6
La chance, c’est ce qu’on croit toujours qu’on n’a pas.
[Patrice Leconte]
Maÿcentres : Ambassade de Plume :
La villa Adarii était si vaste qu’Accalmie doutait d’avoir ne fut-ce que visité chaque recoin. Pourtant, paradoxalement, il commençait à croire impossible d’avoir un moment de tranquillité. Depuis que le froid était arrivé il avait renoncé à ses séances de calme sur le toit où il pouvait réfléchir à l’aise, non pas aux turpitudes de son environnement mais juste à lui. A Chance aussi. Parfois il la sentait tout proche, comme si elle se trouvait derrière un mur translucide où il ne pourrait que percevoir son ombre sans jamais l’approcher. Il retint un soupir en voyant Ambre et Jade dans le salon de Taegaïan. Il ne chercha pas à cacher son exaspération « Que faites vous ici ? ».
- Ce sont mes invités » Pluie sortit d’une des chambres et s’assit près du feu en se frottant les mains. Dehors, le jour se levait à peine. Les jardins de la villa étaient entièrement recouverts d’une couche de neige. Accalmie laissa son regard dériver sur l’horizon. « Est-il normal que la neige se cantonne au périmètre de la villa ?
- C’est joli » remarqua Pluie « Rafale et moi trouvions que le froid sans neige était inutile mais je ne vois pas pourquoi nous devrions en faire profiter tout le monde. »
Logique imparable, totalement indiscutable. Voilà le genre de détail stupide pour lequel on le harcèlerait de questions toute la journée pour avoir des explications que de toute façon, il ne donnerait pas. Rafale l’avait fait exprès pour le mettre dans l’embarras, c’était sur.
« Vous ne voulez pas aller dans le salon d’Incarada ?
- Jade y a mis un bordel incroyable... » fit remarquer Ambre
Jade se défendit « il fait trop froid pour que je fasse mes expérimentations en bas »
- Vous pouvez aller dans la bibliothèque.
- Si tu veux te geler en bas, libre à toi mais tu ne chasseras pas mes invités »
Jade se décida à poser son ordinateur « Ambre a beau se plaindre, une fois que j’aurais réparé les accumulateurs et fini les modifications sur mes nouveaux écrans isolants, nous pourrons avoir chaud dans toute la villa.
Accalmie évita de faire remarquer qu’en attendant, s’ils avaient froids c’était à cause des expérimentations ratées de Jade et qu’il ferait mieux de trouver un technicien pour s’en occuper.
Pluie s’installa entre Ambre et Jade « Et je disais donc, avant d’être interrompue, qu’Eclaircie avait chargé Grésil de s’en occuper. Evidemment, elle est ravie. Ca concorde à la fois avec ses élucubrations d’espionnage et son altruisme exacerbé mais ce n’est pas le moment. Elle est fragile. Elle change, c’est une période difficile pour elle.
- Au contraire, ça la distraira » dit Jade.
Accalmie ouvrit la porte de sa chambre et fut accueilli par un souffle glacé. Décidemment il n’y avait plus un panneau solaire qui marchait dans toute la villa. Il renonça et retourna vers le feu du salon « Rafale n’est pas capable de réchauffer aussi l’atmosphère tant qu’il y est ?
- Et après il se plaint à cause d’un peu de neige » maugréa Pluie.
Accalmie ne saisit pas le rapport.
Ambre reprit sans se préoccuper de ses états d’âme « je pense que, dans un sens, elles peuvent se comprendre, elles doivent toutes les deux s’adapter à une situation entièrement nouvelle.
Personne ne répondit mais Accalmie ressentit la désapprobation de Pluie. « D’accord ça n’a rien à voir » corrigea Ambre.
Accalmie se décida à s’approcher, de toute façon il n’avait rien d’autre à faire « vous complotez encore sur cette pauvre Réalité ? »
- On ne complote pas. On se lamente » précisa Pluie. Elle avait l’air plus fâchée que lamentée mais bon, à son aise.
« C’est un homme et une femme qui s’aiment. Point final, il n’y a pas de quoi faire une affaire d’état » fit remarquer Accalmie
« Tu vas me faire pleurer. Toi aussi tu me parais bien amoureux et je me méfie de toi autant que d’Eclaircie.
- Ne t’inquiète pas Pluie, je sais qui c’est. Pas de risque à avoir de ce coté là. »
Pluie se tourna vers Jade débordant de curiosité. « Tu sais qui met mon petit frère dans cet état ? »
Quand elle parlait de fratrie entre eux, c’était uniquement pour lui jouer un mauvais coup ou se servir de lui. Accalmie était furieux. Ne pouvaient-ils pas au moins se mêler de leur affaire ? « Jade tu te tais.
- J’ai juste dit que je savais qui c’était, je ne comptais pas dire son nom ».
Etonnamment, personne n’insista. Accalmie en fut soulagé.
« Et donc tu disais que sa mère l’avait reniée ? » Ambre avait repris sur les histoires de Réalité.
Pluie le suivit sur cette conversation « oui, je ne sais pas exactement ce que ça veut dire. Une façon de briser le lien filial qui les unisse. J’ai du mal à imaginer comment il est possible d’en arriver à une telle extrémité.
- J’ai entendu dire que vous aviez failli vous entretuer ta mère et toi ? »
Pluie avisa Jade qu’il n’avait pas besoin de s’exprimer pour relever ce genre de chose, que la situation n’était pas comparable et Ambre embraya sur Réalité avant que ça dégénère « Je croyais que Réalité était sous la responsabilité de son père. N’est-elle pas l’héritière de la guilde ? »
Pluie accepta de se calmer « Alors là, tu dépasses de loin mes compétences. Je crois que, en Cashir, les enfants appartiennent à la cité mais sont sous la responsabilité du foyer de la mère et de l’homme qui le partage mais en effet au niveau de la guilde c’est son père. En plus, comme elle est adulte elle devrait être détachée de ses parents. Je n’en sais rien en fait.
- Mais elle reste apprentie de la guilde ? »
Accalmie se leva et fit quelques pas vers la fenêtre. Cette pauvre fille venait d’être rejetée par sa mère et ce qui les inquiétait c’était de savoir si Réalité aurait encore accès aux informations de la guilde afin de pomper leurs connaissances.
Il revint vers la table et s’assit sur le tapis. « Et qu’a prévu Maître Glace pour la punir de son acte abjecte ?» dit-il sarcastique « l’emprisonner, la soumettre à un de vos chantages que vous affectionnez tant, ou juste lui faire perdre la mémoire jusqu'à ce qu’elle oublie jusqu’à son nom qui lui-même est une offense ? »
Les deux hommes et Pluie se regardèrent comme si ce mouvement d’humeur était totalement absurde.
- Tu n’es vraiment pas normal Accalmie » soupira Pluie « pourquoi ferait-on quoi que se soit ? »
Que pouvait-il répondre à ça ? Il se leva en pensant qu’il serait mieux dans le froid qu’avec eux. Jade s’était remis à trafiquer une antenne. Ambre et Pluie s’était lancé dans une conversation silencieuse et leurs cachotteries l’irrita encore plus que leurs idées extravagantes. La lumière disparut d’un coup et, malgré la baie vitrée et le feu de cheminée, la pièce sembla sombre sous le ciel plombé. Accalmie fixa Jade qui réfléchissait intensément sans doute à l’erreur qui avait dû provoquer ça. Dehors, les lumières de l’esplanade s’étaient toutes éteintes. Accalmie soupira « tu t’es relié au réseau de la colline ?» demanda-t-il à Jade même si la réponse était évidente.
« Bien sur » dit-il comme si c’était évident.
« Il te faut une autorisation pour ça et il faut que se soit reconnu d’utilité publique.
- J’ai une autorisation. »
Accalmie sortit sans plus insister. Evidemment, Jade avait une autorisation, il était capable d’obtenir n’importe quoi et la notion de librement consenti lui était totalement étrangère. Il croisa Rafale dans le couloir qui le toisa de haut en bas avec un air de mépris profond. Accalmie sourit constatant que Rafale était obligé de lever la tête pour le regarder en face. « Il n’y a plus de lumière ni de chauffage.
- Voyez ça avec Jade, Annunaki.
- Tu gères les Maÿcentres, alors tu gères leurs énergies.
Accalmie n’y tient plus « si je gère les Maÿcentres, alors ça me donne le droit de gérer aussi ceux qui y sont et je songe sérieusement à vous renvoyer tous chez vous ». Une bouffée d’angoisse l’envahit. Il se mit à trembler, ses jambes ne le soutenaient plus et il tomba aux pieds de Rafale qui se décida à ébaucher l’ombre d’un sourire. « Tu rêves là. »
Il resta encore un moment assis sur le sol gelé à chercher son souffle et reprendre ses esprits. Pluie passa devant lui se contentant de lui dire qu’il ressemblait à quelqu’un qui avait mis Rafale de mauvaise humeur. Il se releva, prit un manteau et sortit. Une longue journée l’attendait. Ce genre de journée où il devrait expliquer comment la villa avait pu pirater le satellite réseau gérant la lumière de la colline et pourquoi il y avait un micro climat neigeux au dessus de la villa. Et puis Dyasella prendrait cet air désolé, celui qu’elle prenait quand elle perdait confiance en elle et se disait qu’elle avait fait la plus grosse erreur de sa vie le jour ou elle avait décidé de s’impliquer dans les affaires des territoires Adarii. Il pensa encore à Cyril. Personne ne l’avait prévenu du scandale dont sa fille faisait l’objet. Il se demanda s’il fallait l’avertir. Il ne voulait pas que Réalité ait d’autres problèmes
Terre : Washington
« C’est une très mauvaise idée. »
Thibault hésita. Evidemment que c’était une très mauvaise idée. Il avait poussée Tempête à accepter son plan. Mais au fond, elle en était ravie. Quand elle disait que c’est une mauvaise idée, elle ne voulait sans doute pas parler de la réception. Plutôt le fait qu’elle agisse sans avoir demandé le consentement de ses supérieurs qui seraient furieux de savoir ce qu’elle avait fait. Elle avait beau être très indépendante. Elle n’en avait pas moins des comptes à rendre. Thibault l’aida à enlever le manteau de fourrure qui la couvrait. Il décida de ne pas l’influencer plus, elle finirait par s’en rendre compte. Il préféra utiliser des moyens plus classiques en précisant que maintenant c’était un peu tard pour faire demi tour et que par conséquent elle pourrait faire un compte rendu à son Maître après la réception. Il serait trop tard à ce moment pour revenir en arrière mais ça, il ne lui précisa pas. Il admira Tempête comme s’il s’agissait d’une réussite personnelle, ce qui n’était pas loin d’être le cas. Elle n’était pas très à l’aise mais il lui faisait confiance, dès qu’elle se mettrait dans la peau de son personnage, elle ferait des ravages. Il se félicita aussi pour le choix de la robe. Un fourreau bleu qui mettait en valeur en même temps ses cheveux clairs et sa peau brune. La robe était épurée mais la coupe parfaite et n’importe quel regard averti reconnaîtraient la griffe d’un grand couturier et saurait qu’elle avait coûté une fortune. Justement il n’y aurait que des gens avertis. Cette idée le fit sourire. Par réflexe, il voulut replacer une boucle rebelle qui s’était détachée de son chignon puis se reprit se contentant de lui faire remarquer ce point de détail et la laissant la rattacher elle-même. Une légère ombre passa sur ce tableau si bien préparé « Dommage que tu n’aies pas une tenue de chez toi.
- Désolé, la prochaine fois que je viens mettre la main sur un assassin, je penserais à prendre une robe du soir au cas où je sortirais avec lui. »
Le hall se remplissait. Thibault commençait à se demander si l’attention qu’on leur portait était dû uniquement à l’identité de sa compagne ou aussi au ton ironique qu’elle avait utilisé. Sans doute plutôt à l’attraction de cette langue inconnue. Depuis qu’elle avait appris que Thibault maîtrisait la langue de Plume, elle lui réservait cette langue pour tous ses sarcasmes et Thibault avait étoffé son vocabulaire d’une série de juron qu’Espoir ne lui avait jamais enseigné. Elle tendit la main et Thibault lui rendit l’étole de mousseline fine et rehaussée de reflets dorés. Ils avaient longuement hésité sur la tenue puis avaient décidés qu’elle la porterait comme les femmes de Vengeance. Ceux d’ici commençaient à savoir que la haute société de la confédération portait ce genre de coiffure. Ca lui donnerait un air à la fois d’ailleurs mais connu quand même et important.
Il avait lui-même ôté son manteau. Il avait investi dans un costume impeccable quoique classique, et avait même poussé le vice jusqu’à porter une chemise sans doute pour la première fois de sa vie mais n’avait pas pu mettre une cravate. Il se serait senti trop vieux attifé de la sorte. Il s’avança vers la salle de réception et tout en gardant ses distances, proposa à Tempête de le suivre toujours dans sa langue et avec un ton si respectueux qu’il s’en étouffa presque. Elle était toujours légèrement perdue, se demandant encore sans doute si elle agissait comme elle le devait. Pourquoi Sentiment lui avait-elle pris la tête en lui serinant que ce comportement était stupide ? Sans doute lui rabâchait-elle encore quelques reproches. Elle finit par avancer et Thibault l’attendit afin d’entrer à ses cotés.
Habitué aux traquenards, il commença à appréhender la salle de réception comme s’il s’agissait d’un champ de bataille. Il repéra les tables. Pas de buffets mais de nombreux serveurs en smoking portant coupes de champagnes et amuses gueule. Une ambiance qui puait le fric à plein nez, à la fois guindée de mondes heureux et fiers d’être là mais aussi mal à l’aise. Il faudrait encore quelques flûtes de champagnes pour détendre l’atmosphère. Le bruissement des conversations augmenta soudain ainsi que la curiosité ambiante puis les murmures s’arrêtèrent jusqu’aux derniers. Tous les regards convergeaient discrètement vers Thibault et Tempête. Thibault n’avait pas espéré une entrée discrète. Au contraire, il comptait bien se faire remarquer. C’était réussi. Il hésita sur la marche à suivre. Il s’avança, Tempête suivant son pas et remarqua avec soulagement le délégué Mitches qui venait à leur rencontre. Thibault souffla à Tempête que c’était lui qui représentait
Le cercle s’élargit et le nouveau venu fit son entrée. Thibault décida de prendre les devants et présenta à Tempête le légat Kyola, qui remplaçait le légat Vigosy. Il ne précisa pas que ce dernier avait fui lâchement voyant la situation se détériorer sur Terre et s’imaginant déjà qu’on risquait de lui tirer dessus. Thibault continua demandant si elle l’avait déjà croisé tout en sachant que ce n’était pas le cas. Le légat venait directement de Vengeance et même Thibault n’avait pas encore eu l’occasion de voir de quelle graine il était tiré.
« Sûrement pas non » Grogna Kyola.
Ca commençait mal. Kyola restait debout, chargé d’animosité, les bras croisés, évitant son regard. « J’ignorai même que les Adarii avaient reçu l’autorisation de mettre les pieds sur Terre »
Formidable, ça se corsait déjà. Tempête se mit à rire comme s’il avait fait un trait d’humour exemplaire « A votre façon de parler, on croirait presque que la Terre est comme une des planètes d’extraction sous votre commandement » elle cessa de rire et se mordilla la lèvre comme si elle venait de faire une gaffe « ce n’est pas le cas, n’est ce pas ?
Le légat ouvrit la bouche et la referma. Tempête s’était tournée vers Mitches pour avoir la confirmation, lui faisant un air désolé comme si elle venait de commettre un impair. « Mais certainement dit ce dernier et vous êtes la bienvenue naturellement.
- Naturellement » reprit le légat d’une façon que Thibault interpréta comme voulant dire qu’il s’en repentirait avant peu. Thibault se retint de rire. Tempête l’épatait de plus en plus. La conversation fut coupée de façon bienvenue afin de se déplacer vers les tables. Thibault fut déçu de constater qu’il serait séparé de Tempête qui était invité à la table d’honneur où elle resterait en compagnie de Kyola.
De temps en temps, il l’apercevait souriant ou écoutant attentivement les conversations. Kyola tournait le dos à Thibault mais, en se concentrant, il percevait sa contrariété perdue dans la foule. A plusieurs reprises, il le vit se tourner et modifier quelques programmes de son bracelet contact. Il fit ensuite contre mauvaise fortune bon cœur et profita d’un excellent repas. Il apprécia d’être le point central des conversations de la table qui ne cessèrent de le questionner sur la représentante de Plume. Il se répandit en rumeur, avouant ne pas savoir pourquoi la confédération avait refusé d’évoquer l’existence du système planétaire entier, se contentant de dire qu’il avait été obligé de garder ce fait secret mais que vu les événements, il avait préféré passer outre et qu’il est vrai qu’il n’en avait pas informé le légat de la confédération mais uniquement parce qu’il n’y en avait pas encore à l’époque. Aux questions sur l’attitude de Kyola, Thibault répondit qu’il était peut-être un peu jaloux qu’elle lui vole la vedette. Il ne put aller plus loin. Il observait discrètement la table centrale et perçut une animosité grandissante de la part de Kyola. Il le vit renverser un verre, retenir un juron dans sa langue et contourner la table. Mitches et sa femme aux cotés de Tempête s’étaient rapproché d’elle pour couvrir les bruits ambiants. Kyola arriva à sa hauteur et se baissa pour lui dire quelques mots. Il le dévisagea étonné. Kyola insista et Mitches se leva. Thibault vit les deux hommes s’éloigner ensemble et sourit. « Tu peux arrêter tes menaces Mike » songea-t-il se mettant en communication avec lui « je vais te montrer comment on propage des rumeurs efficacement » Une pointe d’interrogation de Mike, il coupa le contact. Ses yeux croisèrent ceux de Tempête et il comprit qu’elle s’inquiétait. Trop tard ma belle pensa-t-il. Le légat de la confédération n’avait même pas attendu la fin du repas pour mettre Mitches en garde. Si au moins il pouvait entendre ce qu’il lui disait. Aucun doute qu’il s’agissait de l’informer des spécificités des Adarii. Mais que dirait-il exactement ? Tempête avait fait sensation et son image resterait gravée et dans la tête des invités et dans le monde entier vu le nombre de photographes de presses qui étaient présents. Kyola et Mitches avaient repris leurs places. Kyola pestait toujours intérieurement et Mitches gardait ses distances, nettement moins à l’aise. Tempête lança un regard assassin à Kyola qui enfonça plus la tête vers son assiette.
Mitches attrapa Thibault au seul moment où il ne s’y attendait pas : quand il sortait des toilettes. Il crut qu’il allait le forcer à rentrer dans les vestiaires mais il le prit par le bras d’une façon qui n’avait rien d’affectueux et le traîna dans le couloir. Un homme de la sécurité suivait mais Mitches, sans le chasser, lui demanda de rester à l’écart. « Est ce vrai ? » demanda-t-il de but en blanc.
Thibault feignit l’étonnement « quoi ? »
- Que le délégué de Plume est télépathe
- Oui » Thibault dit ça tranquillement comme s’il s’agissait d’une banalité. Mitches n’allait pas tarder à se mettre en colère aussi Thibault le devança « Evidemment, je suis au courant. Et alors ? Vous voulez lui refuser votre hospitalité, la chasser, commencer directement sur des mauvaises bases avec eux, vous mettre à dos deux mondes aussi puissants que la confédération voire plus puissant ?
- Il y a des risques à évaluer, vous auriez dû me prévenir.
- J’ai tenté de vous prévenir mais vous n’étiez pas disponible et je me voyais mal laisser cette information à votre secrétaire. » Gros mensonge mais il était rarement disponible aussi ça pouvait passer « En plus, il n’y a aucun risque, ils savent se tenir et ont tout de même une certaine moralité » il avait voulu dire une moralité à toute épreuve mais il se serait étranglé avec tel mensonge et il y aurait vite eu des démentis. « D’ailleurs, je crois vous avoir dit de rester à l’écart même si ce n’est que trop de sécurité car j’ai une totale confiance en elle » il mentait de mieux en mieux.
« Je ne peux pas garder cela secret
- Faites ce que bon vous semble, il n’y a nul secret là-dedans et certaines rumeurs ont commencé à se propager. La seule chose que je vous demande c’est que notre civilisation rende les honneurs à la leur. Je suis Terrien et je veux qu’on présente ma planète sur le meilleur jour. Nous sommes un monde évolué pas des inquisiteurs près à se lancer dans la chasse aux sorcières. » Sur ce Thibault, très digne, fit demi tour et rejoint la salle de réception. Il aperçut Tempête qui s’était levée et était toujours bien entourée, s’approcha et lui passa un bras autour de la taille. Il perçut son interrogation et lui répondit en lui ouvrant son esprit. Elle comprit qu’il s’agissait d’une manœuvre afin de bien montrer à Mitches et aux autres qu’il n’y avait rien à craindre. Elle l’accepta un moment puis retira doucement ce bras comme pour montrer que c’était lui qui l’importunait. Elle fit ensuite remarquer qu’il était tard et qu’ils pourraient suivre le mouvement de tous ceux qui s’éloignaient vers la porte et reprit son plus beau sourire pour dire au revoir aux quelques femmes qui l’entouraient. Elle avait dû parler toute la soirée séduisant tous les convives par ses paroles mais personne ne trouverait aucun élément d’information dans aucun de ses discours. Elle était vraiment douée. Il en était là alors qu’il fermait la portière de la limousine avant de faire le tour pour s’installer lui-même de l’autre coté. La vitre entre eux et le chauffeur était fermée mais elle s’exprima tout de même dans la langue de plume.
« Où en sommes-nous ?
- Mitches est venu me parler, je crois l’avoir convaincu de rester discret quand à vos pouvoirs mais Kyola a peut-être parlé à d’autres ou le fera.
Tempête ravala un juron
C’était si prévisible et la naïve Tempête ne l’avait pas vu venir et elle l’avait encore cru quand il lui disait que Mitches se tairait. Bien sur, il le dirait à tout le monde et les Adarii ne passeraient plus inaperçus sur Terre. Le seul qui passerait encore inaperçu, ce serait lui.
Tempête rejeta sa tête en arrière et soupira.
« On verra » se contenta de remarquer Thibault.
Elle releva la tête, hésita à reprendre ses paroles mais y renonça, sa frustration était assez claire.
« Autre chose, certains photographes ont pris des clichés alors que tu me tenais d’un peu trop près. »
Thibault admit. Il ne l’avait pas prémédité, s’est vrai que ce pourrait être mal interprété. Il se reprit et réfléchit mais ça s’embrouillait dans sa tête « et alors ?» se contenta-t-il de dire a Tempête juste pour voir ce qu’elle répondrait.
- Alors ils risquent de croire que nous sommes ensemble. C’est moi qui doit te parler des coutumes indigènes a présent ?
- Et alors » reprit-t-il.
« Alors ? Elle ne sut que répondre »
Lui non plus. Que se passerait-il si la rumeur d’une liaison entre eux prenait forme. Serait-ce de bon ou mauvaise augure ? D’un coté on pourrait le penser manipuler. De l’autre, elle paraîtrait plus accessible et les histoires d’amour plaisaient au peuple. A voir, a voir. Démentir n’était peut être pas judicieux. Ou alors juste laisser courir sans aller ni dans un sens ni dans l’autre ensuite, suivant l’opinion il serait possible de voir vers quoi il était plus intéressant de tendre.
Plume : Taegaïan
« C’est bien que tu sois venue »
Réalité releva la tête. Une toute jeune adolescente Adarii avait pris place à ses cotés. Elle avait une robe si fine qu’on devinait à travers des entrelacs de maquillages argentés qui n’avaient plus rien d’enfantin. De grands yeux bleus rehaussés d’or et des pierres brillantes dans les cheveux, elle fixait l’océan aussi mélancolique qu’elle.
« Annunaki Grésil, je suppose ».
Elle acquiesça. « Je suis venue car Chiffre me l’avait demandé mais je n’aurais pas dû » dit-elle en envoyant un caillou dans l’eau.
Réalité ne répondit pas. Elle se voyait mal questionner la jeune fille. Si elle voulait, elle parlerait.
« Quand je suis partie d’ici, j’avais des amis. Beaucoup d’amis et j’aimais ces fêtes. Je me faufilais dans ses réceptions et avec les autres enfants, je m’imaginais être une espionne ou quelque chose du genre »
On aurait dit qu’elle parlait comme si elle était déjà grand-mère alors qu’elle avait à peine onze ans « Une espionne doit se cacher, et personne ne la remarque. Maintenant, on s’écarte sur mon passage et me traite comme… » Elle chercha ses mots « comme ma mère » finit-elle par dire ne trouvant pas mieux.
« On vous traite comme une Adarii, c’est tout. N’est-ce pas ce que vous êtes ?
- On m’évite, on ne me parle pas, on a peur de moi.
- C’est une marque de respect, ils sont juste impressionnés »
Réalité était mal à l’aise. Juste sortir de chez elle l’inquiétait. Elle sentait le regard des autres posés sur elle. Ils se détournaient comme si elle était une pestiférée. Elle non plus n’aurait pas dû venir. Quand elle avait reçu l’invitation à la réception que donnait le marchand Mangue pour le retour de son fils, elle avait été si heureuse de voir enfin quelqu’un qui ne lui tournait pas le dos qu’elle avait revêtue sa plus belle tenue avec l’idée folle que tout aurait pu redevenir comme avant. Non seulement tout le monde gardait ses distances, mais en plus elle craignait de se retrouver face aux Adarii. Eclaircie se voulait rassurant. Il disait que personne ne lui ferait la moindre remarque. Elle ne le croyait pas. Il venait chez elle mais elle refusait obstinément d’être vue en public à ses côtés, elle avait trop peur du regard des autres. De même, elle refusait d’approcher la villa de crainte des réprimandes potentielles. On lui avait dit que le Maître Glace désirait la voir. Elle n’y avait pas été. Du coup, elle avait encore plus peur. Refuser une convocation de cet ordre était très grave mais elle n’arrivait pas à surmonter ses craintes. Sans doute la renverrait-il en Cashir mais ce n’était plus chez elle, sa mère le lui avait clairement dit. Elle n’avait nulle part où aller.
Elle fit quelques ronds dans le sable du bout des pieds puis ramena ses jambes en tailleurs sur le petit muret ou elle était assise laissant les pans de sa robe aller librement jusque sur le sable.
Grésil n’avait pas bougé. Dans la cours, derrière elle, la fête battait son plein. Réalité avait le cœur gros, elle aurait voulu danser mais personne ne l’inviterait.
« Je ressens la même chose que toi » dit Grésil en soupirant.
Réalité reporta son attention sur la fillette qui n’en était plus une. « Je ne pense pas non.
- Qu’en sais-tu ? »
Sa mélancolie avait disparu. On avait mis en doute ses compétences, elle ne le supportait pas. Réalité crut bon de se justifier. « Ils vous respectent, je leur fais horreur.
- Je répète ma question, qu’en sais-tu ? »
Réalité ne répondit pas. Elle avait beau être Adarii ou Annunaki et en posséder les pouvoirs, sans doute ne pouvait elle encore comprendre.
« Non je ne suis plus une petite fille » dit-elle en se levant et s’approchant si près que Réalité fut obligée de se pousser pour éviter son contact. « Je vais te dire ce que je voie : je vois des gens qui ont peur de moi et qui sont impressionnés, qui ne savent pas comment agir et qui préfèrent se détourner plutôt que de risquer une erreur. Et pour toi, c’est exactement pareil.
- La cause est différente. »
Grésil haussa les épaules « quelle importance la cause, c’est le résultat qui me fait souffrir. La cause, je ne peux même pas m’en plaindre, j’ai découvert autre chose et je ne voudrais plus redevenir une petite fille. »
Réalité commençait à comprendre. Oui, dans un sens ce n’était pas bien différent. Si c’était à refaire, probablement aurait-elle agi de la même façon. Non, ce n’était pas vrai, elle serait peut-être restée mais jamais elle n’aurait révélé sa relation avec Eclaircie mais elle ne le regrettait pas. Elle assumait juste les conséquences de son amour. Un amour qui valait toutes les souffrances. Elle se tourna vers Grésil qui assise à ses cotés battaient des pieds afin de faire voler quelques grains de sables.
« Les gens ne me considèrent pas comme un monstres ou une horreur quelconque ? »
Grésil secoua la tête sans la lever. « Nous sommes les protecteurs de Taegaïan. Crois-tu que nous laisserions un monstre libre dans la cité ? Je n’ai rien ressenti de tel. Sans doute te considèrent-ils comme quelqu’un de différent et d’impressionnant car tout ce qui est différent les impressionne. Sans doute n’approuvent-ils pas. Ils s’habitueront sans doute plus vite à toi qu’à moi »
Réalité n’avait pas vu les choses sous cet angle. Elle tenta d’intégrer ces nouvelles informations.
« C’est Eclaircie qui vous a demandé de venir me dire ça ? »
La petite fronça les sourcils, c’était la question de trop. Elle avait beau se plaindre de son sort, elle n’en demeurait pas moins ce qu’elle était et n’accepterait pas qu’elle fasse preuve de trop de familiarité.
Maître Glace t’a demandé de venir » dit-elle d’un ton froid.
Réalité se mordit la lèvre et ferma les yeux sentant ses craintes remonter « il va me renvoyer en Cashir ?
Elle la regarda comme si elle avait dit une absurdité « Pourquoi ferait-il ça ?
La réponse semblait si évidente que Réalité ne put même pas la formuler.
« Ho, pour te séparer d’Eclaircie. Ce serait bien son genre mais dans ce cas, il l’aurait fait depuis longtemps. Maintenant que tout le monde le sait, c’est un peu tard ».
Réalité se demanda si cela voulait dire que Maître Glace savait déjà l’existence de sa relation avec Eclaircie depuis le début. Cette idée lui fit froid dans le dos.
« Tu sais que Maître Glace est le frère d’Eclaircie ? »
De la façon dont elle avait dit cette remarque, Réalité comprit que sans doute il ne pouvait y avoir aucun secret entre les deux frères et ses craintes augmentèrent encore. « Mais alors, si ce n’est pas pour me chasser que veut-il ?
- Jamais je ne permettrais de lui demander une telle chose et tu ferais bien de ne pas me poser ce genre de question » elle quitta son air offusqué pour repartir dans sa mélancolie et soupira « C’est désespérant à quel point on ne me dit jamais rien » Réalité sourit peut-être qu’en effet elle avait quelques point commun avec cette jeune fille.
Merci » dit-elle.
Grésil ne demanda pas pourquoi. Sans doute le savait-elle. Cette petite lui fit de la peine soudain. Elle l’aurait bien prise dans les bras pour lui donner un peu de réconfort. Sans doute en avait-elle besoin mais personne ne le ferait. Elle vérifia que personne ne les regardait et s’approcha doucement pour lui permettre de reculer si elle en éprouvait le besoin. Elle ne bougea pas et Réalité lui posa un baiser sur la joue comme on le faisait aux enfants.
Elle sourit et Réalité se leva. « Je vais aller voir Maître glace maintenant »
Grésil approuva de la tête et la rappela alors qu’elle faisait demi-tour.
« Tu sais le plus absurde dans l’histoire ?
Réalité ne répondit pas, elle percevrait son interrogation de toute façon. La petite reprit « On s’éloigne de moi parce que je sais lire les pensées. Mais je suis Annunaki, le contact importe qui, je suis capable de les percevoir à distance.
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