jeudi 24 janvier 2008

AP : 6. Chance : Chapitre 5

5

"L’égalité des chances, c’est pour ceux qui ont de la chance."

[Denis Guedj]

Maÿcentres : Ambassade de Saphir-Plume

La porte claqua et Accalmie songea avec impatience au moment où ils se décideront à rentrer chez eux et à le laisser gérer en paix ses affaires ici. Il finit par lever la tête ne ressentant pas l’aura de puissance qui entourait Rafale. Il eut à peine le temps d’apercevoir Pluie qu’elle disparaissait dans sa chambre pour revenir deux minutes plus tard juste le temps pour lui de se remettre de son étonnement. Elle maugréa quelques mots en plusieurs langues au sujet du manque de chauffage et changea les réglages des panneaux chauffants.

« Tu n’es pas censé être sur Terre toi ?

- Est-ce que j’ai l’air d’y être ? » Dit-elle sans se retourner. Sa sœur était toujours aussi aimable.

- J’ignorais que tu arrivais c’est tout.

- Parce que j’ai besoin de prévenir avant d’entrer chez moi maintenant » continua-t-elle de plus en plus agressive. Accalmie se débarrassa de ses documents. Jade lui avait un jour dit en parlant de Pluie : ce qui est vraiment insupportable chez elle, ce n’est pas sa mauvaise humeur constante, c’est le fait qu’elle en fait profiter tout le monde. Il comprenait mieux se qu’il voulait dire maintenant qu’il s’était habitué à vivre dans un milieu qui n’agressait pas son empathie. Après une journée à subir les émotions et le stress du bâtiment du conseil, il aimait se retrouver au c alme.

« Si tu veux du chauffage alors oui, il faut prévenir » répondit-il sur un mode aussi agressif qu’elle.

Elle s’étonna de sa réaction et s’assit auprès de lui, attrapant au passage le chocolat chaud qu’il avait laissé près du feu pour le maintenir à bonne température.

Elle s’apprêta à dire quelque chose mais Rafale entra au même moment

« Tu n’es pas censé être sur Terre, toi ?

- Vous vous êtes donné le mot

- Qu’est-ce que tu fais là ?

Accalmie sentit sa sœur hésiter entre répliquer une de ses cinglantes remarques comme quoi elle était chez elle ou répondre poliment. Il espérait qu’elle choisisse la première option mais elle se força à ravaler ses sentiments. « Crayon et Miroir ont ramené Grésil et Chiffre sur Plume comme vous l’avez ordonné.

- Et toi ?

- Moi ? Je suis descendu ici quand ils se sont posés pour prendre Chiffre. Si vous voulez mon avis nous aurions dû le garder ici. Je n’aime pas savoir Chiffre et Grésil ensemble. Surtout maintenant. C’est une période difficile pour Grésil. Elle est fragile.

- Non, ton avis ne m’intéresse pas. Pourquoi n’es-tu pas sur Terre ? »

Elle se servit un chocolat et commença à boire. « J’y suis allé, j’ai vu Thibault, il a accepté de nous aider, Grésil a confirmé sa bonne foi et je n’avais plus aucune utilité pour faire des recherches sur une femme ou quelque chose d’approchant que, si jamais par un miracle on pouvait trouver, il suffirait qu’elle fasse un pas pour disparaître à l’autre bout de la galaxie. Que vouliez vous que je fasse de plus ?

- La retrouver et l’empêcher de faire un pas

- Très drôle » répondit-elle reprenant une nouvelle gorgée. » Sentiment me remplace, c’est suffisant. En plus Thibault a alerté la presse, si j’étais restée, Thibault serait mort de mes mains à l’heure actuelle. C’est ce que vous vouliez ? »

Rafale allait répliquer mais elle l’en empêcha. « Je n’aime pas la Terre, j’ai fait ce qu’on m’a dit, j’y suis allée, je suis revenue. Affaire classée. »

Accalmie sourit discrètement. C’est qu’il commençait à apprécier sa sœur. Il regarda dehors si le ciel n’était pas en train de se couvrir, prémices d’une colère de Rafale mais la nuit était déjà tombée et il ne discerna qu’un écran noir. De toute façon il se contenta de marmonner qu’elle aurait tout aussi bien pu continuer avec Grésil et rentrer sur Plume.

Elle ne releva pas se contentant de remarquer qu’il y avait beaucoup de mouvements dans la villa.

« Je fais refaire les appartements Azlan pour Tiyana » dit Accalmie. Le visage de Pluie s’illumina à cette perspective. « Tu espères que je déménage » demanda Rafale.

- Nonnn »

Même Accalmie percevait l’intensité de ce mensonge.

Rafale se pencha pour être à la hauteur de Pluie « encore un mot de trop et tu rentres sur Plume. C’est compris ?

- Compris Annunaki » dit-elle avec plus de sincérité.

Rafale disparut dans sa chambre et Pluie et Accalmie restèrent un moment en silence. « Je suppose que cette histoire de rénovation veut dire que Maître Matinée nous fait l’honneur de sa visite ?

- En effet

- Et bien sur, il ne m’aurait pas prévenu comme à son habitude. Et tu ne voulais pas l’avoir ici ? »

Accalmie n’osa pas répondre. Il ignorait les relations entre Pluie et Matinée. « Très bonne initiative » finit-elle par dire.

« Et moi, j’ai le droit de te demander pourquoi tu es revenue ?

- Toi » dit-elle le pointant du doigt « tu es une véritable ordure, et tu as de la chance que je n’ai pas été là le jour où tu es réapparu pour foutre le bordel dans l’élection de Dyasella car je t’aurais étripé de mes mains. Rafale s’imagine que c’est une bonne idée de te laisser là, à moins qu’il n’ose pas avouer qu’il ignore comme se débarrasser de toi mais crois moi, tu ne t’en tireras pas comme ça, je vais te surveiller, tu m’auras sur le dos en permanence, tu…

Accalmie la coupa « C’est pour ça que tu es revenue ?

- Non, je suis revenue pour faciliter le lien avec Tempête maintenant que Sentiment n’est plus ici pour le faire. C’était plus pratique.

- Tu ne pouvais pas juste dire ça à Rafale ? »

Pluie sourit « Mes chamailleries avec Rafale n’avaient pas l’air de te déplaire ».

Accalmie ne pouvait le nier.

« Je sais que je ne devrais pas lui parler ainsi, » reprit Pluie « en plus, je l’aime bien mais il ressemble tellement à son père que ça me fait mal à chaque fois que je le vois. »

Accalmie n’osa pas répondre. Avoir sa sœur qui lui parlait ainsi, ouvertement, et de choses si intimes, juste après l’avoir rabroué. C’était…bizarre.

« Où en es-tu ? » continua-t-elle.

« Je suis les directives de Rafale je parle au nom de Plume pour exprimer de toutes les façons possibles qu’aucune concession ne sera possible sur rien »

Elle fronça les sourcils. « Ne me fais pas croire que tu te limites à si peu ?

Il hocha la tête « J’essaie de me faire une position intéressante. C’est plutôt facile. Créer certaines alliance en particulier avec ce qu’ils appellent les mondes excentrés »

Pluie acquiesça. « Gentry est toujours là ?

Oui » il ne voulait pas en dire plus il évitait l’ambassadeur de la Terre qui se prenait encore pour son grand père alors que, quand il vivait avec Mike, il ne portait aucune attention à lui.

« Et avec Dyasella ?

- Ca va

- C’est tout ?

- J’ai eu un moment délicat mais maintenant, ça se passe bien, je pense que Maître Matinée n’aura pas de mal à faire passer ses directives. »

Elle continuait à le fixer comme s’il avait omis quelque chose et décida de mettre les points sur les I « non, je n’ai aucune vue sur Dyasella. J’ai une profonde estime sans doute plus que vous ne pourriez trouver convenable et c’est peut-être justement car je suis le seul capable d’avoir une certaine estime pour eux que vous me laissez faire.

- Ne te vexe pas, je me demandais juste quelle fille te mettait dans cet état. »

Accalmie se renversa sur le tapis se forçant à oublier son obsession pour Chance.

N’y a-t-il pas moyen de garder une certaine intimité ici ? »

Pluie soupira « Ho non et crois moi, on ne s’y habitue pas.

- Voila qui ne me rassure pas. Tu me racontes comment ça s’est passé avec Thibault ? »

Sa mauvaise humeur remonta d’un coup « T’avait-il déjà parlé de moi ?

- Il m’avait dit qu’il te connaissait.

- Et ?

- Rien de plus.

- Bon, alors, pour résumer. Lui et moi, on ne s’aime pas. Il m’exaspère, je ne le supporte pas et la Terre est un monde que je déteste au plus haut point, malheureusement, à cause de ton intervention, Dyasella sera élue, Hytyl ne le sera donc pas et la Terre ne sera pas réduite à néant. C’est suffisant pour t’expliquer mes dernières semaines ?

- Non.

- Hé bien tu t’en contenteras quand même.

Terre : Nouveau Mexique

« Tu pourrais au moins m’écouter » s’exclama Tempête. Thibault soupira il aurait voulu marcher plus vite mais il craignait que Revanche ait du mal à suivre. Il répondit en Espagnol. « J’ai écouté : Tu m’as dit que mon comportement était scandaleux et inadmissible. Ensuite tu as décrit à quel point mon petit jeu avait rendu Sentiment furieuse, surtout quand elle avait voulu sortir de sa chambre et qu’elle s’est retrouvée bloquée par une cohorte de journaliste et que combe du comble, j’avais non seulement réussi à me faufiler tout en passant inaperçu avec Revanche mais qu’en plus, je l’avais narguée. Ensuite tu as pesté encore un peu sur mon infantilisme tout en te culpabilisant de ne pas y avoir pensé. Et peut-être aussi avec une légère admiration sous jacente pour avoir réussi une telle mise en scène.

- Tu surestimes tes capacités, jamais je n’ai pensé le dernier point. Maintenant, tu fais demi-tour et tu obéis, plus vite que ça. »

Thibault s’arrêta. « non » dit-il. Il quitta d’un coup son animosité. Il en faudrait peu pour créer un peu d’animation ici. Il obligea Tempête à se taire tandis qu’il attrapait son portable qui vibrait depuis un moment dans sa poche. L’étonnement en entendant la personne à l’autre bout du fil se présenter comme la secrétaire de la maison blanche lui fit lâcher Tempête qui repartit dans ses argumentations. « Veuillez patienter » dit Thibault avant de reprendre pour Tempête dans la langue des Maÿcentres « tu as voulu que je me fasse remarquer afin de servir d’appât. Très bien, je me suis fait remarquer. J’ai obéi au risque d’avoir Ninhoursha et Dya sur le dos. Affaire classée. Qui puis-je si votre tactique minable n’a pas fonctionné ? Elle s'en fout de moi.

- Tu ne réfléchis décidemment jamais. On ne t’a jamais caché que tu servais d’appât pour Ninhoursha et toi, tu files seul avec Revanche. Et qu’adviendrait-il si elle apparaissait ici ? Penses-tu sincèrement que tu ne mets pas la vie de Revanche en danger ? »

Il n’avait pas pensé à cela. Ca faisait un bon bout de temps qu’on le voyait partout et ses craintes s’étaient relâchées. C’est vrai qu’il avait agi bêtement. Il reprit le téléphone « veuillez me rappeler dans cinq minutes » dit-il avant de raccrocher sans écouter la réponse. Tempête continuait « j’admets que ça fait un moment maintenant et je pense sincèrement que si elle était sur Terre, elle se serait manifestée. Elle doit donc être assez loin pour ne pas avoir entendu parler de ta nouvelle popularité. »

Thibault la coupa. Elle ne comprenait rien. « Tu raisonnes comme une personne sensée, pas comme Ninhoursha. Elle est folle à lier et incapable de tenir une idée plus de cinq minutes. Si elle n’a pas oublié jusqu’à mon existence, elle s’en désintéresse sans doute comme d’une mouche qui l’aurait effleurée cinq ans auparavant. » Tempête n’y croyait pas. Elle ne pouvait pas comprendre, elle n’avait pas vécu au coté de cette calamité totalement dénuée du moindre sens logique. Cependant, il devait admettre qu'elle n’avait pas tort, il ne fallait faire courir aucun risque à Revanche. Il se tourna vers le jeune garçon qui, quelques pas plus loin, regardait les décorations de noël des vitrines des magasins avec émerveillement. Son téléphone vibra à nouveau. « Allo » répondit-il sans même dissimuler son agacement.

La secrétaire recommença son baratin. « Bien sur que non ça ne l’intéresse pas » dit-il bien décidé à faire passer sa mauvaise humeur sur quelqu’un. Il se reprit et jetant un œil à Tempête. « Attendez, ce n’est pas si sûr, je lui demande.

Tempête, tu n’as jamais pensé à conquérir la Terre ? »

Bien sur qu’elle y avait pensé. Thibault expliqua que c’était une image, « quitte à être ici vous pourriez peut-être profité du chaos pour vous faire une petite place. »

Ca y est il avait attiré son attention. Comment foutre le bordel par Thibault Malta songea-t-il avant de reprendre son téléphone « patientez » dit-il avant de reprendre pour Tempête. « Voilà, je t’explique. Ici, c’est la merde puissance mille. Tout le monde est déstabilisé. La confédération, après avoir été vue comme l’attraction du millénaire, n’a pas profité de sa popularité en restant retranché dans leurs bases et puis, admettons le, ils n’ont rien d’impressionnant. Maintenant l’heure est à la méfiance. Il faut garder les contacts avec les autres mondes mais on s’en méfie. Petit à petit quelques magouilles sont mises aux jours. Je pourrais en révéler quelques unes supplémentaires, à voir si c’est opportun.

« Abrège » dit Tempête

« Voilà, imaginons qu’il y ait une grande réception avec tout le gratin. Pas le genre de petite sauterie mais le style officiel, peut-être même avec le président des Etats Unis voir quelques chefs d’état. Imaginons que tu y ailles dans une très jolie robe, combien de temps penses-tu avoir besoin pour que tout ce beau monde tombe sous ton charme ? Et quand je dis charme, je pense aux deux sens du terme évidemment. »

Tempête réfléchissait, il avait réussi à flatter son ego. Elle souriait ayant tout à fait perdue de vue leur dispute.

« Au moins plusieurs secondes » finit-elle par dire comme si cette déduction était le résultat d’un puissant calcul mathématique. Thibault reprit son appel. « Je viendrais en compagnie de l’Adarii Maniya représentante des territoires de Plume…

Non, je ne suis pas chez moi et je n’ai pas reçu l’invitation mais j’ai pris note, alors faite de même ». La secrétaire lui posa une multitude de questions qui lui fit regretter d’avoir accepté. Il se tourna vers Tempête « Elle demande si Adarii, c’est un titre ? »

- Non » dit-elle avec empressement. De toute façon, les Adarii ne savaient même pas ce qu’était un titre sur Terre.

« Je dis oui » dit Thibault, « ça fait bien ».

Les questions à la con « non, je ne peux pas vous dire comment s’écrit Maniya vu que ça ne s’écrit pas. Oui c’est ça, faites comme vous le sentez. Si elle a un prénom ? Oui, Tempête. Il se reprit. A force de passer d’une langue à l’autre il commençait à s’embrouiller. « Storm » dit-il traduisant son nom en anglais.

« Oui, pareil que la Tempête.

- Ma belle » dit-il en lui tendant son bras, « il ne nous reste plus qu’à te trouver une tenue qui mette en avant cette parfaite silhouette ». Il attrapa la main de son fils de l’autre main. Une vraie petite famille pensa-t-il. Restait à savoir ce qu’il ferait de cette soirée.

-


Aucun commentaire: