jeudi 24 janvier 2008

AP : 6. Chance : Chapitre 7

7

Sur le plan spirituel, toute douleur est une chance ; sur le plan spirituel seulement.

Emil Michel Cioran

Terre : USA

Le ton monta dans la pièce à coté et pour la première fois depuis longtemps, Thibault eut peur. Pas physiquement mais peur de perdre tout ce qu’il avait acquis et pire que tout, peur de se retrouver seul. Petit garçon qui n’avait que ses rêves pour s’occuper dans sa chambre vide perdu dans une pension où tous le détestait, c’était la solitude qui lui pesait le plus. Et puis, il avait rencontré Espoir et Mike et sa vie avait changé. Il avait connu en même temps le luxe et l’amitié puis tout était parti. Espoir était mort, Mike ne lui faisait plus confiance. Il avait tout perdu. La découverte de la pierre d’Onirique lui avait fait miroiter un retour de fortune mais elle n’avait pas comblé le manque. Tempête lui donnait l’illusion d’être quelqu’un. Même s’il n’y croyait pas sincèrement, il aimait s’imaginer qu’elle était son amie. Il voulait rêver, il avait besoin qu’elle reste là pour lui donner l’illusion d’être entouré et puis il y avait Revanche aussi. Lui, il avait confiance en lui et en face du petit garçon, il avait l’impression d’être quelqu’un de bien. Les cris s’étaient tus dans la pièce adjacente mais ça ne voulait rien dire. La dispute continuait. « Onirique » murmura Thibault. « Aide moi ». Il aurait voulu s’endormir et harceler Onirique jusqu’à son domaine. C’était le seul qui lui restait mais il était bien trop sur les nerfs pour dormir et ça faisait longtemps qu’Onirique ne venait plus le voir Sentiment avait eu tort, elle n’aurait pas dû renvoyer Mitches ainsi. Il était juste venu pour avoir des explications. Sentiment lui avait claqué la porte au nez disant que c’était intolérable d’être harcelée jusque dans sa chambre puis elle avait attrapé Tempête pour lui énumérer le résultat de ses frasques se plaignant qu’on ne parlait plus que d’elle et de ses mystérieuses capacités. Thibault avait dit, surtout on ne fait rien, on laisse parler et on élude poliment. Sentiment avait dû oublier le poliment. Tempête claqua la porte et se retrouva devant Thibault. Elle hésita puis l’entraîna dehors. Au moins, il n’y avait plus de journaliste pour faire le pied de grue. Sentiment avait réussi à chasser tout le monde. Tempête l’entraîna jusque dans la rue et hésita, regardant à gauche, puis à droite « Qu’est-ce que tu fais ? » demanda Thibault. Elle se renfermait si fort sur elle qu’il ne percevait même pas la moindre bride d’émotion. Il aurait pu forcer ce barrage mais il n’en avait pas envie. Sans doute en avait-il assez fait. Revanche trotta à sa rencontre. Il était essoufflé. Sans doute était-il parti derrière le dos de sa mère. Thibault devrait lui dire de remonter mais il n’en fit rien. Il ne dit rien, se contentant de marcher à ses cotés. Au bout de quelques pas, Thibault se rendit compte de la situation. Il ne pouvait plus marcher ainsi, il sentait qu’il était épié. Il était trop connu. Il lâcha la main de Tempête comme si elle l’avait brûlé.

« Nous allons partir » dit-elle.

Le spectre de la solitude étreignit de nouveau Thibault, il l’avait présenti. Tempête continuait. Si Ninhoursha n’est pas venue c’est qu’elle a quitté la Terre. Il ne nous reste plus qu’à rentrer et protéger nos territoires en espérant qu’elle ne s’y intéresse jamais. Thibault hocha la tête et sentit la petite main de Tempête se blottir à nouveau dans la sienne. C’était une mauvaise idée mais il ne se dégagea pas. Revanche restait auprès d’eux sans dire un mot. De temps en temps, il flânait pour voir une vitrine puis le rattrapait. Il était là juste parce qu’il savait qu’il allait partir. Il voulait lui parler mais en privé. Thibault finit par le comprendre. « Tout à l’heure mon fils » lui dit-il. Puis il se tourna vers Tempête. « Où m’emmènes tu à la fin ?

- Nous sommes arrivés.

C’était une fête foraine. Pas bien grande mais Revanche ouvrit des yeux exorbités. Tempête lui expliqua le concept et lui proposa d’essayer certains jeux en lui fourrant quelques pièces dans la main. Elle le suivit des yeux, surveillant du coin de l’œil où il allait puis s’assit sur un banc puis, après une hésitation, se releva et entraîna Thibault vers un autre banc quelques mètres plus loin. « C’est mieux » dit-elle.

« Je peux savoir à quoi tu joues ? » dit Thibault s’asseyant à son tour.

« Tourne toi » lui répondit-elle.

Il s’exécuta. Il n’y avait rien. Juste une fontaine et quelques buissons. Il aperçut l’ombre de quelqu’un qui les observait mais ça, il l’avait déjà remarqué. Au fond peut-être était ce pour cela que Ninhoursha n’intervenait pas. Elle attendait qu’il soit seul. Cette idée était absurde, il l’écarta aussitôt, elle ne s’embarrasserait pas pour si peu. Pourtant, il savait que quand les filles seront parties, il y repenserait et aurait peur.

Il en revint à Tempête : « il n’y a rien ici.

- Si, derrière l’autre banc, il y avait un mur, et moche en plus. La fontaine est plus jolie.

- Et quel intérêt ce qu’il y a derrière nous puisqu’on ne le voit pas ?

Tempête souriait de son air espiègle. Elle avait une idée derrière la tête et Thibault commençait à se méfier. Elle se tortilla une mèche de cheveux, hésita et lui caressa la joue d’un doigt.

« Qu’est-ce que tu fais ? » Murmura-t-il même s’il savait que personne ne pouvait comprendre ses paroles.

« Tu avais un cil sur la joue

- Non Tempête, ne me fais pas croire que tu te préoccupes de ce genre de détail. Au cas où tu ne l’avais pas remarqué, on nous regarde. »

Elle ne fit pas mine de regarder autour d’elle, elle le savait aussi bien que lui. Revanche revint et leur proposa de venir voir une attraction. Tempête accepta de bonne grâce, suivit le gamin, prit même part à une séance de tir qu’elle rata pitoyablement mais refusa de suivre le petit sur un manège trop impressionnant pour elle.

« Tu mens mal ». Remarqua Thibault

« Non, je mens très bien. Du moins pour la plupart des gens ». Elle se retourna si brusquement qu’elle perdit presque l’équilibre et s’appuya sur Thibault en riant comme s’il avait dit quelque chose de très drôle.

« Et pourquoi ta comédie ?

- Pour ceux qui nous observe évidemment. »

Thibault acquiesça il avait commencé à le deviner. Elle l’écarta légèrement, se recula comme si elle estimait l’angle de la photo et revint près de lui. Il faut mettre en avant nos bonnes relations avec la Terre. C’est toi qui l’as dit. »

Thibault commençait à saisir.

« Nous partons dans quelques jours » précisa Tempête comme si elle avait suivi le cours de sa pensée. Il se rendit compte que, depuis son départ de l’hôtel, elle était en perpétuelle représentation. Elle parlait de banalités dans sa langue mais ses attitudes n’avaient rien à voir avec son discours. On aurait dit une adolescente face à son amoureux. Thibault se mit à sourire puis à rire de ne pas l’avoir aperçu plus tôt. « Avec la grande roue en arrière plan c’est joli » dit-elle d’un air amouraché. « La fontaine n’était pas mal non plus » précisa-t-il avec une intonation comme si il lui disait un compliment. Elle pouffa et se mit presque à rougir comme une petite timide. « Alors c’est toi qui m’embrasse » lança-t-elle « jusqu’à maintenant, c’est moi qui fais des mines. »

Thibault secoua la tête. Non, on pourrait croire que tu m’as obligé.

« Si c’est moi on peut aussi croire que je t’ai obligé à accepter. »

Thibault se mit à rire. Il se serait cru revenu le jour de son premier baiser, ne sachant s’y prendre avec une fille aussi nulle que lui. Il releva les yeux vers Tempête. Il avait l’habitude de filles plus petites que lui et se retrouver avec une femme de sa taille le troublait. Il se remit à rire et prit une grande inspiration comme s’il se préparait à plonger. Il passa ses bras autour de sa taille mais c’est elle qui approcha ses lèvres les yeux clos.

Il comprit à cet instant ce qu’était un baiser de cinéma. Un baiser parfait, dans un environnement romantique mais avec tous les yeux tournés vers eux et aucun sentiment. Il ouvrit les yeux. Tempête était dans ses bras, entièrement offerte mais tenait fermement tout son être enfermé sur elle même, ne laissant rien partager. Ils auraient pu être chacun à un bout de la ville qu’ils n’auraient pas été plus séparés. Revanche revint. Thibault perçut ses doutes à les retrouver ainsi mais ne fit aucun commentaire, se contenta de demander l’autorisation d’aller sur un autre manège et Thibault lui donna de l’argent. Il fit quelques remarques comme quoi il était obligé de faire la queue et Thibault se contenta de hocher les épaules « Ici, c’est différent »dit-il.

Il suivait Revanche toujours enlacé à Tempête et ferma les yeux un instant rêvant que c’était pour de vrai. Rêvant qu’il avait une femme aimante et son fils à lui. Elle frémit et il se reprit se demandant s’il ne s’était pas laissé aller à lui en laisser trop percevoir pourtant, il insista « Pourquoi ne restes-tu pas plus ?

- Tu l’as dit, il vaut mieux laisser la situation décanter. Laissons les d’abord se faire une image de nous ensuite nous verrons. Pour l’instant nous ne pouvons répondre à leurs questions ni les refuser. La distance mettra fin à ce problème.

- Et l’image de vous passe par moi ?

- Oui bien sur. La Terre reproche la distance que laisse la confédération. Ils aiment le romantisme, je leur en donne. »

Thibault se retint de dire que la distance qu’elle laissait était plus grande encore et que le romantisme, ce n’était pas ça.

- Tu vas me manquer » dit-il. « Non, tu me manques même là

- Elle se mit à rire mais surtout pour son auditoire. Je t’aurais cru soulagé qu’on te laisse en paix.

Thibault haussa les épaules « j’aurai voulu te garder près de moi.

Tempête resta un moment silencieuse avant de conclure « tu dois vraiment te sentir seul ».

Il sentit son cœur prêt à exploser. Elle avait compris ce qu’il ressentait. Le vide qui entourait sa vie et les fantaisies qu’il y mettait pour tenter vainement de le combler.

Elle l’embrassa à nouveau mais avec plus de douceur. Elle ne lui ouvrait pas son cœur mais lui laissait voir le plaisir qu’elle y prenait. C’était déjà plus que ce que lui apportaient les filles qu’il avait pu côtoyer et quand elle s’éloigna il en aurait presque pleuré.

« Eh, tu dois être content » dit-elle. « Ca fait mieux sur les images.

- On disait que j’étais triste car j’avais appris que ma petite amie allait partir » dit-il en souriant. Elle hocha la tête et s’éloigna. « Je rentre à l’hôtel. Je te laisse, je crois que Revanche voulait te parler. » Il ferma les yeux et s’appuya contre le banc avant de reprendre une pose avenante se rappelant qu’il était toujours observé. Il craignait que quelqu’un tente de l’aborder. Si c’était le cas, il leur en ôterait l’envie, il n’était pas d’humeur. Revanche arriva et s’assit à la place laissée libre par Tempête. Par réflexe, il passa le bras autour du petit garçon « dis moi ce qui ne va pas.

- Je serais bien resté plus longtemps.

Ses paroles achevèrent de lui déchirer le cœur. Il serra son fils contre lui qui se blottit dans ses bras.

« Je voudrais que tu restes » dit Thibault « malheureusement, je n’ai rien à t’offrir. Tu n’auras pas la vie que tu mérites ici ».

Il haussa les épaules « je pourrais rester plus longtemps. Tu m’as parlé de pleins de chose à voir. »

Thibault lui ébouriffa les cheveux. Il était heureux de voir son fils si proche de lui. De nouveau, il se prit dans ses rêves imaginant que cela pourrait être vrai. Revanche le croyait lui.

« Ta mère n’acceptera jamais que tu restes ». Mais à peine avait-il dit ses paroles que Thibault réalisa son erreur.

Revanche le regardait surpris. Il ne comprenait pas. « Tu es mon père » dit-il

Evidemment, ce n’était plus un bébé qu’on traîne d’un coté ou l’autre. Légalement il était autant sous sa tutelle que celle de sa mère. Les perspectives que ça ouvrait étaient énormes. Il se reprit. Sentiment ne le laisserait jamais faire. D’un autre coté, il pourrait l’en empêcher mais ce voudrait dire tirailler le petit entre ses deux parents. Il regarda autour de lui. Ils étaient tous les deux. Seuls. Entouré d’une foule qui les épiait mais seul quand même. Il pensait à ses rêves, il pensait à son avion personnel qui l’attendait, il pensait que Dya reviendrait vite et que sa nouvelle popularité deviendrait infernale. Il se tourna vers son fils : « Est ce que tu veux découvrir Paris ? »

Maÿcentes : Complexe du conseil

Voila le fantôme, Enfin. Depuis le temps qu’Accalmie cherchait à rencontrer Cyril. Ce type était pire qu’une anguille. Il l’apercevait parfois de loin mais en général il évitait de prendre part à quoi que se soit. Personne ne semblait savoir où il vivait et il était persuadé qu’il faisait tout pour l’éviter. Il était ambassadeur au même tire que lui. Ils se devaient de défendre soi disant les mêmes intérêts mais il n’avait jamais pu ne fut-ce que l’approcher. Sans doute encore un stratégie absurde de Rafale ça. Il se planta devant Cyril qui eut un léger mouvement de recul en le voyant. Il fusa une méfiance sans limite puis, sans lui adresser la parole, sortit de sa tunique une longue cigarette qu’il alluma avec un instrument qu’Accalmie n’avait encore jamais vu. Une fumée douce et sucrée commença à se répandre dans la salle et quelques émotions désapprobatrices émergèrent des personnes présentes.

« Pouvez-vous m’accorder quelques minutes Légat Cyril ? » Sa méfiance augmenta. Accalmie avait voulu le rassurer en lui parlant avec le plus de courtoisie possible mais sans doute avait-il tant l’habitude des façons de parler brutales des Adarii que ce ton inhabituel l’inquiétait d’avantage.

« Ai-je le choix ? » répondit-il, tâtant le terrain.

- Non » Les émotions de Cyril étaient moins fortes. Il revenait en terrain habituel.

Accalmie trouva une sorte de petit salon vide et fit le tour de la pièce afin de s’assurer qu’il ne restait pas quelques petites caméras cachées dans un coin puis s’assit face à Cyril.

« On ne vous voit pas souvent ici, Ambassadeur ? »

Cyril souffla sa fumée comme dans un soupir. « J’estime que j’y suis encore trop.

- Quelque chose m’échappe. Vous représentez Plume, moi aussi. Pourtant, vous ne faites rien pour défendre les intérêts de Cashir ?

- Je ne représente qu’une voix, rien de plus. Le seul intérêt que peut avoir Cashir, c’est que les mondes extérieurs ne s’en approchent plus.

- Mais vous ne défendez pas ce principe ici, vous ne faites absolument rien. Ne croyez-vous pas qu’il serait tant qu’on agisse ensemble ? »

Cyril fronça les sourcils. « Comprenons-nous bien : la politique des Maÿcentres ne m’intéresse pas. Qu’ils s’époumonent dans leurs discours si ça leur chante. De toute façon, quel que soit le futur président, je n’ai confiance en aucun d’eux. Alors, si vous voulez que je fasse quelque chose pour vous, je le ferais. Je fais ce qu’on me dit, n’en demandez pas plus. »

Accalmie se recula, cherchant à décortiquer ce message. « Je fais ce qu’on me dit » dit-il répétant les paroles de Cyril. « qui est le « On ».

Cyril parut s’étonner mais sans beaucoup de conviction : « l’Annunaki Rafale, évidemment »

D’accord. C’était plus clair à présent. Accalmie jouait les pantins sur l’avant de la scène car il était doué en diplomatie et Rafale tirait les ficelles derrière.

« Nous allons clarifiez les choses. Vous êtes ambassadeur, vous êtes là pour défendre les intérêts de Plume. Moi aussi » quoique c’était loin d’être sa priorité « vous et moi, nous gérons les mondes extérieurs. Rafale non. Vos stratégies, vous voyez cela avec moi. »

Cyril ricana quelques propos incohérents. Accalmie hésita ne voulant montrer qu’il ne maîtrisait pas parfaitement la langue qui était censée être sa langue maternelle. Il lui demanda de s’exprimer clairement. Il serra les poings et écrasa sa cigarette contre le métal du fauteuil.

« Le seul dont je suis sur qu’il ait les moyens de tenir les mondes extérieurs à l’écart, c’est l’Annunaki Rafale. Je ferais ce qu’il dit, il assure la protection de Cashir. Point final. »

Le père tenu par le chantage, la fille par amour. Rafale était doué, il fallait l’admettre.

Cyril n’en attendit pas plus pour se lever et sortir. Il buta presque sur un garde. « Légat, nous avons un problème.

- Que ce passe-t-il encore ? » soupira Cyril.

« Non, Légat Adarii » Le garde était encore inquiet, Accalmie commençait avoir l’habitude. Sans doute Jade avait-il piraté quelques champs de force.

« Il y a une fille… »

Accalmie n’allait pas attendre des heures qu’il se décide « Pluie » dit-il sachant que s’il y avait un problème concernant une fille c’était la seule qui restait sur les Maÿcentres.

« Non, c’est une fille qui semble avoir atterri sur l’esplanade. J’ignore si elle est blessée.

- En quoi ça me regarde ?

- C’est une fille Adarii qui est arrivée d’une façon…inhabituelle. »

Accalmie arriva sur les lieux sans avoir pu avoir une explication claire. Dya arriva à sa rencontre sortant d’un attroupement qui s’était formé. « Légat, je vous ai déjà dit que je ne voulais pas d’esclandre.

- Et moi je vous ai déjà dit que je ne voulais pas vous entendre.

- Les rumeurs courent déjà qu’elle n’est pas juste tombée, en plus de se balader dans une tenue totalement indécente, mais qu’elle serait apparue venue de nulle part à deux mètres du sol.

Accalmie n’écoutait plus. Il commençait à apprendre a anhiler de ses oreilles les bavardages suraigus de Dya. Il continua à avancer et les curieux s’éparpillèrent sans demander leur reste. La fille était couchée, face contre terre. Sa tenue n’avait rien d’indécent, elle portait une tunique courte et un pantalon. Mais il suffisait d’un décolleté pour choquer Dya. Elle n’était pas inconsciente comme il l’avait cru, juste apeurée. Il la reconnut par ce sentiment avant même de la voir. « Chance ! »

Il s’approcha doucement comme si elle risquait de s’enfuir mais elle avait dépassé ça. Elle restait crispée face contre terre comme un petit animal. Dya marmonnait quelques obscénités sur le coté primitif de la race Adarii. Il n’en tient pas compte, il règlerait ses comptes avec Dya plus tard. Il parla doucement à Chance qui ne réagit pas et finit par la prendre dans ses bras sans qu’elle ne résiste se contentant de se renfermer si fort sur elle qu’il ne put plus percevoir ne fut-ce que la moindre émotion de sa part mais elle finit par s’accrocher à son cou tandis qu’il franchisait les grilles du jardin. Il la reposa à l’entrée de la villa et constata avec soulagement qu’elle tenait debout. Elle avait quelques belles ecchymoses. Dya disait qu’elle était tombée de nulle part. Aussi invraisemblable que cela paraisse, il était prêt à le croire. Elle avança mécaniquement derrière lui ouvrant soudain de grands yeux comme si enfin elle avait trouvé quelque chose digne d’intérêt. Plumeau arriva et eut un mouvement de recul en la voyant puis sa mit à dégager une curiosité insupportable.

« Elle s’appelle Chance » dit Accalmie en espérant que ça lui suffise momentanément.

« Adarii Chance », dit-elle devant la fille qui ne lui prêta nulle attention.

« Elle a besoin de se reposer » précisa Accalmie.

« Bien »Evidement elle voulait en savoir plus « je n’ai pas été prévenue de votre arrivée mais je vais faire la plus vite possible. Où dois-je… ? »

Ce qu’elle pouvait être agaçante parfois. Elle n’avait qu’à l’installer n’importe où.

Une petite voix rauque s’éleva de Chance. « Tiyana »dit-elle.

C’était inespéré ça. Tu as entendu Plumeau, prépare lui une chambre dans les appartements que tu as arrangé pour Tiyana. »

Plumeau ne bougeait toujours pas

« Ca te pose un problème ?

- C’est que, j’ai vécu quelques années à Tiyana avec Grésil et… »

Accalmie la coupa avant qu’elle finisse son raisonnement « Si elle te dit qu’elle a des droits sur Tiyana, tu oserais remettre en doute sa parole ? »

Son discours porta ses fruits et Plumeau fila. Il ne restait plus qu’à espérer qu’il évite les autres occupants. Il poussa délicatement Chance vers l’escalier. On aurait dit qu’elle engrangeait tout ce qui l’entourait d’un regard avide. Accalmie la conduisit dans le salon de l’appartement de Tiyana et constata avec plaisir qu’il était chauffé. Jade avait raison, ses bricolages avaient fini par réussir. Il n’y croyait plus. Il croisa Plumeau qui présenta une chambre. « Tu as besoin de quelque chose ? » dit Accalmie le plus doucement possible. Elle ne répondit pas. Elle entra dans la chambre et croisa les bras comme frissonnant malgré la tiédeur de la pièce. Elle s’agenouilla, toucha les draps et le plancher. Accalmie comprit qu’elle voulait être seule. Il sortit et alla chercher lui-même quelques provisions à la cuisine et les disposa sur la table du salon. Il frappa doucement à la porte de la chambre mais personne ne lui répondit. Il l’ouvrit sans faire de bruits. Elle dormait, enfuie en boule sous les draps laissant dépasser un bras, ses cheveux éparpillés sur un coussin. On aurait dit un ange.

***

Dya effaça encore quelques injures de son bracelet contact et reformula ses griefs de façon plus civilisée. A côtoyer les Adarii, elle sentait monter en elle des sentiments primitifs. Et les propos qu’elle avait enregistrés sous l’emprise de la colère étaient ceux d’une bête. Ce devait être une manœuvre de leur part. La pousser à bout. Les pousser tous à bout. Ils perturbaient les hommes, s’appropriaient l’énergie des Maÿcentres, séduisaient les femmes, ils perturbaient même le climat. Et malgré tout ils se trouvaient encore du monde à être admiratifs devant leurs perversions dignes des enfers. Et l’autres qui apparaissaient au milieu de l’esplanade. Encore une manigance pour impressionner le peuple ça. Elle aurait dû donner un blâme à Accalmie pour ça. Ce monstre la narguait, jouant les ambassadeurs d’un monde sur lequel il n’avait jamais mis les pieds. Un jour, elle trouverait le moyen de mettre au grand jour cette supercherie ridicule.

Elle entra son bureau et repoussa l’impulsion qu’elle avait de claquer la porte. Au contraire, elle se força à entrer dignement. Elle faisait partie de la race la plus évoluée de l’univers, elle ne se laisserait pas démonter par ses sentiments. Son nouvel assistant introduisit quelqu’un à sa suite. Elle se força à prendre une expression digne de son rang avant d’ôter son masque et parla d’une voix qui se voulait à la fois sure et autoritaire. « Vous revenez de la Terre si j’ai bien compris. Je vous remercie d’avoir accéder à ma demande en vous présentant aussi vite à mon bureau.

- Sï Dya, C’était mon intention. D’autant plus que la nouvelle que j’apporte sera sans doute de la plus haute importance pour vous.

- Expliquez-vous

- Thibault Malta.

- Quoi Thibault Malta ? » Elle reprit sa respiration. Que venait-il lui parler d’un problème résolu. Ce nom était source d’exaspération et même si elle avait été furieuse qu’on lui annonce qu’il s’était fait tuer, elle avait depuis fait contre mauvaise fortune bon cœur, se disant que même s’il ne pourrait plus rien lui apprendre, l’extermination d’un parasite était toujours une bonne nouvelle. Surtout qu’il s’était fait tué par ses propres concitoyens sans qu’elle ait à se salir les mains.

- Je crois qu’il y a eu erreur sur son décès.

- Comment erreur ! C’est totalement impossible. Je tiens cette information de source sure. »

Dya s’assit dans son fauteuil et se força à se calmer. Voyons. Thibault s’était mystérieusement échappé sans doute avec la complicité de ses gardes. Depuis, elle les avait tous muté comme gardien sur le satellite prison Exil, ça leur apprendrait. Une telle incompétence était impardonnable. Ensuite elle avait retrouvé l’autre folle. De toute façon il n’y avait que des cinglés dans cette famille. La terre entière était emplie de cinglés. Elle ôta son bracelet contact, appuya sur la fonction hologramme et le posa sur la table tandis que la salle se recouvrait d’éléments colorés. « Généalogie Maltaa » récita-t-elle en détachant bien chaque mot. Sa mémoire était excellente et elle n’avait nulle besoin de ce support. Elle l’avait fait apparaître pour son aide des affaires terriennes. Thibault était barré. Elle hésita à ôter le trait sur son nom.

« Tu es sur qu’il est vivant ?

- Oui.

Cette ordure avait réussi à l’abuser, mais comment ? Ou Emma. Elle avait été la voir après l’évasion de Thibault. Elle n’avait rien pu retirer d’elle. En y réfléchissant, n’était-ce pas elle qui lui avait appris la mort de Thibault ? Si. Et pourtant comment aurait-elle pu le savoir ? Qui avait été chargé de vérifier ses dires ? Il y avait un trou là. Or, sa mémoire n’avait jamais de trou. Elle avait été abusée. Elle serra les poings. Son aide ne devait pas percevoir sa colère. C’était un sentiment faible, indigne d’elle.

« Ce n’est pas tout » ajouta ce dernier.

Dya se tourna vers lui « Non seulement Thibault est vivant mais il a repris sa place dans nos affaires. Il se présente partout comme une interface entre la confédération et la Terre et a été vu dans une réception officielle avec l’Adarii Tempête Maniya. Il a présenté cette dernière comme la représentante de la planète Plume.

- C’est impossible ! » cria presque Dya

« Il n’y a aucun doute. Ces informations ont déjà fait la unes de tous les médias Terriens. Toutes les nouvelles se diffusent à une vitesse ahurissante sans aucun contrôle. »

Dya le savait. C’était encore un aspect de la sauvagerie de ce monde indiscipliné.

« Il faut mettre la main sur Thibault. Sur Emma. Et les autres aussi » dit-elle en désignant les noms sur l’hologramme.

« J’ai chargé un homme de confiance de retrouver leurs traces mais nous sommes peu nombreux. Si nous pouvions agir au grand jour et avec plus de moyens… »

Non, ils ne pouvaient pas. Dya tenait à garder ça secret. Il y avait déjà suffisamment de mouvements de foule. Déjà ils ne géraient plus rien au point que les Adarii avaient réussi à atteindre la Terre et se faire une place tranquillement dans leur réception sans aucune difficulté et sans même que quiconque en ai eu vent. Il ne fallait pas rajouter une panique supplémentaire. De plus, Il y avait des masses de révoltes contre eux sur Terre. Il n’était pas tant d’en rajouter en poursuivant officiellement leur concitoyens ou ceux se faisant passer pour tel car elle se doutait que Thibault ne devait pas être un simple primitif terrien. Primitif oui, mais pas terrien.

« Je dois y aller » dit-elle.

Mais elle se ravisa instantanément. Elle ne pouvait quitter la colline maintenant. La réunion des chefs d’état était éminente. La Syhy Lytil avait réussi à prendre place parmi les candidats et se faisait une joie de la narguer avec ses propos idéalistes totalement démodés. Si elle prenait le pouvoir, nulle doute qu’elle serait rétrogradée et ça, elle ne le permettrait pas. Elle avait servi deux présidents. Ce n’était pas ensuite pour se trouver jeter hors du conseil telle une vulgaire minière des basse villes.

C’est vrai que ses espions sur Terre se faisaient rares. Elle soupira et reprit pour son aide : « tu vas y retourner » dit-elle. « De combien d’hommes sur disposes-tu ?

- Une dizaine. »

C’était peu, beaucoup trop peu. Mais elle ne voyait pas comment y remédier.

« Vous ferez votre possible pour les retrouver » dit-elle désignant l’hologramme.

L’homme accepta. « Nous surveillons Thibault. Nous cherchons aussi Emma Diarety qui semble avoir disparu de même que Hélène et Mike Gentry.

- Comment disparu ? Je croyais que vous aviez lancé les médias sur le dos de Mike pour le surveiller !

- Oui, mais il leur a échappé. Il doit se terrer quelque part. Nous les cherchons.

- Laissez tomber, vous ne pourrez pas tous les retrouver. Si vous avez Thibault, gardez le à l’œil. N’essayez pas de l’interpeller. Contentez-vous de le surveiller et dès que je pourrais, je viendrais moi-même gérer ça.

Maÿcentres : Ambassade de Saphir-Plume

« Puis-je savoir ce que je fais ici ? »

Dyasella était resté debout les bras croisés, ignorant le siège que lui avait proposé Rafale. Elle avait renoncé à le regarder se concentrant sur une branche qu’elle fixait par la fenêtre. Elle s’obligeait à respirer calmement et profondément mais elle avait les mains moites et elle se sentait rougir. Sa voix qu’elle voulait ferme chevrotait. Et tout cela devant un garçon d’à peine seize ans. Elle s’en voulait de sa faiblesse. Pourtant elle aurait pu être fière aucun de ses concurrents n’avait osé ne fut-ce que lui demander de lui accorder un rendez-vous. Elle avait réclamé une audience. Elle avait été rabrouée. Et voilà qu’aujourd’hui on venait la chercher jusque chez elle. Et pas un simple domestique mais l’Adarii Jade en personne. Il avait exigé qu’elle vienne immédiatement car L’Annunaki Rafale désirait lui parler. Elle avait refusé. Personne n’avait à lui parler ainsi. Elle s’était retrouvée dans le salon d’accueil de la villa Adarii. Elle n’aurait su dire comment. Elle avait été très conciliante avec eux. D’abord parce qu’ils pouvaient l’aider, peut-être aussi en souvenir d’Orage. Mais là non, ce faire manipuler ainsi, c’était la goutte d’eau en trop. Rafale était de très bonne humeur. C’était la première fois qu’elle le voyait sourire et elle aurait apprécié que ce ne soit pas parce qu’il se moquait de sa faiblesse mais plus elle s’efforcer de garder vainement bonne figure plus il souriait. Il lui désigna à nouveau un fauteuil. A nouveau elle resta debout. Il lui dit qu’il insistait et elle se retrouva à genoux. Il ne lui laissa pas le temps de l’insulter, elle se détourna et résignée, elle se glissa au bas du fauteuil pour s’asseoir sur le tapis. Rafale revenait avec une épaisse boite en bois sculpté. Il porta son regard sur la table et le plateau emplit de petits gâteau s’éleva dans les airs doucement pour se reposer sur le tapis à coté de Dyasella qui le suivait des yeux, médusée. Leur pouvoir n’avait-il aucune limite ?

Rafale feint de ne pas s’apercevoir de son étonnement, posa la boite sur la table maintenant débarrassée, l’ouvrit et en sortit un plateau de jeu ouvragé ainsi que quelques pièces de bois.

« Dois-je t’expliquer les règles ? »

Dyasella secoua la tête. Elle connaissait le jeu d’assaut. Elle y jouait rarement. Umya appréciait beaucoup ce jeu mais il était bien trop fort pour elle et les autres adeptes qu’elle connaissait étaient au contraire trop faibles pour l’intéresser. Et surtout, elle n’avait pas le temps en ce moment pour de telles futilités. Elle savait que Thaïs jouait parfois avec Rafale. Elle ne fut donc pas étonné qu’il lui sorte ce jeu mais elle n’appréciait pas pour autant la façon très cavalière par laquelle l’Adarii Jade l’avait prié, de venir à la villa.

« Vous ne m’avez tout de même pas fait venir, et de force » précisa-t-elle « juste pour jouer avec moi ?

- Mais si » répondit-il en plaçant les pièces sur la table de jeu.

Elle sourit en constatant qu’il manquait les deux pièces représentant les mondes dirigés par les Adarii. « Je constate que vous ne prenez pas part à la partie. »

Rafale ouvrit la main et plaça sur le jeu la pièce en bois d’un bleu profond. « Voilà Saphir » «dit-il en la posant à sa place.

Il tendit la main vers Dyasella qui ébaucha un mouvement de recul. « Voulez-vous rendre Plume à qui de droit ? » lui dit-il.

Que voulait-il dire ? Il attendait la main tendue.

« Dans la poche de votre manche » précisa-t-il.

Sans comprendre, elle tata la poche et y découvrit en effet une petite pièce en bois. Elle l’observa et reconnut la pièce en bois rose que lui avait offert Umya des années plus tôt. Sans chercher à comprendre comment elle avait pu se retrouver là, elle la posa sur la table et Rafale s’en saisit pour la placer parmi les autres. Son style s’y accordait tout à fait.

« C’est Thaïs qui m’a appris à jouer expliqua Rafale. C’est lui aussi qui m’a donné ce jeu.

- Il ne m’avait jamais parlé de ce cadeau.

- Il n’en a que peu de souvenirs. »

Dyasella se détourna. « Ne pouvez-vous avoir un minimum de respect envers les autres ? »

Rafale haussa les épaules. « Envers les autres si. Envers vous… »

Il la toisa avec répugnance.

Elle tapa du poing sur la table « Mais allez vous me dire à la fin qu’est ce que je vous ai fait ! Je m’efforce de vous faciliter la vie et vous de me compliquer la mienne»

Rafale lui lança un regard qui la glaça. « Vous avez couché avec mon père. »

Elle se figea. Elle s’était attendue à tout sauf à cela.

« Je trouve ça répugnant » insista-t-il.

Elle fut prise d’un rire nerveux et d’un coup elle se retrouva devant un gosse trop gâté et reprit une dose d’assurance.

« Et je ne doute pas qu’il ait aimé cela » dit-elle pour le plaisir de la provocation.

Elle le regretta aussitôt. Un coup de tonnerre déchira le ciel mais rien ne se produisit. Rafale distribua les cartes. « Jouons » dit-il.

Pendant deux bonnes heures, elle se concentra sur son jeu tentant d’ignorer la présence de Rafale en face d’elle.

Elle gagna la première partie et Rafale se contenta d’un signe de tête approbateur et replaça les pièces. Ce n’est qu’au bout de la troisième partie qu’elle relâcha son attention ou plutôt la déplaça, ne se concentrant plus sur le fait de gagner mais d’observer la stratégie. La base de celle de Rafale était toujours la même consistant à s’approprier d’abord Plume et Saphir et les mettre de coté ensuite ses stratégies variaient mais ce désintéressait systématiquement de Vengeance et des Maÿcentres. Au bout de plusieurs parties, il changea de tactiques et accula les mondes de Vengeance et des Maÿcentres. Il s’arrêta et sourit. Dyasella s’arrêta et observa la configuration. Elle avait fourni de gros efforts pour protéger les deux planètes les plus importantes et étaient fières d’avoir réussi à nouveau. Elle avait aussi bien en main la planète conquête et son gros satellite d’extraction. C’était suffisant pour gagner et le nombre de coup réglementaire était passé.

« J’ai encore gagné » conclu-t-elle fièrement.

« En es-tu sure ? »

Elle recompta les points. « Oui, et de loin.

Rafale n’avait que Plume et Saphir, la plate forme qui les raccorde et deux planètes d’extraction. Les autres mondes n’avaient pu être attribué ni à l’un ni à l’autre gardant un statut neutre. Ils auraient pu changer la donne. Avec quelques coups supplémentaires, Rafale aurait pu récupérer la Terre mais sa valeur n’était pas assez élevée pour gagner.

Rafale se pencha au dessus du tableau de jeu et en retira la planète Conquête et son satellite.

« Que faites-vous ?

- Ces deux civilisation n’existent plus » se contenta-t-il de remarquer.

Elle voulu répliquer que pour le jeu ils existaient et que les ôter purement et simplement était en contradiction avec toutes les règles mais elle se retint et approuva. Rafale montrait une représentation plus réelle du cercle, libre à lui. Elle recompta les poings avec cette nouvelle donne, elle gagnait toujours. Elle avait une bonne avance.

Rafale retourna la pièce représentant Plume et réfuta. « Erreur, je gage » dit-il en montrant la valeur de la pièce.

« La valeur de cette pièce a été modifiée » s’exclama Dyasella. Elle se remémorait le jour ou elle avait reçu cette pièce. Cadeau D’Umia afin de l’appâter et d’aiguiser sa curiosité. C’était lui qui avait revu la valeur de cette pièce à la hausse.

Elle en fit la remarque.

Rafale haussa les épaules. « Et à votre avis, qui avait raison ? L’inventeur de ce jeu qui avait donné une si piètre valeur à Plume et Saphir ou votre homme de confiance en la réévaluant à la hausse ? » Rafale se leva. Synshy penchait pour la première solution. Il disparut dans l’entrée la laissant seule. Son départ fut comme une libération pour son esprit. Elle regarda à nouveau le jeu. Oui, elle gagnait, mais si cette configuration était la réalité. Si l’empire de saphir plume récupérait ne fut-ce les planètes d’extraction de leur secteur et la plate-forme qui va avec. Ils devraient alors présenter face à eux une puissance forte et unie avec des valeurs minières et énergétiques renforcées, mais si le deuxième satellite et les autres mondes d’extraction ne les suivaient pas ? Et si la Terre leur tournait le dos ? Si tous ces mondes pervertis par les discours mielleux des Adarii s’éloignaient de la confédération ? Elle était la première à leur proposer l’indépendance estimant que Vengeance et Maÿcentres n’avaient nul droit de prétendre obliger les autres mondes à s’allier à eux. Le désastre de Cashir avait suffi. Elle avait longuement échangé avec le maître Cyril de Cashir. Il avait fini par quitter sa carapace et lui parler des ravages des hommes de Synshy sur son continent. Les descriptions qui lui en avait faite, la façon dont on avait pompé leurs ressources l’usant jusqu’à la trame, la famine et le malheur, les contrebandiers qui s’étaient associés à eux. Elle en aurait presque pleuré. C’était si loin de l’idéologie de la confédération. Elle avait été confortée dans son idée. Chacun était libre de son choix Dyasella regarda encore la configuration du jeu. Théoriquement, elle gagnait mais en pratique, la puissance de Saphir et Plume dépassait de loin ce qu’on cherchait à faire croire afin de rassurer le peuple et il leur faudrait peu pour les égaler. Quelques ressources supplémentaires et ils seraient capable de mettre la main sur la confédération. Elle serra les mains l’une contre l’autre, elle tremblait. Dire que, s’ils étaient là, c’était à cause d’elle. A cause d’une action irréfléchie pour chasser Synshy. Elle voyait la libération de la confédération d’un monstre sans réfléchir à la suite ; elle avait accepté de se présenter à la tête de la confédération sans penser dans quoi elle s’engageait vraiment. Elle pensait aux Adarii comme une aide potentielle mais eux, à quoi pensaient-ils ?

Quelqu’un toussa à l’entrée. Elle releva la tête.

« Je t’apporte ton manteau. »

Dyasella se leva et accepta l’étoffe tendue par le serviteur et se dirigea par vers la porte

Taegaïan : Villa Adarii de Tae

Des pas, amortis par les épais tapis du salon d’accueil. Une petite voix. Réalité leva la tête. C’était un petit garçon. Sans doute le fils d’un serviteur. Elle s’attendit à se faire éconduire encore une fois. A croire que ce n’était jamais le moment. Mais elle se voyait mal se rendre dans la grande salle le jour des doléances. En Plus on lui avait clairement parlé d’une audience privée.

« Maître Glace va vous recevoir »

Réalité ferma les yeux. Qu’on en finisse pensa-t-elle tout en regrettant qu’il ne lui ait pas encore dit de revenir un autre jour. Elle se dirigea vers la petite salle d’audience mais le jeune garçon bifurqua sur un nouveau couloir. Elle le suivit et escalada à sa suite un escalier de pierre.

« Ou allons-nous ? » lui demanda-t-elle.

« J’ai ordre de vous conduire aux appartements de Maître Glace » Elle s’arrêta net. Son cœur battait si vite qu’elle était trop essoufflée pour faire un pas de plus et sa tête tournait. Des petits points noirs courraient devant ses yeux. Elle se sentit tomber et tout disparu.

Avant d’ouvrir les yeux, elle comprit qu’elle avait perdu conscience. Quelqu’un avait dû la porter car elle était étendue sur quelque chose de mou. Un lit ou un canapé. Il y avait des voix étouffées. Une voix de femme disant que ça ne faisait aucun doute et une, plus grave qui disait que ça devait être quelqu’un d’autre. « Voila qui change la donne » entendit-elle encore. Une porte claqua. Les paroles cessèrent. Des pas se rapprochèrent et elle reconnut le bruit d’une chaise qu’on tirait près d’elle. « Je sais que tu es réveillée »

Elle se força à ouvrir les yeux, gênée de son stratagème. Maître Glace était penché au dessus d’elle. Il s’éloigna légèrement et la laissa s’asseoir et formuler quelques excuses. Elle ignorait ce qui lui était arrivée. Elle se sentait fatiguée ces derniers temps. Il y avait de quoi.

« Je me doute » marmonna Maître Glace. Il soupira et regarda par la fenêtre « mon père disait qu’on ne pouvait ignorer les autres mondes » commença-t-il « et il est mort »

Réalité ne voyait pas quoi répondre à cela, elle attendit. « Pour ma part » continua-t-il « j’ai passé plusieurs années sur Terre et sur les Maÿcentres et je ne sais toujours pas quoi faire d’eux. »

Réalité ouvrit la bouche et la referma sans répondre. Elle avait toujours cru Maître Glace si fermé qu’elle se demandait s’il avait même quitté Taé un jour. Il continuait. « Ton père a choisi de faire passer Cashir sous protectorat Adarii »

Elle se colla contre le mur. Elle n’en croyait rien, il ne ferait jamais ça, c’était contre toutes ses convictions. Tout comme les siennes quelques mois plus tôt songea-t-elle.

« Je voulais juste te prévenir. Nous réorganiserons sans doute certaines choses mais nous ne comptons pas pour autant investir les lieux si c’est cela qui t’inquiète. Par contre, je souhaiterais que tu serves d’intermédiaire.

- Ma mère n’acceptera jamais » souffla-t-elle comme si c’était important

« Ce n’est pas mon problème. C’est à Cyril et à toi que je demande. Peux-tu servir Cashir pour nous ? »

Réalité secoua la tête : « je ne suis plus chez moi en Cashir par les vœux de ma mère.

- Non, tu ne l’es plus, tu es chez nous en Cashir par les vœux de ton père.

- Je ne sais pas quoi dire.

- Pour l’instant, contentes-toi d’assimiler ça. Beaucoup de choses vont changer. Je ne sais si c’est bien ou non mais nous n’avons pas le choix et qu’il vaut mieux intégrer les changements plutôt que les refuser.

- Vous voulez parler de ma relation avec Eclaircie en parlant de changement ?

- Avec l’Adarii Eclaircie. Garde tes familiarités pour ton couple. Mais je ne pensais pas vraiment à cela. Plutôt aux élections des mondes extérieurs, à une coalition possible des mondes excentrés, à la soumission de Cashir et d’autres choses encore. A toi aussi oui.

Je dois te demander. As-tu d’autres amants que mon frère ? »

Réalité rougit « non » dit-elle.

Maître Glace hocha de la tête « Oui beaucoup de choses vont changer. Il me faut réfléchir. Il y a certains points que je ne saisis pas encore mais je me dois d’en évaluer les conséquences. »

Réalité restait assise sur le fauteuil. Elle se dit soudain qu’elle aurait s’en doute dû se lever. Ca lui paraissait d’un coup très malvenu qu’elle soit assise là alors que maître Glace était debout. Il n’avait pas bougé durant tout son discours, restant perdu dans la contemplation d’un manguier à l’extérieur. Elle se dit que c’était peut-être aussi pour la mettre à l’aise. Il se décida à se retourner alors que la porte s’ouvrait. Eclaircie entra et se figea en voyant Réalité et son cœur s’emballa comme à chaque fois qu’elle voyait son amant. « Tu peux sortir » dit Glace la désignant. Elle se leva, s’inclina et se dirigea vers la sortie faisant un détour pour éviter Eclaircie mais ce dernier la retint par le bras. « Reste » dit-il prenant ce ton autoritaire qu’elle détestait.

Réalité le supplia en silence, le regard de Glace la transperçait. Elle se sentait soudain pire qu’un parasite.

Eclaircie se saisit d’un verre de cristal et se mit à le remplir mais son geste s’arrêta net et son sourire disparut. « C’est impossible » dit-il dans un souffle fixant son frère avant de se tourner vers Réalité. « Je te rejoindrais plus tard » dit-il soudain grave. « Je dois parler à mon frère »

Maÿcentres : Ambassade de Saphir-Plume

Accalmie avait décidé de se lever tôt. Il ne voulait pas que Chance s’inquiète en se retrouvant seule ou pire, ne tombe sur les autres. Elle l’obnubilait tellement qu’il passa une bonne partie de la nuit sans pouvoir trouver le sommeil et ne s’endormit qu’au petit matin. Il se maudit de se réveiller si tard. En plus, il était aussi fatigué que s’il n’avait pas fermé l’œil. Plus même. Il attrapa presque Plumeau « tu sais si Chance est réveillée ? »

La domestique reprit ses suspicions habituelles « oui »dit-elle.

« Oui tu le sais ou oui elle et réveillée ?

- Oui elle est réveillée.

Accalmie n’en attendit pas d’avantage, il se dirigea vers les appartements de Tiyana.

« Elle n’est pas là » lança Plumeau.

« Où est-elle ?

Plumeau lui dit quelques mots qu’il eut du mal à saisir puis comprit que Plumeau évoquaient ces petites pièces en sous-sol à coté des thermes qu’il considérait comme réservées aux filles car on y trouvait une sorte de dressing de vêtements féminins, un petit salon avec de grands miroirs et un peu près tous ce que Accalmie avait jugé être des produits de beauté. Il intégra le nouveau mot de vocabulaire concernant ce lieu « et c’est Chance qui t’a demandé ou ça se trouvait ? »

Elle dit oui comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Sans doute toutes les villas possédait-elle ce genre d'espace.

« Elle te l’a demandé avec des mots »

Plumeau répondit par l’affirmative mais si intriguée qu’il renonça à en demander d’avantage.

« Où sont les autres ? » demanda-t-il préférant éviter de demander si ils avaient croisés Chance ?

- L’Adarii Ambre est sorti et les autres sont dans le salon d’accueil »

Accalmie se décida à descendre. Il préférerait ne rien leur dire mais sachant qu’ils croiseraient Chance à un moment ou à un autre, il fallait les préparer afin qu’ils ne lui fassent pas peur. Il redoutait leurs réactions. Craignant leur brutalité habituelle.

Il y avait en effet une petite réunion dans le salon d’accueil. Au moins, ils commençaient à faire l’effort de ne plus envahir son salon. Surtout le matin car, le soleil donnait sur ce salon et il était le plus agréable. Accalmie n’aurait su dire de quoi il parlaient, ils se turent avant même qu’il franchisse la porte. « Je dois vous entretenir d’un léger détail » dit-il sans savoir comment aborder la chose. Il aurait aimé pouvoir garder la venue de Chance pour lui seul mais c’était impossible de garder la moindre intimité ici. Ils se tournèrent tous vers lui puis les regards dévièrent derrière lui. Pluie ouvrit la bouche stupéfaite tandis que les yeux de Rafale et de Jade se mettaient à briller d’une lueur qu’il n’apprécia pas. Il se retourna et eut lui-même un hoquet de surprise. Chance s’avançait vers eux à petits pas hésitants. Elle avait passé une étoffe de soie attachée comme Pluie le faisait sous les épaules et un long châle assorti. Elle avait des reflets dorés sur son décolleté et un tatouage ressemblant un peu à un dragon ou un serpent que Accalmie avait appris être l’emblème de Tiyana, ses yeux si étranges aux couleurs des feuilles mortes de Vengeance avaient été rehaussés de noirs et ses cheveux attachés par une multitude de petites perles. Elle était magnifique. Le chef d’œuvre de Substance. Elle continua à s’avancer à petits pas et s’assit sans un mot sur le tapis.

Accalmie finit par réussir à articuler : « Je vous présente Chance ».

Toujours sous le coup de l’étonnement personne n’arriva à dire un mot. Plumeau entra, posa un plateau sur la table et demanda à l’Adarii Chance si elle désirait quelque chose de particulier.

Accalmie ne supportait pas de voir Plumeau insister ainsi, elle ne devait pas la forcer à parler. Mais Chance avait l’air moins inquiète et après un temps de réflexion, comme si elle cherchait ses mots, elle prononça quelque chose qu’Accalmie ne comprit pas. Ca ne parut pas poser de problème à Plumeau qui sortit en acquiesçant.

Accalmie commençait à comprendre. Il n’avait jamais vu Chance comme une Adarii. C’était un être pur et innocent crée par Maître Substance. Pourtant Substance lui avait dit qu’elle vivait il y a longtemps. Même là, il n’avait pas relevé qu’elle pouvait être Adarii. Même quand Jade avait dit qu’elle essayait de créer un lien télépathique, il avait refusé d’aller plus loin dans la réflexion. Il avait classé les Adarii comme digne d’actes abjectes et toujours prêt à tous les mauvais coups. Tout le contraire de Chance qui était la douceur incarnée. Plumeau revint avec une tasse fumante qu’elle posa sur la table devant Chance. Ses yeux se mirent à pétiller et elle porta le contenu à ses lèvres. « C’est bon » dit-elle.

Accalmie se prit à sourire. Comment Marcus n’avait-il pas songé à cela ? Il la maintenait à l’abri dans son sanctuaire dans une maison de verre et de coquillage de Vengeance et lui fabriquait des robes magnifiques qu’elle ne savait comment porter et des mets raffinés qu’elle ne connaissait pas. Pas étonnant qu’elle n’ait pas pu s’adapter à tous ses changements. Elle but encore un peu, ses joues rosies sous l’effet de la chaleur et après hésitation choisit un des petits plats sur le plateau en connaisseuse. Elle avait retrouvé ses repaires ici. Accalmie se moquait des traditions trop ancrées des Adarii qui tenaient absolument à garder leur façon de vie intacte quelque soit l’endroit et cela sans doute depuis des générations. Voila qui faisait son affaire pour une fois.


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