jeudi 10 janvier 2008

AP : 4. Réalité : Chapitre 11

11

L'imaginaire porte en lui un mépris de la réalité.

[Bruno Tessarech]
La Machine à écrire

Plume : Taegaïan

Réalité n’était pas sortie depuis deux jours. Elle avait appris que les Adarii comptaient aller sur les Maÿcentres. Ils ne lui en avaient pas parlé, bien entendu. Même Mutine, qui se disait son amie, ne lui avait rien dit. Il fallait qu’elle parte avec eux. Evidemment, ce n’était pas la peine de leur demander, ils n’accepteraient jamais, ils prenaient soin de la garder ici, en leur pouvoir. Ses réflexions s’interrompirent un instant. Quelqu’un tentait d’ouvrir sa porte d’entrée. Elle l’avait coincée avec un fauteuil, elle ne supportait pas qu’on s’introduise ainsi chez elle. Peut-être que personne ici ne considérait qu’elle était chez elle mais puisqu’on lui avait imposé de vivre ici, alors, qu’on respecte son intimité. La personne derrière la porte n’avait qu’à frapper, ou appeler pour lui demander l’autorisation d’entrer. Le fauteuil glissa, comme poussé par une force invisible, et Eclaircie entra dans la pièce.

Logique, c’était trop simple de penser gagner si facilement. Réalité ne se démonta pas. Elle respira un bon coup et croisa les bras devant elle. Tous ses meubles pouvaient voler à travers la pièce, elle ne s’affolerait pas. Il l’avait déjà trainé jusqu’au cœur de la villa Adarii, maintenant, elle avait suffisamment tremblé. Il baissa ses grands yeux vers elle mais elle n’attendit pas qu’il parle. Elle était chez elle, elle entamerait la conversation. « Je sais que vous comptez partir sur les Maÿcentres. »

Eclaircie ne s’étonna pas. De toute façon, rien ne pouvait les étonner. Il se contenta d’acquiescer.

« Vous partez récupérer les enfants ?

- En effet.

- Et votre villa sur les Maÿcentres ?

- Sans doute aussi.

- Dès que vous repartirez ils vous la reprendront.

- Nous verrons.

- Et mon père ?

- Nous craignons qu’il soit sur Terre mais si nous le pouvons, nous le récupérerons aussi.

- Et toi, tu y vas ? » Elle avait délibérément utilisé un mode familier avec lui, comme parlait les gens du peuple entre eux. Sans doute par pure bravade.

« Non ».

Le voir répondre si facilement à ses questions la calma quelque peu.

« Je veux y aller

- Non » dit-il d’un ton catégorique.

« Et pourquoi pas ? Je connais les Maÿcentres. J’y ai des relations, des compagnons qui doivent s’inquiéter de mon sort. Je peux vous trouver de l’aide sur place.

« Les Adarii n’ont pas besoin d’aide.

- Je veux y aller »

Il sembla quitter son air supérieur et soupira comme un être humain normal « C’est trop dangereux. Nous ne pourrions pas te protéger ».

C’était la plus mauvaise excuse qu’elle pouvait imaginer mais, dans un sens, ça lui faisait plaisir.

« Bien sur parce que ma protection vous inquiète. C’est vrai que vous voulez me garder ici et en vie. Un otage mort ou perdu sur les Maÿcentres n’a plus aucun intérêt. C’est cela n’est ce pas ? »

Eclaircie sembla hésiter. Il se passa la langue sur les lèvres, comme perdu loin d’ici, avant de se tourner vers elle.

« Je ne veux pas que tu partes là bas. Je sais que, si tu y vas, tu ne reviendras pas. Sans doute resteras-tu avec tes amis, jusqu’à trouver une opportunité de rentrer en Cashir qui risque de ne pas arriver ».

Réalité n’avait pas réfléchi jusque là. Probablement avait-il raison. Elle était moins sûre d’avoir envie d’y aller soudain. La vie qu’elle avait pu avoir sur les Maÿcentres ne lui avait rien apporté. Malgré la situation inconfortable dans laquelle elle se trouvait, elle était bien ici. Mutine lui disait que, quand tout serait fini, elle devrait rester, qu’elle pourrait servir d’intermédiaire entre Cashir et leurs territoires. Cette perspective l’attirait. Si elle fuyait, elle perdrait beaucoup. Elle avait du mal à réfléchir posément.

Eclaircie s’était rapproché d’elle ce qui n’était pas pour l’aider. Son cœur recommençait à battre plus fort.

« Je ne veux pas que tu partes là-bas » répéta-t-il. « Je veux te garder pour moi»

Il était si proche qu’elle sentait son odeur envoutante, ses yeux clairs qui la transperçaient. Elle leva la tête vers lui. Il l’effleurait de ses bras, si près, toujours plus près. Il lui disait qu’elle était belle, qu’il avait besoin d’elle, sa voix était comme une mélodie qui l’hypnotisait. Elle sentit une caresse le long de son bras, si douce. Dans un reste de conscience, elle se recula.

« Ne me touchez pas » hurla-t-elle.

Réalité se mit à trembler, elle avait les larmes aux yeux. Elle devait lui résister, jamais il ne devait l’approcher, il était dangereux. Elle ne devait pas lui faire confiance. Elle devait lutter contre l’attraction qu’il produisait sur elle. A chaque fois qu’elle le voyait, c’était plus dur. Chaque parole, chacun de ses gestes, tout la poussait vers lui.

« Va-t-en » murmura-t-elle dans un sanglot. « Je ne veux plus te voir. Je ne veux pas. »

Il ne s’écarta pas mais hésita et son image parut se fondre avant de disparaître, comme s’il n’avait jamais été là.

Réalité n’était pas dupe. Elle sentait encore sa présence, le souffle chaud de son haleine, et l’odeur de son corps. Il dissimulait juste son corps à ses perceptions mais il était toujours là. Elle approcha la main devant elle, doucement, comme elle se serait approchée d’une flamme. Elle devait reculer, elle le savait. Elle ferma les yeux afin que sa vue ne la trouble plus, se concentrant sur ses autres sens pour percevoir sa présence mais ne rencontra que le vide

Plume : Taegaïan

Mutine était dans une rage folle. Elle avait horreur que tout ne marche pas suivant son bon vouloir.

« Laisse le » soupira Rafale. En ce qui le concernait, il avait toujours pensé que le plan de Mutine était une très mauvaise idée. Il n’allait pas en faire toute une histoire si ça ne marchait pas.

« Je n’ai pas besoin de le lâcher, c’est lui qui est parti.

- Eclaircie t’a jeté hors de ses pensées ! » En rajouter ne serait pas pour calmer Mutine, mais c’était trop drôle.

« Je t’avais dit que ça ne marcherait pas, Réalité est trop méfiante. »

Mutine traversa les quelques mètres pour venir s’asseoir à cheval sur les genoux du père de son fils.

Tu sous-estimes le charme d’Eclaircie. Bien sur que si, il a réussi. Mais moi, j’ai sous estimé sa bêtise. Au moment où il allait l’avoir, il est parti. Elle était là, prête à s’offrir à lui, et lui, il est parti. Tu peux y croire toi ? »

Rafale poussa délicatement Mutine un peu plus loin. « Pourquoi ? »

Elle n’eut pas le temps de répondre, Eclaircie entrait en trombe claquant violement la porte du salon des appartements de Taïla derrière lui.

« Mutine » hurla-t-il « Je ne veux plus que tu t’immisces dans mes pensées quand je suis avec une autre fille. »

La jeune fille reprit son sourire enjôleur, masquant subitement la colère qui l’avait submergée quelques secondes auparavant. « Une autre fille, tout de suite les grands mots,. Pourquoi es-tu parti ?

- Ca ne te regarde pas.

- Allez, elle était à tes pieds, pourquoi avoir agi aussi bêtement ?

- Peut-être juste parce que tu m’espionnais

- il ne s’agissait que de Réalité

- Parce que tu ne peux pas considérer que c’est une fille ?

- Si bien sur, je l’aime bien d’ailleurs, elle est gentille mais bon.

- Mutine, ne compte plus sur moi. »

Il claqua la porte aussi fort en sortant qu’il ne l’avait fait en entrant. Mutine fixa un instant la sortie avant d’en revenir à Rafale. « Mais, qu’est ce qui lui prend ? » lança-t-elle soudain.

Rafale ne répondit pas. Ca lui paraissait évident. Eclaircie avait voulu séduire Réalité mais cette pauvre petite chose fragile avait eu le dessus. C’était lui qui avait succombé à son charme. Il l’avait dit que ca finirait mal. Il y avait une distance à ne pas franchir avec le peuple. Enfin, Mutine s’occuperait de Réalité renforçant subtilement son conditionnement par ses gentillesses. Il fallait avouer que c’était un peu pervers mais efficace. Il n’y avait pas besoin d’en rajouter.

« Non » dit-elle.

« Non quoi ?

- Non je ne ferais rien car je m’en tiendrais au plan prévu »

Rafale soupira. Le plan dont elle parlait était eu une idée qu’il avait eu il y a bien longtemps et dans un élan de faiblesse, il lui en avait parlé car il n’y avait qu’en elle qu’il avait vraiment confiance mais c’était une mauvaise idée. Bien trop dangereuse. Jamais il ne laisserait Mutine faire ca. Surtout depuis qu’elle avait le bébé.

« Ce mioche, je ne suis même pas capable de l’allaiter et je suis en pleine forme je te remercie »

Rafale ignora ces paroles crues. Il savait qu’elle avait été très vexée de ne pouvoir allaiter son enfant et de devoir trouver une nourrice et ce n’était surement pas une raison suffisante pour mettre sa vie en danger pour des broutilles. Elle partie en claquant la porte. Elle ne supportait pas les élans de compassion que pouvaient ressentir Rafale envers elle.

Terre : Crête

« C’est ca qu’il me faut » dit Thibault désignant la petite navette qui avait atterri sur la piste d’hélicoptère devant la villa de Substance. « Ca se pose partout, c’est très pratique. Ou alors une machine à se téléporter comme dans star trek.

- Je ne veux pas qu’ils te voient ici. C’est clair ? »

Oui, ça l’était. De toute façon, avec Marcus, depuis qu’il l’avait ramené, il avait deux sortes de discours : ceux commençant par « je veux que tu… » et ceux commençant par « je ne veux pas que tu… »

« Où est Nana ?

- Au village en bas ».

Le regard de Substance était éloquent. Il voulait dire Thibault tiens-toi tranquille, ne te fais pas remarquer. Au cas où le message verbal n’aurait pas suffit.

Thibault l’ignora reportant son regard sur les deux personnes qui se dirigeaient vers eux. C’était trop tard pour se cacher. Il en était plutôt satisfait. Il se retourna vers Marcus mais ce dernier avait disparu. Il n’eut pas le temps de se poser de questions, les deux visiteurs s’engageaient sur la terrasse. Le regard du premier s’arrondit. « Monsieur Malta » s’exclama-t-il.

Ca avait quelque chose de grisant d’être reconnu. Il se sentait comme une star. Sans doute avaient-ils dû se croiser dans la base mais il ne se souvenait pas du tout de lui.

« Non » répondit-il appuyant sa réponse par suggestion mentale. « Je ne suis pas Thibault Malta ». La puissance illimitée, encore mieux que dans un film.

En face de lui, ses interlocuteurs hésitaient. Ils finirent par acquiescer. Nous cherchons « Marcus Substance.

- Pas là.

- Ou est il ?

- Un colloque en chine depuis une semaine.

- Mais il habite ici ?

Thibault hésita.

« Tout à fait ». Répondit-il.

- Quand revient-il ?

- Sans doute dans une semaine ou deux.

- Bien, nous reviendrons

L’hélicoptère reprit de l’altitude. Thibault fit le tour de la maison afin de les voir s’en aller.

« Ils reviendront et ils trouveront étrange d’avoir rebroussé chemin. Tu n’as pas été subtil. »

Thibault ne prit pas la peine de se retourner pour faire face à Substance. Il reprit sa place sur la terrasse et se servit un autre verre en souriant.

« Ce n’est pas un jeu ». Marcus fronça les sourcils et attrapa un sac à dos. « Je m’en vais » dit-il.

- Où ?

- Ca ne te regarde pas.

- Emmenez-moi.

- Surement pas.

- Je dois retrouver Accalmie. » Une façon discrète de dire : je dois aller sur les Maÿcentres et j’aimerais profiter d’un voyage rapide sans passer par un endroit dépourvu d’air et de pesanteur. Thibault se fichait éperdument d’Accalmie. Ou plutôt, il avait trouvé mieux en la personne de Cyril et comme ce dernier devait lui aussi se trouver sur les Maÿcentres...

Substance daigna se retourner. « Le fils d’Espoir ?

- lui même Il a voulu jouer les caïds, il s’est enfui sur les Maÿcentres.

- Je sais » Marcus lui jeta son éternel regard voulant dire : je sais que c’est de ta faute. Substance était toujours au courant de tout. C’était pénible. Laissez-moi vous accompagner. » Il ne répondit pas, murmurait quelques mots d’une ancienne langue mésopotamienne et disparut.

« Et merde » s’exclama Thibault

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