clair et au fond il s’en fichait. Il sentit une main sur son visage. Douce. Il eut envie d’ouvrir les yeux. Depuis longtemps il n’avait pas eu de contact avec une fille et cette simple caresse lui ouvrait des horizons de plaisir. Il voulait l’attirer à lui mais son corps ne répondait pas. Cette main qui descendait le long de son corps, sur sa poitrine, son bras, s’attardant sur sa main et son poignet. Comme réveillé par une sonnette d’alarme, il se redressa et attrapa brutalement Tempête par le cou. De surprise, elle se mit à crier. Il n’y prit pas garde cherchant à tâtons son bracelet avant de sentir la petite pierre noire se nicher agréablement dans sa main et tira arrachant le cordon des mains de Tempête. Elle le fixait, terrorisée. Thibault soupira « Bien essayé ma belle ». Il la tira vers lui. Tempête se força à sourire. Ses yeux apeurés se firent soudain pétillants et de nouveau elle inspirait charme et désir.

« Tu as raison » dit Thibault soudain dessaoulé » pas mal de filles ont essayé de m’abuser et certaines ont même réussi mais j’ai toujours couché avec elles d’abord ».

Tempête ne disait rien. Ses émotions toujours claquemurées, elle gardait un visage d’ange et ne tentait pas de s’éloigner ni de s’expliquer. De toute façon il n’y avait rien à expliquer. Thibault caressa encore ses boucles dorées, la peau brune de son cou et elle se laissa faire. « Tu es belle Tempête. Tout comme Sentiment, tu es suffisamment belle pour qu’on puisse perdre la tête » il la repoussa violement « c’est pourquoi je ne m’y risquerais pas. Toi et moi, nous pourrions réaliser de grandes choses. Nous avons un monde à conquérir alors nous allons rester ce que nous sommes ». Il se leva en chancelant et cet exercice lui donna des nausées.

« Que sommes nous ? » demanda Tempête.

Thibault se tourna vers elle avant d’atteindre la porte de sa chambre. Elle était quasiment étendue dans le canapé, sa chemise à moitié défaite ne révélant rien mais suggérant tout avec une telle perfection que ça ne pouvait qu’être étudié. « Nous sommes les meilleurs ennemis du monde »

Il ferma la porte de sa chambre derrière lui. Tourna la clé dans la serrure et en titubant toujours il se dirigea vers la salle de bain repris de nausée. C’était un bon repas. Dommage qu’il finisse ainsi.

Plume : Taegaïan

Réalité s’épongea le front d’un carré de tissu. C’était plus une excuse pour s’arrêter et reprendre son souffle. Elle en profita pour resserrer les sangles autour du bébé. Il ne dormait plus mais profitait du paysage autant qu’elle. Elle aurait bien changé de place avec lui pour avoir le plaisir de se faire porter. Une main se tendit vers elle. Elle s’approcha puis dans un réflexe se rétracta. « aie confiance » lui dit encore Éclaircie forçant la voix pour couvrir la bruit de la cascade se faisant encore plus fort. Elle lui prit la main et s’appuya sur lui pour franchir les derniers mètres. La cascade se profilait maintenant devant elle au milieu d’une végétation bien plus haute et dense qu’en bas de la montagne. C’était magnifique. Éclaircie relâcha son étreinte mais garda ses doigts enlacés dans les siens et l’entraîna dans les herbes qui lui arrivaient jusqu'à la taille. Elle soutint le petit afin qu’elle ne se fasse pas chatouiller les narines. Éclaircie lui proposa de le porter. « Vous avez déjà le sac » répondit-elle. Encore une fois elle s’imagina qu’ils étaient un vrai couple. Qu’elle avait des enfants qu’elle aurait portés et qu’ils les élèveraient ensemble. Elle ferma les yeux afin de s’imprégner de ce rêve impossible et lâcha la main d’Éclaircie. Il n’avait pas à partager ça. Il avait choisi un endroit à l’abri du soleil et de la végétation et s’était assis sur un rocher plat afin de déballer ses provisions. Réalité saliva. La montée lui avait ouvert l’appétit. Elle aurait bien avalé un de ses gros sandwich dégoulinant de graisses qu’elle avait parfois vu sur les marchés mais elle doutait que ce genre de mets rustiques franchissent l’esplanade jusqu’aux cuisines de la villa. Elle attrapa quelques amuse bouches puis des petites crevettes, et des pains de viandes et du maïs. C’était la première fois qu’elle en voyait ici. Il devait être importé de loin. Quelques fruits secs aussi. Éclaircie rit de bon cœur « comment arrives-tu à manger autant ? »

Elle se tourna vers lui. A moitié allongé, il donnait le biberon au petit reposant contre sa poitrine « c’est bon » dit-elle.

Elle s’allongea rassasiée reprenant son rêve ouvrant petit à petit chaque porte de son esprit lui ouvrant un monde ou tout était possible puis s’assit à nouveau, décidée à profiter de ce moment. Elle attrapa l’enfant tandis qu’Éclaircie mangeait à son tour.

« Vous avez vu, il tient presque assis ! dit-elle désignant le nourrisson au creux de ses genoux

« Quand tu le tiens ainsi, évidemment. Lâche –le pour voir »

Elle n’en fit rien. Ce petit lui manquerait quand son père viendrait le récupérer. Ils se comprenaient, ils étaient l’un et l’autre loin de leur famille. Enfin surtout elle car lui il ne lui manquait que ses parents. Éclaircie disait que la perte de sa mère l’avait fait souffrir, ressentait-il aussi l’absence de son père ? Elle posa la question à Éclaircie qui s’était allongé au soleil. « Non » dit-il nous ne ressentons pas le manque de personnes proches »

Réalité se tourna vers le petit. « Moi je le ressens. Ma famille me manque mais plus encore, quand tu n’es pas là, tu me manques » Elle avait dit ça doucement, presque assez bas pour espérer qu’Éclaircie ne l’entende pas. Il roula jusqu’à elle, lui prit la main et y déposa un baiser avant de l’attirer plus près de lui. « Je ressens ça aussi pour toi »

Elle s’arracha à cette étreinte, il ne pouvait lui faire croire qu’il comprenait. Il se détacha d’elle se tournant vers l’horizon. « Je voudrais m’approcher de toi mais je ne peux pas. Même quand je suis près de toi il me manque quelque chose. Il y a certains moments où je voudrais partager mes pensées avec toi. Des choses futiles, sans importances mais qui m’interpellent sur le moment mais tu n’es pas là. Je suis obligé d’attendre l’opportunité de venir te voir et là, j’ai oublié ou alors la magie du moment a disparu et le dire n’a plus d’intérêt. Je voudrais que tu puisses être toujours près de moi mais c’est impossible alors, tu me manques. C’est dur. Mais d’un autre coté la joie que j’ai en ta présence n’en est que renforcée. »

Réalité retenait son souffle. Jamais elle ne l’avait vu se confier avec tant de force. Elle en avait les larmes aux yeux. Il se tourna vers elle. Elle se concentra sur l’envie qu’elle avait de lui, de ses baisers et de sa présence et posa le bébé sur un petit matelas d’herbes douces. Il s’approcha et elle ferma les yeux. Plus rien n’existait sinon eux deux et leurs rêves impossibles. « Si on partait » dit-elle en riant entre deux baisers « très loin d’ici. Là où personne ne trouvera à redire de notre relation.

- Ou ? » Dit-il se prenant à son jeu.

Elle réfléchit. Le seul endroit où elle voudrait aller c’est en Cashir. Ici encore si quelqu’un les surprenaient ils éviteraient d’en parler mais chez elle, se serait sans doute la honte. Elle n’en savait rien en fait. La plupart du peuple de Cashir ignorait jusqu’à l’existence du peuple Adarii. « On pourrait partir sur Vengeance » dit-elle juste pour évoquer le monde le plus lointain ou sur cette Terre où personne ne nous connaît ?

- Celle qui a tué Mutine ? »

Ce n’était sans doute pas un bon exemple. Elle venait de briser ce beau rêve partagé. Il reprit sa bonne humeur et l’embrassa à nouveau, la faisant rouler dans l’herbe. « Je veux un endroit ou l’océan soit rose ». Elle était d’accord. Ses baisers se faisaient plus insistants et elle cessa de penser, s’imprégnant du moment présent en passant ses bras autour de son amant. Il s’écarta soudain. Il avait perdu son sourire.

« Qu’est ce que j’ai fait ? » dit-elle se sentant coupable.

Il lui donna un dernier baiser pour la rassurer. « Il faut redescendre, il s’est passé quelque chose ».

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