vendredi 11 janvier 2008

AP : 4. Plaisir : Chapitre 4

4

L’homme n’a pas pour but le plaisir, mais la connaissance

Swami Vivekananda

Maÿcentres : Colline du conseil


Dyasella entendait Accalmie qui lui parlait. Elle aurait sans doute pu répondre, mais préféra l’ignorer. Elle se recroquevilla encore plus sur son siège tandis que la tempête reprenait à l’extérieur.

La porte s’ouvrit à la volée. Umia entra dans la pièce. Il fit le tour de la salle d’un regard. Porta d’abord son attention sur Accalmie. Il s’était approché d’elle. Beaucoup trop près à son goût. Il lui demandait si ça allait. Bien sur que non, ça n’allait pas. Ils venaient de se faire tous agresser et la colline était soumise à une tempête démoniaque comment ça aurait pu aller ? Umia se tourna ensuite vers Mike qui, encore assis dans un coin, se soutenant la tête.

« Mike ! » s’exclama-t-il.

Au moins il le connaissait. Sans doute pourrait-il lui dire d’où venait ce phénomène qui avait réussi à tenir tête aux Adarii pendant au moins cinq minutes.

« Que se passe-t-il ? »

Umia s’était adressé à Dyasella comme si elle était en état de parler. C’est vrai qu’elle se laissait trop aller. Elle respira profondément. Ce sont les Adarii. Ils prennent possession de la colline.

Umia eut un geste qu’elle interpréta presque comme de l’assentiment et il osa même se permettre un sourire. « C’est la débâcle. J’ai réussi à prendre la funiculaire durant l’accalmie. Les gardes ont fui. Mais j’ai cru ne jamais arriver en haut. La tempête a repris à mi-chemin. Que comptent-ils faire ? »

Dyasella avait des difficultés à suivre les propos d’Umia qui passait d’un sujet à l’autre. Elle comprit qu’il avait repris sur les Adarii. « Je crois qu’ils comptaient reprendre la villa.

- Logique » répliqua Umia. « La prendre, c’est facile, la garder c’est plus dur. Synshy enverra une armée pour s’en débarrasser. Miroir a monté une véritable révolution contre Synshy dans les basses villes. »

Dyasella sentit tous les regards portaient sur elle. Il ne restait qu’un détail : Choisir son camps.

Umia n’avait sans doute pas perçu à quel point elle était désorientée. Il se frottait les mains. « Nous allons en profiter » dit-il avant de se tourner vers Accalmie. Il hésita à poursuivre. Il avait raison. Il reprit pourtant. « Ils auront besoin de renforts, donnez moi votre carte d’accès pour le funiculaire »

Maÿcentres : Colline du conseil

Jade s’agrippa au chambranle de la porte tandis qu’une nouvelle secousse faisait trembler la terre. Elle était plus forte que la précédente. Il observa le ciel devenu noir. Les nuages s’amoncelaient en tourbillon. Ce n’était que les prémices de ce qui les attendait. Il craignait pour les vitres. A chaque secousse, il les imaginait s’éparpiller en mille petits rasoirs. Déjà, elles vibraient sous les roulements de tonnerre. Il profita d’une légère accalmie pour progresser jusqu’au salon d’accueil. Pluie était assise sur un sofa. Elle laissa échapper un juron lorsque quelques gouttes de thé se renversèrent sur ses jambes et reposa son verre en marmonnant. Jade lui tendit un mouchoir et se colla contre le mur tandis qu’un nouveau coup de tonnerre déchirait ses tympans Les vitres vibrèrent de plus belle et, par réflexe, il se protégea les yeux.

« Elles sont solides » précisa Pluie en désignant les fenêtres du menton. Les matériaux des Maÿcentres paraissent fragiles mais ce n’est qu’une apparence. Ces vitres sont plus résistantes que celles qu’on fabrique et, même brisées, elles ne coupent pas. De toute façon, il rien ne coupe correctement ici.

- Plus résistantes que Rafale ? »

Pas de réponse. L’attention de Pluie était concentrée sur son verre qui s’était renversé. Elle soupira, comme envahie par un ennui profond.

« Il faut faire quelque chose !

- Fais, fais » marmonna Pluie dénuée de tout intérêt. Maintenant qu’elle avait retrouvé sa fille, elle était beaucoup plus calme. Trop même, vu les circonstances. Cette petite égocentrique pourrait essayer de se soucier d’autre chose que sa petite personne, au moins durant quelques minutes.

« Qu’est-ce qui se passe encore ? » Jade fixait le ciel qui s’était paré de couleurs chatoyantes avant d’exploser littéralement en une pluie cinglante entrecoupée d’éclair.

« A toi de me le dire. » Oui, c’était louche aussi de voir Pluie si calme. Elle n’était pas dupe.

« Très bien ». Jade se traîna jusqu'à un fauteuil. « Je crache le morceau ». Rafale avait concocté un plan pour récupérer les écrits d’Onirique sur Terre. L’idée était que, pendant qu’on les occupait ici, il serait possible de faire passer un jet monoplace dans notre sillage qui bifurquerait sur la Terre.

« Et c’est Mutine qui s’y est collée.

- Oui, elle s’est portée volontaire. Enfin pas tout à fait. Rafale lui en avait parlé et puis il est revenu sur sa décision car il ne voulait pas l’exposer mais elle est partie quand même en prenant le jet que Tiyana avait récupéré et le tout sans la moindre autorisation.

- Vous avez envoyé une gamine ignorante sur Terre ! Et personne n’a cru bon de m’en informer.

« Ignorante, tu exagères, Mutine est futée et en plus très puissante.

- Et elle a survécu moins d’une journée sur Terre. Futée en effet.

- Arrête tes sarcasmes. De toute façon, Rafale était revenu sur cette décision, elle n’a pas écouté et une fois partie, Rafale a été obligé de la laisser faire. »

Une nouvelle rafale arracha un des arbres du parc puis le vent disparut. Le silence reprit ses droits.

« On dirait que ça se calme » remarqua Jade. « Il a du reprendre son contrôle. »

Pluie acquiesça, fixa son verre renversé sur la table basse puis explosa d’un coup : « Et vous osiez prétendre, tous autant que vous êtes, que je n’aurais pas dû venir, que j’étais incompétente et qu’on ne pouvait me faire confiance ! Alors, on ne dit rien à Pluie, on la tolère par obligation. Pluie n’est bonne qu’à se plaindre, laissez plutôt faire le puissant Rafale et la petite vicieuse de Mutine. Ce ne sont que des gosses, mais sans doute sont-ils plus matures. Elle est belle la maturité. Un beau gâchis oui. Et pour une fois, personne ne pourra m’accuser d’y être pour quelque chose. »

Pourquoi fallait-elle qu’elle en rajoute. A croire que ce n’était pas assez dur d’avoir perdu Mutine.

Jade allait lui assener ses quatre vérités mais stoppa net sentant un nouveau problème. « Ambre » s’exclame-t-il en même temps que Pluie. Il tenta de contacter Ambre, sans succès. Pluie s’était tue, sans doute faisait-elle de même. Un courant d’air glacé traversa le salon tandis que la porte s’ouvrait à la volée, et Ambre entra en chancelant, il s’avança jusqu’au canapé de Pluie et s’écrasa dans ses bras.

Cette dernière ouvrit des grands yeux, fixa Jade comme s’il avait réponse à tout mais il se contenta de hausser les épaules, ignorant.

Ambre reprit ses esprits peu à peu.

« Pourquoi as-tu quitté le vaisseau ? »

Ambre se frotta le visage. « Nous n’avons plus de vaisseau.

- Quoi » s’exclama Jade « Les Maÿcentres ont riposté malgré la tempête !

- Comme tu peux être naïf Jade » soupira Pluie, le plus tranquillement du monde. C’est Rafale qui l’a pris, bien entendu. Pour se rendre sur Terre venger Mutine. »

Ambre acquiesça. « J’ignore ce qu’il m’a fait, je me suis retrouvé expulsé hors du vaisseau. Quand j’ai repris connaissance, j’étais devant les grilles de la villa.

- C’est de la folie » s’exclama Jade. Comment un plan, pourtant bien préparé, qui aurait dû être une simple balade d’agrément, avait pu tourner aussi mal. « Il faut l’arrêter ! »

Pluie avait retrouvé sa sérénité : « Comment comptes-tu t’y prendre ? »

Jade réfléchit mais plus il réfléchissait plus il prenait conscience du désastre : Mutine avait été tuée. Apparemment par une puissance incroyable auquel il ne comprenait rien. Rafale était parti, il avait perdu la tête et était capable de tout dévaster sur son passage. Lui était coincé ici. Ils n’avaient plus de vaisseaux et maintenant que la tempête s’était dissipée la riposte des Maÿcentres ne tarderait sans doute pas et Tempête ! « Où est Tempête ?

- Elle a embarqué avec Rafale » dit Pluie comme si elle se cantonnait à transmettre un renseignement anodin.

Non, ça ne lui plaisait pas. C’était dangereux tout ça. Mais tout haut il se contenta de remarquer que Tempête pourrait peut être calmer Rafale.

Pluie pouffa et se leva. « On peut toujours rêver ». Elle disparut par la porte laissée ouverte.

« Où vas-tu ? » s’exclama Jade. La panique commençait à le submerger. Plus de Rafale, plus de Tempête. Restait Ambre, encore à moitié sonné, Pluie qui avait de belles capacités, mais si portée sur sa petite personne qu’on ne pouvait pas lui faire confiance. C’était encore en la jeune Grésil qu’il avait le plus confiance.

Pluie se retourna. « Je vais me chercher un autre thé. Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, celui que je buvais s’est renversé. »

Terre : Arabie Saoudite

Ninhoursha, les Sumériens voyaient en elle la divine mère, créatrice de la plupart des divinités. Sous d’autres noms ils parlaient d’elle comme l’épouse d’Enki mais aussi de son frère Enlil. Sous le nom d’Innana, c’était la déesse de l’amour mais aussi de la guerre.

Imaginons qu’un Dieu quel qu’il soit ait réellement crée la Terre, les animaux, les hommes, bref, tout ce qui fait le monde. Un dieu, des dieux ou n’importe quelle puissance qu’un peuple primitif ne peut saisir. Au fond ça n’a guère d’importance. Mais, si nous partons du principe que notre monde a été crée et qu’on imagine par ailleurs que ce ou ses immortels créateurs étaient dérangés du ciboulo, d’un coup, nous comprenons mieux pourquoi le monde va si mal. Toutes les injustices s’expliquent avec la thèse toute simple : Dieu est un malade mental.

Thibault alluma la télévision. Zappa sur quelques chaînes avant d’éteindre. De toute façon, il n’entendrait rien.

Ninoursha arpentait toujours la pièce, parlant toute seule, tour à tour survoltée, maudissant l’univers entier et plus particulièrement Enki qui l’avait abusée, pour ensuite taper du poing répétant inlassablement qu’elle aurait dû le deviner pour grincer des dents avec un rictus sadique décrivant avec soin les tortures qu’elle pourrait infliger à sa protégée Anngaal si cette dernière avait pu être encore en vie. La liste de ses cibles s’allongeait ainsi indéfiniment. Thibault n’y prêtait plus attention. Au début, il avait tenté de découvrir de nouvelles informations. Enki, elle savait que c’est l’homme qu’il connaissait sous le pseudo de Marcus Substance. Il avait toujours eu beaucoup d’amitié pour ce vieil homme. Plus même, du respect. C’était même le seul homme pour lequel il ait pu ressentir un tel sentiment. Après tout, il lui avait servi de père. Quand il y réfléchissait, il avait été quasiment élevé par un Dieu. Ou quelqu’un s’étant fait passer comme tel pendant quelques siècles. Marcus était quelqu’un de bien, mais objectivement, lui aussi était siphonné. A vivre comme un reclus dans sa forteresse. Peut-être est-ce là le résultat d’une trop longue existence.. Sil lui aussi avait une part d’ascendance Néfilim, cela voulait-il dire qu’il était immortel ? Ce serait trop beau. Et destiné à devenir fou ? Perspective malheureusement probable s’il restait en compagnie de Ninoursha.

Ninoursha était partie dans un nouveau rire hystérique. Elle parlait toute seule comme si elle avait l’Annunaki, dont parlait Mutine, en face d’elle. « Oui, c’est ça, viens, viens à moi. Je t’attends. Tu vas payer pour tous les autres. Non » dit-elle se reculant soudain « peut être pas. Je pourrais te prendre comme apprenti. A nous deux, nous pourrions devenir les nouveaux maîtres du monde. » Nouveaux rictus sadique. « A moins que je ne t’étripe avant. A voir, Je dois réfléchir. De nombreuses perspectives s’offrent à moi. »

Thibaut se laissa tomber sur le lit en soupirant. Complètement folle pensa-t-il.

Ninhoursa se tourna vers lui telle une furie démentielle. « N’y pense même pas » hurla-t-elle sans qu’il sache à quoi elle faisait allusion. Elle s’approcha d’avantage l’obligeant à s’asseoir. « Mais au fond, Thibault, qui es tu ? »

La question le prit de court. Il ne voyait pas quoi répondre. Elle aurait été capable d’oublier jusqu’à son nom. « C’est moi, Thibault Malta ».

Elle le lâcha d’un coup et il retomba sur le lit. Ok, il était temps d’envisager une fuite stratégique, très loin d’ici. Elle continuait à gesticuler, se parlant à elle-même, commençant à réfléchir sur un sujet glissant : pourquoi Thibaut était-il chez Marcus et d’où lui venait ses pouvoirs ? « Malta, Malta, Maltaa. Oui, non. A moins que… Enlil m’avait prévenu mais je ne l’avais pas cru. Pas après tout ce temps. Il les a tué. Mais est ce bien sur ? Trop sur de lui, fini jamais ce qu’il fait. Non trop longtemps. Mais quoi alors ? Trop long, trop de temps, de temps. » Elle s’arrêta soudain, vira au rouge et se mit à hurler le poing levé. « Sempiternelle. Espèce de garce, c’est toi n’est-ce pas ? Ne répond pas, je le sais déjà. Tu as comploté avec Enki. Bien sur, ce ne peut être que ça. Tu as enlevé Maltaa dans le temps avant de la régurgiter, avec son polichinelle dans le tiroir. » Elle se remit à marmonner dans une dizaine de langues différente. « Elle n’avait pas qu’un gosse, elle en avait plusieurs. Chienne, seul les chiens font plusieurs rejetons à la fois et Thibault est un de ses descendants, et il y en a peut-être d’autres. Evidemment. Bloqué dans le temps. Ils ont du être libéré voila quoi ? Soixante ans tout au plus. Les disciples d’Enlil ont tenté de les supprimer bien sur mais Enki a caché les rejetons. » Elle se remit à vociférer dans sa langue natale. Thibault en avait entendu suffisamment. La folle avait retracé son histoire tel que Cyril le lui avait contée. Les relations entre son ancêtre Aangaal et Plaisir ne semblaient pas être les meilleures et ça risquait de lui retomber dessus. Il était plus que temps d’élaborer une retraite stratégique.

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