lundi 7 janvier 2008

AP : 3. Rafale : Chapitre 14

14

Le génie est une forme de magie, et le propre de la magie, c’est qu’on ne peut l’expliquer.

Margot Fonteyn

Maÿcentres : Colline du conseil

Une voix trop forte dans une langue inconnue sortit Chiffre de son rêve. Il leva la tête pour apercevoir un homme devant lui et se jeta sous sa banquette. La femme apparut à son tour dans l’encadrement de la porte et étouffa un cri de surprise tandis que Grésil ouvrait les yeux à son tour avant de se mettre à hurler, se précipitant auprès de Chiffre. L’homme leur parlait d’une façon fâchée mais il ne comprenait pas. Grésil à ses cotés ne paraissaient pas comprendre non plus mais la femme s’exprima d’une voie douce avec des mots hésitants dans sa langue. « Pas peur les enfants, on pas mal. Qui vous ?

- Ca ne te regarde pas. »

Chiffre hésita et se tourna vers Grésil qui s’était levée, croisant les bras sur sa silhouette maigrichonne. Si elle décidait de ne rien dire, il ne dirait rien non plus.

Les deux étrangers recommençaient en parlant dans leur langue étrange. Chiffre jeta un coup d’œil à l’extérieur, il faisait noir, mais il aperçut un peu de lumière. Ils avaient atterri et, plongé dans son sommeil, il ne l’avait pas remarqué

La dame se baissa pour se mettre à leur niveau. « Ecoutez enfants, je amener vous près gens Plume va ? »

Maÿcentres : Colline du conseil

Grésil eut envie de rire en entendant parler la Syhy, elle parlait comme un bébé. Elle préféra s’accorder à ses pensées car ses paroles, quoique rigolotes, étaient difficiles à comprendre. Elle était étonnée, elle ne savait pas qu’il y avait des gens de Plume ici. Après tout, la suivre n’était pas une mauvaise idée, elle n’avait pas vraiment élaboré de plan pour conquérir les Maÿcentres et s’il y avait des gens de chez elle, elle pourrait en faire une armée comme dans les histoires. Elle acquiesça de la tête et suivit la dame à l’extérieur.

Il faisait nuit mais il y avait tout un tas de lumières. Les deux grands parlaient entre eux. Ils étaient très inquiets mais elle n’y prêta pas attention, de toute façon elle ne comprenait rien sinon quelques unes de leurs pensées décousues. Elle regardait autour d’elle, il y avait des lumières de toutes les couleurs, des arbres, des fleurs et ça sentait bon. Il faisait froid, très froid. Il y avait des gens qui venaient vers eux qui n’étaient pas content du tout et la Syhy et son compagnon eurent peur en les voyant arriver. Grésil se dit que c’était sûrement des vilains qui voudraient poser pleins de questions et savoir ce qu’elle faisait ici mais elle avait froid et elle était fatiguée. Elle pensa très fort qu’ils devaient les laisser tranquille et ils se contentèrent de quelques mots en désignant la sortie. La Syhy en fut soulagé et son compagnon étonné. Ils avaient quitté une plate-forme d’atterrissage qui ressemblait à celle de Taegaïan avec de grands oiseaux peints sur le sol et maintenant, ils entraient dans une salle déserte. La Syhy passa un bracelet tout moche de son bras dans un orifice et bientôt, une toute petite navette apparue, suspendue à un fil. Grésil hésita à monter dedans, ça n’avait pas l’air solide mais la Syhy monta sans hésiter suivie de l’homme et Chiffre et Grésil durent se résoudre à les suivre.

« C’est quoi ? » s’exclama Grésil désignant toutes les lumières de la ville qui semblaient se rapprocher au fur et à mesure de leur descente.

« C’est un peu comme une cité » répondit la Syhy ou du moins c’était ce que Grésil imaginait qu’elle avait dit avec ses mots bizarres.

En se rapprochant, Grésil aperçut, malgré l’obscurité, des bâtiments métalliques et des jardins s’étalant à perte de vue mais la navette que la Syhy avait appelé funiculaire continua sa descente. Pendant quelques instants, elle n’aperçut plus rien, puis de nouveau des lumières, encore plus, partout. Elle ouvrit les yeux en grand et colla son nez contre la paroi transparente.

Maÿcentres : Basses villes

Dyasella inspira profondément. Jamais elle n’aurait pensé pouvoir prendre le funiculaire si facilement. Atterrir sur les Maÿcentres était l’étape qu’elle avait le plus redouté. Elle avait trouvé une excuse pour entrer sur Plume et sortir du trajet imposé, elle avait réussi à berner la plate forme mais elle n’avait pas trouvé d’explications pour leur départ précipité et le garde que Réalité avait frappé. Elle comptait tout nier en bloc. Et voila qu’il fallait expliquer en plus la présence de deux enfants. Voyant les gardes approcher, elle comptait improviser mais ils se contentèrent de leur souhaiter une bonne soirée. C’était une aubaine inespérée.

La nuit était bien avancée, Dyasella espérait qu’il y aurait encore du monde dans la salle de réunion de Cannelle. En général, ils se couchaient tard. Elle regarda les deux enfants à moitié gelés sous leurs fines tuniques et leur abandonna son manteau. La petite fille s’en empara et invita son ami à le partager. Voilà qui parachevait le ratage de cette mission. Non seulement ils revenaient les mains vides mais en plus ils se retrouvaient mêlé à la fugue de deux gamins. Et, hors de question de les ramener, le délégué de la plate forme lui avait interdit de se présenter à nouveau. Plume, c’était fini pour eux. Dyasella ne pouvait s’empêcher d’avoir pitié des ces deux petits qui, sans doute, voulaient juste jouer les aventuriers. Ils n’avaient pas l’air d’avoir peur, ils trottaient derrière elle désignant parfois certains objets pour qu’elle leur dise ce que c’était, s’arrêtant pour humer des fleurs et courrant ensuite pour les rattraper. Leur innocence faisait peine à voir et elle redoutait le moment où il faudra leur dire que maintenant, ils étaient coincés ici et que peut-être qu’ils ne pourraient plus jamais revoir leurs familles. Ils étaient arrivés devant chez Cannelle et Dyasella poussa la porte. Elle n’était jamais fermée. Elle descendit l’escalier jusqu’à la salle de réunion, soulagée d’entendre des éclats de voix. Umia la suivait puis les enfants.

Elle s’arrêta à l’entrée de la salle, effarée par le spectacle qui s’offrait à elle. Il restait quelques personnes en effet, et ce n’était pas les meilleurs. Elle espérait voir Crayon ou Miroir, mais ils n’y étaient pas, même Cannelle était absent et ceux qui restaient étaient trop ivres pour lui être d’une quelconque utilité. Umia poussait les enfants à l’intérieur. Elle avait envie de le retenir, ce n’était pas un spectacle pour eux. « La Syhy et Umia » Lança un d’eux, « les deux prétentieux qui voulaient aller sur Plume ? Alors, vous avez réussi à convaincre les protecteurs Adarii de servir vos intérêts ? » Dyasella avait déjà vu celui qui avait dit cela, c’était un des plus fervents opposant à leurs projets, il disaient que des nobles de Vengeance qui souillent le sol de Plume étaient la pire infamie possible. Elle n’avait pas envie de lui avouer qu’ils s’étaient fait renvoyer exactement comme ces hommes l’avaient prévu mais elle devait s’y résoudre. « Vous aviez raison du tout au tout. Ce fut un échec.

- Je vous l’avais dit, on va boire un coup à votre échec alors » dit-il réservant une tournée.

« Nous avons un problème » ajouta-t-elle désignant les enfants toujours emmitouflés dans son manteau.

« C’est quoi ces rejetons ?

- Je crains que ces deux petites fugueurs aient profité du vaisseau pour s’y faufiler ».

Un autre homme se mit à rire avant d’avaler son verre d’un trait. « Ca ne m’étonne pas, ces gosses feront comme nous tous. C’est à dire qu’ils regretteront leur bêtise.

- Et en attendant, j’en fais quoi ?

- Fous leur une bonne raclée pour leur apprendre qu’on ne désobéit pas à ses parents en s’embarquant dans le premier vaisseau qui passe. »

Dyasella se rapprocha des enfants et les prit contre elle dans un geste protecteur, ce genre d’humour ne lui plaisait pas.

Un autre homme se rapprocha paraissant enfin s’intéresser aux enfants. « Comment vous appelez-vous ? » leur demanda-t-il dans la langue de Plume empestant l’alcool à plein nez.

Les deux petits se reculèrent sans répondre, gardant la tête baissée. Et l’homme se tourna vers Umia et Dyasella. « C’est pas des gosses de la campagne ça, trop raffiné ça se voit au premier coup d’œil, ils viennent d’une cité. »

Il continua en changeant de langue : « Alors, on veut conquérir l’univers et après on fait les timides. Votre nom et plus vite que ça sinon je vais vous apprendre à obéir a ma façon. »

Dyasella n’avait pas compris tous les mots avec lesquels il s’était adressé aux enfants mais déjà, le ton employé ne lui plaisait pas. Ca ne plaisait pas non plus à la gamine car elle répondit acérée « Tu sens mauvais » Dit-elle » avant de déblatérer un discours à toute vitesse.

Elle lui plaisait cette petite. Elle aussi, plus jeune, n’aurait pas hésitée à se défendre de la sorte.

« Attends de voir, je vais t’apprendre le respect moi, petite impertinente » Il voulut attraper la petite mais son ami se jeta entre eux pour la protéger, le menaçant d’une petite baguette pointue.

Pour toute réponse l’homme empoigna rudement le petit garçon, lui arrachant presque sa tunique pour révéler un tatouage sur l’épaule. « Pas n’importe qui » s’exclama-t-il « C’est un rejeton d’un marchand des domaines que vous avez ramené-là. Vous risquez gros Syhy c’est une des plus hautes noblesses, bien plus que votre grandeur à mon avis.

- Et bien mon petit, fini pour toi le luxe et les fêtes. Ici, tu n’es qu’un gosse en fugue qui a besoin d’une bonne fessée » dit quelqu’un du fond de la salle avant de vider son verre d’un trait. Celui qui tenait toujours Chiffre se mit à rire en secouant rudement le petit garçon. La petite fille se mit à hurler en voyant son ami si malmené et la Syhy se précipita pour s’interposer entre l’homme et le petit. « Ne le touchez pas » s’exclama-t-elle tandis qu’un autre avait empoigné la fillette lui faisant subir le même sort que son ami. Tandis qu’elle se débattait, la fibule de sa tunique lâcha, laissant tomber le tissu jusqu’à la taille. L’homme s’écarta d’un coup, soudain décomposé tandis que la Syhy recouvrait la petite de son manteau. Elle s’était mise à pleurer et Dyasella tenta de la calmer lui chuchotant quelques mots apaisants. Quelle idée avait-elle eu d’amener ces petits chez ces rustres ? D’un autre coté, elle n’avait pas eu d’autre choix. Elle aurait dû au moins attendre qu’ils dessaoulent. Si elle avait un autre choix. Le seul envisageable pour l’instant. Elle attrapa la petite dans ses bras qui se laissa faire sanglotant encore un peu. Umia, prenez le garçon, je les amène chez moi.

« Non » hurla celui toujours à terre, décomposée. « Elle reste ici. Prenez le garçon mais laissez la fille.

- Tu veux torcher du marmot » s’esclaffa un autre un peu plus loin, elle est trop jeune pour toi « laisse la Syhy s’occuper de ça, c’est elle qui les a ramené, qu’elle assume. »

Les autres approuvèrent en riant.

« Pas la petite, » s’exclama l’homme en se relevant, tremblant un peu. « C’est une gosse des Adarii. »

Le silence envahit la pièce. Dyasella s’était figée, les autres aussi.

« Que dis-tu ? » dit-elle d’une toute petite voix posant la gamine à terre.

Un homme toujours au bar se décida à prendre la parole, « il dit que tu as trouvé une motivation pour faire venir les Adarii mais pas pour renverser Synshy, juste pour te massacrer. »

Dyasella prit la petite par les épaules, s’agenouillant pour la regarder plus attentivement. Il faisait sombre dans la salle. Elle avait la peau de la couleur des habitants du désert et les cheveux sombres. Si elle avait un air exotique sur les Maÿcentres, rien ne la distinguait des autres habitants de Plume.

« Tu es une petite Adarii ?» demanda-t-elle reprenant la langue de la petite. Elle acquiesça de la tête et Dyasella comprit qu’elle n’était pas au bout de ses peines. Dire qu’elle pensait que ce ne pouvait être pire.

Un des hommes s’était approché pour parler à la petite d’un ton beaucoup plus respectueux. « Venez, vous n’avez rien à craindre, nous allons prendre soin de vous ». Elle arracha sa main de celle de l’homme.

« Ne me touche pas.

- On ne vous fera pas de mal.

- Je pense que vous lui avez déjà fait du mal. » Remarqua Dyasella

« Vous, la morte en suspend, on ne vous a pas causé.

- Je garderais ses enfants avec moi » s’exclama-t-elle.

« Une enfant Adarii chez une Syhy de Vengeance et puis quoi encore ?

- Parce qu’une enfant Adarii dans un trou des basses villes avec une bande de saoulards, c’est mieux sans doute ?

- Vous allez venir avec nous » dit un des hommes à la gamine.

« Parce que tu t’estimes en droit de me donner des ordres ! Tu m’as frappé ainsi que mon ami et insulté aussi, jamais je ne resterais avec toi, je préférerais mourir de froid dehors et, si je meurs, ma mère saura que c’est de ta faute. »

Dyasella sourit en comprenant à demi mot les propos de la petite. Avec une gamine pareille, elle avait au moins quelqu’un pour rabattre le caquet de ces abrutis. Elle avait perdu assez de temps avec ces bons à rien, les prochains jours seraient difficiles et ces enfants avaient besoin de repos. Elle s’empara de la fille, la soulevant dans ses bras, et sortit avec elle vérifiant qu’Umia suivait avec le garçon.

« Je les emmène chez moi, vous, vous rentrez chez vous » dit Dyasella après avoir vérifié que personne ne les suivait.

« Lâchez cette fille » dit Umia

- Sûrement pas, elle est terrorisée.

- Pauvre petite chose fragile » dit Umia avec ironie. Eloignez-vous d’elle, je ne tiens pas à ce qu’elle perçoive notre conversation.

- Elle ne comprend pas notre langue.

- Elle est télépathe, elle s’en fiche de la langue, collée contre vous ainsi, elle est suffisamment liée à vous pour nous comprendre et transmettre je ne sais quoi.

- Ce n’est qu’une enfant, elle a froid et elle est fatigué » dit Dyasella en décortiquant bien les mots pour qu’Umia cesse mais il ne l’écoutait plus. « Il faut réfléchir » disait-il « les Adarii viendront, nous pouvons en être sur. Reste à savoir quand ? Que penseraient-ils si nous gardons la fille avec nous ? Où nous serait-elle le plus utile ?

- Ce sont des enfants ! Vous en parlez comme d’une marchandise à stocker quelque part. La seule chose à faire pour l’instant est de les coucher dans un endroit chaud.

Terre : Arabie Saoudite

Thibault roula les documents avec la plus grande douceur et les remit dans leur écrin de plomb. Même parfaitement conservé, ils avaient tout de même près de huit mille ans et il respectait les livres et les écrits plus que les gens. Il revissa le couvercle, se tassa plus fortement contre la paroi rocheuse pour profiter d’un reste d’ombre et attrapa une bière dans la glacière près de lui. « Celui qui a inventé le désert, il était con » murmura-t-il entre se dents passant la bouteille fraîche contre sa joue avant de commencer à boire. Un point se mouvait à l’horizon. Malgré ses lunettes de soleil, il dût plisser les yeux et se concentrer pour être sur qu’il ne s’agisse pas d’un mirage.

« Le voila. »

Thibault contint son impatience. Il allait venir. Ce n’était pas la peine d’aller au devant de lui dans ce cagnard.

Le dromadaire s’arrêta près de la grotte. Un homme en descendit, vêtu comme les hommes du désert, d’une djellaba et d’un turban. Il aurait dû faire pareil. Son jean lui collait à la peau et le sable entrait partout. Il se força à se lever pour rejoindre le nouveau venu.

« Je cherche quelqu’un. Quelqu’un qui a des réponses et qui se nomme Réalité. ».

Pas de réponse. Il réitéra sa question dans plusieurs langues et sourit en surprenant une lueur de compréhension et une fragrance d’étonnement.

« Je m’appelle Thibault » continua-t-il dans la même langue. « Thibault Malta » ajouta-t-il en tendant la main au nouveau venu.

Ce dernier observa la main tendue, son regard s’arrêtant sur la petite pierre noire à son poignet et il croisa les bras, restant à bonne distance.

« Je m’appelle Cyril et nous cherchons la même chose » dit-il enfin sur la défensive.

Le rire de Thibault se propagea dans l’immensité déserte. Couvrant le souffle du shamal, ce vent brûlant des après-midi d’été. « Je pense qu’on va bien s’entendre toi et moi ».

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