samedi 5 janvier 2008

AP : 3. Rafale : Chapitre 9


9

La magie sait être l'expression des sagesses les plus hautes comme celles des plus terribles folies

Philippe cavalier

Maïcentres : Colline du conseil

La soirée était grandiose. Une salle somptueuse regorgeant de plantes rares, d’immenses bouquets de roses noires, et, pour la couleur, des milliers de prismes reflétaient la lumière de minuscules projecteurs colorés. Le président Synshy lui-même était présent. Umia avait hésité à lui présenter ses respects, puis avait préféré s’arranger pour l’éviter. D’abord, il n’avait aucun respect envers lui et surtout, il était important qu’il se fasse remarquer le moins possible. Sur l'estrade, défilaient des hommes et des femmes en tenue d'apparat, un masque d'or sur le visage, tandis qu'une voix diffuse récitait les spécificités des formes, motifs, couleurs des différentes tenues et le nom des créateurs.

Umia fut distrait de ses réflexions par une clameur. Réalité était apparue dans une robe magnifique, comme cousue de lumière, un pur chef d’œuvre du Maître Substance bien qu'à son goût, trop décolletée. Elle ne portait aucun masque mais ses traits étaient maquillés de nacre. Il ne put s’empêcher de se détourner en voyant apparaître une des jambes de la jeune fille par une fente provocante. L’idée que tous les hommes présents puissent la voir ainsi était un supplice. Non, il ne retournerait pas auprès d’elle. Il ne le supporterait pas. Il avait passé des moments merveilleux mais des souffrances pires encore au point d’en oublier ses priorités. A la limite de son champ de vision, il aperçut Dyasella Lytïl qui s’éloignait discrètement. Umia plissa les yeux, réfléchissant à toute vitesse. Intéressant, la Syhy essayait de doubler Réalité. Il était tant qu’Umia prenne le contrôle de la situation.

Il hésita, accaparé par le spectacle qu’offrait Réalité. Et dire qu’il l’avait crue quand elle lui avait dit qu’elle servait de secrétaire à un ambassadeur. Elle était intelligente, c’était possible. Mais non, ce diable de Substance s’était emparé d’elle et maintenant, il l’exposait devant tous ces regards concupiscents comme une vulgaire statue. Dyasella avait quitté la salle. Umia jeta un dernier regard à Réalité. La porte s’ouvrit sur un personnage de haute stature, dissimulé derrière un masque aussi brillant que la robe de Réalité et une longue cape noire. « Substance » souffla-t-il. Le vieux démon a quitté sa tanière. L’attention de la foule se déplaça vers le nouveau venu. Le célèbre sculpteur sortait peu, c’était un événement dont tous parleraient longtemps. Umia profita de la diversion pour se diriger vers la sortie. Personne ne le remarqua. Même les gardes s’étaient regroupés contre les baies vitrées, cherchant à apercevoir le mystérieux Maître Substance. Umia quitta la salle, traversa le jardin et enjamba le muret de coquillage qui le séparait de la zone réservée à la plate-forme de décollage et repéra Dyasella dans les bosquets entourant les pistes d’envol « Il fait un peu frais pour se tapir dans les buissons Syhy.

Dyasella sursauta. Umia savoura son effet de surprise. Elle se reprit vite « Que faites- vous là ?

- Je profite de la fraîcheur de l’air nocturne. Belle réception n’est ce pas ? C’est Réalité qui m’a invité. C’est plutôt à moi de vous poser la question. Elle m’a raconté que vous comptiez partir sur Plume après la soirée et que vous l’ameniez avec elle. Elle a dû se tromper. Ou, à moitié trompée.

Dyasella se mordit les lèvres. Umia avait vu juste. « Je ne peux pas m’encombrer d’une fille de Plume » avoua-t-elle

« Mais vous allez vous encombrer de moi.

« Non » dit Dyasella avant de faire signe à Umia de se taire. Ce dernier prit soin de se caler au milieu du chemin, à l’endroit le plus en vue et de parler fort. « Et pourquoi votre grandeur se dissimule-t-elle comme une vulgaire habitante des villes souterraines ?

- Taisez-vous ! La quasi totalité des gardes couvrent la réception. Il n’y en a plus qu’un » dit-elle en désignant une ombre noire qui se perdait dans le crépuscule au niveau du port d’attache des vaisseaux des résidents de la colline. Avec un peu de chance, j’arriverais à partir sans avoir à fournir d’explications. Et je pars seule » précisa-t-elle.

Umia l’avait deviné et il comptait bien contrecarrer cette partie du plan. Il se tapit dans les buissons aux cotés de Dyasella « N’y comptez pas, je pars avec vous

- Hors de question

- Pourquoi pas ?

- Je ne vous fais pas confiance.

- Charmant, je vous rappelle qu’il s’agit de mon idée »

Dyasella se retint au dernier moment. Sous le feu de la colère, elle allait dire à Umia qu’elle ne pouvait lui faire confiance car elle savait qu’il avait révélé à Réalité sa liaison avec Orage. Umia sourit comme si il avait compris son dilemme. « Quand on se méfie de quelqu’un, il faut toujours le garder à l’œil »

Dyasella hésita à lui jeter à la figure ce qu’elle pensait de lui en ce moment. Il lui faisait un chantage déguisé. Elle s’y connaissait suffisamment en chantage pour repérer sa stratégie. Elle préféra ne pas répondre. Près de son vaisseau, le garde ne bougeait pas. Au contraire, un autre arriva à sa rencontre et ils se mirent à discuter.

« Ne pourrait-on pas juste s'avancer et décoller ? Après tout, c'est votre vaisseau. »

Umia était insupportable : « Je vous ai dit, je ne veux pas avoir d'explication à donner.

- Je croyais que la Syhy Lytil n'avait de compte à rendre à personne ? »

Dyasella l'incendia du regard. « Justement, j'ai d'autant moins de compte à rendre si personne ne me voit. »

L’attente s’éternisait. Umia avait des crampes à force de rester immobile. Plus que les gardes, il se méfiait de la Syhy et surveillait une potentielle manœuvre de sa part pour le tenir à l’écart. Les deux gardes se décidèrent enfin à s’éloigner. Sans courir, Dyasella s’avança d’un pas rapide et sur en direction de la plate forme d’envol.

Umia s’élança à sa suite, ne quittant pas des yeux l’ombre du grand vaisseau de la Syhy. Ils étaient presque arrivés quand un des gardes les interpella. Umia hésita. S’il donnait l’alerte, le champ de force de la colline serait activé et ils se retrouveraient coincés. Dyasella devait avoir prévu une explication songea-t-il. La seule solution était de s’arrêter, inventer une excuse pour expliquer sa présence ici et laisser Dyasella partir seule. Il enrageait. Il se retourna juste pour voir le garde tomber révélant la silhouette de Réalité derrière lui.

« Tu l’as frappé ! » s’exclama Dyasella révoltée, désignant le bâton toujours dans la main de Réalité.

« Evidemment que je l’ai frappé. Tu comptes rester là à en débattre toute la nuit ? Parce qu’en ce qui me concerne, je trouve les nuits d’hiver un peu longues ici. » Elle s'était changée et portait maintenant une tunique courte sur un pantalon trop ajusté et son visage était encore maquillé lui donnant l’air d’un spectre.

« Mais, est-ce qu’il est... Dyaella ne pouvait pas dire le mot. Réalité l’attrapa par le coude et la poussa vers le vaisseau. « Il est juste inconscient et je ne tiens pas à ce qu’on soit encore là à son réveil.

- Lâche-moi ! » S’offusqua Dyasella. « Nous ne pouvons pas partir en le laissant ainsi.

- Ho que si on va partir, tu auras plus facile à trouver une explication au sujet de ce garde qu’au sujet de tout ce que je pourrais raconter en ton absence si tu me laissais ici. Adieu la conseillère respectée et admirée des basses villes. »

Umia ne put retenir un sourire malgré la situation. Réalité manquait de subtilité mais elle apprenait vite.

Il avait déjà mis les moteurs en marche quand Réalité pénétra dans le poste de pilotage, traînant presque Dyasella à sa suite.

Umia préféra mettre les choses au point « Nous n’allons pas en Cashir ».

Réalité frappa du poing la commande de fermeture, sans répondre et Dyasella poussa Umia pour s’asseoir aux commandes. Elle pouvait décharger sa mauvaise humeur comme elle l’entendait, Umia avait obtenu ce qu’il voulait. Il se crispa, appréhendant le choc du bouclier magnétique mais ils quittèrent l'atmosphère des Maÿcentres sans rien ressentir. « Etape une franchie » murmura-t-il dans un soupir de contentement.


Terre : Nouveau Mexique

Les deux aspirines qu’avaient ingurgitées Thibault commençaient à peine à faire leur effet quand il entra dans le bureau du conseiller Vygosi.

« Légat conseiller » dit-il cherchant des yeux un siège ou s’écraser.

L’ambassadeur de la confédération sur Terre était un petit homme bedonnant, manquant totalement de classes, perdu au milieu d’un bureau transformé en jungle tropicale. Excepté cette végétation étouffante, le mobilier était bien choisi. Un bureau de bois clair, une petite statuette qui ressemblait aux attrapes poussières que fabriquait Marcus, un canapé confortable. Voilà ce qu’il lui fallait songea Thibault lorgnant ce dernier élément. Il ne prit pas la peine de faire attention aux sentiments de rages fusant de cette petite personne, il s’affala plus qu’il ne s’assit, sans attendre l’autorisation, tandis que le légat commençait son discours.

« Vous deviez être ici depuis plus d’une semaine ! Que faisiez vous encore ? Impossible de vous joindre en plus. »

Thibault n’écoutait déjà plus, il n’arrivait plus à se concentrer, son esprit se perdait, il était dans le désert, il voyait la montagne, et cette grotte, celle où il avait trouvé les cylindres de cette matière étrange renfermant les manuscrits d’Onirique.

« J’étais malade » répondit-il mécaniquement entendant très loin quelqu’un le questionner. « Je crois que je le suis encore » ajouta-t-il. Il dérivait. Il revint légèrement à lui sentant les menaces du légat plus qu’il ne les entendait. Il fut pris de recul en apercevant soudain son reflet dans le miroir. Il avait les traits tirés, pales, les cheveux mal coiffés. Il leva un bras, huma sa propre odeur et fit la grimace. Il avait oublié de se laver. Il se retourna vers son interlocuteur qui finissait son discours en disant qu’il ne travaillait plus ici, que c’était bien dommage vu ses potentiels mais qu’il ne pouvait se permettre de le payer pour rien.

« Vous me renvoyez ?

- Evidemment, imaginez-vous que je m’occupe d’une œuvre caritative pour faire vivre les loques ? »

Non, ça n’allait pas du tout. Il avait perdu son informateur et Accalmie était sans doute parti sur les Maïcentres, ce n’était pas le moment de perdre son poste sur la base. »

« Je vous ai dit que j’étais malade.

- Ca doit faire un an alors que vous êtes malade.

- Non, j’avais des trucs à faire

- Et puis-je savoir ce qui est plus important que votre travail ?

- Non, vous ne pouvez pas le savoir. Ce n’est pas le genre de trucs qui regarde un vieux con dans votre genre.

- Dehors monsieur Malta. » Se contrôler. Thibault n’arrivait jamais à se contrôler quand on le traitait comme un moins que rien. Il ferma les yeux, inspira profondément, rejeta sa tête en arrière et sourit, s’installant plus confortablement dans son fauteuil. « Non » dit-il calmement.

« Je vous demande pardon ?

- J’ai dit non » répéta-t-il fixant le légat dans les yeux. « Non seulement je vais continuer à faire semblant de bosser pour vous mais en plus, vous allez commencer par m’accorder des vacances car il me semble qu’il me reste un dernier point à vérifier. C’est compris ? »

***

C’était très con ce qu’il avait fait avec le légat pensa Thibault une fois sorti de l’enceinte de la base. Qu’il teste ce genre d'amusement sur les gens du coin, c’était une chose mais sur un homme des Maÿcentres, c’était vraiment stupide. Le légat n’avait peut-être pas l’air impressionnant mais d’expérience Thibault savait qu’il ne devait pas s’y fier. C’était un homme lâche et abjecte, d’une grande intelligence qui jouait de son apparence banale rassurante alors que, petit à petit, il avait grappillé un pouvoir conséquent en s’appropriant discrètement le contrôle de la plupart des systèmes informatiques. Au moindre problème avec la Terre, il était capable de couper toutes les sources d’énergie et de communications rien qu’en appuyant sur un bouton. Un jour, il devrait révéler ça à la presse. Mais pas de suite. Oui, utiliser ses nouvelles facultés, c’était con, mais c’était jouissif. Et puis, il était important de se tenir au courant des évènements qui se déroulaient ici. D’autant plus si Accalmie avait traîné ses basques dans le coin. Qu'était devenu ce gosse ? Avait-il vraiment réussi à quitter la Terre ? C’était possible. Faire le voyage et arriver sur les Maÿcentres sans se faire arrêter par contre, c’était impossible. Le voyage était trop long, il ne pourrait tenir plusieurs pilotes sous son contrôle et cela durant trois jours. Il devait en apprendre d’avantage. Quand il aurait le temps. D’abord, un dernier petit voyage. Enfin, un dernier, façon de parler, jusqu’au prochain. Et il y avait Mike aussi. Il semblait perdre les pédales depuis qu’il lui avait annoncé qu’il était possible qu’Accalmie ait quitté la Terre. Il s’était mis dans la tête qu’il devait être capable de le contacter. Que depuis les années qu’ils vivaient ensemble, il devait y avoir un lien entre eux et qu’il l’entendrait et le ferait revenir à la raison. Qu’il était comme son père. Inconscient, il n’était pas son père et ne le serait jamais. Mike était comme lui, une musique plus qu’un parfum. Thibault s’arrêta. Parfois, il y avait des idées bizarres qui lui traversaient la tête. Après tout, son arrière grand-mère était folle. Stop. Il devrait peut-être passer voir Mike. Un face à face entre eux ne serait pas un mal. Il lui faudrait un jet privé, ces temps-ci il passait sa vie dans les avions. A peine de retour aux Etats Unis qu’il repartait en France. Un jet privé. C’est envisageable. Ou tout au moins, ce devrait l’être bientôt.

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