samedi 12 janvier 2008

AP : 5. Plaisir : Chapitre 5

5

Ne jamais exagérer le mal qu’on peut faire aux autres. Leur laisser ce plaisir

Daniel Pennac

Extrait de Au bonheur des ogres

Maÿcentres : Colline du conseil

« Que fait-on ? »

Jade était monté sur la corniche surplombant la plus haute tour de la villa. Accoudé à la balustrade, il observait les troupes qui se rassemblaient derrière les grilles du jardin. Il avait accouru dès que Ambre l’avait averti du mouvement à l’extérieur.

A ses cotés, Ambre était concentré. Il évaluait la situation avec rigueur et méthode. Au moins, il avait vite récupéré des mauvais traitements de Rafale. Il finit par se décider. « Pour l’instant, nous attendons ». La politique de la confédération est entièrement fondée sur la non violence. A part s’agglutiner autour de la villa, je vois mal ce qu’ils peuvent faire.

Jade imaginait des dizaines de choses qu’ils pouvaient leur faire. Ils peuvent commencer par entrer, tout saccager et s’emparer de nous pensa-t-il.

Ambre secoua la tête. Cette perspective ne le satisfaisait pas. « Pas bon ça » se contenta-t-il de dire tout haut. « Faut pas qu’ils entrent.

- Ha oui ! Tu crois que si on leur demande gentiment de partir, ils nous obéiront ? »

Ambre ne releva pas le sarcasme. Il se tourna vers l’intérieur. « Pluie » dit-il en haussant la voix. « Tu peux t’arranger pour qu’ils ne passent pas la grille ?

- Dans une certaine mesure. »

Réponse laconique qui n’avançait à rien.

« Et Grésil » ajouta Jade, « ne pourrait-elle pas…

- Jade, laisse ma fille en dehors de ça !

- Laisse ma fille en dehors de ça » répéta Jade en imitant l’accent de Pluie. Inconsciente cette folle. Qu’est ce qu’elle imagine ? Qu’on a le choix sans doute ? Que sa fille est en sécurité parce qu’elle est dans sa chambre ?

Un premier groupe se déplaçait vers l’entrée. Quelques têtes s’écartèrent pour laisser place à un nouveau venu.

De son promontoire, Jade distinguait mal les détails. La silhouette était plutôt petite, couverte d’une longue robe grise rehaussée d’une large étole pourpre qui lui cachait une bonne partie du visage. La silhouette releva la tête mais ses traits étaient dissimulés sous un masque argenté.

Une voix grésillante s’éleva « Ce bâtiment appartient au Maÿ président Synshy, si vous vous rendez de suite sans faire d’histoire, nous ferons peut-être preuve de clémence quant à votre sort. »

Jade regarda Ambre.

« Hors de question » répliqua ce dernier comme s’il parlait de la pluie et du beau temps.

Les troupes s’entassaient devant. Ils attendaient une réponse. Ambre ne se fatigua pas à hausser la voix pour se faire entendre. Jade attendit lui aussi.

La silhouette masquée avança, les gardes formant une haie d’honneur pour l’entourer. Le président était trop couard pour venir en personne mais il n’avait pas envoyé n’importe qui. Apparemment, c’était une grosse pointure.

La silhouette atteignit la grille, leva encore la tête vers eux et empoigna la poignée avant de pousser un hurlement strident. Jade la regarda, sans comprendre, regarda Ambre qui observait la scène puis se tourna vers sa gauche. Pluie était sortie et seul un sourire sadique se distinguait de l’étole lui couvrant le visage. « Attention Dya, c’est chaud » murmura-t-elle avant de se découvrir. La silhouette eut un mouvement dans sa direction. La fixa un instant comme pour s’assurer qu’elle l’avait bien reconnu. Pluie plissa les yeux, reprenant sa concentration marmonnant quelques mots trop bas pour se faire entendre et serrant la fine amulette de son bracelet au creux de sa main. La silhouette qu’elle avait appelé Dya recula de quelques pas avant de tomber à genoux et Pluie se mit à rire. Elle devait la connaître, elle avait passé presque deux ans sur les Maÿcentres.

La dénommée Dya trébucha encore, perdit son masque révélant une vieille bonne femme insignifiante, parut se reprendre, tapant rageusement le sol de ses poings avant de s’exclamer d’une voix malaisée. « Attrapez-les moi ! »

La première troupe s’élança sur les grilles d’entrée avant de refluer, prise d’une angoisse irraisonnée. Les poings de Pluie se crispaient sur son amulette. Elle ne les contiendrait pas longtemps. La magie de sa pierre était limitée, ils étaient trop nombreux.

Dya désigna le mur d’enceinte. Plusieurs troupes y attelèrent des échelles. Une d’elle s’embrasa. Pluie transpirait. Des hommes montaient déjà sur la seconde.

« Il faut aller chercher Grésil » supplia Ambre.

« On ne touche pas à ma fille » s’écria Pluie, frappant du poing sur la rambarde. Son inattention momentanée avait lâché une brèche dans ses défenses. La grille d’entrée s’était ouverte. D’un ample mouvement du bras comme projeté sur la cinquantaine de mètre les séparant de la grille, Ambre referma la grille. Trop tard, plusieurs hommes étaient entrés.

« On est mal » s’exclama Ambre avant de se retirer précipitamment. « Je couvre le bas » dit-il se précipitant dans l’escalier.

Jade hésitait. Les troupes progressaient. Des élévateurs avait été posés. Les instruments disposés au niveau de la grille, Jade ne les connaissait pas mais quand la grille explosa, il comprit leur fonction.

« On a besoin de Grésil ».

Pluie s’épuisait. « Ce n’est qu’une enfant, elle se contrôle mal. Elle peut provoquer un cataclysme sans même le faire exprès et plus vraisemblablement se faire tuer ».

Un coup de feu retentit. Pluie se mit à hurler et tomba en arrière. Jade se précipita. « Ca va ? » demanda-t-il alors que de nouveaux coups éclataient. Il la tira à l’intérieur mais elle se dégagea, essuyant une fine coupure le long de son front. « Lâche moi. » Elle reprit ses incantations mais c’était trop tard, les hommes envahissaient les jardins. Et dire qu’il allait justement dire que les peuples des Maÿcentres étaient non violent. Jade recula d’un pas, puis d’un deuxième. « Grésil » hurla-t-il. Il se retourna. La petite était déjà là. Elle observait sa mère qui gisait au milieu de la salle. Pluie avait perdu conscience et les hommes s’attaquaient maintenant aux fenêtres du rez de chaussée.

Jade s’agenouilla devant la petite. « Il faut que tu fasses quelques chose Annunaki» supplia-t-il, « n’importe quoi, mais sors-nous de là. »

Grésil hésitait. Elle s’approcha du balcon. De nouveau coups se mirent à pleuvoir. Elle prit la place de sa mère.

« Tuez-la fille » s’exclama Dya. Les troupes hésitèrent. Le président avait déjà eu sûrement du mal à trouver des hommes prêt à rompre leur serment de non violence mais sur une enfant !

Dya relançait son ordre avant de se saisir elle-même d’une arme. Jade s’élança mais se retrouva confronté à un mur invisible. Quelque chose explosa devant la gamine sans qu’elle se laisse déconcentrer. Elle leva les bras au ciel, les yeux fermés. Les troupes qui avaient atteints la maison reculèrent doucement d’abords puis de plus en plus vite se piétinant et hurlant. Dya leur criait d’avancer de sa petite voix de crécelle mais ils se tassèrent derrière l’entrée. Des projectiles fusèrent vers la maison. Jade s’approcha en rampant vers la fillette. « Plus loin » lui dit-il « fais-les reculer encore.

- J’essaie » dit-elle avant de reprendre sa concentration. « J’y arrive pas ». Elle se crispa de plus belle. Elle ne tiendrait pas longtemps.

Les troupes s’étaient reculées prenant position hors du champ d’action de Grésil. Ils attendaient. Bon sang, ça avait été si simple de chasser les troupes de Synhsy quand ils avaient envahi Plume. Et Rafale n’avait que six ans. Jade relativisa. Ils avaient été pris par surprise à l’époque. Ceux-là sont mieux préparés, « ils nous auront à l’usure ». De nouvelles rafales explosèrent en direction de Grésil. Jade recula et s’aplatit à l’extérieur. Grésil chancela, il sentit sa bulle protectrice se dissiper puis reprendre forme tandis que la petite se relevait et dans un sursaut d’effort faisait reculer les troupes de quelques mètres. Si au moins elle pouvait les faire reculer hors de portée de tir. Et encore, quelle différence ? Ils leur suffisait d’attendre tranquillement que la petite s’affaiblisse puis charger en masse.

Pluie avait raison, c’était absurde d’envoyer Grésil là-dedans. Risquer sa vie, Pour gagner quoi ? Quelques minutes. En plus, maintenant, ils connaîtraient ses talents. Ils venaient de dilapider toutes leurs cartes pour rien. Jade serra les poings et s’avança vers Grésil pour lui dire de s’arrêter. Tous ses efforts étaient vains. Tout ça à cause de Rafale qui avait perdu la tête. De nouvelles troupes arrivaient. Jade plissa les yeux. Ce n’était pas les troupes noires du président, ceux-là avaient des vêtements colorés. « Dyasella Lytïl » murmura Jade reconnaissant la jeune femme au premier rang. « Pourquoi cette fille vient-elle fourrer son nez dans nos emmerdes ? » Les troupes présidentielles avaient stoppé leurs tirs. Un peu de fumée s’élevait, quelques hommes s’écartèrent, découvrant une sorte de long tube en acier. Plusieurs hommes firent jouer un mécanisme tandis que Dya s’emparaient d’un boîtier. Une boule fumante fut projetée contre le mur de la villa faisant exploser une fenêtre. Une deuxième la suivit et un pan de mur s’écroula. Les sourcils de Grésil se froncèrent. Une troisième boules fut projetée mais explosa avant d’atteindre la villa s’embrasant contre un mur invisible avant de s’éparpiller et de continuer à flamber malgré le sol détrempé. Des pas remontaient l’escalier en courant. « Impossible d’éteindre cette saloperie » lança Ambre en entrant dans la salle. Il se jeta dans un coin et se soutint la cheville. Jade aperçut une vilaine blessure. Il avait été touché.

« La première a percuté le mur d’entrée et a été maîtrisée, la deuxième a embrasé le plancher du salon de réception. » Ambre n’avait fait aucun commentaire quant à sa jambe. Jade ne releva pas. Ils auraient le temps de s’en inquiéter plus tard. Du moins, il l’espérait. Il tourna la tête entendant un gémissement. Pluie se relevait encore hébétée. Personne ne dit mot. Elle tourna la tête dans la direction des deux hommes, puis vers sa fille. En revint aux deux hommes leur lançant un regard noir. « Imbéciles » murmura-t-elle.

« Tu feras tes commentaires plus tard. Occupe toi du feu en bas sinon, nous allons griller »

Une nouvelle boule frôla Grésil qui poussa un hurlement. Jade se précipita encore plus vite que Pluie, cherchant à tirer la petite en arrière qui le repoussa.

La masse avait doublé aux abords de la villa. Une foule immense entourait maintenant les troupes présidentielles.

Une sorte de grondement sensoriel envahit la place. Jade ébaucha un sourire. La foule désapprouvait. La Syhy Dyasella faisait face à Dya. Les bras croisés, les deux femmes se jaugeaient. Dya était entourée par plusieurs hommes armés. La Syhy était accompagnée d’un unique garde du corps. Jade reporta son attention sur eux. Il ne percevait pas leurs paroles. « Le gosse d’Espoir » murmura-t-il.

Ambre s’était avancé à son tour. Jade lui désigna le compagnon de la Syhy qui disparaissait sous une longue cape beige.

« Tu es sur ? » répliqua Ambre.

« Je crois.

- Qu’est ce que ça veut dire ? »

Jade secoua la tête. « Je n’en sais rien. En tout cas, ce n’est pas des renforts de Synshy, ils n’approuvent pas les actes de la troupe. Tu as senti comme ils se sont révoltés quand ils ont attaqué Grésil ? »

Ambre acquiesça avant d’ajouter. « Depuis leur arrivée, les troupes présidentielles hésitent, il n’y a plus aucun tir ».

Jade se tourna vers Grésil, appuyée contre le mur. Nous ne tiendrons pas une attaque de plus. Il soupira et repensa à Pluie qui lui avait dit qu’il n’y avait pas d’armes sur les Maÿcentres. Elle pourra mettre ses informations à jour.

- Je ne pense pas qu’ils attaqueront encore devant la foule. C’est en totale opposition avec l’idéologie de la confédération. La population est à un doigt de se révolter. Il n’en faudrait pas beaucoup pour mettre le feu au poudre entre eux »

Comme pour contredire les paroles d’Ambre, Dya se jeta sur une arme, comme prise d’un accès de rage démentiel. La Syhy lui hurla de s’arrêter au nom de la paix. Son garde du corps fixait Grésil qui s’écroula dans le fracas de l’arme de Dya. La fureur de la foule fut telle qu’elle fit reculer Jade et Ambre qui mirent plusieurs précieuses secondes à écarter ces émotions trop fortes pour reprendre contrôle de la situation.

Jade fut le premier à reprendre ses esprits. Grésil gisait sur le sol. Il se précipita vers la petite fille.

« Chaque chose en son temps ». Une voix calme et assurée avait retenti à l’intérieur dans la langue des Maÿcentres. « La petite va bien ». Jade maudit Ambre qui avait quitté son poste de reconnaissance au rez de chaussée. Un homme était entré. D’un bras, il enserrait la taille de Pluie tandis que de l’autre il tenait un couteau. Cette dernière d’abord trop étonnée pour réagir se mit à vociférer comme elle savait si bien le faire sans que ça paraisse gêner son agresseur le moins du monde.

Jade se précipita. Encore lui ! Il lui lança l’ordre mental de la lâcher mais il ne réagit pas. Il finit par répondre sans desserrer son étreinte. « Je suis de votre côté, je la lâcherais quand vous m’aurez écouté. J’ai un marché à vous proposer, je peux vous sortir de là.

- Mike » s’exclama Pluie. « Tu vas ôter tes sales pattes, espèce d’ordure. Je savais qu’on ne pouvait te faire confiance. C’est toi qui a dénoncé Glace à Synshy quand il est resté sur Terre. Tu étais le seul à savoir et il te faisait confiance et…

- La ferme. Ce n’est pas le moment de discuter mais de m’écouter, il faut faire vite ».

Pluie était folle de rage, diffusant sa colère autour d’elle avec une telle force que Jade lui-même était déstabilisé. Sa rage portait en écho avec celle du peuple à l’extérieur. Elle arracha le couteau de son agresseur par la seule force da sa volonté et le frappa avec le manche. Le coup le surprit, il desserra son étreinte et se mit à hurler sous la puissance de Pluie en fureur.

Ambre s’approcha tentant de lui parler doucement pour la calmer. Elle finit par se relâcher, hésita, se mis à trembler et recommença à invectiver Mike qui avait perdu conscience et en profitait pour lui envoyer quelques coups de pieds supplémentaires. Jade ne supportait pas ses accès de fureur « Calme-toi Pluie. Il a dit qu’il pouvait nous sortir de là.

- Parce que tu vas le croire !

- Il peut nous mentir ? »

Pluie lui envoya encore un coup de pied, mais avec moins d’entrain. « Sans aucun doute. Il fait partie de ses petites teignes dont mon père aimait à s’entourer sur Terre. Il n’a pas de grandes capacités, mais suffisamment pour nous prendre par surprise.

- Moi, je le crois » dit Ambre assis dans un coin.

« Tu n’es qu’un pauvre naïf Ambre. »

Il inspira un bon coup avant de répondre à Pluie. « Non, mais je ne vois pas quoi faire d’autre. »

Pluie n’écoutait plus, elle s’était précipitée sur sa fille, sans même prendre le temps de vérifier les alentours.

La petite était encore sans connaissance. « A quoi tu joues ? » Lui lança sa mère.

Jade s’étonna de sa brusquerie et Pluie se tourna vers lui. « Elle joue la comédie, elle n’a rien » dit-elle désignant la petite.

La situation avait changé à l’extérieur. Les troupes présidentielles s’étaient écartées et semblaient se disperser. Dya se débattait, prise en étau par plusieurs personnes. Un groupe s’était mis en devoir de détruire les canons. La satisfaction de la Syhy était telle qu’il la ressentait depuis le balcon. Son garde du corps ne laissait rien transparaître. Il restait à ses cotés dissimulés sous les larges manteaux des Maÿcentres. Il se décida à lancer un regard vers le balcon. Grésil releva la tête et lui sourit. Il rabattit légèrement son capuchon en arrière révélant un masque argenté qu’il se décida à ôter avant de lui rendre son sourire et lui faire un clin d’oeil. C’était bien lui. Accalmie. Qu’est-ce qu’il mijotait avec la Syhy ? Maître Glace avait déjà prévu de grands projets dès qu’il avait appris son existence. Jade s’en méfiait. C’était risqué. Grésil ne semblait pas blessée. Elle regardait encore Accalmie. Il avait remis son masque et avait repris sa place près de Dyasella mais quelque chose subsistait encore.

« Ambre, tu sens la même chose que moi ? »

Ambre s’approcha de Jade, se tourna vers Grésil que sa mère tirait à l’intérieur puis vers Accalmie.

« Ils communiquent » souffla Ambre aussi éberlué que Jade. « La petite a un lien avec Accalmie. »

Jade secoua la tête « ce n’est qu’une enfant !

- Non, elle est Annunaki.

Maÿcentres : Pavillon de la famille Lytyl-Paktyl

Dyasella entra chez elle en riant. Elle avait réussi, elle était confiante, le peuple l’avait suivie, elle avait été adulée, c’était grisant. Ils avaient chassé Synshy du conseil, il s’en était allé démis de ses fonctions, par son propre peuple et elle était là, c’est elle qui avait fait ça. Elle serra Umia dans ses bras, il se recula gêné par cette marque d’affection. Elle n’en avait cure, elle voulait danser, chanter. A ses cotés, Accalmie ôtait son masque et sa cape. Il avait réussi à passer inaperçu. Un exploit. Elle qui avait toujours eu horreur de se cacher ainsi, pour une fois cette mode lui avait servi. Mais il y avait autre chose ? Orage ou Pluie, même derrière un masque auraient été reconnu de suite. Accalmie était différent, plus abordable. Elle l’aurait bien embrassé lui aussi. Elle avait même ébauché un geste vers lui avant de reprendre un peu ses esprits. Il ne s’était pas reculé. Il s’était presque avancé même. Il avait partagé son enthousiasme et son sourire était resplendissant. Il reprit un air plus grave soudain et fronça les sourcils.

« Qu’est-ce qui se passe ?

- Mike n’est pas rentré, il aurait dû ».

Dyasella se mordit la lèvre. En effet, c’était inquiétant. Il voulait s’introduire dans la villa Adarii. Une folie à son avis, mais il avait paru sur de lui.

« Je suis sûre qu’il va bien. Il a juste été retardé. »

Elle se mordit plus fort les lèvres. Si elle avait sorti pareil mensonge à Orage, même pour le rassurer, il l’aurait renvoyée vite fait. Accalmie ne réagit pas. Avait-il seulement entendu ? « Il est tard » se contenta-t-il de remarquer, « très tard. La réunion a pris beaucoup plus de temps que prévu, il aurait dû être rentré depuis plusieurs heures. »

Dyasella s’assit à ses cotés. Il semblait tellement humain quand il s’inquiétait ainsi. Il pouvait être presque si intransigeant que les siens mais avec une douceur et quelque chose qui n’existaient pas sur Plume, peut être juste une touche de bonté, une impression d’égalité et non cette supériorité qui rendait la race Adarii si inaccessible. Oui, lui était abordable.

Il prit sa tête dans les mains, se frotta le visage et se tourna vers elle. Après une hésitation, il se lança. « Pensez-vous qu’ils peuvent faire du mal à Mike ? »

Dysella se mordit la lèvre. Elle se détourna mais savait qu’elle devait répondre. « Sans doute » dit-elle d’une petite voix.

« Vous croyez qu’ils risquent de le tuer ? »

Dyasella eut un mouvement de recul. « Non, sûrement pas ». Elle hésita. Elle avait compris que ce Mike était autre chose qu’un simple ambassadeur. Elle aurait aimé que Accalmie lui en dise plus sur lui mais n’osait pas lui demander.

Il restait plongé dans la contemplation de l’obscurité derrière la baie vitrée. Une obscurité quasi totale. La plupart des sources de lumière de la colline étaient éteinte. La centrale avait été touchée de même que le groupe de secours, la colline était dévastée et les troupes qu’Umia et Miroir avait ramené des basses villes avaient aussi augmenté les dégâts en piétinant tout sur leur passage. La maison de Dyasella possédait ses propres réserves mais pour combien de temps ?

« Je vais le chercher ! » Accalmie semblait s’être décidé d’un coup.

« Non » dit Umia.

Accalmie le toisa mais Umia ne se démonta pas. « Réfléchissez, que comptez-vous faire ? Vous avez vu de quoi ils sont capables, qu’avez-vous à leur opposer ?

- Nous les avons aidé ce soir. »

Umia ébaucha un rictus. « Si vous comptez sur de la reconnaissance, vous allez être déçu. Ils ne savent même pas ce que ça veut dire.

- Umia » s’exclama Dyasella « vous oubliez à qui vous parlez ! »

Umia ne semblait pas comprendre ce qu’elle voulait dire. C’était pourtant évident. Bien sur Accalmie était de leur coté mais il était aussi Adarii et les propos d’Umia étaient incorrects.

« Que voulez vous dire par là ? » C’était Accalmie qui avait posé la question. Dyasella ne sut que répondre.

« Vous ne me faites pas confiance ? » Insista-t-il

- Si bien sur » dit Dyasella mais elle ignorait si elle était suffisamment sincère.

Maÿcentres : Pavillon des Lytyl-Paktyl

Accalmie reprit sa contemplation de la baie vitrée. Il avait perçu qu’Umia et Dyasella hésitaient à lui faire confiance. Qu’ils pensent ce qu’ils veulent. Il devrait aller chercher Mike, pourtant, il ne bougea pas. Umia disait qu’il n’avait aucune chance. Il avait tort. Il se sentait capable de leur tenir tête. Le problème n’était pas là, il ne se sentait pas prêt à les affronter. Il avait besoin de les connaître. C’était la seule attache à son père. Il avait fuit la Terre car il s’était senti rejeté. S’opposer à eux, serait renoncer à la seule attache encore possible. Il soupira. Ces dernières semaines, il s’était pris à imaginer qu’il pourrait trouver une certaine reconnaissance par cette race étrangère à la fois crainte et révérée et voilà qu’il se rendait compte à quel point ils étaient mauvais. Il se laissa tomber sur un fauteuil. Il était condamné à rester seul à jamais.

Maÿcentres : Ambassade de Saphir-Plume

« J’ai beaucoup de respect pour mes frères, mais ils n’ont aucun sens des réalités. »

Jade ne releva pas et entra rejoindre Ambre dans le salon de réception, toujours suivi de Pluie. Il avait déjà réussi à exposer tout le plan de Glace sans que Pluie ne l’interrompe ni ne lui saute à la gorge, c’était déjà un exploit surtout vu la colère qui l’avait envahie quand il lui avait appris que Cyril avait profité de la débâcle pour se faire la malle. Il ne pouvait pas espérer en plus, qu’elle y consente. Lui-même trouvait cette idée tirée par les cheveux et soumise à beaucoup trop d’aléas incontrôlables.

Grésil jouait aux dés, toute seule, dans un coin du salon. Elle avait retrouvé toute sa vigueur. Les enfants récupéraient vite. Sa mère lui jeta un regard méfiant. Le plan de Dyasella leur avait sauvé la vie, au moins provisoirement, mais Pluie ne se remettait pas d’avoir été abusée par sa propre fille.

Jade était plus modeste. Il se contentait d’admettre que ça avait été rudement bien monté. Umia et Miroir avaient réussi à faire bouger la population déjà défavorable à Synshy afin de pointer la violence du nouveau président. Afin de parachever sa théorie, Accalmie avait convaincu Dya par manipulation de tirer en l’air et avait demandé à Grésil de faire croire qu’elle était touchée. L’assistante personnelle du président tirant sur une petite fille, quelqu’elle soit. Voila une image qui restera dans les annales. Une bonne partie de la garde présidentielle s’était dispersée ne pouvant en supporter d’avantage et la foule s’était détournée prenant d’assaut la bâtiment du conseil exigeant le retrait du président.

« Des nouvelles de Rafale ou Tempête ? »

Pluie se tourna vers Ambre. « Ils se dirigent vers la Terre.

- Elle n’a pas réussi à le faire renoncer à ce plan insensé ? »

Pluie secoua la tête. « Il est furieux d’avoir découvert que Tempête l’avait suivi mais il a refusé de faire demi-tour. Il faut compter trois jours de voyage. J’espère qu’elle arrivera à lui faire reprendre ses esprits mais, au fond, c’est bien la première fois que je vois Rafale agir normalement. A sa place, j’aurais fait pareil. »

Jade en était persuadé, c’était le style de Pluie de s’enfuir régler ses affaires quand on avait besoin d’elle, de la part de Rafale, c’était étonnant, il avait failli tous les faire tuer à filer ainsi. C’est vrai que perdre un être cher a de quoi faire perdre la tête. Le silence avait repris ses droits dans le petit salon d’accueil. La voix de Pluie le cassa de nouveau. « Ce n’est pas une bonne idée » répéta-t-elle. « Il est dangereux de rester ici. Nous ne sommes pas en mesure de nous défendre efficacement sans Rafale et ils le comprendront vite. Ils voudront une revanche. Le mieux serait de voler un vaisseau et partir.

- A mon avis » dit Ambre, « ils sont trop occupés à gérer la révolte du peuple pour s’occuper de nous.

- Tu jouerais ta vie là-dessus ? » Pluie n’attendit pas la réponse pour poursuivre. « Vu la cohue, voler un vaisseau sera facile et nous pourrons toujours revenir plus tard.

- Et vous perdriez tout avantage, sans parler de la lâcheté du geste. »

Jade jeta un regard à Mike ligoté contre une colonne du salon. Ce dernier continua, imperturbable. « Réfléchissez, la Syhy a réussi l’exploit de mettre le peuple de votre coté. Vous les fascinez, ils ont pris votre parti contre le président lui-même. Si vous partez maintenant, vous serez considéré comme de vulgaires voleurs.

- Ne faudrait-il pas le bâillonner celui-là ? » Dit pluie.

Ambre haussa les épaules et changea la poche de glace sur sa cheville. Quelques éclats de boules incendiaires l’avaient touché et les brûlures le faisaient souffrir plus qu’elles ne le devraient « il a raison.

- Bien sur que j’ai raison, pourquoi refusez-vous de me faire confiance ? »

Pluie s’approcha de Mike et s’agenouilla pour être à sa hauteur. « Si nous te gardons ici, ce n’est pas parce que nous ne te faisons pas confiance, c’est parce que tu m’as agressée. J’ai horreur qu’on me touche et je te garderais, ligoté ici, jusqu'à ce que je trouve une vengeance qui me satisfasse. C’est compris ?

- Si je vous ai agressé comme vous dites, c’est parce que, si je n’avais pas un otage, vous ne m’auriez jamais écouté.

- Tactique très efficace, je l’admets » lança Pluie avec ironie avant de se retourner vers Jade. « Tu ne lui a pas confié le plan de Glace j’espère » dit-elle désignant Mike.

« Bien sur que non ».

Mike reprit de plus belle. « Adarii Jade » dit-il dans la langue des Maÿcentres, « vous m’avez l’air d’être quelqu’un de raisonnable. Je pense vous avoir prouvé mes bonnes intentions. Avec la Syhy, je vous ai sauvé la mise. »

Jade acquiesça. « Relâchez moi, je vous en prie.

- Non. »

Mike recommença à se tortiller pour ôter ses liens. « Bon sang mais pourquoi ?

- J’ai besoin d’un otage.

- Qu’est-ce que tu racontes toi ? » Lança Pluie.

Jade la regarda. « Ben oui, pour le plan insensé de Glace.

- Tu veux t’en servir pour attirer Accalmie ?

- Oui. » Parfois Pluie prenait un temps fou à comprendre ce qui semblait pourtant évident. Elle finit par saisir. « Pas bête » dit-elle.

Ambre se mêla à la discussion. « Pourquoi ne pas demander à Grésil de l’appeler ? »

Grésil leva la tête de son jeu en entendant son nom. « J’essaye. Je n’y arrive pas. Je pouvais le faire à Tiyana et j’arrive encore quand je le vois mais sinon, je n’y arrive pas.

- Ca suffit Grésil, tu parles trop. »

Maÿcentres : Ambassade de Saphir-Plume

Que voulaient-ils à Lull ? Sûrement pas du bien. Il se retint de poser la question. D’abord, il était persuadé de ne pas obtenir de réponse et après tout, s’ils parlaient si librement entre eux devant lui, autant en profiter.

Jade prit place à la table de jeu de Grésil. Ambre scrutait les ténèbres à l’extérieur, luttant contre la douleur de plus en plus intense de sa cheville. Pluie s’était approchée du feu et avait entamé un livre. Une soirée tranquille.

Mike se tortilla de nouveau.

Ambre sortit de sa contemplation. « Nous pourrions l’asseoir sur un fauteuil » hasarda-t-il.

« Ce type m’a agressé, il restera là » maugréa Pluie, sans sortir de son livre.

« Comment vas-tu le faire manger attaché ainsi ? »

Pluie écouta Ambre avec intérêt avant de conclure. « Il m’a agressé, il n’a pas besoin de manger. »

Jade lança ses dés : « Pluie, j’ai besoin de lui pour satisfaire les plans de ton frère et maître. Installe le plus confortablement, il me fatigue à se démener ainsi.

- D’accord, je me rends » Pluie s’attela à défaire les nœuds qui entravaient les poignets de Mike. Le jour commençait à baisser. En cette saison, sur les Maÿcentres, cela voulait dire que la soirée était bien avancée. Aucun son ne parvenait de l’extérieur. Jade arpentait le salon, tendant l’oreille, s’attendant à tout moment à avoir l’armée entière de la confédération lui tomber dessus. Ambre n’avait pas quitté son poste, scrutant les ténèbres en massant sa cheville. Grésil piquait du nez. La journée avait été dure pour elle plus que tout autre. Elle était épuisée. Lui aussi, seule la tension le faisait encore tenir debout. Quelques gouttes s’étaient mises à tomber dehors. Doucement d’abords, puis de plus en plus fort, dégouttant sur les restes du plancher par une des fenêtres cassées. Jade disparut et revint peu après les bras emplis de tissus, tuniques et robes qu’il avait dû trouver dans les appartements que Synshy s’étaient appropriés. Il se mit en devoir de les utiliser pour colmater les trous.

Ambre parut reprendre un peu de vigueur mais ce fut pour déclarer qu’ils devraient profiter du calme pour dormir un peu. Se posa alors la question de savoir où dormir. Il ne paraissait pas raisonnable de se séparer et personne n’en avait envie. Ambre proposa de passer la nuit dans la bibliothèque. La pièce était à l’écart, difficile d’accès de l’extérieur et les sofas étaient confortables. L’idée fut approuvée. Ambre proposa ensuite d’établir un tour de garde. Le meilleur moment pour attaquer était de faire une incursion discrète pendant la nuit. Pluie se porta volontaire pour le premier tour. Ambre se leva et traversa le salon en claudiquant, se retenant contre le mur. Jade maudit Tempête d’être partie puis Rafale pour la même raison. Il avait fallu qu’il se blesse juste après le départ de la guérisseuse. La poisse. Il baissa encore la lumière pour préserver les réserves de la villa.

Mike regardait tout cela sans savoir qu’en penser. Il aurait mieux fait de faire confiance à son fils. Lull lui avait dit qu’il arriverait à transmettre le plan de Dyasella par l’intermédiaire de la petite fille. Il ne l’en avait pas cru capable et n’avait pas confiance en Grésil. Ce n’était qu’une enfant. Après réflexion, elle n’était pas ordinaire. Et ce n’était pas la seule. Son plan aurait dû marcher. Il s’emparait de Pluie le temps que les autres écoutent ce qu’il avait à dire, ensuite le bon sens les obligerait à coopérer. La première chose qu’il avait oublié c’est que les Adarii étaient totalement dénués de bon sens et qu’ils n’avaient confiance qu’en eux. La deuxième chose, c’était Pluie, elle n’aurait pas dû réussir à le vaincre. Il avait fait sa connaissance dix ans plus tôt. Ce n’était qu’une sale gosse imbue d’elle-même, hargneuse et irréfléchie. Elle n’avait pas beaucoup changée mais elle avait gagné en puissance. Et Lull dans tout cela ? Ils voulaient l’attirer ici. Pourquoi ? Que cherchaient-ils ? Il était peut être le fils d’un des leurs mais il n’imaginait pas qu’ils le verraient en tant que tel. Il ne l’espérait pas. Lull était à lui maintenant, c’était son fils. Il ne voulait pas qu’il se retrouve parmi ses dingues. Oui, dingues, voila ce qu’ils étaient. Une bande de fanatique mais où leurs dieux étaient eux-mêmes. Oui, cette image leur correspondaient bien. Quoique pour l’instant, on aurait dit des rats pris au piège. Il avait participé au plan de la Syhy. Surtout poussé par des intérêts personnels. Il avait découvert par Thibault que la confédération était en train de prendre le contrôle de la Terre. La Syhy Lytïl était une meneuse : d’instinct, elle savait trouver les mots pour s’attirer la grâce des foules. Subjugué, autant par ses mots que par sa beauté, ils l’avaient suivie. Elle jouait avec eux, avec leur passion, leurs mythes, leurs idéologies. La fascination qu’avait engendré le peuple Adarii, voila sur quoi elle s’appuyait le plus. Et ça avait marché. Le peuple s’était lié avec elle contre leur président et cela pour un peuple qui ne leur apporterait jamais rien. Tout ça pour une bande de dingues. Il n’y avait nul puissant sorcier au charme aussi dévastateur, il n’y avait que quatre personnes, terrées dans une grosse bâtisse vide, attendant qu’on vienne les achever car leur meilleur atout avait fichu le camp sur un coup de tête. Rafale. Il ne l’avait pas vu mais, s’il avait bien compris, le séisme et les tempêtes qui avaient dévastés la colline n’étaient qu’un petit tour de son cru. Il comprenait mieux maintenant comment ils avaient pu vaincre la confédération. Ils cachaient en leur sein des puissances bien plus importantes que ce qu’Espoir lui avait enseigné. Il n’était qu’un ignorant. Ils étaient tous ignorants.

Peut-être pas tous. Thibault ! Certaines de ses pensées incohérentes prenaient soudain du sens. Il se concentra, cherchant son ami. En vain, comme toujours. Il refusait le contact. Et avec une telle force. Pourquoi ?

Mike se perdit encore quelques instants dans sa réflexion, se tortilla afin de trouver une position plus confortable tandis que Pluie lui lançait un regard chargé de haine. Les autres étaient partis dans la pièce à coté. Ils dormaient. Sauf Ambre. La douleur le tenait éveillé. Il la sentait, s’intensifiant par vagues croissantes. Les produits utilisés dans ses boules incendiaires ne devaient pas être anodins. Derrière son masque de forte tête, Pluie avait peur. Quand la douleur d’Ambre s’intensifiait, elle souffrait avec lui. Ils devaient être liés tous les deux. Il en savait si peu. Il lui restait deux cartes à jouer, il se décida pour la première. Il n’y croyait pas, mais elle ne lui coûterait rien.

« Pluie » dit-il.

La jeune femme se tourna vers lui. Elle avait perdu une bonne part de sa fureur, remplacée par l’inquiétude pour son ami.

Mike continua : « vous rappelez-vous qu’un jour, je vous ai sauvé la vie ?

- Je t’ai déjà remercié il y a dix ans » maugréa-t-elle.

Non il n’obtiendrait rien par là. Il s’en doutait. Le mot gratitude n’existait même pas dans la langue de Plume. Il ne put s’empêcher un rictus. Elle se rapprocha tout de même de lui, jeta un regard vers la pièce où les autres avaient disparu comme pour jauger la distance qui les séparait et se mit à parler à voix basse, en français. « Mike, toi et moi, on a des choses à se dire » Rien qu’au ton qu’elle avait employé, il savait que ça ne lui plairait pas. Elle continuait : Une des nôtres s’est faite tuer sur Terre. D’une manière très peu naturelle. Je n’ai rien dit, mais je trouve ça louche »

Mike ne saisissait pas où elle voulait en venir. Elle l’attrapa par le col. « Ne fais pas semblant d’être surpris. Mutine n’était pas le genre de fille à se faire avoir par le premier imbécile venu. Où est Thibaut ? »

La colère de Pluie était intenable. Que lui voulait-elle ? Bien sur, elle n’avait pas choisi le premier tour de garde par pure charité. Elle s’était toujours méfiée de Thibaut, elle ne le supportait pas mais elle se trompait, il n’avait rien à voir avec cette histoire. Du moins à sa connaissance. Il en fit part à Pluie qui ne le crut pas une seconde. Elle ne pouvait pas admettre l’idée qu’il n’arrive pas à le contacter. C’était pourtant le cas. Thibaut avait toujours été plus doué que lui sur ce plan et savait se tenir à l’écart. C’est vrai que, s’il le fuyait ainsi, c’est qu’il était peut-être mêlé à quelques histoires peu claires. Il ne put y réfléchir d’avantage, sa tête pulsait de plus en plus, prête à éclater. Pluie le fixait toujours les bras croisés. La douleur s’intensifiait. C’était elle qui faisait ça. Il ignorait comment. « Je ne sais rien » répéta-t-il. Pluie s’agrippait à lui. Elle lui faisait mal. L’autre aussi. Ambre, il souffrait. Il sentait sa souffrance. Il avait toujours senti la souffrance des autres. Il supplia Pluie qui se décida à le lâcher et il se tassa dans le fauteuil. Il souffla profondément. La douleur d’Ambre s’intensifiait. Pluie avait disparu dans la pièce à coté sans lui poser d’autres questions. Les autres dormaient. Rare étaient ceux qui sentaient la douleur d’autrui sans y être liés. A son avis, ce n’était pas un talent, une malédiction plutôt.

« C’est votre ami ? »

Pluie était réapparue à la porte. Elle avait les larmes aux yeux.

« Je t’ai assez entendu toi et je sais ce que je veux savoir alors, tu la fermes.

- Je pense que la confédération devait utiliser une technologie particulière pour ses boules fumantes. Elle doit attaquer les tissus.

- La ferme » Il ne tint pas compte de ce mouvement de rage. « J’ai un marché à vous proposer.

- Je ne veux pas l’écouter » murmura-t-elle. En repartant dans la bibliothèque Elle était à bout de nerf.

« Je suis guérisseur.

Elle revint à petit pas. Elle ne le croyait pas, mais elle était prête à tout.

Mike en profita pour continuer. « Je n’ai reçu aucune instruction, votre père n’était pas apte à me transmettre des connaissances qu’il ne maîtrisait pas. Il m’a dit que sur Plume, seul le territoire de Maniya instruit ceux ayant ce don. Comment croyez-vous vous être remis si vite après les coups portés contre vous à Archuleta il y a dix ans de cela ?» il insista afin de mettre en évidence qu’elle avait une dette envers lui.

- Tu peux faire quelque chose pour Ambre ? »

Mike hocha la tête « ça se négocie »

Une gifle lui brûla la joue. Cette garce avait de la force.

« Si tu peux faire quelque chose, fais-le ».

Il ne se laissa pas démonter. « Tu me laisses repartir sur Terre, mon fils et moi.

- Ton fils ?

- Accalmie. »

Pluie le regarda sidéré. « Ce n’est pas ton fils.

- C’est moi qui l’ai élevé, je lui ai servi de père pendant plus de cinq ans ».

L’étonnement de Pluie se changea en un rire nerveux. Doucement d’abord puis de plus en plus fort jusqu’à être démentiel. « Sornette » dit-elle soudain sérieuse en le détachant, « allez occupe-toi d’Ambre.

- Vous nous laisserez partir Accalmie et moi ?

- Nous n’avons jamais eu l’intention de vous retenir. Tu pourras retourner sur Terre et retrouver Thibaut pour moi. Allez, dépêche toi.

- Je refuse qu’il ait le moindre contact avec vous. » Pluie leva les yeux au ciel, exaspérée

« Occupe-toi d’Ambre, j’ai dit. Tu n’es pas en mesure de réclamer quoi que ce soit.

- Tu peux toujours me forcer mais pour le soigner correctement je dois être en possession de tous mes moyens.

- Là n’est pas la question, si tu ne le fais pas, je te tue ici même, sur le champ.

- Dans ce cas, Ambre est condamné.

- Petite vermine. Tempête va revenir, elle s’en chargera.

- Assez Pluie ». Jade s’était levé. Mike n’aurait su dire depuis combien de temps il était là à les écouter.

« Mike » dit-il. « Tu soignes Ambre et tu peux partir. Pas de compromis possible ».

Mike hésita. En demander plus, c’était risquer de tout perdre. Les Adarii étaient acculés dans leur bicoque, ils ne pourraient pas lui faire de tort. Il s’avança à grande enjambée dans la pièce à coté. La petite Grésil était là, elle aussi. Elle ne dormait plus. Elle était assise à coté d’Ambre, comme si elle cherchait désespérément quelque chose à faire. Ambre gémissait, les yeux fermés. Il transpirait. Mike lui prit la cheville. La brûlure était importante a vu d’œil, mais rien de dramatique. Pas de quoi le mettre dans un tel état. Les lésions devaient être internes. Il avança en tâtonnant, cherchant une autre vision, ne cherchant plus à voir avec ses yeux mais à acquérir la connaissance du corps d’Ambre. Oui, il sentait la brûlure, comme un feu qui s’activait toujours à l’intérieur. Il se concentra sur l’idée de l’éteindre, expulsant chaque molécule d’oxygène qui l’alimentait. Le travail était long et épuisant. Il n’avait pas l’habitude, il n’y connaissait rien mais le feu semblait se tarir. Ambre respirait mieux, la douleur s’était atténuée. L’os était atteint. Il concentra toute son énergie pour le ressouder forçant le corps d’Ambre à réagir. Il tremblait. Il savait qu’il était possible de faire ça avec moins d’efforts mais il ignorait comment. Il s’éloigna d’Ambre. Il ne pouvait tenir plus longtemps.

A peine revenu à lui, Pluie l’invectivait déjà. « La brûlure est toujours là » dit-elle désignant la plaie. Il voulait paraître fort, il le fallait. Il tenta de se lever mais vacilla et resta assis pour s’exprimer de sa voix la plus tranchante même s’il ne réussit qu’à émettre un faible murmure. « Je ne peux réparer les tissus. Vos guérisseurs le feront mais la plaie ne devrait plus s’aggraver et les lésions restent superficielles.

- Ce n’est pas assez » hurla Pluie.

Jade l’obligea à reculer. Il observa Ambre qui dormait maintenant paisiblement, Pluie qui trépignait toujours puis Mike affalé sur sa chaise. « Tu es libre » dit-il à se dernier.

Mike réunit ses dernières forces pour se lever et quitter la maison.

Maÿcentres : Pavillon des Lytyl-Paktyl

« Où est Accalmie ? »

Dyasella souleva un pan du rideau et jeta un œil dans la véranda. « Il est là. »

Bien pensa Umia. Un instant il avait craint qu’il soit parti rejoindre Mike. Il était le plus apte à négocier avec eux. Umia ignorait jusqu’à quel point ils écouteraient quelqu’un comme lui mais il serait dommage de le laisser partir sans lui souffler ce qu’il pourrait demander. Pourrait-il lui faire confiance ? Dangereux, très dangereux. Apprivoiser une bête sauvage était pratiquement impossible mais celui là était déjà à moitié domestiqué.

Umia se tourna vers Dyasella. Elle observait toujours Accalmie de loin. Elle s’inquiétait pour lui, c’était évident. Elle était beaucoup trop gentille. C’était son point faible.

« Pensez-vous que nous puissions faire confiance à Accalmie ?

- Evidemment ».

Et sa naïveté était son deuxième point faible mais, un point faible qu’il pouvait utiliser. Le dernier point qui gênait Umia était que Dyasella appréciait beaucoup Accalmie. Bien trop. Son jugement était altéré.

« A quoi pensez-vous ? » lui demanda-t-elle.

« Je me demandais si Accalmie pourrait s’infiltrer dans la villa pour surveiller les Adarii.

- Vous voulez envoyer Accalmie faire de l’espionnage !

- Je ne sais pas encore. Je ne suis pas sûr de pouvoir lui faire confiance » Umia lança un coup d’œil à Accalmie dans la pièce à coté. Ce dernier lui rendit son regard et Umia ne put réprimer un frisson. Pas besoin d’empathie pour cerner qu’Accalmie ne l’aimait pas. Il prenait des risques. De grands risques.

Maÿcentres : pavillon des Lytyl-Paktyl

Dyasella et Umia discutaient politiques. Ils voulaient profiter des mouvements de foules pour convaincre les ambassadeurs de prendre en compte sa candidature pour remplacer Synshy. Leurs candidatures car elle prenait Umia comme partenaire. Pour raison politique. Accalmie n’avait pas compris les détails. Au fond, il s’en fichait. Ils discutaient depuis des heures, l’aube ne tarderait pas à poindre et Mike n’était toujours pas là. Il n’aurait pas dû écouter Dyasella, Il devait y aller. Un courant d’air, une porte qui s’ouvre. Accalmie se leva. C’est lui, il en est sur. Le contre coup, il se mit à trembler. Il ne s’était jamais autant inquiété de sa vie, même pas dans sa prison quand la nourriture venait à manquer. Mike entra. Il chancelait. Accalmie se précipita et le serra dans ses bras. Il l’étreignit, le tapant doucement dans le dos. « Ca va aller » dit-il.

Il mentait, il n’allait pas bien. Il tenait à peine sur ses jambes.

Accalmie le soutint jusqu’à un fauteuil. Dyasella le rejoignit bientôt avec un verre d’eau. Il but à petite gorgée mais Accalmie dut soutenir son verre qu’il n’avait plus la force de serrer. Il aperçut des marques rouges sur ses poignets.

« Que s’est-il passé ?

- Je me suis fait avoir. Dangereux. Faut arrêter, trop risqué ». Il ne put en dire plus, il avait perdu connaissance.


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