mardi 8 janvier 2008

AP : 4. Réalité : Chapitre 6

6

Ce qui effraie le plus, ce n’est pas la réalité, mais ce qu’on imagine qu’elle cache.

[David Lynch]
Extrait du magazine Studio - Décembre 2001

Terre : France

« Quelle est cette grande nouvelle ? »

Mike était rentré dès qu’il avait eu le message d’Hélène : Mike rentre à la maison, j’ai une grande nouvelle, tout va s’arranger.

Il ne voulait pas se faire de faux espoirs. Ce pourrait-il qu’Accalmie soit revenu ?

Il franchit le seuil de chez lui imaginant déjà se trouver face à son fils mais c’est Hélène qui s’avançait brandissant un papier. Pour la première fois, elle souriait.

« LG ? C’est une lettre de LG ? » Demanda-t-il n’osant y croire.

Hélène se renfrogna. « Non » dit-elle son sourire évaporé.

« Je suis désolé. Quand tu m’as parlé de grande nouvelle, j’ai cru… Enfin, j’ai espéré que peut-être, il serait revenu.

- Bien sur que non, je te l’aurais dit, mais nous avons peut-être une opportunité d’aller le chercher.

- Comment ?

- Nous avons reçu un courrier du légat des Maÿcentres. Il transmet une invitation de la part du président Synshy aux anciens partenaires d’Archuleta à une réception chez lui.

- Tu veux dire que nous sommes invités sur les Maÿcentres.

- Exactement. N’est-ce pas formidable ? On va retrouver Lull !

- C’est un piège.

- Pardon ?

- Bon sang réfléchis, ça pue le piège à plein nez. Ces types m’ignorent depuis dix ans et d’un coup, nous serions invités sur les Maÿcentres ! Je connais leur façon de procéder. Ils ont eu Accalmie et ils ont besoin d’un moyen de pression pour le maintenir en leur pouvoir.

- C’est juste une invitation. Lull a dû se faire discret quelque part et il doit être terrifié et il attend qu’on vienne le chercher. Tu comptes sérieusement rester planquer ici sans rien tenter ?

- Bien sur que non, j’irai.

- Nous irons tu veux dire.

- Non, j’irai seul.

- C’est hors de question !

- Réfléchis Hélène, nous n’allons pas aller à deux nous jeter là-dedans. Tu ne connais pas leur langue, tu ne pourras rien faire là-bas. Tandis qu’ici, tu seras ma bouée de sauvetage.

- Que veux-tu dire ?

- Je suis sur qu’ils veulent me tenir comme moyen de pression. He bien, je jouerais le même jeu. S’ils tentent de me doubler, tu divulgues tout à la presse. Toutes les magouilles d’Archuleta, tu dis qu’ils ont enlevé notre fils et moi aussi. Tu dis tout, d’accord ?

- Comment veux-tu que je sache si ça tourne mal ?

- Par Thibault voyons

Plume : Cité de Tae : Taegaïan

Le mouvement des vagues, comme un doux murmure, avait quelque chose d’apaisant. Rafale aimait cette terrasse. Les serviteurs le savaient. Dès qu’ils avaient été informés de son arrivé ils avaient pris un soin particulier à l’aménager suivant ses goûts. Ce n’était pas tant son confort qui lui importait. Plutôt le calme. D’ici, nul vis-à-vis, seulement l’océan à perte de vue. Une servante était entrée. Elle avait posé un plateau dans le salon. Rafale avait entendu le cliquetis de la verrerie. Ensuite, elle était arrivée à la limite du balcon et elle attendait. Rafale aurait voulu pouvoir l’ignorer, la laisser attendre, lui faire croire qu’il n’avait pas senti sa présence. Il pourrait s’enfuir, les laisser se dépêtrer dans leurs tracasseries. Où pourrait-il aller ? Il y avait des coins magnifiques à Maniya près de l’endroit où il avait grandi. De grands espaces, avec personne.

Il soupira et s’adressa à la servante sans se retourner.

« Que veux-tu ?

- L’Adarii Eclaircie demande si il peut avoir l’honneur d’être reçu par l’Annunaki Rafale.

- Je sais Oui. Depuis quand se sert-il d’intermédiaire avant d’entrer ? »

La servante ne répondit pas. Il n’y avait rien à répondre.

Rafale repartit dans la contemplation des vagues, de l’écume blanche au milieu de reflets violets ou pourpres sur un fond rose. Quand il se décida à se retourner, Eclaircie était déjà là. Il s’était installé dans un des sofas, à l’ombre de la terrasse. Il avait pris au passage le plateau d’amuse gueule et s’était mis en devoir de l’entamer. Il n’eut pas le temps de commencer à parler, la servante s’approchait de nouveau.

Il n’y avait pas moyen d’être tranquille ici. « Quoi encore ? » s’exclama-t-il sans se préoccuper des sentiments de la servante qui recula de quelques pas.

« L’adarii Pluie…

- Fais-la entrer » coupa-t-il sans pouvoir dissimuler son agacement. Eclaircie, il le considérait comme son meilleur ami et déjà, même s’il se refusait à le montrer, il se serait bien passé de sa présence pour l’instant. Mais Pluie était déjà difficile à supporter en temps normal et depuis que sa fille était partie, elle était toujours sur les nerfs. Il la comprenait mais ce n’était pas en plaignant qu’elle ferait avancer les choses plus vite.

Rafale se décida à quitter la mer des yeux pour s’asseoir face à ses intrus. Il ne perdrait pas de temps à leur faire croire qu’il était ravi de leur présence, ce n’était pas vrai, il n’irait pas s’enquérir de banalité, il n’en avait cure. Il en vint de suite à la situation. « Nous avons repêché Réalité sur le point de se noyer.

- Décidemment, elle ne peut pas rester vivante une semaine toute seule. » Eclaircie considérait ce fait avec détachement, à croire qu’il trouvait ça drôle.

Pluie en rajouta : « Elle comptait sans doute rejoindre Cashir à la nage. Après avoir tester la déshydratation dans le désert, la noyade. La prochaine étape, c’est quoi ? S’embourber dans les marais d’Arkae ou se geler dans les montagnes ?

- Ce n’est pas drôle » reprit Rafale, « j’imagine plutôt qu’elle a tenté de mettre fin à ses jours.

- Formidable. On m’accuse de bousculer cette pauvre fille alors vous envoyez Eclaircie parce que soi-disant, il serait plus apte à s’occuper d’elle, et résultat, elle tente de se suicider. Félicitation Eclaircie ».

Rafale haussa la voix. « Pluie, tes considérations n’ont aucune utilité ici. » Il aperçut Eclaircie sourire de la façon dont il avait remit Pluie à sa place. Rafale ne pouvait le tolérer. Eclaircie avait beau être son ami, il était inadmissible qu’il pousse une fille au suicide. Surtout qu’il avait besoin d’elle. « Que lui as-tu fait » lui demanda-t-il.

Eclaircie et Pluie se calmèrent. Dans le lointain, ils crurent entendre le roulement du tonnerre et le ciel se couvrait dangereusement. Ils savaient que les colères de Rafale étaient rares mais suffisamment violentes pour déchaîner les éléments. Eclaircie reprit la parole. « Rafale, vous me connaissez, je n’ai rien fait. J’ai été calme, doux, gentil et j’ai répondu à toutes ses questions.

- Tu l’as séduite » résuma Pluie.

C’était reparti. Des gosses. Pluie devait avoir vingt six ans, Eclaircie dix-huit, du haut de ses quinze ans, Rafale se sentait le seul adulte ici.

« Pluie, tes insultes sont ridicules. Penses-tu sincèrement que l’Adarii Eclaircie s’abaisserait à séduire une fille du peuple, pire : des campagnes libres ? »

Contre toute attente, Pluie se mit à rire. « Sauf votre respect, jeune Annunaki Rafale, les multiples frasques d’Eclaircie à ce sujet ont du mal à rester secrètes. A quoi pensez-vous que lui sert la petite garçonnière qu’il a laissée à la disposition de Réalité ? »

Eclaircie ne se démonta pas. « C’est un endroit propice au calme et au repos de l’âme.

- Bien sur, quiconque te connaît, se doute que tu portes la méditation en intérêt principal. Personne n’ignore que tu emmènes des filles là-bas. »

Rafale était outré. « Est-ce vrai Eclaircie ?

- Annunaki, ne prenez pas ce ton excessif. J’admets apprécier certaines relations disons, un peu piquantes. Il n’y a pas là de quoi être si choqué. Je suis bien plus discret que Pluie voudrait le faire croire et il n’y a rien là que du très banal.

- Banal ! Tu parles de banalité ! Tu te mélanges avec des filles du peuple. C’est malsain.

« Mutine était entrée. Rafale avait à peine ressenti sa présence tant elle s’était fait discrète. Liée à Rafale, elle n’avait pas besoin d’autorisation pour entrer dans ses appartements et s’était contenté de se glisser sur le canapé à ses cotés sans un mot et par réflexe, il l’entoura de son bras.

Eclaircie tentait de se justifier. « Bien sur que c’est banal. Et Pluie a beau faire la morale, elle est issue d’une union malsaine comme vous dites.

- Eclaircie » hurla cette dernière, « je ne te permets pas »

Il la coupa pour continuer vers Rafale. « Votre père aussi que je sache appréciait les charmes de la Syhy des mondes extérieures. »

Rafale explosa et un éclair déchira le ciel. « Eclaircie, mettre en avant les défauts des autres ne pardonne nullement les tiens. Non seulement, tu as séduit Réalité mais ca l’a mis dans un tel état qu’on a failli la perdre. Jamais je n’aurais cru qu tu puisses agir aussi bêtement.

- Mais non » reprit-il en haussant les épaules. « Je ne lui ai fait aucun mal. Elle a deviné qu’on voulait se servir d’elle pour attirer son père. Je suppose qu’elle n’a pas supporté cette idée. Elle est assez instable. De toute façon, nous n’avons pas vraiment besoin d’elle. Tant que son père pense qu’elle est ici, il viendra. Ces gens sont si limités qu’elle pourrait mourir sans même que son père s’en rende compte.

- Joli la diplomatie » fit remarquer Pluie.

« Assez » hurla Rafale. « Dehors. Tous les deux. Je ne veux plus vous entendre.

- Et au sujet de Grésil ? » Fit remarquer Pluie.

« J’ai dit dehors. »

Eclaircie prit le bras de Pluie tandis qu’une violente bourrasque les poussait vers la sortie. « Ma cousine » lui dit-il « quand la rafale se déclenche, il vaut mieux se mettre à l’abri. »

Rafale soupira de contentement quand la porte fut enfin refermée. Il se laissa aller sur le sofa et Mutine se rapprocha pour lui masser la nuque. Il ferma les yeux tentant d’oublier ses soucis. Il était enfin tranquille, Mutine à ses cotés. Elle était douce et belle malgré son ventre qui s’arrondissait. Il aurait voulu pouvoir la garder encore jeune fille. Il n’était pas prêt à la voir devenir mère et encore moins prêt à devenir père. « Je vais encore devoir m’occuper de ça moi-même » soupira-t-il.

« T’occuper de quoi ?

- De Réalité. »

La belle Mutine se déplaça pour se retrouver sur ses genoux.

« Ne te fâche pas contre Eclaircie. Tu ne le changeras pas et j’adore ce petit coté séducteur dont il abuse. Quant à la fille, je m’en occuperais si tu veux.

- Toi ?

- Pourquoi pas ?

- Tu ne sais pas de quoi il s’agit.

- Je sais que c’est une pauvre fille déboussolée qu’on garde ici pour attirer son père dans un traquenard sans doute pour lui soutirer des informations qui ne me regardent pas.

- C’est bien résumé » dit Rafale en souriant.

« La confier à Eclaircie n’était pas judicieux en effet. Surtout si elle est jolie. Pluie est encore pire. Je crois que je peux faire mieux. J’ai son age. Plus jeune même, j’ai hérité des dons de Taïla. Oui, j’ai les mêmes dons qu’Eclaircie pour le verbiage. Je crois que je peux gagner sa confiance. Du moins, un minimum » ajouta-t-elle en souriant.

« Tu as une idée pour la garder en vie ?

- Quelques unes. En tout cas, je ne pourrais pas faire pire qu’Eclaircie ou Pluie

Terre : Nouveau Mexique

La voilà. Evidemment, elle était accompagnée. Il ne voulait pas la lâcher ce con. Thibault fit un écart pour rester invisible. Un taxi était arrivé. Deux solutions, soit elle partait seule. Soit…soit elle partait seul. Il n’allait pas traîner ce boulet longtemps. Elle avait mis ses lunettes de soleil en se retrouvant dehors. Il n’y avait pas à dire, elle était encore pas mal foutue mais il fut une époque où de telles peccadilles lui seraient passées par dessus la tête. Elle s’angoissait trop aujourd’hui. Elle avait allumé une cigarette et envoyait négligemment sa fumée sur l’homme qui ne la lâchait pas d’une semelle et qui se mit à tousser. Elle en ressentit une satisfaction démesurée puis disparut à l’arrière de la voiture.

Mauvais ça, il risquait de la perdre. Son compagnon se décida à la suivre. Ce n’était même pas la peine d’y penser. Il se retourna, attiré par le sifflement de Thibault, dis quelque chose, sans doute un truc du genre. « Je pense que je peux vous faire confiance et vous laisser partir seule cependant j’apprécierais que vous restiez dans le coin ».

Thibault se força à attendre qu’il s’éloigne et se précipita dans la voiture avant qu’elle ne démarre.

« Putain, arrête cette cigarette, c’est dégueulasse. Depuis quand tu fumes Hélène ?

- T’es un gros con Thibault »

Thibault fit des yeux l’inspection du taxi. Il s’agissait d’un modèle de luxe. Spacieux et confortable avec une vitre de séparation entre eux et le chauffeur. Ce dernier l’ouvrit et s’interrogea sur le changement de passager. Thibault lui dit que ça ne lui posait pas de problème et lui remit une adresse. La vitre se referma mais il ne put s’empêcher de se demander à quel point il pouvait parler en toute discrétion. Il en revint à Hélène qui fumait toujours. Elle n’avait pas eu le moindre signe d’étonnement à son approche. Elle devait avoir senti sa présence.

« Un gros con tu dis. Tu ne pourrais pas ajouter un truc du genre merci de m’avoir sortie de là mon preux chevalier servant ?

- Je ne te demanderais même pas depuis quand tu es capable de faire ce genre de chose et comment, parce que je m’en branle. »

Thibault sourit. Il avait l’impression de retrouver Hélène quinze ans plus tôt. Cette petite virée dans la base des Maÿcentres lui avait fait du bien. Elle s’était un peu décoincée. Il sentait bien qu’elle était sur le point de craquer. Elle continuait cependant d’un ton détaché.

« Te rends tu compte à quel point tu es con ? Dès que mon charmant garde du corps reprendra ses esprits, il comprendra qu’il s’est fait baiser. Il se demandera sûrement comment et comme il connaît beaucoup plus de choses que les gars d’ici, ses conclusions vont causer un tel foin que je vais me retrouver avec l’armée entière à mes trousses alors que j’étais sur le point de m’en débarrasser. Car bien sur, il en déduira que c’est moi la responsable »

La main d’Hélène tremblait sur sa cigarette. Elle avait vraiment peur même si elle dissimulait ses émotions.

« Ce n’est pas la première fois que j’use de ce type de stratagème et crois-moi, ils passeront toutes les solutions en vue et élimineront rapidement celle-là. D’où qu’ils viennent les hommes ont des œillères. L’idée que des hommes de la terre soient capable de les manipuler comme le ferait des Adarii leur est tellement insupportable qu’ils ne pourront ne fut-ce qu’y penser »

Hélène ne répondit pas. Elle était sceptique.

« Mike ? » demanda-t-elle les yeux tournés vers la ville qui défilait à l’extérieur.

« Aucun souci. Il est arrivé sur les Maÿcentres avec son père. Ils leur font des ronds jambes et les traitent comme des invités de marque. Du moins, pour l’instant. Ils leur débitent conneries sur conneries. Mike fait semblant de gober. Il a pris contact lors d’une réception avec un dénommé Paya, un ambassadeur du deuxième satellite de Vengeance.»

Hélène se contenta de hocher la tête sans tourner la tête mais on aurait dit qu’un poids de 100kilo venait de lâcher. Elle finit par soupirer de soulagement. Ce calme fut cependant de courte durée. Pas de nouvelle de mon fils ?

- Pas encore.

« C’est toi la cause de cette merde ?

Thibault s’offusqua « non, bien sur que non.

- Excuse moi de ne pas y croire. Tu passais sans doute dans le coin, par hasard ?

- Tu es parano Hélène. Et pour le hasard, ce n’est pas loin d’être le cas. Je cherchais quelqu’un. Un pote qu’ils ont embarqué et que je n’ai pas eu le temps de récupérer quand je t’ai vu sortir en charmante compagnie. Qu’est ce qu’ils t’ont dit ? »

Hélène haussa les épaules « je ne sais pas. Ils m’ont posé des dizaines de questions me répétant que ce n’était pas un interrogatoire et qu’évidemment je n’étais pas retenue prisonnière pourtant, ça y ressemblait.

- Des questions sur quoi ?

- Sur tout. Ma situation de famille, ma vie de ma naissance jusqu’à maintenant décortiquée à la seconde près. »

Elle finit par se retourner vers Thibault, toute son angoisse remontant d’un coup.

« Ils ont trouvé Lull n’est ce pas ? C’est évident. De lui, ils nous ont retrouvé Mike et moi. Ils ne tarderont pas à faire le rapprochement avec Espoir et j’ignore ce qu’ils feront de nous. Et Mike qui est parti là-bas ! »

Parce que c’est seulement maintenant qu’elle réalisait. Un peu lente Hélène. Toute cette angoisse était insupportable. Thibault tenta de la rassurer. « Ce n’est pas sur qu’ils aient mis la main sur ton fils » Il n’en pensait pas un mot. Bien sur qu’il avait mis la main sur cet idiot. « Il n’y a pas que toi ou Mike. Ils me recherchent aussi.

- Sans doute Lull a-t-il parlé de toi. » Cette conclusion ne faisait ni chaud ni froid à Hélène. Quitte à ce qu’ils se trouvent dans la merde autant que Thibault en prenne sa part

« Peut-être mais ce n’est pas tout. Ils recherchent aussi Marcus Substance. »

Hélène daigna sortir de sa petite bulle d’angoisse pour s’intéresser à la conversation. « Marcus ? Pourquoi ?

- Aucune idée.

- Tu avais parlé de lui à LG ?

- Non, jamais. J’ai peut-être évoqué son nom mais sans plus. Je ne l’ai pas vu depuis des années »

Thibault laissa à Hélène le temps d’enregistrer cette nouvelle information.

Hélène restait silencieuse. Sans doute passait-elle en revue tous ceux qui connaissaient le lien entre Thibault, Mike, Substance et elle-même.

« Emma » dit-elle dans un souffle.

Thibault approuva. Il avait eu le même raisonnement dès qu’on avait tenté de l’interpeller. Il avait tenté de joindre Emma, sans succès, puis comme Hélène était elle aussi injoignable il était passé chez elle. Sa voisine lui avait dit qu’elle l’avait vu partir avec des extraterrestres. Elle en était sure car elle avait reconnu la langue qu’ils parlaient entre eux. Elle disait cela comme si c’était follement existant. Pauvre folle. Le temps de fouiller la base, le tout sans se faire remarquer et tout en essayant d’en apprendre le plus possible autant sur Hélène que sur Cyril, on en arrivait à la situation actuelle. Pour Hélène, il avait eu de la chance, pour Cyril, il était arrivé trop tard, il avait été embarqué à destination des Maïcentres par des incultes incapables de comprendre sur quel trésor ils avaient mis la main. Hélène avait raison, il n’avait pas été très discret. Le plus possible mais ce ne serait peut-être pas suffisant.

« Ou va-t-on ? » dit Emma de sa voix toujours calme alors que ses mains tremblaient sur sa cigarette.

« A l’aéroport » Comme pour confirmer ses dires. La tour de contrôle se profila devant eux. Hélène fronça les sourcils « pourquoi ?

- Les hommes de la confédération avec leur beaux discours ont mis la main sur les systèmes informatiques les plus importants. Ils surveillent tout et contrôlent aussi pas mal de choses en sous main même s’ils ne l’avoueront jamais. Dès qu’ils s’apercevront de ta disparition, ils vérifieront que tu n’as pas quitté le pays. J’ai l’idée que, si nous arrivons à prendre un avion sans être enregistré, ils risquent de cantonner leurs recherches à la région.

Plume : Taegaïan

Les coups frappés contre la porte réveillèrent Réalité de sa torpeur. Elle jeta un œil à l’ombre du manguier se dessinant sur la falaise. « Pile à l’heure » murmura-t-elle tout haut. Depuis qu’elle était ici, elle avait pris l’habitude de parler tout seule. Bientôt, elle deviendrait sans doute comme ces vieilles femmes ayant perdu la raison qui déambulent les yeux vides, maugréant des discours incompréhensibles. La solitude conduisait à la folie disait-on en Cashir.

Elle se leva pour la seule distraction de sa journée. La servante de la villa Adarii qui venait lui apporter ses repas. Elle arrivait toujours à la même heure, ne lui adressait jamais la parole ou le moins possible. Réalité avait tenté de la faire parler au début puis, une fois qu’elle avait compris que cette cruche se contentait de suivre les ordres en lui apportant ce qu’elle désirait sans même se poser la moindre question, elle avait renoncé.

Réalité soupira et ouvrit la porte. Ce n’était pas la servante. Elle resta bouche bée devant cette apparition. Devant elle se tenait une adolescente, a peine plus de seize ans, son sari de soie lui découvrait une épaule et la moitié d’un sein. Des yeux roses sombres rehaussés de poussière d’or, de longs anneaux aux oreilles et plusieurs petits sur le lobe du nez, sa taille légèrement élargie sur un corps frêle et délicat. Elle souriait, d’un sourire espiègle, presque enfantin. Réalité ne le lui rendit pas. Elle se méfiait. Elle n’avait pas besoin de la connaître pour savoir ce qu’elle était. Elle était peut-être jeune mais elle faisait partie de ceux qui la maintenaient prisonnière. Elle avait beau frapper avant d’entrer, elle était sans doute aussi cruelle que les autres.

« Je m’appelle Mutine » dit la nouvelle venue entrant dans la maison tandis que Réalité s’écartait plus par crainte de sa proximité que pour la laisser entrer.

Elle posa sur la table basse quelques légumes et brochettes de viande et s’étira avant de s’asseoir dans un canapé.

« C’est joli ici » fit-elle remarquer. « Eclaircie a de bons goûts.

Réalité se méfia d’avantage. La visite de celui qui s’était présenté sous le nom d’Eclaircie était encore trop vivace en elle. Après son départ, elle avait vidé une bouteille entière d’alcool de rose pour tenter de s’en remettre, puis elle avait divaguée. Elle ne se souvenait plus vraiment ce qu’il s’était passé ensuite. Elle savait qu’elle avait pleuré puis pris la résolution que jamais personne ne se servirait d’elle.

Mutine parlait toujours. Elle disait qu’elle était passé par les marchés, qu’elle avait pris des mangues et divers légumes et s’était levé pour préparer le repas.

Réalité secoua la tête pour se remettre les idées en place.

« Ne te méfie pas ainsi, je ne suis pas venue pour t’empoisonner.

- Vous ne me ferez pas croire que vous êtes venue pour faire la cuisine. »

Elle se retourna vers elle, ses yeux brillants comme de connivence. « Pourquoi pas ? »

Réalité se détourna. Son regard lui faisait peur. Mutine pensa-t-elle. Elle a dit qu’elle s’appelait Mutine et sans doute porte-t-elle bien son nom.

« Je ne pense pas que les Adarii fassent la cuisine. »

A peine avait-elle dit cela que la jeune Mutine étouffa un cri. « Tu as sans doute raison » dit-elle levant vers elle un doigt ensanglanté. « Je me suis coupée. La dernière fois que j’ai tenu un couteau de cuisine, je devais avoir huit ans. J’étais toujours fourré dans les cuisines de la villa de Taïla. Les cuisinières m’ont appris quelques trucs mais il y a bien longtemps que j’ai autre choses à faire que de m’occuper de ce genre de tache.

- Pourquoi êtes-vous venue ? »

L’Adarii ne répondit pas. Elle semblait ailleurs, concentrée dans quelque chose qui la dépassait remuant à peine les lèvres, effleurant d’une main la coupure de son doigt qui se refermait déjà. »

Réalité l’observait médusée. Elle sourit de nouveau. Ma mère est de Maniya. J’ai hérité de certains dons de guérisseuse même si je ne suis pas instruite de cet art. Sans doute irais-je à Maniya un jour. Mais, plus tard. La cuisine n’est pas mon fort, laissons cela. Tu t’en occuperas demain. La nuit tombe. As-tu déjà profité des charmes du marché de nuit de la cité de Taé ?

Maÿcentres : Colline du conseil

Accalmie s’assit d’un bon sur la couverture qui lui servait de lit. Un bruit l’avait réveillé. Il ouvrit les yeux dans cette obscurité qui était son quotidien mais tout était calme. Sans doute un rêve. Il se recoucha, trop faible pour faire autre chose mais une lueur attira son attention. Un rai de lumière sous la porte. Pour ses yeux habitués à une obscurité totale, c’était comme un phare. De nouveau, un bruit. La porte tremblait. Un choc, une chaîne brisée qui tombait à terre et la porte s’ouvrit à la volée dans un ouragan puis, plus rien. L’obscurité était revenue mais la porte était ouverte. Accalmie se leva en chancelant et tâtonna vers la porte ouverte. La lumière apparut soudain, telle une petite luciole suspendue dans les airs, s’intensifiant doucement révélant l’ombre d’une petite fille de sept ou huit ans.

« Chut » fit-elle un doigt sur les lèvres avant de faire demi-tour.

Accalmie tentait de suivre tant bien que mal la lueur qui émanait directement des mains de la gamine, passa un escalier et se retrouva dehors. Le froid mordant de la nuit le prit d’assaut mais il se força à avancer. La petite n’allait pas vite mais il était très faible et s’essouffla rapidement. Ils traversèrent un jardin jusqu’à plusieurs hommes en faction devant la porte. Accalmie se tassa dans les buissons et la petite fit demi-tour et le prit par la main. Il se dégagea. « Les gardes ne me laisseront pas passer » dit-il.

La petite le regarda et lui reprit la main. Il sentait ses pensées. Il pouvait avoir confiance en elle. Grésil comprit-il. Il se sentait prêt à tomber mais la petite le tirait et il la suivit plus capable de réfléchir. Ils passèrent entre les gardes, aucun ne sembla faire attention à eux ni même les voir et enfin, il fut dehors. Il tomba à genou. Ses jambes flageolantes ne le portaient plus. La petite lui dit de se relever. Elle parlait une langue qu’il ne connaissait pas mais il la comprit. Il tenta de se remettre debout mais n’avait pas suffisamment de force pour s’échapper. Quelqu’un les interpella dans l’ombre. Il réunit ces dernières énergies pour l’empêcher de les rejoindre. « Laisse le » lui transmit Grésil « c’est Miroir ». De tout façon, il n’avait plus assez de force et fut obliger de s’appuyer contre le mur. Il s’en suivit une conversation houleuse entre la fille et l’homme qui les avait rejoints. Accalmie respirait profondément. Il manquait s’évanouir. L’homme se décida à approcher, hésita, lui dit quelques mots qu’il ne comprit pas et lui prit le bras autour de ses épaules pour le soutenir et le forcer à avancer. Accalmie sentit son incompréhension et la haine qu’il portait contre les Maÿcentres. Tout le monde saura pensait-il. La tête d’Accalmie tournait et le noir l’envahit.

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