lundi 17 décembre 2007

AP : 3. Rafale : Chapitre 6

6

"L’univers est plein de choses magiques qui attendent patiemment que nous soyons assez intelligents pour les percevoir."

[Eden Philpotts]

Terre : nouveau mexique

Je peux m’asseoir ?

Des cheveux si laqués qu’on aurait dit du plastique, les pommettes trop fardées, la bouche rouge sang et les yeux noirs. Prostitué catalogua aisément Accalmie. Il lui dit de partir mais elle s’assit face à lui, minaudant pour mettre son décolleté en valeur.

« Je n’ai pas de fric » dit-il en buvant une nouvelle gorgée de bière.

Elle lui prit la main, elle ne le croyait pas. Ils lui faisaient tous le coup mais elle savait comment les convaincre. Il retira sa main. Il avait l’habitude de sentir les pensées des autres et ne s’en préoccupait guère. A la rigueur, il en ressentait un sentiment de supériorité non négligeable, mais pas ce soir. Il commanda une nouvelle bière et se remit à boire. La fille n’avait pas bougé. Elle lui faisait quelques compliments, refrain de base du métier comme quoi, pour sa belle gueule, il aurait un prix. Des filles, il pouvait en avoir à la pelle. Il n’allait pas payer pour ça.

Elle commençait à s’impatienter devant son indifférence et se décida à se lever. « Toi, tu es un gosse de riche, de ces nantis qui ne savent pas ce qu’est la vie, de ces fils à papa. Ca se voit du premier coup d’œil. Prétentieux !

Accalmie finit sa bière d’un trait et ne put retenir un fou rire. « Ca se peut » dit-il « je n’en sais rien ».

La fille se rassit, trop étonnée pour faire autre chose, un peu attirée aussi par ce jeune homme si différent de ses clients habituels.

Le patron du bar arriva et l’attrapa violemment par le bras. « Pas de ça ici » lui dit-il « on est un établissement respectable » Il la poussa violemment vers la sortie, lui arrachant un cri qui fit mal à Accalmie.

« Lâchez là ».

Le tenancier se tourna vers Accalmie. « Cette jeune femme ne vous importunait pas ?

- Mes problèmes, je les règle moi-même. »

Le patron hésita. Accalmie avait horreur de sentir une telle faiblesse. Il finit par se décider « je tiens un établissement respectable, je ne veux pas qu’on pense que je permets le racolage chez moi. »

C’était une horreur ce bar. La table était poisseuse d’alcool des clients précédents, la pièce était sombre mais sûrement pas pour l’ambiance, plusieurs ampoules étaient cassées et n’avaient pas été changées. Il valait sans doute mieux afin de cacher la crasse.

Cette fille est avec moi » dit Accalmie fixant le gérant.

« Mais je…

- Cette fille est avec moi alors sers lui à boire. »

La fille commanda un scotch et Accalmie tendit un billet puis elle recommença à minauder. « Je te prenais pour un de ses gamins qui cherchent à perdre leur virginité sans trop savoir comment faire mais en fait, tu es un mec qui a de la classe. »

Accalmie ébaucha un rictus, sa virginité. Il avait égaré ce genre de truc dans un parc avant même que sa mère commence à lui dire qu’il était trop jeune.

« Tu as entendu le patron. Pas de racolage. Si tu veux te faire du blé, c’est dehors. Tu n’obtiendras rien de moi. »

La fille recula sur sa chaise et fronça les sourcils. « Faut savoir ce que tu veux. Pourquoi m’as-tu demandé de rester ? »

Il n’en savait rien lui-même « Pour faire chier le patron.

- T’es un mec bizarre toi. T’es pas un criminel ou un truc du genre ? »

Accalmie sourit. « Pas encore non ».

La fille réfléchit un moment, souriant, un doigt sur les lèvres. Elle tentait encore de le séduire. Elle baissa les yeux quand il se décida à la regarder mais elle reprit vite son assurance. « J’ai trouvé » dit-elle. « Voila le topo. T’es un fils à papa qui a fait une fugue. Genre super friqué et je pourrais te ramener chez toi et gagner un paquet.

- Tu peux toujours rêver.

- Mais t’as bien fait une fugue ? »

Accalmie haussa les épaules « Qu’appelles-tu une fugue ? »

La fille hésita. Elle pensait qu’il se fichait d’elle. « C’est quand on part de chez soi.

- Alors, sans doute que j’ai fait ça. Sauf que je ne sais pas où c’est chez moi. »

La fille commençait à le prendre pour un dingue. Accalmie s’amusait. L’ivresse aidant, il se complaisait de l’inquiétude de cette pauvre fille qui n’arrivait pas à se détacher de lui. Il pourrait en faire ce qu’il voudrait sans forcer. Elle était fascinée. Il se leva, posa encore quelques billets sur la table et quitta le bar. L’air nocturne était encore chaud. Le quartier sentait fort. Mélange de gaz carbonique et de relents d’alcools et de sueurs et d’urines. A moins que ce ne soit sa propre odeur. Il sortit de sa poche un vieux bonbon au gingembre et le suça pour changer d’odeur. Il aimait l’odeur du gingembre. Plus jeune ses camarades se foutaient de sa gueule à cause de ses goûts peu communs. Trop fort. Après ils avaient cessé de la ramener. Il ne l’aurait plus permis. Il regarda le ciel. Aucune étoile n’était visible. La lumière des enseignes du centre ville était trop forte. Il continua à marcher. Il sentit la présence de la fille à ses côtés qui se frotta contre lui. Elle espérait le convaincre de faire affaire avec lui. Il était tard et les clients potentiels restant seraient bourrés. Un homme qui avait trop bu risquait de devenir violent. Elle s’était déjà fait battre par ses clients, maintenant elle se méfiait. Il y avait autre chose aussi. Ce n’était qu’une pauvre fille romantique qui avait repéré un mec qui lui plaisait. Il était différent et c’est ce qu’elle voulait. Quelque chose de différent.

Accalmie s’arrêta, mit la main au portefeuille et lui tendit quelques billets. Elle sourit, d’un sourire artificiel, puis reprit ses manières de professionnelles, lui passant les mains autour du cou. « J’ai un petit studio pas loin, je vais bien m’occuper de toi »

Il lui décrocha les mains. « J’’ai payé ta soirée, j’en fais ce que je veux. Et je n’ai pas envie de baiser. Tire toi ».

Il reprit sa route. Elle le rattrapa. « Tu te la joues genre Pretty woman ?

- Dans Pretty woman, il se tape la fille et reste avec elle. Ca ne m’intéresse pas. Ni l’un, ni l’autre ».

Il laissa la fille derrière lui. Elle était vexée. Tans pis pour elle. Il continua à avancer. Un peu avant l’aube, il était derrière les grilles de l’astroport. Il ne distinguait rien. Même de jour, on ne voyait que des arbres. Souvent il venait là. Une fois, il avait vu un vaisseau décoller. Ca lui avait fait mal au cœur sans savoir pourquoi. Un jour il partirait. Il ne savait quand, ni comment, ni pourquoi ni pour où. Il partirait c’est tout.


Saphir : Tiyana

Grésil entra à pas de loup. Une espionne ne faisait pas plus de bruit qu’un souffle d’air. Un rapide coup d’œil, la pièce était vide. Elle souffla de soulagement et s’essuya le front. Elle avait beaucoup couru. Elle revenait d’une de ses cachettes secrètes, un trou dans la roche, dissimulé par les buissons mais elle n’avait pas réussi. Peut-être une certaine proximité l’aiderait. Elle entra dans le salon. La pierre noire, sur son socle, semblait la regarder. Elle savait que ce n’était pas vrai. Pas plus que les monstres dissimulés dans le dressing. Pour autant, elle vérifiait toujours avant d’aller dormir qu’aucun monstre ne se cachaient derrières les tentures. Elle s’approcha, comme une petite souris, et se laissa tomber dans le sofa. Après encore un coup d’œil, afin d’être sure qu’elle était seule, elle se mit à parler la pierre. Ca aussi, c’était une manie que sans doute beaucoup jugerait stupide mais, elle n’avait pas d’ami, alors elle parlait à ce qu’elle pouvait.

« J’ai essayé de refaire le truc que m’a fait faire Rafale pour trouver l’appel qui sent bizarre et qui est tout seul, mais je n’ai pas réussi. Je parle doucement » ajouta-t-elle en chuchotant « parce que personne ne doit savoir que j’essaie de faire ça. Sinon, on va me poser pleins de questions, comme à une petite fille. » Elle se tut, restant à contempler les petites étoiles se mouvant dans la pierre. Elle se prit à les compter. Comme ça pour passer le temps. « Un, deux, trois… quinze, seize,… trente, trente et un, » comment pouvait-il en avoir tellement ? On aurait dit que, plus elle les comptait, plus il y en avait. Ce pourrait être des gens, ou des animaux ? Ils se multipliaient encore. « Quarante deux, quarante trois. » Ils grossissaient, elle imaginait des formes d’animaux, et des endroits, elle voyait pleins d’endroits différents, partout et à la fois. « Cinquante cinq, cinquante six. » Il y a avait des gens partout, qui pensaient pleins de truc et elle pouvait tout voir, elle était partout. Elle se sentait se disperser et commença à paniquer. Non, Rafale a dit que ce n’était qu’une illusion et qu’en vrai, je n’étais pas cassée. Trouver celui qui sent bizarre.

Il y avait maintenant des milliards de petits points et pleins de parfums différents, de la musique aussi, très légère, comme un fond sonore, pas agréable du tout. Elle s’en éloigna. Pas y faire attention, se répéta-t-elle suivant toujours ce que lui avait dit son frère, visualiser ce qu’on cherche.


Terre : Nouveau Mexique

Accalmie traînait entre la veille et le sommeil. Il se levait de plus en plus tard et se couchait de plus en plus tôt, mais que ferait-il d’autre ? Il avait de grands projets mais pas la possibilité ou le courage de les mettre en pratique. Il songeait de plus en plus souvent à rentrer chez lui, reprendre sa petite vie. Seule sa fierté l’en empêchait. Sa fierté et aussi autre chose. Il ne savait pas où était chez lui. Il n’avait pas de chez lui et n’avait pas de vie normale. Il fallait se lever, bouger, et il n’en avait pas le courage. Encore cinq minutes et je me lève pensait-il au moment où il l’entendit.

« Je t’ai trouvé » c’était un cri de victoire sans un son. Par réflexe, il regarda autour de lui la chambre déserte puis, évita le moindre mouvement, arrêtant même sa respiration concentré pour écouter le moindre bruissement. Rien. Il finit par conclure que ce n’était que son imagination et se décida à se lever.

« Pas te perdre, Rafale a dit prendre des repères mais il n’y a pas de repère. Tout bouge et je ne peux pas suivre. Tu es là ?

- Je suis là. Les mots firent un drôle d’effet dans la pièce silencieuse.

- Tu n’es pas là ? »

L’appel ne venait pas de l’extérieur, ce n’était pas des mots ou en tout cas pas dans une langue qu’il connaissait, c’était plutôt une connaissance directe. Une connaissance, une sensation et une odeur de groseille. Accalmie se concentra comme Thibault lui avait appris pour rendre ses pensées le plus limpide possible.

« Je suis là. Tu es le petit papillon de l’autre jour ?

- Papillon ? Non, je suis Grésil.

Un petit souffle d’air froid et piquant le traversa et s’estompa si vite qu’il pensa l’avoir perdu.

Il se concentra d’avantage mais il n’y avait plus personne. Il essaya de se remémorer la sensation qui l’avait traversé. Thibault disait qu’il associait Mike à une musique, il n’y avait pas de musique par contre « La groseille, j’ai senti la groseille ». Il se concentra sur ce parfum.

« Qui tu es ? » sentit-il

Il failli rompre le contact d’excitation mais se reprit.

« Je m’appelle Accalmie.

- Accalmie ? C’est un nom de chez moi.

- Je… » Il ne put répondre, une angoisse l’envahit soudain. « Mon frère ! Si Rafale sait ce que je fais, il va me gronder. Il dit que je suis trop petite. »

Le parfum disparut et Accalmie se retrouva seul. Plus seul qu’il ne l’avait jamais été.

Saphir : Tiyana


J’ai fini la transcription. C’était bien un code.

Maître Matinée se tourna vers la jeune femme, attendant la suite. « Je t’écoute Fragile »

Les petites poésies, dans le journal de Réalité, n’avaient aucun sens. C’est surprenant. Il s’agissait de la reproduction d’un texte écrit de la main d’une certaine Réalité qui aurait fait partie des premiers colons de Saphir ». Le jeune femme tendit quelques feuilles et Rafale se précipita auprès de Matinée pour lire en même temps que lui tandis que Fragile continuait ses commentaires : « Elle explique comment les Dieux les ont transporté sur Saphir comment, en voyant le fleuve si bleu, un certain Shamal, nouveau maître de la pierre Anunnaki avait décidé d’appeler ce monde Saphir et comment elle avait décidé de nommer la première cité : Tiwanaku en souvenir de la dernière cité de l’ancienne puissance. Elle dit que, vingt ans plus tard, un vaisseau est apparu transportant les réfugiés de la fin du monde pour qui le voyage n’avait pas paru durer plus d’une journée et qui n’avaient pas vieilli. Elle parle d’un autre Dieu nommés Enki Substance, d’une race Anunnaki détruite, d’une certaine Anngaal qui serait morte pour leur cause et Eshdarii qui aurait mystérieusement rendu l’âme peu de temps après leur arrivé ce qui paraissait l’étonner car elle semblait les croire immortel. Elle parle aussi d’une race Igigi qui, en leur mémoire auraient associé leur nom et serait devenus le peuple d’Anndarii, d’un autre vaisseau perdu venant de Conquête, ainsi que d’une femme nommée Maltaa, prisonnière du temps.».

Rafale s’extirpa de sa lecture : « Tu penses qu’il s’agit d’une sorte d’allégorie ?

- Je l’ai cru mais ça m’a l’air sérieux, même si ça parait sans queue ni tête. L’autre Réalité, l’acolyte qui a écrit le journal dit qu’il s’agit, du souvenir des anciens. Que ses parents l’ont appelée Réalité car elle était celle qui détenait ce secret et qu’elle invitait ceux qui le découvriraient à appeler aussi leur enfant du même nom. Je pense qu’une partie de l’histoire manque mais qu’il existerait des écrits qui seraient restés sur leur monde d’origine. Il y a aussi des coordonnées afin de les retrouver.

- Tu as retrouvé le point d’origine des coordonnées ?

- Oui et non

- Oui ou non ?

- Si on les associe à Saphir, il s’agit d’un point situé dans l’océan supérieur.

- Une île ?

- Non, mais l’histoire parle d’une colonisation de Saphir donc le point d’origine devrait être en dehors de Saphir. Les recherches actuelles, celles de Tempêtes en particulier, estiment que la planète d’origine serait la Terre. Je ne connais pas suffisamment le terrain pour savoir à quoi correspondent les coordonnées sur Terre.

- Bon, trouve des cartes, cherche-moi ça, débrouille-toi. Il faut retrouver ses textes et plus important, il faut que personne ne mette son nez là-dedans avant nous.

- Ces documents ont disparu depuis huit mille ans. Même s’ils existent encore, ce dont je doute fort, je vois mal que quelqu’un tombe malencontreusement dessus maintenant, soit capables de les déchiffrer et en plus les prenne au sérieux.

- Je me demandais…

- Oui Rafale ?

- Vous souvenez-vous de cet érudit de Cashir qui voulait qu’on retrouve sa fille ?

- Cyril oui et alors.

- C’est bien chez lui qu’on a trouvé ce journal ?

- En effet, oui

- Il s’agit peut-être d’une simple coïncidence mais sa fille, celle qui a disparu et qu’il voulait qu’on retrouve, ne s’appelait-elle pas aussi Réalité ? »

Matinée tapa violement du poing sur la table, « cette sale fouine va avoir affaire à moi. Fragile, demande qu’on prépare mon vaisseau puis trouve moi ses coordonnées en vitesse.

- Que voulez-vous qu’il trouve en Cashir ? Il a juste dû appeler sa petite ainsi pour lui donner le nom de celle qui a écrit le journal. Il n’a sans doute pas déchiffré le code et encore moins les coordonnés. En plus, Pluie s’est déjà occupé de lui.

- Et bien je m’occuperais de lui aussi, il ne m’inspire pas confiance. Ni lui ni cette tête de linotte de Pluie

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