7
J'ai décidé d'affronter la réalité, alors dès qu'elle se présente bien, prévenez-moi.
[Quino]
Extrait de la bande dessinée Mafalda
Plume : Taegaïan
Ces quelques heures de chevauchées avaient donné une nouvelle vigueur à Rafale. En galopant le long de la plage puis dans les collines de Taegaïan, il s’était enfin senti libre. Il ralentit son allure à l’approche du village. Quelques enfants se précipitèrent hors des maisons pour le saluer bientôt suivis par leurs parents. Il rabattit sa large cape noire révélant l’emblème doré de Tiyana tandis que quelques enfants écarquillaient les yeux d’émerveillement.. Il reconnut sans mal la résidence du maître des lieux. Dans ce simple village, c’était le seul bâtiment de pierre. Il se dirigea vers lui, descendit de sa monture et la confia à un palefrenier qui s’avançait déjà vers lui avant de grimper résolument les marches du petit palais perdu dans les collines d’eucalyptus. Une servante lui ouvrit les deux battants de la porte et il la suivit à l’intérieur. Après la lumière du dehors, l’intérieur lui parut sombre malgré les larges baies vitrées et il fut soulagé de traverser les salons pour se retrouver dans un agréable patio ombragé. La servante ne l’avait pas suivi. Ce n’était pas nécessaire, il avait aperçu le maître des lieux sur un fauteuil agrémenté de coussin. Il en choisi un autre face à lui et attendit.
« Votre présence fait honneur à ma maison jeune Annunaki. Je m’excuse de vous avoir fait venir jusqu’ici. En d’autre temps, je n’aurais pas hésité à me déplacer pour venir vous présenter mes respects mais l’unique privilège de l'age n’est-il pas justement de recevoir de la visite ? »
Rafale était en effet étonné de voir Brouillard si vieux. Il l’avait aperçu quelques années plus tôt mais on aurait dit que la vieillesse l’avait pris d’un coup. Le père d’Espoir ne devait pourtant pas être si âgé.
« Je suis heureux au contraire que vous ayez sollicité ma présence, le voyage me fut très agréable. »
Brouillard sourit. « Moi aussi, à votre age, j’aimais chevaucher des heures durant. Maintenant, je me traîne d’une pièce à l’autre. Profitez de votre jeunesse, elle passe si vite. » Il fronça les sourcils. « Mais vous laisse-t-on en profiter au moins ?
- Pas vraiment non. Pourquoi vouliez-vous me voir ?
- J’aimerai pouvoir vous dire que c’est pour vous distraire mais je crains que ce ne soit pas le cas. J’ai quelques soucis qui me tracassent. Quelques informations que j’ai toujours pris soin de garder pour moi mais qui me semblent important de divulguer, vu les échos qui me parviennent de la situation. Sans doute devrais-je en parler à mes petits enfants mais je crains que certaines histoires de famille soient trop chargées en émotions pour qu’ils fassent preuves de parcimonie. Je suis fier de mes petits enfants, autant qu’un grand père peut l’être. Plus peut-être. Qui peut se vanter d’avoir eu trois Maître parmi sa descendance ? Je suis fier de la justice de Glace. Le peuple de Taegaïan le respecte et lui accorde toute sa confiance. J’ai un grand respect pour Matinée. Je regrette juste d’avoir tant tardé à faire sa connaissance. Il n’y a pas un jour où je ne pleure la disparition de Prestance, même si je ne devrais pas, je dois avouer qu’elle était ma préférée. Sa disparition fut une grande perte pour moi, presque autant que celle de mon fils. Et Pluie. Ah, nombreux se demandent pourquoi votre père y était si attachée. En ce qui me concerne, cela paraît évident. Elle est animée d’une fraîcheur, d’une impétuosité, elle passe sans transition de la colère à l’éclat de rire. Elle est tour à tour déluge terrifiant et fine bruine rafraîchissante. Certains disent qu’elle n’est encore qu’une enfant. Ils n’ont pas tort. Souvent je me querelle avec elle pour la pousser à acquérir plus de maturité mais au fond de moi, j’aimerais plutôt qu’elle retrouve la naïveté que votre père lui a enlevé à sa mort. Même après tout ce temps, elle est encore amoureuse de lui. Vous êtes notre gardien, jeune Annunaki, sans doute est-ce à vous d’avoir en connaissance toutes les données. Après, libre à vous d’en parler à mes petits enfants
- Dis-moi ce qui te préoccupe Brouillard.
- Je n’ai toujours eu qu’un souci de préoccupation mais suffisant pour me faire vieillir avant l’age. J’ai appris que vous alliez être père. Vous verrez que c’est le rôle le plus dur qu’il puisse exister. Le plus formidable aussi. J’ai eu mon fils très tard. Alors que depuis longtemps j’avais renoncé à espérer une telle bénédiction. Peut-être suis-je en cause. Je l’ai sans doute trop chéri.
- Je sais que vous avez perdu votre fils. Tous ici ont eu vent de la disparition d’Espoir même s’il est mort avant ma naissance.
- Oui. J’aurais préféré que ses activités aient été plus discrètes. Je n’ai jamais apprécié l’attirance qu’il pouvait avoir pour les mondes extérieurs mais à seize ans il est parti, sûr de pouvoir conquérir l’univers. Un coq sans cervelle oui. Mais il était adulte et je n’ai pu le retenir. Il a passé quelques années sur les Maÿcentres, revenant de temps en temps. Juste le temps de faire deux beaux enfants avant de se prendre d’un soudain intérêt pour la Terre. Il semblait vivre quelques rêves sans suite, poussé par je ne sais quel instinct. J’ai même pensé qu’il avait peut-être hérité des dons de clairvoyance dont parlent les légendes anciennes mais je pense plutôt qu’il ne s’agissait que d’un esprit trop léger ou ses rêves trop puissants lui cachaient la réalité. Bref. Il s’est décidé à assumer les charges de Maître de Taegaïan. En échange, j’ai accepté qu’il me ramène son petit hybride de fille et sa mère issue de la terre qu’on avait installée a l’époque dans le cabanon que vous avez mis à la disposition de la fille de Cashir. Pendant quelques années, j’ai pensé avoir réussi à faire quelque chose de lui. Il semblait s’être assagi, prenait grand soin de son peule puis il est reparti »
Rafale le coupa. Toute son histoire, il la connaissait déjà. Il avait l’impression de perdre son temps. « Ne pourrais-tu en venir au fait ?
- Je vais essayer oui. Glace me tient informé des histoires de Grésil. C’est mon arrière petite-fille, c’est normal que je m’inquiète pour elle. Il m’a dit qu’elle avait évoqué un certain Accalmie. »
Rafale se fit plus attentif. « En effet oui. Tu sais quelque chose là-dessus ?
- Non, pas vraiment mais je connaissais les ambitions de mon fils. C’était un conquérant. Il voulait que la puissance Adarii gouverne l’univers. Son premier enfant, il était jeune, il l’a fait par amour. Glace, il l’a toujours vu prendre le contrôle de Taegaïan. Je sais qu’il voulait que Pluie prenne le contrôle de la Terre mais très vite, il s’est rendu compte qu’elle ne partagerait jamais ses ambitions. Faire un enfant à Tiyana, s’était s’assurer le contrôle des domaines de Saphir.
- Attends » coupa Rafale. « Tu dis que Pluie ne partageait pas ses ambitions ?
- Non, il l’a élevée ici, elle nous ressemblait trop. Un jour, après avoir ramené la mère de Pluie sur Terre, il m’a dit une chose étrange. Je lui avais dit qu’il allait tout faire exploser en agissant comme il le faisait. Il m’a sourit bizarrement et m’a dit que j’avais raison. « Mon prochain enfant » a-t-il ajouté. Il pourrait équilibrer tout cela. Il pourrait prendre la place que Pluie n’a jamais pu se faire sur Terre. Et je l’appellerais Accalmie.
- Tu penses que cet Accalmie existe et serait un fils d’Espoir ?
- Je ne peux l’affirmer. Il ne m’a jamais dit s’il avait eu cet enfant. D’un autre coté, il ne m’a jamais parlé de Matinée non plus.
- Encore un hybride résultant d’un mélange avec une simple fille Terrienne. » Rafale n’avait pas hésité à mettre dans sa voix tout l’écœurement que cette infamie représentait à ses yeux. Brouillard fronça les sourcils.
« Les mondes extérieurs recèlent bien des mystères même à votre grandeur Annunaki. Laissez-moi le privilège de l’age pour avoir engranger quelques savoirs. J’ai toujours réprouvé les comportements de mon fils. Son amour impétueux des femmes en particulier. Mais au sujet de Pluie, c’est différent. Cette liaison avec une Terrienne, je ne l’ai jamais approuvé et le fait qu’il la ramène parmi nous, j’ai trouvé un tel comportement scandaleux. J’ai compris plus tard que s’il l’avait amené, c’est qu’il n’a pas eu le choix. Il avait eu la faiblesse de confier à cette femme bien trop de secrets et les révélations qu’elle aurait pu faire aux Maÿcentres auraient pu tous nous détruire dans l’état de faiblesse ou nous étions alors.
Rafale se mit à rire. « Le puissant Espoir au main d’une simple étrangère. Voyons Brouillard, n’exagérons rien.
- Votre vanité vous aveugle Annunaki. Un conseil cependant, méfiez-vous des Maÿcentres, mais ils sont faibles, ceux de Vengeance sont discrets mais perfides. Quant à
- Leur puissance est importante mais je ne pense pas qu’ils aient accès à l’espace avant un bon moment. La confédération des Vengeance Maÿcentres s’en méfie trop pour leur laisser leur technologie spatiale. Ils sont bloqués sur leur planète et qu’ils y restent. C’était déjà assez stupide à mon sens d’amener la mère de Pluie ici.
- Pourtant, nous venons tous de la Terre. Il y eut un temps où leur peuple voyageait dans les étoiles.
- Ce temps est révolu depuis longtemps. Ce n’est pas leurs légendes que nous avons à craindre. »
Brouillard se taisait. Il paraissait perdu dans la contemplation d’un bassin d’eau clair.
« Mon fils était fort. Personne ne le contestera. Il inspirait crainte et respect. Nul ne pouvait lui tenir tête, sauf peut-être Emma. »
Rafale commençait à se demander si le vieillard avait encore toute sa tête.
« Emma, la mère de Pluie ? Je pensais que tu tenais ton fils en haute estime. Oserais-tu insinuer qu’il courbait l ‘échine devant une fille de l’extérieur, moins qu’une fille du peuple !
- Non, j’insinuerais plutôt qu’Emma n’avait rien d’une femme du peuple. Son pouvoir égalait presque le notre et je crains le dépassait sur certains points. Elle avait certaines capacités télépathiques même si elle refusait de les utiliser. Elle savait aussi déplacer des objets à distance mais elle ne ressentait pas les émotions des autres ce qui ne faisait qu’accroitre sa force et le peuple ne ressentait pas son pouvoir. Imagine quelqu’un ayant une puissance presque égale à la notre mais jamais perturbée par les émotions environnantes et pouvant passer inaperçue.
Non, Pluie n’est pas la fille d’une simple femme de la Terre.
- Comment ? »
Brouillard secoua la tête et quitta la contemplation du bassin pour en revenir à son interlocuteur. « Je ne sais pas. Avec mon fils, nous avions de nombreux différents et souvent, nous préférions nous tenir à une courtoisie de façade plutôt qu’à des discutions houleuses mais, quand il parlait de Pluie, il disait que le sang des anciens coulait dans ses veines, que sont seul pouvoir sur Emma, c’était l’amour que lui portait Pluie.
- Que voulait-il dire par là ?
Je ne sais pas mais, quand elle a eu huit ans, Espoir est reparti sur Terre ramenant Emma avec lui. Son séjour sur Plume l’avait détruite, nos cultures sont trop différentes et elle ne l’avait pas supportée. Espoir disait qu’elle avait perdu la raison et qu’elle ne parlerait pas. Je lui ai suggéré de ramener Pluie aussi. Il m’a dit que c’était trop tard pour la petite. Qu’il avait fait une erreur en l’amenant sur Plume. La gamine s’était parfaitement adaptée à la vie ici et il pensait que s’il la laissait sur Terre avec sa mère, elle subirait un choc culturel similaire et que ça la détruirait. L’avenir démontra qu’il avait raison pourtant, je savais qu’il tenait à
- Vous pensez qu’il a fait un autre enfant à cette Emma ?
- Non, nous l’aurions su. Pluie a vécu plusieurs années avec elle par la suite.
- Alors quoi ?
- Je sais qu’Emma n’était pas la seule. Espoir en avait rencontré d’autres comme elle et ce n’est pas tout. »
Le vieil homme se pencha vers le mur de sa maison et bientôt plusieurs pétroglyphes apparurent sous ses doigts. Rafale lut sans comprendre : l’Origine, l’esprit, la matière, le désir. « Oui et alors ?
- Connais-tu les anciennes religions de Vengeance ?
- Je sais que les mondes extérieurs ont une flopée de Dieux auxquels ils ne croient même pas mais dont ils se servent pour expliquer l’origine de tous les problèmes qu’ils ne peuvent nous mettre sur le dos »
Brouillard sourit. Sans doute avait-il reconnu dans ses mots les paroles d’Orage.
« Espoir a été sur Vengeance » continua-t-il « il me disait que dans les villes anciennes, on trouvait encore des stèles. Ce sont des sortes de pierres plates aux souvenirs ou en hommage à une des ses divinités. Chacune de ses stèles portent une sorte de sigle cabalistique propre à chaque divinité. Ce que j’ai gravé là, sont les représentations des quatre Dieux à la base des anciennes religions de Vengeance »
Rafale avait du mal à suivre le discours du vieil homme. Il ne se souvenait pas du nom des Dieux de Vengeance. Sans doute ne les avait-il jamais su mais il savait que leurs noms étaient abstraits et l’écriture de Plume n’était pas connue de Vengeance. Il en fit la remarque à Brouillard.
« En effet » dit-il « Ses Dieux qu’ils nomment avec des noms abstraits possédant au moins un voir deux son i sont désignés avec les caractères de l’antique langue de Saphir pour désigner le début ou origine. L’esprit ou vérité la matière ou substance, le désir ou plaisir
- Et comment Espoir interprétait-il ça ?
- Espoir n’interprétait jamais. Il constatait c’est tout. Une fois sur Terre, il a bâti ce que les indigènes appellent société.
Rafale était au courant. Sa société portait même son nom. Brouillard le reprit.
« Non » dit-il « la société d’un certain Marcus Substance que dirigeait Espoir portait son nom.
- Marcus Substance ?
- Oui, je ne sais rien de lui si ce n’est que tous les travaux d’Espoir sur Terre étaient élaborés avec cet homme.
Terre : Royaume-Uni
« Un pas de plus et je tire »
Hélène leva les bras et se mit à hurler. Thibault n’avait pas l’habitude de se faire attaquer par derrière. Il sentait toujours la présence des gens avant de les voir. Hélène s’était retournée baissant les bras pour les reposer contre sa poitrine et reprendre son souffle.
« On ne bouge pas, j’ai dit »
Hélène ébaucha encore un pas « Emma, c’est moi. Hélène »
Thibault entendit le déclic du cran de sureté et tira Hélène vers lui juste à temps. Un coup de feu, et la balle vint se planter dans le mur à la place où se trouvait Hélène une seconde plus tôt. Emma était complètement folle, ce n’était un secret pour personne.
« Pose ce flingue Emma.
Elle ne le posa pas « Ma petite compagne de cœur et maintenant Thibault. Jolie réunion de famille » Emma avait utilisé le terme de la langue de Plume pour désigner une femme ayant le même compagnon qu’elle. Thibault s’était demandé si Emma savait les relations qu’Espoir entretenait avec Hélène. Oui, Emma savait bien plus de choses que ne pouvait le laisser penser son cerveau fêlé. Dans un sens ils avaient bien fait de venir jusqu’ici. D’un coté seulement car de l’autre, Hélène avait raison, il serait bon de ressortir vivant. Quand elle avait dit ça, elle faisait allusion au fait qu’Emma était sans doute mêlée aux affaires de la confédération, que c’était sans doute elle qui les avait dénoncé ou au moins dénoncé Substance et que justement, eux devaient éviter le plus possible de se trouver dans leurs chemin. Ils n’avaient pas fuit à l’autre bout du monde juste pour se jeter dans leur filet en Angleterre. Pour autant, ils n’avaient pas pensé qu’ils pourraient tout simplement se faire tuer par la folle Emma. Malgré la situation tragique, Thibault ne put s’empêcher de rire. Les nerfs sans doute.
« Mike » hurla soudain Emma pointant son arme vers Thibault.
« Non, moi c’est Thibault » Dit Thibault pensant que sa folie lui faisait confondre les noms.
« Je veux Mike de suite. » cria-t-elle
« Mike est sur les Maÿcentres, il joue les ambassadeurs » dit Thibault en levant les bras pour signifier une position dont elle n’avait rien à craindre. Il essayait de capter son regard mais elle ne restait pas en place, regardant en tous sens comme un animal pris au piège. Il se rapprocha légèrement. Il y avait d’autres personnes dans la pièce à coté. Il sentait leurs présences. Angoisse aussi et quelque chose de plus. Douleur peut-être. Malgré la porte ouverte, il faisait trop sombre. Il se força à regarder l’arme toujours braquée sur lui. Elle ne la tenait pas fermement, mais s’il tentait de lui enlever des mains, elle risquait de tirer.
Hélène intervint « calme toi Emma. Nous pouvons peut-être faire quelque chose. Laisse-nous t-aider »
Le ton de sa voix était doux et elle avait même réussi à dissimuler son angoisse. Elle continua à lui parler avec douceur et petit à petit les bras d’Emma se baissèrent.
Thibault se sentit soulagé. Hélène lui prit doucement l’arme des mains et Emma se mit à sangloter. Elle voulut la prendre dans ses bras mais reçut une gifle monumentale. He oui, on a beau dire, les filles d’ici ne copineront jamais avec celles qui se sont tapées leurs hommes et cela même si c’est un homme qu’elle déteste. Thibault laissa les filles à leur règlements de compte. Il alluma la lumière et se dirigea vers la pièce voisine. « Merde » Ce fut le seul mot qu’il parvint à formuler. Hélène arriva à son tour se tenant toujours la joue et fulminant maintenant contre Emma. Elle s’arrêta net devant la porte et se mit à hurler à nouveau.
« Et après on dit que c’est moi qui manque de discrétion » murmura Thibault.
Il y avait là un homme saucissonné, bâillonné et attaché contre le montant d’un lit. Un autre était étendu sur le lit à la limite de la conscience. Il était blessé. Sans doute sérieusement vu le sang qui maculait le lit et le plancher.
« Que s’est-il passé ici ? » souffla Thibault « Qui est-ce ? »
La crise d’Emma semblait s’être momentanément apaisée. Elle s’approcha, les bras croisés contre sa poitrine, pour contenir ses tremblements. « C’est un accident, juste un accident » Elle avait du mal à parler, s’obligeant à prendre de grandes inspirations pour garder son calme. Thibault n’ignorait pas que si elle recommençait à paniquer, elle risquait de repartir dans une nouvelle crise de démence. Il se força à se taire et à la laisser continuer.
« Il est arrivé » dit-elle désignant l’homme ligoté « il voulait me faire subir un interrogatoire mais je ne voulais pas. J’ai paniqué » C’était suffisant pour Thibault. Hélène désigna cependant l’autre homme qui perdait la moitié de son sang sur le lit. « C’est mon mari » dit Emma.
« Quoi ! » s’exclama Thibault, « tu lui as tiré dessus » Hélène lui lança un regard noir. Emma tirait sur tout ce qui bouge et c’était lui qui avait les reproches.
« J’ai pas fait exprès » dit Emma d’une toute petite voix.
Evidemment, si elle n’avait pas fait exprès.
Hélène s’était approchée du blessé. L’autre au bas du lit commença à se débattre mais elle ne s’en préoccupa pas. Elle avait raison. Chaque chose en son temps.
« Il faut l’amener à l’hôpital » brillante déduction d’Hélène, au moins ses études de biologie et de génétique portaient ses fruits. Thibault se prit à rire tout seul de ses propres pensées. Lui aussi commençait à perdre le nord.
Emma garda sa voix de petite fille « je ne peux pas » dit-elle » il a tout entendu. « Je veux Mike » ajouta-t-elle en se mettant à pleurer. Logique, Mike était le seul à avoir réussi à développer certains talents de guérisseur. Hélène tenta de la raisonner tout en observant la blessure. L’homme grinça quand Hélène toucha sa blessure mais rien de plus. « Tu as extrait la balle » demanda Hélène pragmatique.
- Oui par télékinésie »
Hélène ne fit pas de commentaire. Thibault imaginait déjà les explications à l’hôpital : Nous avons un blessé par balle sans balle qui s’est fait tiré dessus par sa femme qui n’a pas fait exprès sous le coup d’une crise de panique. Ca fait bon effet ça.
Hélène se tourna vers lui « tu ne peux pas faire quelque chose puisque tu parais avoir fait quelques progrès douteux ? »
Thibault haussa les épaules. Hélène lui avait fait plusieurs remarques dans ce sens mais il n’allait surement pas lui dévoiler ses découvertes aux sujets de Cyril, des textes et de la pierre d’Onirique.
« Je n’y connais rien moi mais je devrais être capable de lui concocter une petite amnésie bien explicable par son traumatisme »
Emma fronça les sourcils. Hé oui, ca, même elle ne savait pas le faire. Le petit Thibault avait dépassé Emma. De toute façon, elle n’utilisait jamais ses capacités. Du gâchis. Miss sens moral préférait tirer proprement sur son mari avec une arme à feu. Le monde selon Emma. Il y aurait de quoi en écrire plusieurs tomes.
« Qu’est ce que tu attends » lui dit-elle.
Je ne sais pas qu’elle lui dise s’il te plait peut-être. Il ne dit pas ses mots à voix hautes se contentant de se rapprocher. Hélène avait pris le téléphone et composait le numéro des urgences. Thibault en revint à son souci premier « pourquoi la confédération nous recherche ainsi que Marcus Substance ».
Emma se tortillait les doigts regardant frénétiquement par la fenêtre. Il avait oublié le plus important. Il y avait eu un coup de feu, il y avait ici un homme des Maÿcentres ou embauché par eux. Ils n’allaient donc pas tarder à se retrouver envahit par la police et d’autres agents.
Emma se décida cependant à répondre. « Ils nous cherchent parce que nous sommes de la même famille. Le sang des anciens emprisonnés par Sempiternel. Marcus le savait. Il est le lien. »
Wouha, la folle Emma n’était peut-être pas si folle. Thibault jeta un œil à Hélène. Elle n’avait pas eu de réactions. Normal, lui aussi, avant les confidences de Cyril, n’aurait pas pris garde à ce qu’il aurait pris pour des divagations. Il verrait ça plus tard. Le plus urgent, c’était le blessé. Les sirènes retentissaient déjà. Il espérait que ce soit l’ambulance mais il aperçut plusieurs voitures de police qui s’arrêtèrent devant la porte.
Maÿcentres : Colline du conseil
Accalmie observait les deux enfants qui jouaient innocemment dans le jardin. Leurs manteaux étaient trop grands. Le petit garçon passait son temps à remonter les manches qui lui recouvraient les mains. La petite était montée sur un muret qui avait l’air d’être un mélange de ciment et de coquillage et s’exerçait à une démonstration d’équilibre sous les encouragements de son compagnon qui la salua d’une manière très cérémonieuse à sa descente. Elle partit d’un grand éclat de rire et le garçon prit sa place sur le muret. Accalmie sentit la présence de Dyasella à ses côtés. La joie de cette dernière lui mit du baume au cœur. Qu’est ce qui vous rend si joyeuse Dyasella ?
Vous voir debout. Je commençais à me préoccuper sérieusement de votre santé. Elle s’approcha de la fenêtre et perdit tout entrain. Par contre, elle, j’aimerais qu’elle ait un peu moins de vigueur. Elle m’inquiète. Le jardin est bien fermé mais je crains toujours que quelqu’un la voit et les rumeurs vont vite. Il serait plus prudent qu’elle reste dans la maison. »
La petite riait toujours. Une enfant. Une simple enfant. Insouciante et heureuse de vivre. Pourtant, elle avait réussi à le trouver et à le sortir de sa prison comme si elle faisait une simple promenade d’agrément. Elle l’avait emmené chez cette femme magnifique qui vivait seule dans cette villa de luxe puis elle s’était désintéressée de lui comme si elle avait finie de jouer et qu’elle voulait trouver une autre occupation.
« Qui est-ce ?
- Vous voulez dire que vous ne le savez pas ?
- Oui et non. Je la connais d’une certaine façon. »
Dyasella approuva de la tête. Cette explication, que lui-même ne comprenait pas, semblait lui convenir. Sans doute en connaissait-elle plus que lui-même. Ils n’avaient pas vraiment discuté depuis son arrivée. Elle s’était occupée de lui. Après plusieurs mois enfermés dans le noir, il lui avait fallu quelques temps pour récupérer. Elle le cachait et il ne savait même pas pourquoi elle faisait ça. Il ne lui avait pas demandé. Il voulait éviter de partir dans une conversation qui risquait de le mener sur des terrains qu’il ne souhaitait aborder avant d’en savoir plus. Il savait qu’elle s’appelait Dyasella Lytil. Il lui avait dit qu’il s’appelait Accalmie. Ce nom ne l’avait pas satisfait. En tout cas, ça avait fait monter en elle quelques doutes. Il avait répété ce concept dans sa langue et elle avait paru satisfaite. Elle lui avait expliqué que les enfants avaient fait une fugue et s’étaient retrouvés dans son vaisseau et qu’elle ne pouvait les ramener. Accalmie n’en avait pas demandé plus. Dyasella avait peur.
« Je sais que je n’ai pas à demander ça mais qui êtes-vous Accalmie ? Comment êtes-vous arrivé ici ? »
Il se décida à décrocher le regard des jeux d’enfants « Je viens de
- De la Terre ? Vous voulez dire que vous ne venez pas ni de Saphir ni de Plume ?
- Non. J’ai toujours vécu sur Terre. Je crois que mon père venait de Plume mais il est mort quand j’étais petit et je ne suis jamais allé là-bas.
- Qui était-ce ? »
Accalmie sourit. Lui-même l’ignorait. Une fille d’ici ne le connaîtrait pas. « Je sais qu’il s’appelait Espoir. »
La surprise de Dyasella submergea Accalmie puis s’estompa.
« Vous connaissiez mon père ? »
- Espoir. Oui, non, enfin comme tout le monde. Je ne l’ai jamais vu, je sais qu’il a passé quelque temps sur les Maÿcentres mais c’était avant ma naissance. Ma mère l’a aperçu je crois à une réception sur Vengeance. Il sortait beaucoup parait-il
- Qu’est-ce qu’elle vous en a dit ?
- Qu’il était impressionnant c’est tout. »
Elle était gênée. Elle ne voulait pas en dire plus. Sans doute ne lui en avait-on pas dit que du bien. Thibault avait dit qu’il y avait eu des dissensions entre les deux peuples. Il lui avait déjà demandé si elle savait ce qu’il était advenu de Plume. Elle lui avait dit qu’elle savait que les terres Adarii se portaient à merveille. Nul besoin d’empathie pour saisir le sarcasme. Il n’avait rien ajouté. Il dépendait exclusivement de cette femme, il n’allait pas se la mettre à dos en évoquant des sujets risqués. Il repartit sur des banalités.
« Il est très beau ce jardin. Cette maison aussi
- C’est la maison de ma mère, c’est elle qui l’a conçue.
- Et vous l’entretenez seule ?
- J’avais un jardinier mais je l’ai renvoyé. Je ne tiens pas à ce que les gens sachent ce qu’il se passe ici
Accalmie se tourna enfin vers Dyasella, sa beauté lui fit perdre le sens des réalités mais il se reprit. « Dyasella, vous m’avez sauvé et je vous cause beaucoup de soucis. Comment pourrais-je vous remercier ? »
La jeune femme sourit puis éclata de rire. « En effet, vous ne venez pas de Plume. Je n’ai rien fait, c’est Grésil qui vous a sorti de là. »
Elle se mordit la lèvre et la légère angoisse qui semblait la suivre partout reprit sa place. Elle hésita et finit par se lancer « Vous étiez sérieux quand vous m’avez proposé de me remercier ?
- Bien sur, vous risquez beaucoup en m’hébergeant.
- Alors, disons que je sauve votre vie en vous cachant ici et que vous sauvez la mienne en retour.
- Comment ? »
Dyasella indiqua la petite du doigt à travers la vitre. Grésil, je voudrais que vous la preniez en charge.
- Comment, je ne comprends pas ?
- J’ai peur. Tous les jours j’ai peur. Je n’ai pas fait exprès de récupérer cette petite. Je fais ce que je peux pour elle mais je passe ma vie à scruter le ciel, redoutant le jour où la flotte de Saphir Plume viendra la récupérer. Je n’ose imaginer le sort qu’il me réserve mais si il lui arrive le moindre problème, ils me tueront, j’en suis sûre et elle n’écoute rien. Elle prend des risques inconsidérés à se promener partout. Pendant un temps, un homme de Plume est venu s’occuper d’elle. Je ne peux pas dire que j’appréciais l’avoir chez moi mais au moins, la petite l’écoutait. Il est parti le jour où Grésil vous a ramené. Grésil a dit qu’elle lui avait confié une mission. Elle m’a dit qu’il était chargé de révéler les méfaits du président. Elle ne m’en a pas dit plus mais j’ai peur. Je risque de me retrouver coupable aussi bien du coté de mon peuple que du vôtre de part la présence des ces enfants.
- Mais vous n’y êtes pour rien, vous avez dit ignorer la présence de Grésil.
- Je ne suis pas sure qu’ils se préoccupent de ce genre de détail.
- Et que puis-je faire ?
- Vous m’avez dit être le fils d’Espoir. » Elle désigna la fenêtre « Vous êtes de la même famille que cette petite et de la même race. Ca compte pour eux. Si je mets la petite sous votre responsabilité, même si vous restez ici, peut-être seront-ils plus magnanime bien que je n’imagine pas que Pluie connaisse le sens de ce mot ».
Accalmie avait accepté. Dyasella était soulagée mais elle craignait que ça ne suffise pas. Il y avait autre chose aussi. D’autres sentiments qui entraient en jeu. D’abord elle avait appris que Grésil était la fille d’Orage et de Pluie. Elle en avait ressentie une jalousie disproportionnée vis-à-vis de Pluie et maintenant, il y avait Accalmie et sa mère qui n’était pas Adarii. Elle pensait que les Adarii ne pouvaient pas avoir d’enfants avec ceux qui n’étaient pas des leurs. En tout cas, c’est ce qu’Orage avait dit pour la rassurer. Elle n’avait pas été rassurée. Elle était seule. Orage avait laissé Grésil à Pluie mais elle n’avait rien.
« Vous en avez vraiment si peur ? » La voix d’Accalmie lui parvint comme de très loin.
« Je ne sais pas de quoi ils sont capables. Elle a huit ans et elle vous a sorti seule des griffes de Synshy
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